Alice au pays des livres

Montreuil : une poche de résistance et de lumière

Le salon a rassemblé plus de 139 000 visiteurs et 420 exposants, défi relevé dans ce contexte post-attentats encore prégnant. Les promeneurs ont commencé à arpenter les allées puis à affluer samedi après-midi, dimanche et lundi. Il n’y a pratiquement pas eu de scolaires en semaine, si bien que les éditeurs parlent d’une impression de « vide » par rapport aux éditions précédentes. Il y a eu bien évidemment un manque à gagner pour eux, mais leur présence était forte de sens. L’interdiction des sorties scolaires a été levée jeudi et vendredi, mais le temps nécessaire aux enseignants pour mettre en place une sortie étant assez long, la mesure n’aura du coup pas suffit pour faire venir les élèves cette année. Certaines structures (centres sociaux…) ont cependant pu participer au salon et une vingtaine d’auteurs sont allés à la rencontre des scolaires directement dans les classes, les équipes du salon ont acheté des livres avec les 12 000 chèques-lire initialement destinés aux enfants ; livres qui ont été distribués aux 250 établissements du département.

Eux, c’est nous

Eux, c’est nous est le titre d’un recueil événement du salon, une co-édition de plus de 40 éditeurs jeunesse à laquelle se sont associés le salon et les libraires, qui se sont engagés pour réaffirmer les valeurs fortes d’accueil et de solidarité envers les réfugiés et les expliquer aux jeunes lecteurs et aux adultes. Sur beaucoup de stands, le projet est expliqué aux promeneurs et le livre est proposé à 3 €. Ce livre a mobilisé bénévolement l’ensemble de la chaîne du livre et l’intégralité des ventes est reversée à la Cimade, une association de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. Les illustrations sont de Serge Bloch et le texte de Daniel Pennac décrivent la situation de ces hommes, ces femmes, ces enfants « qu’on bombarde, qu’on fusille, qu’on torture, qu’on terrorise, qu’on affame, dont on a détruit les villes, dont on a brûlé les maisons, qui ont déjà perdu un père, un frère, des parents, des amis… Ces gens dont nous pourrions faire partie, qui pourraient être moi, toi, vous./Nous./Mais qui sont eux ». Daniel Pennac termine par le bilan des vagues migratoires de tous les pays du monde vers la France. « Et ce sont eux, tous ces réfugiés du XXe siècle, jugés chaque fois trop nombreux, qui font, avec nous, la France d’aujourd’hui./Comme les réfugiés d’aujourd’hui feront, avec nous, la France de demain ».
Dans la seconde partie du livre, Jessie Magana et Carole Saturno font un acrostiche avec les 8 lettres du mot REFUGIES, chaque lettre développe une partie documentaire très pertinente avec les mots choisis : Réfugié, Étranger, Frontière, Urgence, Guerre, Immigration, Économie, Solidarité. Sont ainsi abordées les notions de demande d’asile, sans papiers, la peur et le rejet, le vivre ensemble quelle que soit sa religion et son origine, l’espace Schengen, les passeurs, les boat people (Serge Bloch réalise un bateau en papier avec les silhouettes au fusain des hommes), les dangers, les associations d’aide, les centres d’accueil, la fuite de la misère et de la violence, pour finir par la solidarité avec le dessin de deux mains enlacées.

Non à l’intolérance

Dans les lectures et les tables rondes, les thèmes se croisent, se métissent, se nourrissent les uns les autres de manière complexe et significative : le vrai et le faux, songe et mensonge, réel et imaginaire, tolérance et ouverture sur l’autre…
Non à l’intolérance est le titre d’un recueil composé de nouvelles de Bruno Doucey, Nimrod, Maria Poblete, Murielle Szac et Gérard Dhôtel paru chez Actes sud junior. Le salon fut l’occasion d’une lecture très émouvante qui permit de rendre hommage à Gérard Dhôtel, disparu tragiquement en mars 2015. Les nouvelles de ce recueil, par le biais de la fiction (fortement ancrée dans le réel) transmettent des messages forts au lecteur ; on découvrira ainsi un couple d’amoureux emblématique : elle arabe, lui juif, avec un racisme exacerbé des deux familles et la traque contre le jeune homme dans le train, les coups de couteau… (de Murielle Szac) ; puis une nouvelle de Bruno Doucey qui narre la traque contre un jeune homme, on croirait que ça se passe dans un pays lointain, mais c’est en France : « Arkemi n’aurait jamais cru qu’une chose pareille puisse lui arriver. Sa petite ville était si calme… ». Une fin positive : vive l’ocytocine, l’hormone de l’attachement « pour faire naître l’amour, l’empathie, la confiance envers autrui… C’est elle dont nous avons le plus besoin aujourd’hui » ; le lecteur suivra ensuite dans le texte de Maria Poblete une mère indienne et ses filles chassées de leurs terres par une déforestation sauvage. Le texte suivant relate l’histoire de Léo, un enfant différent qui, pour se protéger, veut rentrer dans le moule « comme le caméléon se fond dans la couleur de son environnement ». Puis, un dérapage et la descente aux enfers… une nouvelle percutante d’Elsa Solal sur tous les mécanismes et les conséquences du harcèlement avec une fin réjouissante cependant. Nimrod propose une nouvelle sur les maquisards de Ganagobie et le dernier texte de Gérard Dhôtel est associé à tous les auteurs précédents : « J’ai une de ces trouilles ! ».

Table ronde « Songes, mensonges et création »

Lors de cette table ronde, l’éditeur Alain Serres (Rue du monde) nous présente Raphaële Frier, enseignante en région PACA, pour son roman Do la honte (voir InterCDI no 258, p. 44). Un roman dur qui nous ouvre un peu les ailes. Tout est parti d’un petit garçon joyeux et plein d’enthousiasme dans sa classe de maternelle, malgré qu’il vive une situation difficile au sein de sa famille. Autour de lui tout va mal et du haut de ses 4 ans, il est en souffrance. Raphaële Frier est aussi l’auteure de Malala, un album pour le droit des filles à l’éducation, illustré de manière poétique et émouvante par Aurélia Fronty. Malala est le plus jeune Prix Nobel de la paix… à 17 ans, ce qui soulève des questions chez les élèves (« Existe t-elle vraiment ? »), elle a presque leur âge. En 2009, alors qu’elle n’a que 11 ans, et encouragée par son père, elle écrit un blog sur le site internet de la BBC où elle dénonce les violences des talibans. En 2011, elle commence à donner des interviews, à participer à des conférences et reçoit le Prix national de la jeunesse pour la Paix, créé pour elle, par le gouvernement pakistanais et devient une cible pour les talibans. En 2012, elle est victime de deux attentats, on tire sur elle dans un bus scolaire ; gravement atteinte, elle est opérée en Grande-Bretagne. Mais, elle reprend quand même son combat pour le droit à l’éducation. Le jour de ses 16 ans, elle témoigne à la tribune de l’ONU à New York : « Chers frères et sœurs, c’est dans les ténèbres que nous nous rendons compte de l’importance de la lumière. Nous sommes conscients de l’importance de notre voix quand nous sommes réduits au silence ». Le 12 juillet, l’ONU décide du « Malala day » sur tous les continents.
Puis Alain Serres présente le poète Abdellatif Laâbi comme un « gourmand de l’écriture » qui combat pour la liberté, comme « un rebelle absolu à tous les dogmatismes ». Il crée au Maroc la revue littéraire et sociale Souffle, pour « reconstruire une identité, une culture après la nuit coloniale » et opte pour une « démarche de l’universel ». Laâbi avec son J’atteste reprend le début de la profession de foi du Coran, un des cinq piliers de l’islam. J’atteste contre la barbarie est bien un livre-phare de ce salon 2 015.
Alain Serres présente ensuite « l’éternel Pef, à la sensibilité de papier photo », auteur et illustrateur du remarqué Zappe la guerre (collection Histoire d’Histoire) sur les Poilus de 14-18 qui, dans l’album, sortent d’un monument aux morts. Ils reprennent vie, 80 ans après leur mort, avec leur blessure mortelle symbolisée par une tache rouge, qui au front, qui dans la poitrine ou sur la main (arrachée)… Un grand moment aussi avec la très belle évocation de l’album Un violon dans la nuit de Didier Daeninckx/Pef. Dans cette collection, il y a une double lecture : la fiction est étayée, à chaque double page, d’une photo d’archive avec un commentaire historique ajoutant force au propos; cet album est formidable pour aborder la Shoah avec les élèves. Pef se rappelle de l’enfant de 6 ans qu’il était, les premières photos des cadavres d’Auschwitz qu’il a découvertes dans le journal, les femmes tondues… Il raconte aussi cette histoire forte : à Tulle, dans un salon du livre, on lui demande de venir dédicacer chez une personne qui ne peut se déplacer… Pef a donc quitté le salon du livre, laissant le papillon « je reviens dans un instant », pour rejoindre le mystérieux personnage qui souhaitait tant avoir sa dédicace… Il s’agissait d’un vieux monsieur de 101 ans, survivant d’Auschwitz, qui s’est tu pendant 40 ans avant de témoigner. Le vieil homme a été fasciné par le dessin de Pef représentant l’intérieur d’un wagon en route pour les camps, il n’avait jamais vu de photo ou de représentation telle. Pouvoir de la fiction où l’on s’aperçoit que le faux est plus vrai que le vrai ! Le vieil homme s’est confié à Pef : « Avec ton dessin, je suis revenu dans le wagon ! C’est pour cela que je veux ta signature ! ».
Tous les prescripteurs, parents, enseignants, bibliothécaires, libraires étaient présents lors de la journée professionnelle ; prescripteurs sans lesquels il n’y aurait pas de diffusion de la littérature jeunesse. Dans l’académie de Lille, la baisse de 50 % des crédits d’enseignement dans tous les collèges a été annoncée fin 2015, donc moins d’argent pour les CDI pour acheter les livres à destination des enfants… « Le livre jeunesse est la première porte par laquelle l’enfant accède au monde culturel. En tout cas, c’est la plus démocratique. C’est le premier objet par lequel l’enfant accède aux histoires. Dans un contexte comme celui-ci, la littérature permet de trouver sa place, de se comprendre, de comprendre ses émotions ; parce qu’elle raconte des histoires, parce qu’elle permet de prendre des distances avec la réalité. Il y a une vraie liberté du lecteur dans ce qu’il entend et finalement c’est la diversité de cette littérature qui est intéressante pour les enfants, pas forcément qu’elle colle à l’actualité » (Sylvie Vassalo, La Voix du Nord, jeudi 3 décembre 2015).

