L’entrée du paradigme inclusif à l’École s’inscrit dans une évolution à la fois terminologique et conceptuelle qui a eu lieu au tournant du XXIe siècle. Pour le comprendre, il paraît d’abord nécessaire de faire un détour socio-historique. En effet, « l’inclusion scolaire ne s’oppose pas seulement à l’exclusion, mais aussi à l’intégration ». (Armstrong, 2006, p. 73.) Si l’exclusion n’est aujourd’hui plus de mise, le principe d’éducabilité (Meirieu, 1991) étant désormais reconnu, la prise en compte de la diversité des élèves a évolué. Il s’agira ensuite de préciser les conditions nécessaires à la mise en place d’une École inclusive. En effet, le paradigme inclusif comporte une radicalité dans son principe mais aussi dans les pratiques pédagogiques qu’elle appelle.

1. Changement de paradigme : de l’intégration à l’inclusion

Cette première partie aborde les principaux enjeux liés à l’École inclusive qui ont évolué au cours du temps.

1.1 De l’intégration scolaire…

Le paradigme intégratif a débuté en France avec la promulgation de la loi du 30 juin 19751. Durant cette période, les élèves en situation de handicap ne bénéficiaient d’aucune adaptation scolaire, d’aucune mesure compensatoire pour suivre les enseignements dispensés. Leur réussite en milieu scolaire ordinaire était uniquement à leur charge (Göranson, 2012). S’ils n’étaient pas en mesure de suivre l’enseignement ordinaire, leur expérience scolaire se résumait à celle d’un simple « visiteur » (Plaisance, 2012 ; Ebersold & Mauguin, 2016 ; Bedoin, Despois & Givras, 2018). Ces élèves intégrés qui ne pouvaient pas suivre une scolarisation en milieu ordinaire ne bénéficiaient que d’un accès physique à l’école. Ils finissaient par être «  »exclus » d’une école ordinaire, non pensée pour des besoins éducatifs particuliers » (Pelletier, 2020, p. 18) et se retrouvaient orientés vers l’enseignement spécialisé.

1.2 … au principe d’inclusion

Le paradigme inclusif, alternatif à celui intégratif (Lansade, 2023), trouve sa source dans les textes des grands organismes internationaux des années 1990. La Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous (EPT), adoptée en Thaïlande en 1990, présente une vision de l’éducation reposant sur l’universalité et l’équité. La Déclaration de Salamanque, en 1994, reprend dans son article 2 le concept d’EPT en stipulant que l’école ordinaire doit accueillir tous les élèves en tenant compte de leurs besoins. La Charte de Luxembourg (1996) poursuit cette ligne directrice en déclarant que « l’école pour tous et pour chacun entend s’adapter à la personne et non l’inverse ». L’École a donc la responsabilité de mettre en place les conditions de réussite pour tous les élèves (Albrecht, Ravaud & Stiker, 2001). Cette réussite dans le milieu scolaire ordinaire ne dépend plus seulement des efforts fournis par l’élève en situation de handicap, mais aussi et surtout des ajustements pédagogiques mis en place (Rousseau & Prudhomme, 2010).
Le paradigme inclusif a suscité en France de nombreux débats dans les discours politiques et au sein de la communauté scientifique. L’acception du terme « inclusion » ne faisait pas consensus dans les années 2000. Éric Plaisance et ses collègues (2007) ont expliqué sur ce point que « le vocabulaire de l’inclusion n’est guère utilisé en français pour désigner des processus concernant des personnes. Il est au contraire courant en langue anglaise, souvent couplé à l’expression éducation inclusive, de plus en plus adoptée dans les organismes internationaux. » (p. 159.) C’est ainsi que Jean-François Chossy (2003), député de la Loire, a choisi le terme d’intégration dans son rapport sur « la situation des personnes autistes en France » plutôt que celui d’inclusion « […] qui veut dire clairement “renfermer dans…” ». (p. 35.) La même année, Yvan Lachaud (2003), député du Gard, s’indignait, quant à lui, dans son rapport sur « l’intégration des enfants handicapés », de l’usage du terme d’intégration scolaire : « […]  il n’est pas concevable qu’un individu ait besoin d’intégrer la communauté nationale, sauf à en être étranger ». (p. 106.)
Au cœur de cette dissonance terminologique et conceptuelle, les auteurs de la loi du 11 février 20052 ont fait le choix de ne pas mentionner le terme « inclusion ». Sans citer explicitement le terme inclusion, ce texte législatif a néanmoins permis d’ouvrir la voie au paradigme inclusif. Il a fait entrer le champ du handicap dans le droit commun (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017), en dotant les personnes en situation de handicap de deux types de droits : un droit à la compensation quels que soient l’origine et la nature de la déficience, l’âge ou le mode de vie (article 11) ainsi qu’un droit à l’inscription, pour tous les enfants en situation de handicap, dans leur école de quartier (article 19).

