Nous avons choisi dans ce dossier d’InterCDI d’interroger la place des neurosciences au CDI ainsi que le rôle du professeur documentaliste dans les projets qui y font référence, projets portés par des équipes de collègues motivés. Que nous apprennent les résultats des recherches récentes dans ce domaine ? Quels sont les apports potentiels des neurosciences aux pratiques de classe ? Autant de questions auxquelles il n’est pas envisageable d’apporter de réponses définitives car, comme le souligne Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’université de Genève et directeur de recherche à l’institut des sciences biologiques du CNRS dans l’ouvrage Les neurosciences à l’école : leur véritable apport1, les études sur les neurosciences sont relativement récentes et encore très discutées, notamment en raison d’un manque d’études significatives. Il rappelle également que les neurosciences ne sauraient expliquer à elles seules des phénomènes aussi complexes que l’apprentissage et l’enseignement. Il importe d’observer l’environnement de l’individu et de s’appuyer sur différentes disciplines : « Pour un enseignant, il est important de prendre conscience que lorsque l’élève apprend quelque chose, il “sculpte” son cerveau et, dans certains cas, peut “recycler” de nouvelles zones cérébrales. Les compétences sont beaucoup plus modulables que ce que l’on pensait. […] Mais les recherches en neurosciences à elles seules ne peuvent guider les pratiques pédagogiques. Elles doivent être associées aux autres disciplines, comme celles issues de la psychologie scientifique » (Gentaz, 2022, p. 27).
Dans un premier temps, nous essaierons de comprendre les mécanismes de la pensée en jeu dans l’évaluation de l’information. L’adhésion à certaines infox ou théories du complot est-elle principalement une affaire de cerveau ? Quelle est la part du contexte socio-culturel et de l’environnement informationnel ? Pour éviter de tomber dans les « mythes cognitifs », Raphaël Heredia propose, avec Désinformation une histoire de cerveau vraiment ? de faire la part des apports respectifs de différents champs, dont certains sont délaissés (sociologie du numérique, sciences de l’information, sciences de l’éducation) quand d’autres sont largement invoqués (neurosciences, psychologie cognitive ou sociale). L’approche est compréhensive, il s’agit dans tous les cas de mettre à distance une vision de l’ÉMI comme « une histoire de gens qui pensent mal, à remettre sur le droit chemin cérébral ».
C’est dans le cadre d’une réflexion générale sur les pratiques pédagogiques que Manon Lefebvre convoque les neurosciences : non comme un outil proposant des méthodes universelles à appliquer pour améliorer les apprentissages, mais dans une logique d’expérimentation et d’adaptation des pratiques, rapportée ici plus particulièrement à l’ÉMI et centrée sur le processus de mémorisation. Certains « allants de soi » sont questionnés, et des pistes suggérées, en appui sur les résultats de recherches récentes ; la nécessaire prise en compte du contexte, et le rôle primordial de l’enseignant à ce niveau sont rappelés avec insistance. Dans la continuité de sa réflexion, Marine Brochard-Castex propose un exemple concret, dans un contexte de cours bimensuel, mettant à l’épreuve du terrain certaines des pistes préconisées.
Dans un second temps, nous nous pencherons sur des expérimentations pédagogiques lancées dans plusieurs académies, qui ont pour objectif la création d’un contexte éducatif favorable aux apprentissages et à la gestion des émotions. Virginie Breyton relate ainsi le déploiement dans l’académie de Versailles d’un dispositif soutenu par la CARDIE2, visant à développer les compétences psychosociales des élèves, et plus précisément, leur bien-être. Elle donne à voir comment les professeurs documentalistes peuvent s’impliquer et contribuer à l’acquisition par les élèves d’une meilleure connaissance des « mécanismes » du cerveau et de leurs capacités cognitives, émotionnelles et sociales. Les pratiques ludiques et créatives occupent une place de choix dans ce processus, ce que met également en avant Anne-Valérie Mille-Franc dans l’académie de Montpellier, laquelle propose dans un article des pistes et des outils pour travailler différemment avec les élèves. Toutes les deux soulignent l’importance d’une formation solide et s’interrogent sur la manière dont le professeur documentaliste peut contribuer à l’instauration d’un climat serein, propice à l’épanouissement des élèves.
Avec la création d’un groupe « zèbres » (terme inventé par Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne et psychothérapeute), Louise Daubigny propose une expérience singulière d’accueil en CDI d’élèves à Haut Potentiel (des élèves « à besoins éducatifs particuliers »). Ici aussi, l’auteure invite à dépasser certaines idées reçues, et interroge le rôle du professeur documentaliste. La démarche de projet et les activités sollicitant imagination et créativité sont mises en avant. Le CDI peut être « une bulle d’air » pour ces élèves, selon ses mots. Enfin, Stéphanie Druesne, professeure d’EPS et formatrice académique en yoga, invite à faire un pas de côté avec la pratique du yoga : au-delà du projet présenté, appuyé par l’académie d’Orléans3, et à destination d’élèves mineurs isolés allophones, c’est de la relation corps/esprit que traite l’article, et des effets bénéfiques que peut avoir le yoga sur le cerveau ; apprendre à accueillir et à maîtriser ses émotions permet d’apaiser les tensions physiques et mentales et favorise la concentration ; vivre les mots – et les savoirs – via des mouvements et des postures participe au processus de mémorisation, l’élève se préparant ainsi pour de nouveaux apprentissages.