Le phénomène U4

Tout à coup, dans une allée, une queue d’ados et des affiches U4. Je m’approche, sur le stand Nathan, une brochette de quatre auteurs en dédicace ! Quelle ne fut pas ma surprise de les retrouver, plus tard, tous les quatre, sur le stand Syros ! Quelques mots sur le phénomène U4 (prononcer « youfor » mentionne Internet, mais pas obligé car le quatuor d’auteurs est francophone !). Donc, c’est une co-édition Nathan/Syros de 4 livres : Yannis de Florence Hinckel, Stephane (une fille) de Vincent Villeminot, Koridwen (une fille) d’Yves Grevet et Jules de Carole Trébor. C’est un concept créé par 4 auteurs en un jeu littéraire à la fois collectif et individuel. Quatre histoires différentes mais étroitement liées qui peuvent être lues dans n’importe quel ordre. Les personnages se croisent, nouent des liens, s’entraident, s’aiment ou se rejettent. Les sensibilités différentes des auteurs se développent sur un même sujet. Les points de vue se démultiplient et une même scène peut être comparée de roman en roman et les interprétations varier. L’histoire ? Dans un univers post-apocalyptique, quatre ados, héros de quatre romans distincts, comptent parmi les quelques milliers de survivants d’un filovirus méningé appelé U4, pour « Utrecht », la ville des Pays-Bas où il est apparu, et « 4e génération ». U4 a décimé la planète mais a épargné les ados de 15 à 18 ans, insensibles au virus. La nourriture et l’eau potable commencent à manquer, Internet est instable et l’électricité tout comme les réseaux de communication menacent de s’éteindre. Les quatre héros étaient tous des joueurs de Warrior of Times (WOT) et ils reçoivent le message du jeu de la part de Chronos qui les invite à retourner dans le passé pour empêcher la catastrophe. Le 24 décembre à minuit, un rendez-vous est fixé à Paris aux 4 héros qui ne se connaissent pas… Arriveront-ils à changer le cours des choses ? Des thèmes porteurs : la survie en milieu hostile; l’adolescence, ses amitiés, ses amours intenses. Une façon francophone de renouveler le thème de l’apocalypse en littérature pour ados (à partir de 13 ans). En arrière-plan, par rapport au thème de la maladie, nous pensons à La Peste et au Hussard sur le toit.

Wonderland, la logique du rêve

Pour les 150 ans d’Alice au Pays des Merveilles, au sous-sol du salon, entrez, comme Alice dans le terrier du lapin, dans l’exposition Wonderland, la logique du rêve, où 5 illustrateurs se sont frottés à ce mythique roman jeunesse. La scénographie de l’expo est adaptée : cinq illustrateurs, cinq îlots/pièce à vivre reliés par des galeries/couloirs comme si vous étiez dans le terrier d’un lapin ! Des oculi à différentes hauteurs, sur plusieurs côtés (démultiplication des points de vue) permettent de voir de véritables saynètes composées d’après Alice au Pays des Merveilles. « Alice nous entraîne dans son univers complètement décalé par rapport à la réalité, elle est dans le songe, mais les questions qu’elle se pose pour grandir, la manière dont le texte interroge la relation au monde des adultes et l’incompréhension que les enfants peuvent en avoir, face à sa cruauté notamment, sont des portes d’entrée dans le monde d’aujourd’hui » (Sylvie Vassalo, La Voix du Nord, jeudi 3 décembre 2015).
Gilles Bachelet, bien connu pour son humour dans Mon chat le plus bête du monde et Il n’y a pas d’autruches dans les contes de fées (deux albums à avoir absolument au CDI !), nous offre ici les planches originales de Madame le Lapin Blanc. Le succès fut tel que cet album fut en rupture de stock dans toutes les librairies du salon ! Peut-être que cet humour tordant a fait mouche en cette période d’inquiétude et de questionnement. Le lapin blanc d’Alice au Pays des Merveilles est toujours en retard à son poste de travail, au palais de la Reine de Cœur ; Gilles Bachelet se demande le pourquoi de ces retards : quelle est sa vie de famille, ses occupations ? À travers le journal de Madame le Lapin Blanc, son épouse, l’auteur pénètre dans l’intimité de sa petite famille ! Un dessin original qui a beaucoup fait rire les promeneurs.
Les originaux de Benjamin Lacombe opèrent une séduction étrange à travers les rouges profonds des fleurs blanches peintes en rouge par les jardiniers, le rouge des amanites phalloïdes, le rouge des poils du Chat du Cheshire et des brins d’herbe ! Dans le chapitre « Un thé chez les fous », au milieu d’un décor de feuilles sombres, un fauteuil en velours cramoisi est occupé par une Alice au visage de poupée de porcelaine encadré de cheveux longs et blonds. Elle a une pose érotique à la manière de Balthus, une jambe relevée dénudée avec de fines bottes montantes à petits talons. D’une main elle caresse un lapin blanc aux yeux rouges sur son giron, de l’autre elle tient négligemment une tasse de porcelaine. Tous ces rouges sont inquiétants et soulignent le côté ambigu de l’œuvre. Dans les belles éditions « Soleil », les pages se déplient quand les pieds et les bras d’Alice sortent des fenêtres de la maison ou quand le cou d’Alice grandit !
Chez Anthony Browne, le caractère surréaliste, à la manière de Magritte, est bien développé. Nous avons aimé la planche originale où le Ver à soie fume un long houka (pipe orientale analogue au narguilé), les bouffées de fumée qui s’échappent de sa bouche ont la forme de papillons !
Il était possible aussi de voir les originaux de Chiara Carrer et Rébecca Dautremer avec le talent qu’on leur connaît, avec, pour cette dernière, Alice dans sa mare de larmes et la gueule énorme du Chat du Cheshire…
Chacun, chacune par leurs illustrations réinterprètent et servent à merveille ce très grand texte de Lewis Carroll.
 
Voilà toute l’ambiance du salon du livre 2015 : émotions, voix serrées, yeux humides, enthousiasmes et rires malgré tout. Le thème de cette année, « Pour de vrai, pour de faux », réaffirme le pouvoir de la création dans la construction de soi et la compréhension de l’Autre. Le livre, pour reprendre les termes de Sylvie Vassalo, « d’objet extérieur, devient un objet intérieur », ce qu’ont démontré poétiquement les illustrateurs d’Alice et, chacun d’entre nous, par nos lectures créatives.

La bibliothérapie

Or, s’il n’est plus à démontrer que bien-être et réussite vont souvent de pair, pourquoi n’entend-t-on jamais parler du bien-être de l’élève au lieu de « performance » ? N’y a-t-il que l’infirmière, la conseillère principale d’éducation et l’assistante sociale de l’établissement qui doivent se soucier de ce point fondamental ? Du fait de ce lieu à part qu’est le CDI et de nos missions diverses en tant que professeurs documentalistes, n’avons-nous pas un rôle important à jouer dans cette notion de bien-être, dont le médiateur serait le livre ? Qu’est-ce la bibliothérapie et comment la mettre en pratique dans nos établissements ?

État des lieux : nos missions, nos élèves, notre environnement de travail

Quel public, quels profils d’élèves au CDI ?
Les élèves qui fréquentent le plus le CDI sont les élèves de 6e et de 5e (du fait que nous sommes peut-être amenés à les voir davantage dans le cadre de nos séances de recherches documentaires et / ou d’éducation aux médias et à l’information). On constate également que les filles ont davantage tendance à venir au CDI, mais ce n’est pas une règle et cela varie en fonction des besoins documentaires exprimés. On remarque que ce sont souvent les mêmes élèves qui viennent et que ces derniers développent des habitudes dans le CDI : même place, même rayonnage… ce qui prouve aussi qu’ils se sont approprié ce lieu. Enfin, je note que, dans mon CDI, les élèves présents ont souvent un profil plutôt solitaire, qu’ils ont parfois besoin de se confier, de trouver refuge et d’avoir des réponses à leurs interrogations par le biais des ressources proposées au CDI ou bien en discutant avec le professeur documentaliste.

Un lieu à part dans l’établissement
Le CDI constitue un lieu à part dans l’établissement, n’étant pas tout à fait une salle de classe à part entière, pas tout à fait une bibliothèque, c’est un lieu polymorphe qui offre diverses activités : pédagogie, lecture, travail personnel, orientation, recherches documentaires… Après un sondage réalisé de façon anonyme auprès de 66 élèves de 6e en 2013 et de 25 élèves en 2015, à la question « Pour toi, le CDI est un lieu qui est principalement : ennuyeux, agréable, apaisant ou angoissant ? », 62 % ont répondu que le CDI leur apparaissant « agréable » et « apaisant » pour 22 %. À la question ouverte « pour quelle(s) raison(s) viens-tu au CDI ? », les adjectifs qui reviennent le plus souvent sont « agréable », « calme » et « apaisant ». Le CDI apparaît donc comme un lieu propice à la mise en place et au développement de la bibliothérapie, tout comme l’est la place privilégiée qu’occupe le professeur documentaliste de par ses différentes missions. Mais avant de mettre en place un tel projet, il importe de bien connaître son sujet : qu’est-ce que la bibliothérapie ?