1.3 De l’inclusion scolaire…

Huit ans après la promulgation de la loi de 2005, les auteurs de la loi du 8 juillet 20133 ont explicitement mentionné le syntagme « inclusion scolaire » dans leur article 2 : « Il [le service public de l’éducation] veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. » La loi de 2013 reconnaît l’éducabilité de tout enfant (article 2) et concerne un public d’élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP), plus large que les élèves en situation de handicap4.
Serge Thomazet, Corinne Mérini et Elvire Gaime (2014) proposent une synthèse sur le changement qui s’est opéré entre la loi de 2005 et de celle de 2013 : « l’école inclusive est avant tout un principe, contenu en tant que tel dans la loi du 11 février 2005 et dont les termes sont entrés dans la prescription avec la loi du 8 juillet 2013 ». (p. 69.) Serge Ebersold (2009) développe ce dernier point ainsi : « le terme [inclusion] désigne désormais l’exigence faite au système éducatif d’assurer la réussite scolaire et l’inscription sociale de tout élève indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales ». (p. 79.) La diversité des besoins éducatifs de chaque apprenant, au-delà d’une situation de handicap, doit donc être accueillie et prise en compte par les enseignants. L’École doit ainsi trouver dans la diversité des profils de ses élèves, la singularité de chacun pour offrir un enseignement accessible à tous. Pour atteindre cet objectif, Charles Gardou (2012) confie une mission délicate mais essentielle à l’École : celle de réussir à « conjuguer les singularités, sans les essentialiser ». (p. 43.) L’École inclusive apporte une plus-value, selon Émilie Chevallier-Rodrigues et ses consœurs (2019) : « une lecture en positif de la diversité en induisant un réel enrichissement des pratiques pour donner à tous les élèves les moyens de se saisir pleinement de leur scolarité ». (p. 142.) Pour que la diversité soit vectrice d’enrichissement, Diane Bedoin (2016) souligne qu’il est essentielle de maintenir une grande vigilance quant aux conditions d’accueil réservées aux enfants en situation de handicap. Martine Janner-Raimondi (2017) précise que cet accueil nécessite « la prise en compte d’une spécificité de besoin(s), articulée à une non-stigmatisation ainsi qu’à une considération égale entre les êtres humains ». (p. 79.) En replaçant ces propos dans un contexte scolaire, les concepts de non-discrimination et d’équité doivent être couplés à la prise en compte de ces besoins éducatifs particuliers. Il faut identifier la spécificité de ces besoins pour les élèves en situation de handicap, condition sans laquelle un statut d’élève ne peut être reconnu. Godefroy Lansade (2017) ajoute que, dans le paradigme inclusif, cet accueil doit être pensé selon trois dimensions : « physique, sociale et épistémique ». (p. 18.) Tout enfant a, en effet, un droit d’accès physique pour suivre un parcours scolaire dans son école de quartier. Il doit aussi pouvoir tirer parti d’une socialisation avec ses pairs et doit enfin pouvoir bénéficier d’une accessibilisation des savoirs pour progresser dans ses apprentissages (Thomazet, 2008).

