S’affranchir des difficultés
Les récits retenus pour ce corpus proposent diverses ramifications autour du thème du sport, mais nombre d’entre eux se retrouvent autour de ce point commun. Souvent, le personnage principal, en l’occurrence féminin, s’implique dans une pratique sportive pour s’extraire de conditions de vie difficiles.
Une situation sociale marquée par une certaine précarité est notamment une bonne raison pour ces filles et jeunes femmes de faire de l’entraînement et de la compétition un véritable projet de vie. Ainsi, dans le roman Angélique boxe de Richard Couaillet, Angélique vit dans les cités minières du Nord de la France. Depuis le décès de sa mère et l’internement de son père, elle s’investit dans ce sport de combat pour ne plus avoir à subir passivement les difficultés qui parsèment son existence, avec la ferme intention de « boxer la mort […] et boxer la vie ». De son côté, dans La Gazelle d’Hubert Ben Kemoun, la forme narrative épouse le rythme de la réflexion de Valérie au fil des kilomètres du marathon de Buenos Aires, au long desquels elle pense notamment à sa situation familiale, plus précisément à sa mère ouvrière sans emploi et à son père, qu’elle ne connaît pas. Le parallèle entre le récit et la course révèle un objectif commun pour l’athlète : assurer son avenir par le dépassement de soi et la victoire finale. De même, Point décisif de Florence Aubry relate l’histoire de Lilly, une joueuse de tennis dans l’entraînement de laquelle s’investit son père au chômage ; ou encore La Seule Chose qui compte vraiment de Nathalie Somers nous présente Lise, qui grandit sans père et qui vit avec une mère qui ne s’occupe pas d’elle. À son tour Bliss, l’héroïne de Shauna Cross, tente également de se libérer d’un environnement qui ne lui convient pas, elle qui vit dans une ville reculée du Texas, travaille au Bistrot du Groin et se voit affublée d’une mère férue de concours de beauté alors qu’elle aime se teindre les cheveux en bleu, écouter de la musique punk-rock et rêve d’aventures underground ! C’est alors qu’elle découvre le roller derby…
Dans un autre registre et dans une autre région du monde, la position de Farrukh illustre cette fois-ci l’opportunité que représente le sport pour une enfant face à une oppression qui lui est culturellement imposée. Son pays, l’Afghanistan, autorise de manière traditionnelle les familles qui n’ont pas de garçon à élever l’une de leur fille comme tel. Ce sont les Bacha Posh. Charlotte Erlih met donc ici en scène le/la jeune Farrukh qui s’épanouit grâce à sa passion pour l’aviron, et dont le rêve est de qualifier son équipe pour les Jeux Olympiques. Bien entendu, le récit se déroule au moment crucial de l’arrivée de sa puberté, l’obligeant à réintégrer sa condition féminine et à subir de nouveau toutes les restrictions et brimades qui y sont liées. Privée de la liberté dont jouissent les garçons, la jeune Afghane est automatiquement privée d’une quelconque pratique sportive et est exclue de l’équipe d’aviron.
Le sport peut également être un moyen de surpasser un handicap ou de mieux vivre avec. Tara, la boxeuse de Mon plus grand combat de Flo Jallier, commence l’entraînement à 7 ans malgré son asthme lui interdisant normalement toute activité sportive ; tandis qu’Elina, dans La Vitesse sur la peau de Fanny Chiarello, qui a perdu la parole à la suite du décès de sa mère dans un accident de voiture, se met à courir par hasard, trouvant là un moyen d’expression et de soulagement. Enfin, Jodi, l’athlète de Filer droit de Michael Coleman, est aveugle. Elle court avec Luke, un jeune délinquant qui, pour échapper à une condamnation pour vol et à un séjour en centre de détention, se voit contraint par le juge d’accompagner la jeune fille dans ses entraînements de course à pied. Si le thème principal de ce roman est la réinsertion et le droit à une seconde chance après un délit, le contexte choisit par l’auteur n’est pas anodin. Jodi, dont le rêve est de participer aux Jeux Olympiques de Londres, court avant tout « pour être aussi normale que possible. »
Sport et souffrance
Toutefois, ces romans n’ont pas pour seul objectif de démontrer les bienfaits du sport au féminin. Certains d’entre eux s’attachent aussi à pointer les difficultés inhérentes à une pratique parfois intensive. Les blessures, les attentes de l’entourage ou encore la pression de la compétition sont autant de facteurs à ne pas négliger.