Présentation de la bibliothérapie

Étymologie et Définition
Comme son étymologie l’indique, la bibliothérapie est la thérapie par les livres. Au sens strict, la bibliothérapie est l’utilisation des livres pour aider les gens, elle peut être aussi définie comme un processus d’interaction dynamique entre la personnalité du lecteur et l’interaction littéraire2. Le concept de cette thérapie est basé sur l’inclination humaine à s’identifier aux autres à travers leurs expressions dans la littérature et dans les arts. On distingue trois étapes dans le processus bibliothérapeutique : l’identification, la catharsis et la mise en lumière. La bibliothérapie est définie pour la première fois en 1961 dans le Webster International : « La bibliothérapie est l’utilisation d’un ensemble de lectures sélectionnées en tant qu’outils thérapeutiques en médecine et en psychiatrie. Et un moyen de résoudre des problèmes personnels par l’intermédiaire d’une lecture dirigée. »3

Genèse de la bibliothérapie
La bibliothérapie est un ancien concept de la « bibliothéconomie » ou sciences des bibliothèques. Les Grecs anciens, déjà, soutenaient que la littérature avait des effets psychologiques et spirituels importants; certains allant jusqu’à décrire les bibliothèques comme étant des « lieux de curation pour l’âme ». Pierre-André Bonnet, médecin et unique auteur d’une thèse4 sur ce sujet nous rappelle qu’au temps d’Épictète, Platon ou Épicure, la pratique de la philosophie était associée à l’assurance d’une bonne santé mentale. Mais c’est surtout dans les pays anglosaxons, et notamment avec Sadie Peterson, une Américaine, que la bibliothérapie a émergé ; elle mena ainsi ses premières expériences cliniques en 1916 dans un hôpital de l’Alabama pour tenter de soulager les nombreux troubles psychologiques des militaires traumatisés par les horreurs de la Première Guerre mondiale. Sa pratique se démocratise encore davantage peu après la Seconde Guerre mondiale, des livres étant d’abord proposés pour divertir les soldats blessés, puis dans un but thérapeutique lorsqu’ils s’aperçurent que la lecture pouvait être bénéfique d’un point de vue médical. C’est à la même période que des groupes bibliothérapeutiques fleurissent dans les hôpitaux psychiatriques. Plus tard, Marcel Proust propose un texte édifiant dans son livre Sur la lecture, en faisant le constat que les esprits fragilisés sont dans une sorte d’inertie intérieure, s’enlisant dans un déni de soi, incapables de vouloir quoi que ce soit. Pour retrouver ce goût de la volonté, et notamment celle de guérir, l’écrivain estime que « ces individus doivent trouver de l’aide dans l’impulsion d’un esprit extérieur, qui leur permettrait d’opérer une inspection intérieure nécessairement solitaire »5.

L’usage de la bibliothérapie dans le milieu éducatif
Cette thérapie, méconnue en France, se développe néanmoins beaucoup dans les pays anglo-saxons. En Grande-Bretagne, les médecins sont même autorisés depuis quelques années à prescrire des livres sur ordonnance. Dans le milieu éducatif, la bibliothérapie est de plus en plus souvent utilisée pour accompagner les élèves et contribuer à leur bien-être. La pratique de la bibliothérapie dans le domaine de l’éducation peut seulement consister à lire, ou bien elle peut être aussi complétée par des discussions ou des activités. On recommande des livres dans lesquels l’identification avec les personnages est forte (même âge, mêmes difficultés). Dans les années 80 et 90, J. Pardeck publie des articles sur l’utilisation de la bibliothérapie chez l’adolescent face aux difficultés de la vie. Comme le relate Pierre André Bonnet dans sa thèse, la bibliothérapie a été testée chez 341 jeunes à risque de dépression grave, les résultats à 6 mois montrent un effet positif sur les symptômes dépressifs.

Comment agit la bibliothérapie ?
Tout comme l’art-thérapie, la bibliothérapie prend « comme matériaux la souffrance, la folie, les troubles, pour une création qui permet au sujet créateur de se recréer dans le même mouvement6 ». Ainsi, « l’homme, objet de souffrance » devient sujet de son inspiration, se réappropriant peu à peu ce à quoi il semblait condamné et le faisant évoluer jusqu’à l’intégrer dans un cheminement qui donne aux malédictions passées le sens rétrospectif de création de soi-même, d’abord symbolique dans l’œuvre, puis dans l’évolution de la personne.
Déjà, le célèbre Champollion, découvreur des hiéroglyphes, écrivait en 1826 que « Lorsque le monde réel pèse sur notre cœur, le monde idéal doit être notre refuge, et ce monde-là, c’est l’étude : elle nous fait oublier momentanément les dégoûts de la vie en nous transposant hors de nous-même, en élevant nos idées, elle double notre courage et nos jours se passent moins sombres et plus rapides.6 »

La bibliothérapie au CDI

Le professeur documentaliste : son rôle et ses actions
Le métier de professeur documentaliste, de par ses diverses facettes, peut accorder une place privilégiée au rôle bibliothérapeutique en offrant un cadre et un contexte propices à ce dernier. Les relations et les interactions entre les professeurs et les élèves sont différentes car multiples : relation classique professeur-élève lors des séances pédagogiques ; relation axée sur l’accueil et l’aide lors des permanences ; relation axée sur l’orientation ; relation axée sur la lecture, ateliers… Enfin, étant amené à voir souvent les mêmes élèves, le professeur documentaliste peut s’avérer être une personne disponible et à l’écoute des besoins des élèves. Le métier de professeur documentaliste offre une certaine liberté à tous les plans, ce qui peut permettre à chacun de s’investir dans différents domaines de l’établissement. Ainsi, le professeur documentaliste est souvent à l’initiative de projets interdisciplinaires et peut aussi aisément s’intégrer dans les divers conseils, tels que le CESC.
Être membre du Comité à l’éducation à la santé et à la citoyenneté peut être une bonne introduction à la mise en place d’actions en rapport avec les livres et la santé : permettre une collaboration plus importante avec les enseignants et notamment le professeurs principal, la Vie scolaire et l’infirmière de son établissement, instaurer des projets, connaître davantage les projets déjà instaurés, mais aussi avoir une meilleure connaissance des problématiques spécifiques liées à la santé dans l’établissement dont il est question.

Une politique d’incitation à la lecture « plaisir » et au bien-être
Il s’agit de proposer dans un premier temps un lieu où les élèves se sentiront bien en développant les espaces de bien-être avec la mise en place de plusieurs fauteuils et coussins… Selon le sondage réalisé en 2013, à la question « Dans quelle partie du CDI les élèves se sentent-ils le mieux, entre l’espace de travail, l’espace lecture (avec fauteuils) et l’espace de prêt ? », 74 % des élèves préfèrent l’espace lecture, 19 % apprécient l’espace travail et 7 % aiment l’espace de prêt. Le CDI se doit aussi d’être un lieu qui leur ressemble; nous pouvons ainsi exposer leurs travaux, affiches, dessins… Il faut aussi et bien sûr proposer un fonds documentaire varié qui aborde des thématiques spécifiques (comme la collection Max et Lili par exemple, qui plaît à tous les âges) et qui répond à leurs interrogations sur des sujets pouvant les préoccuper.
Suite au sondage réalisé auprès des élèves de 6e, on sait qu’après la lecture de certains livres, 65 % d’entre eux se sont déjà sentis mieux et que 63 % aiment les histoires dans lesquelles le personnage leur ressemble. La lecture de certains livres peut aussi servir parfois de « guides », d’apprentissage dans la vie des adolescents. Certains, cependant, semblent rester hermétiques aux livres ; les raisons principales sont l’absence d’identification aux personnages due à un manque de lectures, de mauvais choix de celles-ci aussi parfois, un refus d’identification par crainte de ne plus être « unique », et peut-être par un manque d’estime de soi qui ne facilite pas cette identification aux personnages.
L’importance de ce processus identificatoire est également relevée par Régine Detambel lorsqu’elle écrit que : « le livre permet de rendre le monde intelligible, il dénoue les conflits psychiques, m’identifiant au personnage, je comprends que je ne suis pas seul dans cette situation. » Régine Detambel, recommande le recours aux fictions, et notamment à la poésie, plutôt qu’aux livres d’auto-traitement, dits self help, sortes de manuels donnant des méthodes toutes faites. C’est avant tout par la métaphore que la thérapie opère, par le rythme et l’oralité. Cette bibliothérapeute, qui propose des formations à la fois théoriques et pratiques (ateliers bibliothérapeutiques), nous met en garde contre « le risque d’une lecture médicalisée, les livres (étant) prescrits comme des médicaments par les médecins anglosaxons ; or, il s’agit le plus souvent de lectures faciles, transposables au plus grand nombre », alors que la bibliothérapie n’est pas une chose aisée, il faut connaître la personne et trouver le livre qui lui conviendra.
Il est important aussi de poursuivre la lecture orale qui a tendance à se perdre en arrivant au collège : les élèves peuvent participer à des concours ou à des jurys de lecture ; des écrivains et des illustrateurs jeunesse peuvent intervenir au CDI. Le professeur documentaliste peut en outre proposer des activités qui favorisent la création, par exemple lors de projets inter-disciplinaires en français (ateliers d’écriture, concours de nouvelles …), en proposant des activités lors de concours et de prix, lors de dispositifs tels que l’école ouverte en proposant des ateliers d’écriture en plein air pouvant amener à des ateliers bibliothérapeutiques, par l’écriture de contes revisités durant lesquels l’imaginaire peut s’exprimer librement… et lors de projets artistiques en cours d’arts plastiques ou en Histoire des Arts. Les occasions ne manquent pas !

Le CDI comme espace bibliothérapeutique

Le CDI est un observatoire qui permet à tout documentaliste de mieux connaître ses élèves, leurs goûts, leurs émotions, leurs inquiétudes, leurs habitudes, voire parfois leurs problèmes. Ainsi, on peut facilement réaliser des enquêtes auprès des élèves, de façon anonyme, afin de mieux les connaître et d’orienter sa politique de lecture et de bien-être. Dès lors, étant perçu comme étant un lieu à part au sein de l’établissement, le CDI peut facilement être considéré comme étant un espace de bien-être, accueillant… comme le prouve par exemple le Manga café à Paris, un lieu entre librairie, bibliothèque et espace ludique dédié à la culture manga. Cette librairie peut être délimitée en plusieurs espaces, présentant chacun des atmosphères différentes, lesquelles se complètent pour présenter un lieu où le bien-être règne : un espace commercial qui offre des livres mais aussi des objets dédiés à la culture manga, un espace offrant des boissons gratuites, un espace détente avec des coussins et des espaces « refuges », comme on peut le voir dans les écoles, un espace ludique avec l’accès à des jeux vidéo et un espace de lecture avec la mangathèque qui offre également des canapés confortables. Chaque usager peut donc se déplacer à sa guise et au gré de ses envies et de ses besoins dans cet espace de bien-être aux multiples facettes.
En s’inspirant de ce lieu, nous pourrions aménager au mieux nos espaces au CDI et délimiter ainsi clairement les différents espaces du CDI en fonction des activités et des besoins : espace de travail avec une petite salle insonorisée, espace informatique, espace de lecture avec des fauteuils… Au niveau du choix du fonds documentaire, l’aspect bien-être peut être revisité en proposant un fonds plus important en ce qui concerne la santé par exemple, ou tout simplement en prenant en compte les envies des élèves en leur soumettant un cahier de suggestions.

