Évoquer les racines documentaires des Communs nous replace dans l’histoire longue de l’organisation des connaissances, des travaux et batailles pour améliorer l’accessibilité aux savoirs.
En premier lieu, la mise en commun des savoirs passe par son extériorisation, c’est-à-dire sa transformation sous forme documentaire. Cette étape n’est pas si aisée, tant il est tentant au contraire de privilégier une approche plus confidentielle, basée sur le secret ou l’initiation. La logique des confréries ou des corporations domine. La mise en commun des savoirs est loin d’être une évidence. Bien au contraire, la conservation des savoirs est source de pouvoirs.
Les premières bibliographies et autres démarches de rassemblement des savoirs sous forme de bibliographies ou de florilèges constituent une première étape. On songe aux travaux de Conrad Gesner, compilateur infatigable qui rassemble sur des fiches toutes les informations et le savoir, afin de produire des formes encyclopédiques accessibles, car réunies en quelques volumes. De la même manière, les projets de création d’index permettent de nouvelles lectures des oeuvres et constituent des instruments qui facilitent les méthodes d’accès au savoir par de nouveaux types de consultation qui évitent la lecture exhaustive. Bien sûr, les cahiers d’étudiants qui compilent des notes, les lieux communs, sont des exemples de cette volonté de rassembler, mais ils sont souvent à portée plutôt individuelle initialement. Seuls les plus avancés transforment la compilation en nouvelle oeuvre comme ce sera le cas pour les Essais de Montaigne par exemple.
Mais le plus grand obstacle à la mise en commun des savoirs réside dans le fait de ne pas écrire ce que l’on sait, ou tout au moins à ne pas le publier. Car l’oeuvre ouverte est avant tout une oeuvre offerte comme autant de savoirs mis à disposition des autres. La publication est justement une diffusion sur l’espace public des savoirs, et cela passe indéniablement par la volonté et la capacité à communiquer.
La communication est la base de la République des Lettres, ce concept historique un peu flou qui caractérise plusieurs époques successives mais qui marque les possibilités d’échanges qui existaient entre les lettrés et le besoin de partager des savoirs. On néglige trop souvent d’ailleurs sur ce point l’importance du mot République dans l’expression, car justement ceux qui l’emploient évoquent bien une res publica.
Marin Mersenne, artisan d’un des plus grands réseaux d’échanges entre savants, milite pour la communication scientifique et incite fortement ses collègues à publier et communiquer leurs travaux. Il avait paraît-il, développé tout un tas de subterfuges. Le commun dépend du succès de la communication, ce que montre bien Françoise Waquet dans son analyse de la République des Lettres : « Enfin, de la communication dépend le progrès même du savoir. Aussi fustigeait-on ceux qui se refusaient aux échanges, qui gardaient jalousement manuscrits et découvertes, qui prétendaient s’arroger le monopole des connaissances. Parmi bien d’autres, (…) L’ère du secret est révolue ; publier est une loi et l’on sait que Mersenne n’hésitait pas à recourir à des stratagèmes pour forcer ces savants qui se refusaient à devenir auteurs. Travailler pour l’intérêt public est désormais le mot d’ordre et la laus propria le cède à l’utilitas publica. » 1
L’utilité, voilà clairement une des bases de la documentation. La communication scientifique requiert face à l’accumulation de connaissances des besoins d’organisation et des classifications, tâche qu’entreprend Paul Otlet avec ses acolytes, dont Henri Lafontaine. Cet héritage documentaire est aussi celui des bibliothèques privées qui peu à peu ouvrent leur collection à un public plus large, ce qui leur confère le nom de bibliothèque publique. Les objectifs de P. Otlet vont encore plus loin, en imaginant rassembler la somme des savoirs disponibles, notamment imprimés dans un espace commun : le Mundaneum, surnommé récemment le Google de papier.
Mieux communiquer, mieux organiser l’information et la connaissance sont les bases des logiques qui président à la documentation et à l’information scientifique et technique afin de répondre aux besoins de la communauté scientifique au premier chef, mais aussi à l’ensemble des besoins des différentes communautés des usagers. Communiquer, c’est mettre en commun des informations et des savoirs, et c’est probablement veiller aussi à leur conservation. Si on prend le document dans une vision élargie, on peut aisément intégrer des éléments comme les monuments, mais de plus en plus les individus également. L’individu a en effet désormais un double numérique où la moindre de ses activités est en train d’être consignée et répertoriée. Il s’agit dès lors de veiller au bon usage de ces données recueillies de façon à ce que les données personnelles puissent avoir éventuellement une portée collective et partagée notamment après anonymisation.
Dans tous les cas, la documentation a cherché à rassembler, à faire cause commune, car il est impossible de séparer l’amélioration de la communication des savoirs, des progrès de la communication entre les hommes.