Trois récits concernent justement les blessures et les conséquences sur la vie des athlètes. De nos propres ailes de Kinga Wyrzykowska, dont nous reparlerons plus loin, prend comme point de départ la blessure de Tina, l’une des joueuses de l’équipe de volley-ball, alors qu’elle célébrait leur victoire en Coupe de France. Cette dernière se voit ainsi privée d’une participation lors de la finale internationale. Flo Jallier, pour sa part, relate dans Mon plus grand combat la période suivant le premier KO subi par Tara. Après trois jours de coma, la boxeuse remet en question sa vie, dont chaque aspect tournait autour de la pratique de son sport. Elle croise notamment le chemin d’un homme de ménage philosophe, dont la rencontre l’invite à réfléchir à la tournure qu’elle souhaite donner à son existence. D’une autre manière, Bonnie, la protagoniste de Plongeon de haut vol, s’éloigne aussi de son sport à la suite d’une blessure. Bien que sans gravité, celle-ci entraîne un changement radical dans la manière qu’aura la jeune fille de considérer son investissement. Cette épreuve survenant au moment même où le passage de l’adolescence à l’âge adulte l’oblige à s’interroger réellement sur son avenir, Bonnie en profite pour s’aménager un temps hors du plongeoir et du bassin, dans le but de réévaluer ses priorités.
Dans La Seule Chose qui compte vraiment, Nathalie Somers s’intéresse au corps de l’athlète sous l’angle de l’adolescence. Championne de gymnastique, rêvant encore une fois du titre olympique, Lise voit son ambition se confronter aux changements corporels liés à son âge, alors qu’elle échoue à se qualifier pour le championnat de France. L’auteure pointe ici les difficultés à se remettre d’un tel échec et cherche avant tout à montrer à ses lectrices et lecteurs qu’il est toujours possible de rebondir dans un autre domaine – en l’occurrence l’escrime, sport grâce auquel Lise va retrouver confiance en elle.
Enfin, La Petite Communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon, Prix Femina 2014, est un roman hybride autour de l’icône de gymnastique Nadia Comaneci, championne olympique à quatorze ans en 1976 à Montréal, et est l’occasion, à travers l’exploit sportif, de faire le portrait de la Roumanie de l’époque. Mais une grande partie du roman se concentre aussi sur le formatage de l’athlète via les régimes alimentaires drastiques et les traitements hormonaux, dont l’un des objectifs est de retarder la puberté.
Au-delà des enjeux du sport liés au corps, les auteurs s’intéressent également à la pression psychologique à laquelle est soumise l’athlète. Cette problématique est souvent induite par la présence d’un entourage trop exigeant, comme le père de Tara qui, dans Mon plus grand combat, n’hésite pas à négliger le reste de sa famille pour faire de sa fille une championne, ou encore celui de la joueuse de tennis de Point décisif. Ce dernier, obsédé par la réussite de Lilly, en arrive à de tels extrêmes (empoisonnant par exemple les adversaires de sa fille) que la passion de la jeune fille pour ce sport se transforme vite en calvaire.
Certains entraîneurs ne sont pas non plus exempts de reproches. Le personnage de Jacky, l’entraîneur de Valérie dans La Gazelle, permet non seulement d’incarner les exigences extrêmes que peuvent exprimer les coachs à l’encontre de leurs athlètes, mais aussi d’aborder un fléau d’autant plus grave du milieu du sport amateur et professionnel : les agressions sexuelles, ou quand ces adultes référents profitent de leur pouvoir pour infliger des sévices à celles qui devraient être leurs protégées et qui dépendent d’eux pour réaliser leurs rêves.
Enfin, les difficultés rencontrées par ces sportives tiennent également à la question des performances. Par exemple, dans De nos propres ailes, Kinga Wyrzykowska met en scène le personnage de Gladys, remplaçante au sein de l’équipe de volley-ball, et sa difficulté à trouver sa place lorsqu’elle doit remplacer l’une des joueuses titulaires pour la finale. Dans 8 minutes de ma vie, Gilles Bornais choisit de construire son récit d’un point de vue introspectif pour aborder la question de la souffrance qu’implique le choix d’être une nageuse de haut niveau. Ainsi Alizée, dans la chambre d’appel, évoque tout un ensemble de difficultés auxquelles elle doit faire face pour exceller dans son sport : la dureté des entraînements, les blessures, le manque de motivation, la dépression face à la défaite ou encore la pression que l’on s’inflige à soi-même et celle de l’entourage.