Responsabiliser les élèves
Il est important de savoir rendre les élèves responsables de leur lieu de lecture en les faisant participer à la vie du CDI ; on peut ainsi imaginer leur faire concevoir des affiches illustrant la représentation mentale, et donc personnelle, qu’ils se font du CDI. Favoriser la lecture orale et le travail en groupe, développer les ateliers d’écriture, de dessins, les ateliers média…, voilà autant de pistes pour créer un lieu d’expression mais aussi d’échanges. Le professeur documentaliste doit les amener à ce qu’ils découvrent par eux-mêmes quelles sont les règles spécifiques à adopter au CDI, via l’élaboration de la Charte de l’élève au CDI par exemple, et en valorisant celle-ci bien entendu.

Dans les programmes !
Mais… pour aller plus loin encore, le professeur documentaliste, qui est souvent à l’initiative ou porteur du parcours culturel de son établissement, pourrait, pourquoi pas, envisager de créer un parcours novateur, tellement oublié dans notre pays et pourtant fondamental, qui serait à la croisée de la culture et du bien-être. À quand un programme : « Bien-être et culture », instauré dans tous les établissements avec la création d’un service consacré au bien-être des élèves dans chaque Académie et à la tête duquel les professeurs documentalistes seraient alors force de projets ? N’oublions pas que « La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout…7 ».

Paix et pacifisme

À partir des années 40, de grandes personnalités comme le Mahatma Gandhi et Martin Luther King, œuvrent pour le développement d’une culture non violente, leurs idées influenceront, dès lors, tous les mouvements pacifistes. Dans les années 70, un mouvement international en faveur de la paix se structure, en opposition à la guerre du Viêt-nam, entre autres. Le mouvement Flower Power, de nombreux artistes, dont les musiciens et chanteurs du festival de Woodstock, s’élèvent contre ce que Goya appelait déjà « les désastres de la guerre » avec, pour icône, le plus célèbre d’entre eux : John Lennon.
Les années 90 génèrent le renouveau des mouvements pacifistes, notamment Otpor ! en Serbie, dont la stratégie s’appuie sur les réseaux sociaux. Srdja Popovic, un des jeunes Serbes de ce mouvement, contribue à la chute de Slobodan Milosevic. Le Printemps arabe en Égypte, et particulièrement le Mouvement du 6 avril, composé de jeunes Égyptiens de 20 à 30 ans engagés dans une action non violente, est directement inspiré de l’expérience serbe, à l’instar de La Révolution des Roses en Géorgie et de La Révolution orange en Ukraine.

Textes et conventions internationales

Résolution 36/37 de l’assemblée générale des Nations Unies du 30 novembre 1981 : Instauration de l’année et de la journée internationale de la paix.  www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/36/67

Résolution 55/282 de l’assemblée générale des Nations Unies du 28 septembre 2001 : Journée internationale de la paix le 21 septembre.  www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/55/282

Résolution 53/243 de l’assemblée générale des Nations Unies du 6 octobre 1999 : Programme d’action en faveur d’une culture de la paix.  www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/53/243

Organismes de paix

ONU. L’organisation des Nations Unies a mis en place un programme pour maintenir la paix et la sécurité internationales. www.un.org/fr/sections/what-we-do/maintain-international-peace-and-security/index.html

UNESCO. L’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, encourage la paix dans le monde et le respect des droits de l’homme. Chaque année un artiste est nommé à l’UNESCO pour représenter la paix : Han Meilin en 2015.  http://en.unesco.org/cultureofpeace/

Fédération Française Pour l’UNESCO. Fondé en 1956, cet organisme contribue à développer une culture de paix. Il promeut les valeurs de l’UNESCO pour un monde plus digne, plus juste, plus solidaire. Il organise des journées de la paix tous les ans et propose des ateliers d’éducation à la paix à destination des scolaires. www.ffpunesco.org

L’Organisation Mondiale Pour la Paix. Conforme aux directives de l’ONU, l’OMPP est une institution dont la fonction est de préserver la vie humaine dans le monde entier. www.ompp.org/fr/inicio.htm

Association Internationale des Éducateurs à la Paix. L’objectif de l’AIEP est de promouvoir une culture de la paix par l’éducation aux droits de l’homme dans tous les pays. http://iaep.chez-alice.fr/

Bureau international pour la paix. Fondé en 1891 lors du 3e congrès universel pour la paix à Rome. www.ipb.org

MKG-146910 : Famous political figure Mahatma Gandhi ; India NO MR

Mouvement de la Paix. Le Mouvement mondial des partisans de la paix a été institué à l’issue de la guerre de 40 par des résistants. En France, « les Combattants de la Liberté » devenus « les Combattants de la Liberté et de la Paix » puis « les Combattants de la Paix et de la Liberté » deviennent en 1951 « le conseil national français du Mouvement de la Paix », appelé communément « Mouvement de la Paix ». www.mvtpaix.org

Association française des communes, départements et régions pour la paix. Créée en 1982 à l’initiative du maire d’Hiro­shima, cette association a pour but de favoriser la solidarité entre les villes et collectivités des cinq continents et d’abolir l’usage des armes nucléaires. Des Conférences internationales de la jeunesse pour l’avenir de la paix sont notamment organisées. http://afcdrp.com/

La cité internationale universitaire de Paris : cité pour la paix. Dès sa création en 1925, les fondateurs de la Cité internationale souhaitent participer à la construction d’un monde de paix en créant un lieu dédié aux échanges internationaux. La CIUP propose des conférences de personnalités engagées pour la paix, des concours, des expositions (ex : Charlie, je crie ton nom en 2015), des projections de films etc. www.ciup.fr/accueil/la-cite-pour-la-paix-12199/

Prix Nobel de la paix. Il récompense la personnalité ou l’organisation qui a le mieux contribué au rapprochement des peuples et à la propagation de la paix.  www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace

L’internationale des résistant(e)s à la guerre (IRG). Organisation pacifiste fondée après la Première Guerre mondiale. La section française de l’IRG se nomme l’Union Pacifiste.  www.unionpacifiste.org

Canvas. Organisation dont la mission est de transmettre des compétences pour des actions et des stratégies non violentes visant à s’opposer aux régimes tyranniques.  http://canvasopedia.org/

Mémoriaux, Musées, Expositions

Mémorial de la Shoah : Paris et Drancywww.memorialdelashoah.org/index.php/en

Centre Mondial de la Paix : Verdun http://cmpaix.eu/fr/category/expositions/

Cité de l’histoire pour la paix : Mémorial de Caenwww.memorial-caen.fr

Musée du Mémorial de la paix d’Hiroshima http://fr.visithiroshima.net/things_to_do/attractions/museums/hiroshima_peace_memorial_museum.html

Musées Picasso : Paris et Vallauris www.vallauris-golfe-juan.fr/La-Guerre-et-la-Paix-1952.html

Musée Goya de Castres www.musees-midi-pyrenees.fr/musees/musee-goya-musee-d-art-hispanique

Musées madrilènes
Prado  www.museodelprado.es
Reina Sofia  www.museoreinasofia.es
Calcografía Nacional  www.realacademiabellasartessanfernando.com

Cartooning for Peace, Association de dessinateurs du monde entier. L’exposition « dessins pour la paix » est prêtée gratuite­ment aux établissements scolaires depuis 2013. www.cartooningforpeace.org

Dans les programmes

Climat scolaire et prévention des violences. Le climat scolaire constitue le cœur d’une politique de prévention des violences. L’enjeu principal du climat scolaire est celui de la réussite scolaire par la paix scolaire. www.education.gouv.fr/cid2765/climat-scolaire-et-prevention-des-violences.html

3e – Éducation civique. L’éducation à la défense : le parcours de citoyenneté. Le programme d’éducation civique aborde la défense et la sécurité. Les élèves étudient la recherche de la paix, la sécurité collective, la coopération internationale et la défense, et l’action internationale de la France.

3e – Histoire des arts. L’art engagé : l’œuvre d’art et le pouvoir

C.A.P. Les élèves étudient des questions liées à l’exercice de la citoyenneté dans le monde contemporain : sécurité internationale, défense, maintien de la paix.

2de – Enseignement d’exploration. Notamment dans Littérature et société, Création et activité artistiques : Arts visuels ou Arts du son ou Arts du spectacle ou Patrimoines.

1re L/ES – Histoire. Thème 2 : La guerre au XXe siècle. Guerres mondiales et espoirs de paix : la question « Guerres mondiales et espoirs de paix » interroge les caractéristiques de guerres vite perçues comme totales et les moyens mis en œuvre, à l’issue des conflits, pour enraciner la paix. Il est fait référence à ce thème dans le programme de Première S.

1re STMG – Histoire. Thème 2 : Guerres et paix 1914-1945. La répétition de deux guerres à vingt ans d’intervalle pose la question des moyens mis en œuvre par les États pour garantir la paix et établir un droit international. Notion : pacifisme.

Terminale S – Histoire. Thème 2 : Grandes puissances et conflits dans le monde depuis 1945. Les États-Unis et le monde depuis 1945 : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se produit un tournant majeur dans la politique américaine au xxe siècle ; les États-Unis assument leur puissance, désormais globale, et s’engagent pour la première fois dans le monde en temps de paix. Ils impulsent ainsi un nouvel ordre mondial fondé sur un système d’arbitrage entre les États (organisé autour de l’ONU).

Terminale – EMC. L’Enseignement moral et civique traite de la citoyenneté à l’épreuve des transformations du monde contemporain, de la défense et de la paix.

Pistes pédagogiques

Créer un club UNESCO. Les clubs UNESCO ont vocation à promouvoir, dans un cadre associatif, l’éducation à la paix et à la citoyenneté dans les écoles et les établissements scolaires. La Fédération française des clubs UNESCO est agréée au titre d’association complémentaire de l’enseignement public. www.clubs-unesco.org

Organiser un club MUN (Model United Nations). Il s’agit d’une simulation des Nations Unies visant à reproduire les négociations internationales telles qu’elles se déroulent à l’ONU. Les élèves peuvent être amenés à représenter un État, organiser des débats, rédiger des résolutions, traduire en simultané, élaborer un journal multilingue, entre autres.