1.4 … à la scolarité inclusive

Dans la loi du 26 juillet 20195, nous pouvons repérer un nouveau glissement terminologique et conceptuel qui s’opère entre « une inclusion scolaire » (loi de 2013) et « une scolarisation inclusive » (loi de 2019). À notre connaissance, les législateurs n’ont pas pris le soin d’expliciter ce qu’ils entendaient par scolarisation inclusive, pensée pour chaque enfant qu’il soit en situation de handicap ou non.
Au-delà des termes employés et des concepts qu’ils recouvrent, Serge Thomazet (2008) considère que la mise en place de l’École inclusive implique une « véritable rupture avec les pratiques traditionnelles ». (p. 129.) Nous allons, à présent, nous attacher à définir ces transformations structurelles et profondes permettant à l’École de devenir inclusive.

2. Changement de pratiques induit par l’École inclusive

Cette seconde partie traite des pratiques liées à l’École inclusive qui rompent avec la forme scolaire traditionnelle (Vincent, 1994) sur plusieurs points. Ces pratiques inclusives impliquent que l’École accueille la diversité dans toute sa richesse.

2.1 École inclusive et partenariat

La mise en place de l’École inclusive est une œuvre commune nécessitant l’implication de tous les partenaires, membres de la communauté éducative.
Philippe Tremblay (2020) précise que, dans une École inclusive, tous les professionnels sont amenés à collaborer « à l’intérieur et à l’extérieur de ses murs ». (p. 104.) Deux types de partenariat sont nécessaires pour que l’École puisse fonctionner dans un paradigme inclusif : le co-enseignement (Tremblay, 2015) et l’intermétier (Thomazet & Mérini, 2014).
Le partenariat au sein de l’équipe pédagogique prend la forme du co-enseignement. Nous reprenons la définition que Philippe Tremblay (2015) a proposée : « Un travail pédagogique en commun, dans un même groupe, temps et espace, de deux enseignants partageant les responsabilités éducatives pour atteindre des objectifs spécifiques et partagés ». (p. 108.) Cette définition à spectre large du co-enseignement comprend tout travail réalisé conjointement par plusieurs enseignants, voire professionnels, sur un même espace-temps, nommé « chronotope d’apprentissage » (Colleoni & Spada, 2021, p. 68).
Le partenariat tourné vers les personnels extérieurs à l’École se développe, quant à lui, sous la forme d’intermétier. L’espace d’intermétier se définit, selon Serge Thomazet et Corinne Mérini (2014), comme une forme de travail collectif se mettant en place entre l’école, le secteur médico-social et la famille. L’éducation inclusive rassemble des professionnels de divers horizons œuvrant de concert à sa mise en place. Ces liens partenariaux s’entrecroisent et relient inextricablement l’École et la société.
Ces deux formes partenariales étayent un des principes fondateurs de l’éducation inclusive : il n’est pas concevable de « faire reposer la réussite du tournant inclusif sur les seules épaules des enseignants ». (Ployé, 2018, p. 144.) C’est ainsi que l’École doit se définir « en tant que projet, c’est donc un objet partagé ». (Thomazet, Mérini & Gaime, 2014, p. 70.) Ce projet commun nécessite un partenariat et un engagement de tous les membres de la communauté éducative : ils sont tous responsables.