Question de genres
Bourdieu, lorsqu’il s’intéresse au rapport entre sport et classes sociales, définit le sport comme étant un entraînement à la virilité, associant ainsi d’office la pratique sportive à la masculinité. Ce corpus s’oppose bien sûr à cette interprétation, et si le genre des personnages n’est en général pas mis en exergue dans la majorité des ouvrages, certains sont tout de même construits en partie selon cette dynamique. Bacha Posh, bien sûr, doit être cité dans cette partie, dans la mesure où il soumet aux lectrices et lecteurs une situation particulière dans un univers où filles et garçons ne sont pas égaux en droits et où un personnage reconnu comme féminin n’aurait pas été en mesure de vivre l’aventure sportive vécue par Farrukh.
Cette exception mise à part, quatre d’entre eux, sur les quatorze présentés, fonctionnent en effet sur cette dichotomie de genre dans un contexte occidental prétendument égalitaire. D’une part, les deux romans sur la boxe, Angélique boxe et Mon plus grand combat, placent leurs protagonistes dans un contexte masculin (entraîneurs, partenaires d’entraînement, pères présents dans la carrière sportive, amis). Nous retrouvons par exemple Angélique, seule fille de sa fratrie, qui utilise ses capacités pour se défendre contre les garçons à l’école. Tara, quant à elle, évolue aussi dans un milieu strictement masculin dont l’auteure du roman s’attache à montrer toute l’agressivité et la vulgarité.
D’autre part, deux textes, le roman Bliss. Métamorphose d’une fille ordinaire de Shauna Cross et le roman graphique Roller Girl de Victoria Jamieson, permettent de (re)découvrir un sport inventé par et pour les filles : le roller derby. Porté par des joueuses s’affranchissant des stéréotypes de genre qui régissent nos sociétés, ce sport fait office de combat féministe à lui tout seul. C’est ainsi que l’héroïne éponyme Bliss, en découvrant cette pratique et cet univers à part, parvient à affirmer sa véritable personnalité et à trouver sa place parmi un groupe qui lui ressemble et avec lequel elle partage les mêmes codes. De même, la jeune Agathe dans Roller Girl intègre un monde atypique qu’elle n’imaginait même pas. La nature du roman graphique permet de visualiser directement les joueuses qui se caractérisent par leurs tatouages, leurs piercings ou encore leurs cheveux (courts ou longs) colorés, et ainsi de donner à voir aux lectrices et aux lecteurs d’autres modèles de filles et de femmes que ceux qu’elles et ils ont l’habitude de voir à travers les divers médias. Par ailleurs, ces deux ouvrages mettent en avant une véritable solidarité qui fait la qualité de ce sport, lorsque les protagonistes commencent à se dépasser et à progresser au cours des entraînements, en se confrontant aux autres et en apprenant d’elles-mêmes.
Le sport féminin comme contexte
Pour finir, il faut noter l’importance que revêtent tout autant les romans qui utilisent le sport féminin comme un contexte à leur histoire. Sans aborder des problématiques de fond comme peuvent le faire les textes précédemment évoqués, ils permettent d’accorder une visibilité non négligeable aux sportives qui sont encore aujourd’hui souvent perdantes face au déséquilibre des traitements, tant médiatiques que financiers, octroyés aux versants masculins des sports.
Ainsi, nous avons déjà évoqué le roman De nos propres ailes de Kinga Wyrzykowska. Si l’enjeu sportif n’est ici pas inexistant, l’élément narratif principal concerne une enquête sur la disparition de la cagnotte mise en place pour permettre à la joueuse blessée d’accompagner son équipe lors de la finale. L’auteure évoque les tensions que créent cette situation et brosse, à travers cet événement, un portrait de l’adolescence en détaillant les différents types de personnalités des jeunes personnages.
Quant à Chasses Olympiques de Nicolas Cluzeau, pour finir, il s’agit d’un roman policier et historique dont les Jeux Olympiques de Stockholm en 1912 ne sont encore une fois qu’un élément contextuel, mettant en scène Sonia qui, bien que devant participer aux épreuves de natation dans son propre pays, saisit l’occasion de venger le meurtre de sa famille quinze ans auparavant.
Ce rapide panorama a permis de montrer la richesse des personnages de sportives en littérature, et plus particulièrement dans les récits édités à destination d’un public adolescent. Leur mise en avant participe ainsi à éclairer des athlètes souvent laissées dans l’ombre de leurs homologues masculins et à reconnaître des protagonistes abîmées par la vie, fonceuses ou en quête d’identité, auxquelles toute en chacune peut être en mesure de s’identifier.