Effectuer des recherches documentaires. Dans le cadre de l’EMC, de l’histoire et de l’histoire des arts, faire des recherches documentaires concernant les organismes, les artistes et les grands penseurs de la paix.

Participer à la journée internationale de la paix. Cette journée a lieu chaque année le 21 septembre : emprunt de l’exposition Cartooning for peace, panneaux d’élèves, documents du CDI, atelier d’éducation à la paix et ciné débat avec la FFRUNESCO.

Écoute et recherche documentaire. Dans le cadre des enseignements d’exploration en 2de, musique et histoire : écoute et recherche documentaire sur les chansons pacifistes.

Emmener une classe à la Rencontre Internationale de Jeunes pour la Culture de Paix. Cet évènement a lieu, en moyenne, tous les deux ans à l’initiative du Mouvement de la paix. Il s’agit de débattre et échanger avec des jeunes pacifistes du monde entier à propos de la culture de la paix et de la non-violence. www.rij.fr

Organiser une visite de musée. Visiter les Musées Picasso de Paris et Vallauris (chapelle la guerre et la paix). Visiter les musées madrilènes (œuvres de Goya et Picasso, notamment). Musée Goya de Castres.

Rencontrer des défenseurs de la paix. Se mettre en contact avec des organismes de paix (UNESCO, Mouvement de la Paix…)

Manifestations. Se rendre ou participer aux nombreuses manifestations (conférences, colloques, concerts, expositions, films) de la Cité Internationale Universitaire en faveur de la Paix. www.ciup.fr/paix

Préparer un projet avec les différents centres de la paix. En France : mémorial de Verdun, de Caen, de la Shoah. À l’étranger : le mémorial d’Hiroshima, Auschwitz.

Quand Céline redevient destouches

Christophe Malavoy : Céline nous touche au plus profond parce qu’il est quelqu’un de très simple. Ce n’est pas quelqu’un qui est dans le commentaire, ni dans l’explication. Il disait « L’émotion, il ne faut pas lui laisser le temps de s’habiller en phrases » ; il a un style, il ne cherche pas à montrer qu’il sait écrire. Il retire tout ce qui semble ressembler à de l’effort. Quand on lit Céline, tout semble simple, coulé. Chaque mot est à sa place pour piquer, donner le ton et c’est cette petite musique qui parvient à traduire quelque chose qui semble nous appartenir. Il s’adresse à nos sens, ce n’est pas un intellectuel, il avait horreur des idées, des gens qui développent des messages dans leurs livres. Il n’y a pas d’idées chez Céline. Il y a bien sûr des sentiments, il regarde des êtres vivre, s’aimer, se tromper, se haïr… Il fait un portrait terrible de la nature humaine, mais il faut bien reconnaître que cette nature humaine n’est hélas pas toujours magnifique. Il met notre misère et notre lâcheté à nu. Des vérités qui ne sont pas toujours faciles à entendre…

Agnès Deyzieux : Christophe Malavoy, on vous connaît bien pour votre carrière au cinéma et au théâtre ainsi que pour votre travail d’auteur. Mais on sait peut-être moins que vous êtes un fin connaisseur de Céline, de sa vie et de son œuvre. Vous avez écrit un livre sur lui en 2011, Céline même pas mort ! où vous imaginez un dialogue actuel avec lui. D’où vous vient cet intérêt pour Céline ? Comment avez-vous découvert cet auteur ? Qu’est-ce qui vous séduit particulièrement chez lui ?
CM : Cela fait très longtemps que je travaille sur cet auteur. Je me suis passionné pour l’écriture de Céline, puis très vite pour l’homme, sa vie, ses combats, ses paradoxes… J’ai aussi lu beaucoup de choses qui ont été écrites sur lui. J’ai rencontré les biographes de Céline, surtout François Gibault qui a écrit une première biographie très exhaustive. Il m’a fait rencontrer Lucette Destouches, sa veuve, qui est toujours en vie et à laquelle je rends visite très régulièrement depuis plusieurs années. Elle est très heureuse d’avoir vu l’aboutissement de cette bande dessinée.
Céline est un personnage très complexe. Je me suis aperçu que beaucoup de gens parlaient de lui, avaient une opinion sur lui sans l’avoir forcément lu. Ils ont lu Voyage au bout de la nuit et encore, sans parfois arriver au bout. Et puis, il y a aussi les pamphlets, incontournables pamphlets, antisémites, virulents, très violents. Céline en interdira la réédition en 1945. Sa veuve a respecté cette volonté et ses pamphlets ne seront pas réédités en France. Mais en littérature, on n’est pas là pour juger un homme, mais pour juger une œuvre. L’important pour moi, c’est l’œuvre de Céline, même si elle comporte des choses qui sont aujourd’hui condamnables. Les pamphlets ne peuvent pas cacher tout le reste de son œuvre. J’ai donc voulu montrer à travers ce travail un homme à multiples facettes.

Vous souhaitiez au départ réaliser un film sur Céline et également jouer au théâtre Les Entretiens avec le professeur Y, un court roman de Céline, dans lequel il imagine sa propre interview avec ce professeur Y. Au final, c’est une bande dessinée qui paraît ? Que s’est-il passé ?
CM : J’ai écrit un scénario pour le cinéma, mais Céline dérange encore beaucoup aujourd’hui encore, et pour l’instant, je n’ai pas réussi à monter ce film. Ensuite, j’ai rencontré les frères Brizzi et le scénario a évolué vers un film d’animation. Mais il reste encore en projet, même si je ne désespère pas de réussir à convaincre des producteurs de finaliser ce projet.

Toujours à cause de cette image sulfureuse de Céline ?
CM : On est aujourd’hui dans une époque où les gens n’osent plus dire les choses, on est dans le politiquement correct, la parole est policée. Sur un plateau de télévision, les animateurs ont peur de parler de Céline, que les choses dérapent. Je ne suis bien sûr pas là pour réhabiliter Céline, il ne s’agit pas d’épouser ses thèses mais de mettre sa littérature à portée du public. On n’est pas toujours obligé de mettre les pamphlets de Céline au premier plan. Ensuite, au théâtre, j’ai eu envie d’adapter Les Entretiens avec le professeur Y qui est un dialogue entre Céline et un homme qui vient le rencontrer dans un square à l’abri des regards. Céline se raconte, parle de son style, de sa petite invention « l’émotion du langage parlé à travers l’écrit », puis l’entretien devient de plus en plus un véritable délire ! Là encore, c’était compliqué de faire accepter Céline sur scène.

Et donc, la bande dessinée serait un espace beaucoup plus libre ?
CM : Oui, en tout cas, Futuropolis nous a accueillis avec beaucoup de liberté et un grand plaisir. Ils nous ont suivis dans ce projet. La bande dessinée est un moyen d’expression très proche du délire célinien. Le dessin nous permet une grande liberté d’invention. Il y a vraiment une grande matière chez Céline, une truculence. Dans notre bande dessinée, il y a bien évidemment aussi des pages où la dimension charnelle et érotique s’exprime totalement. Le dessin permet vraiment une expression très forte dans la truculence et la sensualité, ce côté très rabelaisien que Céline appréciait tant.

Avant de réaliser cet album, quel rapport entreteniez-vous avec la bande dessinée ? Vous en lisiez ? Est-ce que cette expérience avec les frères Brizzi a changé l’idée que vous vous en faisiez ?
CM : J’ai lu de la bande dessinée quand j’étais jeune. Les Pieds Nickelés, Tintin, Achille Talon, Lucky Luke… Ensuite, je me suis tourné vers la littérature. Mais je me suis aperçu que la bande dessinée avait pris beaucoup d’ampleur, qu’elle était devenue un art à part entière. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir des auteurs comme Gibrat, Bilal, Mœbius, Claeys… Le support me paraissait vraiment intéressant et la rencontre avec les frères Brizzi a été une opportunité formidable pour pouvoir parler de Céline. Le dessin permet de mettre une certaine distance. On n’est pas avec le personnage incarné physiquement. Mais c’est une distance qui permet d’atteindre une certaine vérité.

Cette bande dessinée s’appuie sur les derniers romans de Céline que sont D’un Château l’autre, Nord et Rigodon, que l’on peut considérer comme trois volets d’un même roman qu’on surnomme La Trilogie allemande. Elle met en scène l’équipée incroyable du docteur Destouches à travers l’Allemagne dévastée de la fin de la guerre. Le docteur Destouches est le nom réel, le nom d’identité de Céline qui était son nom de plume, emprunté à sa grand-mère. En 44, Le docteur Destouches s’enfuit de France pour le Danemark via l’Allemagne avec sa femme Lucette, le chat Bébert et, pendant un moment, avec le comédien Le Vigan, personnage excentrique et insupportable. Cette bande dessinée, ce n’est donc pas une biographie de Céline puisqu’elle se concentre sur cette période 44/45, ce n’est pas non plus une adaptation, impossible probablement, à réaliser de ces 3 romans. Comment qualifieriez-vous donc cet album par rapport à l’œuvre de Céline ? En bref, qu’avez-vous voulu montrer ?
CM : Pour ce scénario, je me suis appuyé sur La Trilogie allemande, j’ai pris aussi des éléments dans sa correspondance, dans Mort à Crédit, je suis allé piocher dans tous les livres qu’il a écrits. Cela a été un long travail de recherche et de documentation pour parvenir à composer une histoire et faire un portrait de Céline. Le titre La Cavale du Dr Destouches renvoie au métier de médecin de Céline qui se définissait comme médecin des pauvres. Il avait choisi sa vocation qui était la médecine et pas du tout l’écriture. J’ai surtout voulu sortir des idées reçues, donner un autre regard, éviter de répéter ce que l’on a entendu sur Céline, montrer des choses dont on ne parle jamais à son propos pour essayer de construire sa propre idée sur cet homme.
Par exemple, il habitait rue Girardon à Montmartre, au cinquième étage et juste en dessous habitaient Robert Chamfleury et Simone Mabille, de grands résistants. Céline était au courant de toutes leurs activités, y compris des caches où les juifs se planquaient. Robert Chamfleury n’hésitait pas à faire appel au Céline médecin pour soigner des personnes qui avaient été torturées par la Gestapo. Céline avait donné sa parole de ne jamais livrer aucune information. Il savait tout ce qui se passait à Montmartre, où étaient planqués les gens qui refusaient d’aller en Allemagne pour le STO, les personnes recherchées… Céline n’a jamais rien dit. Il a pu dire des choses terribles sur les Juifs, mais jamais il n’a dénoncé personne. C’est une scène qu’on voit dans la bande dessinée. J’ai voulu montrer cet homme contradictoire et complexe qui déteste les Juifs et en même temps qui les protège. Il avait même beaucoup d’admiration pour eux : ils avaient, selon lui, le sens de la communauté, de la protection de leur groupe… Céline est une succession de paradoxes. Médecin hygiéniste, c’est un homme peu soigné avec des vêtements troués, sales, graisseux, pleins de tâches ! Étrange pour un médecin hygiéniste ! Il a toujours été médecin, même lors de cette cavale apocalyptique dans l’Allemagne nazie, il a continué à pratiquer la médecine, de porter des soins à ses compatriotes, d’acheter des médicaments en contrebande avec son argent personnel d’ailleurs. Il y a aussi la dimension de médecin des pauvres, celui qui pratique la médecine du dispensaire, celui qui côtoie la misère et la souffrance. Il sait de quoi il parle ! Il a aussi lui-même beaucoup souffert, il était atteint de nombreuses maladies : le paludisme, la dysenterie, le vertige de Ménières et des maux de tête qui l’obligeaient à s’aliter. Il était insomniaque, ce qui le rendait fou. Sans compter son bras invalide suite à sa blessure de 1914. C’est un homme qui a cumulé toutes les pathologies et qui savait ce que souffrance voulait dire.