2.2 École inclusive et conception universelle

L’École se doit d’accueillir tous les élèves (Déclaration de Salamanque, 1994) tout en s’adaptant à la singularité de chaque apprenant (Charte de Luxembourg, 1996). La conception universelle de l’apprentissage (CUA) permet un accueil sans discrimination à l’École. Elle prend, en effet, en compte la diversité des besoins de tous les élèves.
Ce sont les architectes en premier qui ont souligné l’intérêt d’adopter une conception universelle dans la construction des bâtiments en pensant leur accessibilité en amont et non en aval. Cette conception s’écarte d’une logique réparatrice, car elle est « proactive, [il faut agir] sans attendre que les obstacles se fassent ressentir » (Odier-Guedj et al., 2023, p. 134). Par exemple, la rampe d’accès permet, contrairement aux escaliers, un accès sans entrave physique ou physiologique que l’on soit en situation de handicap ou non (Gardou, 2011).
La conception universelle de l’apprentissage (CUA) rend accessible, quant à elle, les savoirs et les compétences. Elle est définie selon trois principes par le Center for Applied Special Technology (CAST, 2017). Il faut, tout d’abord, prévoir « une représentation des informations par le biais de divers moyens ; [ensuite, permettre] aux élèves d’avoir des choix dans leur manière de démontrer ce qui est appris [et enfin, laisser] la possibilité pour les personnes de s’engager dans les activités de diverses façons ». Dans ce cadre, Greta Pelgrims et Jean-Michel Perez (2016) invitent les membres de la communauté éducative à renoncer « au mythe de l’homogénéité [cognitive dans les classes d’élèves] » (p. 13) pour reconnaître « une hétérogénéité universelle ». (p. 13-14.) Cette CUA traite ainsi conjointement deux grands défis pour les enseignants : celui de proposer un enseignement accessible à tous, tout en restant ambitieux pour tous les élèves (Bergeron, Rousseau & Leclerc, 2011). Les adaptations pédagogiques (Rousseau & Prudhomme, 2010) proposées initialement aux élèves en situation de handicap ne constituent pas un travail supplémentaire pour l’enseignant, dans la mesure où elles conviennent à tous les élèves. Charles Gardou (2012) corrobore ce point de vue : « ce qui est facilitant pour les uns est bénéfique pour les autres ». (p. 38.) C’est pour cette raison que Mel Ainscow (2020) considère que l’éducation inclusive est bénéfique pour tous, c’est « comme une manière de parvenir à une amélioration générale du système éducatif » (p. 8, selon notre traduction).

2.3 École inclusive et société inclusive

La responsabilité de la mise en place de l’École inclusive repose sur la diversité de ses acteurs. L’École ne peut être inclusive que si la société est inclusive (Gardou, 2012). Pour ce faire, elle doit mobiliser tous ses membres pour qu’ils œuvrent activement et conjointement à sa mise en place. Cette mobilisation doit, in fine, « accueillir l’altérité pour co-construire du commun ». (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017, p. 32.) Ce commun se rassemble dans une diversité sans discrimination. Cette diversité doit être considérée « non [comme] une difficulté pour la société, mais [comme] une source de bien-être social, de développement économique et un vecteur de matérialisation des droits de l’homme. » (Ebersold, Plaisance & Zander, 2016, p. 10.) Ainsi, « un consensus semble se profiler autour de cette idée que la diversité relève d’un besoin vital pour les hommes […] ». (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017, p. 33.)
C’est de la construction d’un monde durable dont il est question. Sur ce point, la définition onusienne des dix-sept objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 permet d’interconnecter cette construction avec la mise en place d’une éducation sans discrimination qui est le propre d’une éducation inclusive. En effet, « l’éducation occupe une place centrale dans le Programme de développement durable ». (Tawil et al., 2017, p. 7.) Elle se hisse à la quatrième place sur les dix-sept objectifs constitutifs de ce « plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité » (ibid, p. 7). L’ODD4 « assure à tous une éducation de qualité inclusive et équitable et promeut des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». (Tawil et al., 2017, p. 11.) Luis Ma Naya et ses confrères (2022) considèrent ainsi que l’ODD4 ouvre la voie à « une nouvelle culture éducative dans et pour l’égalité et l’équité. » (p. 128.) Ainsi, une société inclusive dans sa dimension équitable est la condition sine qua non pour que le monde perdure et qu’il soit viable.

En guise de conclusion : l’École inclusive comme processus

Il s’agit de comprendre l’inclusion à travers des processus complexes, interactifs et dynamiques. C’est pourquoi, nous parlons de « parcours inclusifs » pour rendre compte des actions et des moyens mis en œuvre pour y parvenir ainsi que des expériences vécues par les sujets directement concernés (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017 ; Bedoin, Lemoine et Zoïa, 2022). Nous entendons souligner que la mise en place de l’éducation inclusive s’inscrit dans la durée. Elle nécessite l’engagement de tous les acteurs concernés (élèves, parents, enseignants, accompagnants, etc.), soutenus et accompagnés dans la prise en compte de la diversité par des moyens suffisants, octroyés par une société aux ambitions inclusives. « Ainsi, dans peu de temps, ne nous parlerons plus d’écoles inclusives, mais simplement d’écoles. » (Tremblay, 2020, p. 105.)