Et son emprisonnement pendant 18 mois au Danemark n’a pas arrangé son état de santé…
CM : Oui, son incarcération au Danemark a aggravé son état de santé déjà précaire. Notre bande dessinée s’arrête avant son arrestation à Copenhague. Il ne reviendra en France qu’en 1951.

Pour écrire cette bande dessinée, vous avez aussi été aidé par Mme Destouches, la veuve de Céline, à qui vous dédicacez l’album. Elle apparaît comme un per­sonnage discret dans l’album, comme d’ailleurs dans les romans de Céline. Elle a tout de même plus de présence dans la bande dessinée ! De quelle manière peut-on dire qu’elle a participé à l’élaboration de votre travail ?
CM : Ce sont surtout des petits détails qu’elle m’a confirmés. La biographie de François Gibault est très exhaustive. C’est surtout sa confiance qui m’a beaucoup aidé. Quand on a ce soutien moral, on avance avec davantage de force. De façon générale, elle refuse les visites, elle sent très vite si les gens sont là pour se servir d’elle, mais elle a compris mes intentions. C’est une femme très délicate et mystérieuse. J’essayais toujours de l’imaginer avec Céline, elle si délicate, avec une petite voix, en retrait face à un Céline qu’on peut imaginer envahissant, complexe et difficile à vivre. Mais je pense qu’ils se sont beaucoup aimés. C’était une danseuse qui a inventé la technique de la danse au sol, avec le miroir au plafond, une technique qui est reconnue et se pratique encore aujourd’hui. Céline adorait la danse qu’il considérait comme la quintessence de l’art, l’art qui lutte contre la pesanteur et le temps. Voir quelqu’un qui s’élève, qui tient comme de lui-même dans l’espace, c’était de la magie pour lui qui trouvait les hommes lourds, lourds de lenteur insistante. Regardez un homme marcher, disait-il, comme il est lourd ! Regarder un animal se déplacer, c’est la grâce !

Vous avez en quelque sorte respecté un principe narratif cher à Céline avec la mise en place d’un procédé d’allers-retours dans le temps. Au début de l’album, on voit Céline dans son lit dans sa maison de Meudon à la fin de sa vie et durant tout l’album, on reviendra à cette scène qui permet au narrateur de faire des commentaires et le lien entre les différentes scènes. Ce principe narratif s’est imposé rapidement dans l’élaboration du scénario ?
CM : Oui, c’est une façon de respecter le principe de digression, cher à Céline. Il aime parler d’une chose, puis d’une autre, tous ces chemins de traverse qu’il emprunte viennent nourrir son sujet. Ce n’est pas quelqu’un qui raconte une histoire, ce sont des histoires qui se racontent et qui font que cette histoire se rassemble. Et il nous parle directement, se met à la place du lecteur. J’ai repris ce principe d’interpeller le lecteur directement.

Comment avez-vous procédé dans le choix des scènes parmi toutes celles présentées dans ces romans ? Avez-vous souhaité une alternance de scènes intimistes avec des scènes plutôt tru­culentes, je pense au fameux rendez-vous avec Mme Dame Frucht ou la scène des cabinets dans l’hôtel Lowen à Sigmaringen ? Y a-t-il des scènes que vous auriez aimé faire figurer mais que vous avez dû sacrifier ?
CM : Oui, il a fallu faire des choix. Et c’est là que les frères Brizzi interviennent ! On a choisi ensemble les scènes qui se prêtaient le mieux au dessin. J’avais fait des coupes déjà dans toute la matière que j’avais réunie pour arriver à une histoire qui ne fasse pas plus de 90 pages. Et les frères Brizzi se sont investis dans ce scénario en se demandant où le dessin pouvait être le plus puissant ou le plus intéressant.
Gaëtan Brizzi : On a abordé cet album comme un story-board. On a découpé avec Christophe pour avoir le choix le plus judicieux possible, sachant qu’on voulait trouver le juste équilibre entre les scènes dramatiques, apporter l’humour qui est toujours en filigrane dans la littérature de Céline, mais on voulait aussi se donner cette liberté d’aller vers la caricature, surtout dans les portraits. On s’en est donné à cœur joie avec Le Vigan ! On voulait vraiment le caricaturer, qu’il devienne un clown dans ce trio, avec ses excès, sa veulerie. Même graphiquement, on a forcé un peu le trait. Pour revenir au découpage, on a dû beaucoup couper dans le scénario de Christophe, parce qu’il fallait rester dans les 90 pages et donc, on a essayé de garder l’essentiel de cette cavale. On a aimé l’idée de finir l’histoire avec la mort de la mère de Céline, alors qu’il se passe encore autre chose avant son emprisonnement au Danemark. Mais cela nous semblait la juste borne pour finir ce scénario. On a eu de nombreuses séances de travail avec Christophe, en lui présentant aussi des esquisses, des croquis qui découpaient la mise en scène de chaque page pour ensuite passer à l’exécution finale.

Comment avez-vous opté pour le noir et blanc ? Cela semblait s’imposer pour l’univers célinien ? Avez-vous fait des tentatives couleurs ?
GB : Non, pas du tout ! Je dois avouer qu’on a tout de suite pensé au noir et blanc. Il faut dire que le crayon est notre outil de prédilection ! On vient du cinéma et cela nous a beaucoup aidé pour le travail d’adaptation du scénario. On a l’habitude de faire des coupes, de pratiquer l’ellipse ou d’associer certaines séquences dans une même situation et il le fallait, car il y avait matière à faire 3 ou 4 albums ici ! On a aussi l’habitude de travailler nos story-boards de cinéma au crayon noir. On a gardé cet outil pour aborder la bande dessinée. Le noir et blanc permet d’évoquer une période passée, de traduire aussi une lumière dramatique. C’est un livre où il y a beaucoup d’humour mais aussi un contexte dramatique fort. Il y a l’éructation de Céline qui vomit parfois sa haine de certaines choses, des institutions comme des lieux communs. Le contraste du noir et blanc nous permettait d’être en symbiose avec le contenu lui-même.

Comment vous êtes-vous organisés pour la réalisation graphique puisque vous avez travaillé ensemble ? L’un travaille plus les décors, l’autre les personnages ?
GB : Oui, sur le plan artistique, on doit à Paul tous les personnages et moi j’ai fait les décors. Paul s’est ingénié à attraper la ressemblance des personnages ; n’oublions pas que ces personnages ont existé, ils sont emblématiques d’une certaine époque. Il faut donc pouvoir les reconnaître. Le plus dur, c’était Céline, car on le voit apparaître à deux étapes de sa vie : dans le temps présent du récit, à Meudon, perclus et souffrant, qui s’adresse aux lecteurs, décidé à mettre fin à tous les on-dit, puis il nous emmène dans un récit en flash-backs. Au-delà de la ressemblance recherchée, il y avait la caricature, l’exagération. Pour traduire à travers un visage des émotions, une force d’expression, pour montrer la profondeur et la violence de l’âme humaine.
En ce qui concerne les décors, je me suis beaucoup documenté sur cette époque, les avions, l’architecture. Les personnages descendent dans des hôtels qui ont existé. Et ce n’est parfois pas facile de trouver des documents encore visibles, car ils ont souvent été détruits par la suite. Par contre, les ruines à dessiner, c’est facile !
CM : Il y a un très beau travail de nuances et de détails. Le dessin est dans cet album très fouillé. Il y a des vignettes sur lesquels on peut vraiment s’attarder pour regarder des détails, des personnages, des expressions. Il y a une foire d’empoigne à un moment avec 50 personnes dans le cadre, tout le monde s’arrache les cheveux, les vêtements ! Tout est en mouvement, et là, on sent toute l’expérience de l’animation des frères Brizzi. Leur dessin n’est jamais figé, il est toujours dans la dynamique comme l’écriture de Céline.
Paul Brizzi : Lorsqu’on aime dessiner, c’est un vrai plaisir d’illustrer un auteur comme Céline. On voit entre les lignes de Céline, et donc on est inspiré ! Il en est de même pour certains grands auteurs comme Cervantès ou Victor Hugo. Pour moi, j’appelle cela des auteurs inspirés, c’est ceux que j’aime lire, ce sont des écrivains qui me donnent à voir ! Cela a été presque facile dans ce sens pour nous, car il n’y avait qu’à illustrer ! De plus, Céline est lui-même dans la caricature. Je ne pense pas l’avoir trahi en allant assez loin, avec par exemple ces gueules d’Allemands ! Et quand une gifle part, on sent que ça part de loin et on sent que le type valdingue de l’autre côté de la pièce ! On a essayé de traduire ça. Et ce côté cartoon, on ne voulait pas s’en priver !

Et ce n’était pas trop difficile de marier avec le dessin ce côté comique et l’aspect tragique du récit ?
PB : Oui, il s’agissait de bien savoir quand est-ce qu’on pouvait basculer tout à coup à la faveur d’une phrase ou d’une ellipse. Pour la scène des toilettes dans l’hôtel, si comique, décrite dans D’un château l’autre, cela allait de soi. Par contre, il y a d’autres moments comme la fuite en voiture avec Van Raumnitz, qu’on voulait dramatiser. On y introduit alors un éclairage beaucoup plus dur, plus cru. Parfois, c’est sur trois pages, parfois sur trois cases. Céline a des diatribes terribles contre la littérature, contre Mauriac, Sartre, Proust. Alors, on a mis le génie de la littérature en scène qui défèque littéralement devant nous ! On s’est bien amusés !
GB : C’est en cela que cet album est vraiment fidèle à l’esprit de Céline !

Vous qui venez du cinéma d’animation, quels sont vos rapports avec la bande dessinée ? Comment passe-t-on de l’animation à la bande dessinée ?
GB : Il y a de nombreuses années, on avait eu une toute petite expérience de bande dessinée aux Humanoïdes associés avec le personnage de Mata Hari, qui nous avait donné le goût et l’envie de faire de la bande dessinée4. On s’était dit : « un jour, on fera quelque chose de sérieux ! ». La rencontre avec Christophe a été déterminante. On a apporté à cet album un très grand soin en donnant le maximum de nous-mêmes, on a voulu faire plus qu’un beau livre. Ici, on a choisi avec l’éditeur la qualité du papier, on a beaucoup réfléchi sur la qualité des contrastes. On a été exigeants, car le noir et blanc, c’est beau mais il faut être vigilants aux nuances de gris, à la profondeur des noirs, à la qualité des blancs. Et on espère que cette attention sera appréciée par les lecteurs.
PB : On a eu d’autant plus de plaisir à faire cette bande dessinée qu’on a ressenti une grande liberté. L’avantage par rapport au cinéma d’animation, c’est cette liberté qu’on peut apprécier. Là, on est vraiment nous-mêmes ! Je la revendique à 100 % cette Cavale du Dr Destouches, car on a pu s’exprimer totalement, de faire presque du Brizzi ! Même si cette bande dessinée ne devait pas se vendre beaucoup, moi, je suis très content de l’avoir faite !

On sait que Céline appréciait le dessin mais aussi le dessin d’animation. Que pensez-vous qu’il aurait dit de votre bande dessinée ?
GB : D’abord, on pourrait être surpris que Céline, un homme grave, profond, ait aimé le dessin animé. Mais en fait, ce n’est pas si étonnant. Je pense que Céline a dû voir dans le dessin animé l’exagération de l’expression humaine, la violence aussi qui passe facilement dans le dessin animé puisqu’il y a un côté « ça ne se peut pas ! ». Mais Céline a senti que ces créateurs de dessin animé étaient des gens qui étaient dans le vrai. Donc, ça ne m’étonne pas qu’il ait aimé les dessins animés quand on voit la violence de son écriture. Dans Mort à Crédit, il décrit des bagarres homériques, au-delà de tout réalisme. Cela fait penser presque à du Tex Avery ! C’est violent et on est mort de rire en même temps !

Il y a aussi un personnage discret mais qui comptait beaucoup pour Céline, le fameux chat Bébert, que vous mettez bien en scène, en insistant sur sa fidélité et son attachement à ses maîtres. Cet amour de Céline pour les animaux vous semblait aussi important à souligner ?
CM : C’est essentiel. Il trouvait que les animaux possédaient la grâce que les hommes n’avaient pas. Céline a dédicacé un de ses romans : « Aux animaux… aux prisonniers et aux malades ». Il était entouré d’animaux : son perroquet Toto, plusieurs chiens et chats, une volière avec des perruches. Son voisinage à Meudon en avait d’ailleurs assez d’entendre ses chiens aboyer. Et lui, il les faisait aboyer encore plus !
GB : Oui, il vaut mieux le lire que l’avoir comme voisin !

En tout cas, cet album peut plaire à un public large. Il peut séduire un non-lecteur de Céline, car c’est une très belle introduction au personnage et à l’œuvre. Mais également, il peut intéresser le lecteur de Céline, il y a un côté ludique dans cette lecture. Comme un jeu de pistes, on retrouve une scène qui nous avait marqué,
un extrait dont on se remémore…
CM : C’est vrai. La Cavale du Dr Destouches est un album qui peut être lu par quelqu’un qui n’a lu aucun livre de Céline. Et puis bien sûr, quand on a lu Le Voyage, Mort à Crédit, La Trilogie, on peut aussi avoir plaisir à retrouver des scènes mémorables que l’on a déjà lues. Pour tous ceux qui ne connaissent pas l’œuvre de Céline, c’est l’occasion de découvrir de manière ludique l’un de nos plus grands auteurs.

Christophe Malavoy

Enfants et grands-parents

Des relations très fortes

Entre admiration et incompréhension, entre amour et méfiance, les enfants tissent des relations privilégiées avec les personnes âgées. Dans le magnifique roman Perdus de vue1, co-écrit par Yaël Hassan et Rachel Hausfater, le jeune Sofiane, petit gars des banlieues, se retrouve « homme de compagnie » d’une riche vieille dame et doit lui faire la lecture. Deux mondes qui s’affrontent et qui ont bien du mal à se comprendre. Mais à force de confidences, de moments complices, les deux deviendront inséparables, car chacun réussira à lire en l’autre ce que lui même n’arrivait pas, ou ne voulait pas voir…
De Yaël Hassan également, on aimera lire les aventures de Momo, petit prince des bleuets2. Lors de grandes vacances qui promettaient d’être longues et très ennuyeuses, le jeune Momo se lie d’amitié avec un vieux monsieur. Leurs longues discussions vont permettre au jeune homme de découvrir des horizons insoupçonnés et de s’évader de sa banlieue et de sa routine.
Car la différence d’âge permet parfois des confidences que l’on n’oserait peut-être pas faire à d’autres. Et l’expérience des personnes âgées leur permet parfois de percer bien des secrets… Cette « quête de soi » est magnifiquement illustrée par le roman Le Secret de l’hippocampe3 de Gaëtan Chagnon. Gaël, jeune adolescent, fait la lecture à Victor, vieux monsieur à qui la vue fait défaut. En découvrant l’histoire de cet homme, qui avait rejeté son fils en raison de son homosexualité, Gaël va peu à peu se découvrir lui-même, entre révolte et espoir. Une très belle réflexion sur la vie, sur l’amour et sur la différence, pour les lecteurs aguerris.

Papy, mamy…

Une relation très privilégiée unit les enfants et leurs grands-parents. Dans la trilogie Trois fois Lou4, Elisabeth Brami nous brosse le magnifique portrait d’une jeune fille et de sa grand-mère, qui décident de s’écrire régulièrement, afin de créer un lien particulier entre elles. Peu à peu, elles vont se découvrir l’une l’autre. Une découverte que va vivre également Salamanca dans le roman Voyage à rebours5 de Sharon Creech. Une jeune fille de treize ans part avec ses grands-parents pour un long voyage à travers les états américains afin de retrouver sa mère pour son anniversaire. Un voyage géographique, mais également spirituel, car Salamanca va se découvrir au fil du voyage qui lui réserve de nombreuses surprises. Un magnifique road-movie, aux personnages très attachants. C’est également une belle correspondance que va commencer Annabelle avec sa grand-mère dans le roman Mémé, t’as du courrier6 de Jo Hœstlandt. La jeune fille et sa grand-mère décident qu’elles ne communiquent pas assez , elles prennent alors la décision d’entamer une correspondance, qui permettra à chacune de mieux connaître l’autre. Un roman attachant, qui plaira aux plus jeunes de nos lecteurs.
C’est également un lien très fort qui unit Aurore et sa grand-mère dans le truculent roman Reality Girl7 de Lorris Murail. Alors que ses parents viennent de se séparer et qu’ils vivent leur nouvelle vie sur les plateaux d’émissions de télé-réalité, la jeune fille part vivre chez sa grand-mère, une collectionneuse compulsive de coupons de réduction. Elle décide alors de créer un blog pour exprimer ses sentiments et raconter sa vie. Un roman à l’humour omniprésent.
Dans le roman Tempête sur Shangri La8 de Michaël Morpurgo, le jeune Cessie découvre à l’âge de douze ans son grand-père qu’il n’a jamais connu. Sa vie va en être bouleversée, d’autant que suite à un accident, celui-ci perd la tête et que ses parents le placent en maison de retraite. Le jeune Cessie décide alors de l’en faire sortir et de l’aider à se mémoriser de son passé. Une magnifique histoire, remplie d’émotion.

Quand les générations se rencontrent

Entre enfance et vieillesse, la rencontre n’est pas toujours facile. Dans Le Monde de Sunita9, de Mitali Perkins, la jeune Sunita vit une adolescence paisible en Californie. Mais lorsque ses grands-parents débarquent chez elle, son monde s’écroule. Originaires d’Inde, ils décident que la jeune fille doit désormais respecter les traditions de son pays d’origine. Sunita doit s’habiller avec le vêtement traditionnel et plus question pour elle de voir son petit ami… Un roman abordant les  conflits de génération avec tact et finesse.     
Autre magnifique rencontre entre les générations, celle de Sarah et Salomé, dans le roman Salle des pas perdus10, de Julia Billet. Sarah, une vieille femme, vit dans la salle des pas perdus de la gare depuis de nombreuses années. C ‘est là qu’elle croise Salomé, une jeune fille à la dérive. Les deux femmes deviendront alors inséparables et apprendront à se connaître. Un roman sur l’entraide et la solidarité.
Quant à Loïc et Jeanne, ils doivent partir en vacances chez leur grand-mère Adrienne, dans le roman Des vacances tranquilles11 de Rémi Hatzfeld. Mais lorsque celle-ci est hospitalisée, plus rien ne se passe comme prévu. Ils passeront alors leurs vacances en compagnie de leur Mammy Géo, qui fera sortir Adrienne de l’hôpital afin qu’ils partent ensemble sur les routes de France. Les mamys font gentiment du tricot dans leur fauteuil aux accoudoirs en crochet ? Ce roman prouve le contraire !

À l’approche de la mort…

Mais si les enfants aiment rencontrer leurs grands-parents, apprendre d’eux, s’enrichir de leurs connaissances, ils restent conscients de leur fragilité. Dans l’émouvant roman La Fin d’un été12 de Marie-Sophie Vermot, Guillaume décide d’annuler son stage de voile pour passer l’été auprès de sa grand-mère. Très malade, cette dernière sent qu’elle ne vivra plus très longtemps et elle profite ainsi de ses derniers jours en compagnie de son petit-fils.
Dans le roman Aldabra, la tortue qui aimait Shakespeare13 de Silvana Gandolfi, on découvre avec étonnement la grand-mère d’Elisa, qui a décidé d’échapper à la mort en se transformant en tortue… Une fin de vie très étonnante, sur fond de Shakespeare, qu’Elisa et sa grand-mère adorent. Un roman magnifique.
Mais la fin de vie n’est pas toujours si douce. Dans le terrible roman Mamie en miettes14 de Florence Aubry, Gaëlle accueille chez elle sa grand-mère qui vient de se casser le col du fémur et qui se déplace en fauteuil. Mais la cohabitation est très difficile et la mère de Gaëlle est de plus en plus agressive avec sa propre mère. Et lorsque Gaëlle retrouve sa grand-mère blessée, elle se décide d’aller à la gendarmerie… Un roman très fort, sur un sujet difficile.
On choisira également le magnifique roman Mamie Mémoire15, d’Hervé Jaouen. Mamie perd des objets, semble perdre la mémoire et oublie des choses qu’elle n’aurait jamais oubliées auparavant. Le diagnostic des médecins est sans appel : Alzheimer. La famille doit donc s’habituer et s’adapter à la situation. Un roman qui décrit avec pudeur et humour une situation difficile à vivre.

Un peu d’humour…

Mais les personnes âgées ne sont pas toujours des gentils papys et mamys gâteaux ! Dans son roman Satanée grand-mère16, Anthony Horowitz brosse le portrait acide d’une mamy peu sympathique ! Tous les mauvais coups sont bons pour elle, du moment qu’ils pourrissent la vie de Joe, son petit-fils ! Grand-mère ou sorcière ? Joe se pose la question… Un roman acide, doux-amer sur les relations entre un jeune garçon et sa grand-mère.
Tout aussi peu aimable est au départ Robert Poutifard, un ancien enseignant qui a décidé de se venger de ses élèves. Dans le roman La Troisième Vengeance de Robert Poutifard17 de Jean-Claude Mourlevat, il choisit les élèves les plus difficiles de sa carrière et prépare une terrible vengeance pour chacun… Un roman drôle et acide.

Mireille Mirej

À ce jour, Le Pré du Plain, ce sont 150 livres, 85 auteurs et illustrateurs ; des livres pour tous les âges qui se déclinent en de multiples collections :
Mini-Pré : pour les enfants à partir de 3 ans, de vrais livres-doudous (format 5 × 7 cm) qui séduisent aussi les plus grands pour la lecture partage.
Petit-Pré : pour les enfants à partir de 5 ans jusqu’à la 6e. Mireille a écrit Le Mouton de poussière, Une vache au salon, Choisir une voiture en famille, Clémentine, souris d’hôpital.
Petit-Pré-Textes : à partir de 9 ans, pour les pré-ados, avec Une jument effrontée, Les Chevaux d’Halloween, Une catastrophe ambulante.
Hautes-Herbes : pour les ados, avec Un cheval dangereux, Le Chêne de Grand-Père.
Plain-Contes, des contes de sagesse.
Pré-vers et Plain-Poèmes.
Pré-en-bulles pour la BD : Galac et Nath.
Tout-Plain, des documentaires pour les adultes.
Pré-Tendre-English, des histoires en anglais.
Une variété qui suscite la curiosité. Des petits formats que l’on peut glisser dans sa poche et qui incitent à la lecture. Des livres tout doux et drôles au prix imbattable de 3 ou 5 euros, pour soi ou pour offrir et que l’on peut envoyer par la poste (format d’une enveloppe standard).
Ses romans sont à l’école de la vie et M. Mirej a une capacité aigüe à capter le réel qui la nourrit. Le plaisir qu’on ressent à lire ses romans fait écho au plaisir fou qu’a M. Mirej d’écrire. Ses titres, positifs, ont le goût du bonheur et contribuent à une réconciliation avec la vie pour ceux qui sont un peu/beaucoup « cabossés ». Alors, laissez-vous délicieusement emporter par les émotions et la tendresse si présentes dans les histoires de M. Mirej…

Écriture

Peux-tu expliquer l’origine de ton nom de plume, Mireille Mirej, qui se prononce/Mireille Mireille/avec le doublement de ton prénom ?

Version courte… ou version longue ? Je pourrais dire, tout simplement, que j’ai doublé mon prénom, afin que les lecteurs ne puissent oublier mon nom ! Je peux expliquer aussi que nous, les femmes, nous changeons de nom, dans la vie. Nom de jeune fille, mariage, divorce… Notre prénom nous appartient, lui, vraiment.
La version longue, c’est une très belle rencontre avec la Pologne, à l’adolescence, où mon prénom ne se prononçait pas. Cela donnait quelque chose comme Miraï… Je l’ai donc écrit de manière lisible pour les Polonais : Mirej. Puis je l’ai utilisé comme cela, accolé à mon nom, durant des années… jusqu’à l’édition de mon premier livre chez Flammarion, Un cheval de prix. J’avais noté Mirej – ce qui me représentait le mieux – sur le tapuscrit. Flammarion n’a pas voulu de ces seules cinq lettres. Comme j’étais alors « entre deux noms », avec un petit clin d’œil à la vie, j’ai choisi de doubler mon prénom, « pour de vrai ». Depuis, je ne « réponds bien » qu’à ce nom de plume, pseudonyme reconnu légalement. Mais je n’avais pas pensé qu’on m’appellerait parfois Madame Mirej, ce qui sonne bizarrement !

Quand as-tu commencé à écrire ? Est-ce que, petite, tu rêvais d’être écrivain ?

Je me plais à répéter aux enfants que j’ai commencé à écrire, comme eux, au CP. En France, nous apprenons tous à écrire à l’école. Il n’y a pas de formation spécifique pour devenir écrivain, et l’adjectif « autodidacte » ne s’applique donc pas à ce métier.
Je rêvais d’écrivains… ou plutôt de leurs œuvres, car j’étais une dévoreuse de livres, mais je n’imaginais pas le devenir un jour.

Comment devient-on écrivain ?

Comme le dit Raymond Queneau : « C’est en écrivant qu’on devient écriveron ». Il s’agit d’inspiration et de travail – beaucoup beaucoup de travail ! – puis de LA rencontre avec un éditeur qui s’avère être la bonne. Cette partie est sans doute la plus difficile, car d’excellents textes ne rencontrent jamais leur éditeur – j’en ai croisé un certain nombre dans ma vie !

Est-ce facile d’écrire ?

La toute première fois, personnellement, je trouve que c’est très difficile. Avant de boucler Un cheval de prix – en souffrant ! – j’avais commencé plein de textes que je n’ai jamais terminés. Soit j’avais l’idée, et les mots ne m’obéissaient pas. Soit les phrases s’ordonnaient convenablement mais mon intrigue tombait en panne. Lors de l’écriture d’un premier roman, on s’aperçoit de surcroît que les apprentissages scolaires ne suffisent pas ou se sont perdus en route. La concordance des temps, par exemple, est une sale bête. Il faut la prendre à bras-le-corps pour la soumettre – s’y soumettre !
À force d’écrire, cela devient nettement plus facile. C’est le cas pour n’importe quel métier. L’expérience est indispensable. Plus on écrit, plus notre cerveau prend l’habitude de trouver l’inspiration nécessaire, plus l’écriture coule de source. En ce qui me concerne, je suis aujourd’hui une « ouvrière de la plume » confirmée. Il suffit que je veuille trouver une idée sur un thème précis, je convoque mes petites cellules, et l’inspiration est au rendez-vous dans les heures qui suivent (si je suis « disponible » dans ma tête, évidemment !). Ensuite, écrire sur ce sujet est une délectation. Rien de plus agréable que d’articuler une histoire, de faire naître des personnages, de provoquer des événements et de glisser dans tout ceci des petites références évidentes ou secrètes !

Comment naît un personnage ? Comment devient-il autonome dans un roman et que représente-t-il pour toi ?

Il naît d’une décision ou de la pure inspiration. J’ai une grande imagination visuelle, également, ce qui me permet de le « voir » très précisément et de pouvoir le décrire, le mettre en place physiquement… En revanche, en ce qui concerne sa personnalité, c’est une autre affaire.
De le construire au fil des pages fait qu’il devient généralement une personne, que je ne peux pas forcément façonner à ma guise. Sa structure psychologique est telle que je dois m’adapter à ma création… et non le contraire. C’est passionnant. Mes personnages forment une sorte de famille supplémentaire. C’est particulièrement le cas pour ceux des séries car je passe beaucoup de temps avec eux.

Est-ce que l’on te commande des textes ?

Vingt ans après mon premier livre qui m’a enfermée dans une boîte à la française d’« auteur jeunesse chevaux », les éditeurs ont tout à coup compris que j’étais spécialisée dans ce domaine – même si je revendique de savoir et vouloir écrire sur d’autres sujets ! – et ils me commandent des textes… sur les chevaux : histoires, romans et documentaires.

Les éditeurs demandent-ils de changer des choses ?

Oh oui ! Pour la plupart… Au début, c’est essentiel et très formateur d’expliquer à un auteur jeunesse qu’il a des devoirs vis-à-vis de ses lecteurs, qu’il écrit pour un public particulier et ne peut faire n’importe quoi. À ce niveau, cela ne pose donc aucun problème. Par contre, les éditeurs imposent aussi des changements de titre, voire de prénom de héros. C’est beaucoup plus déstabilisant, voire frustrant. Il faut aussi batailler pour garder un certain niveau de langage, le contenu auquel on tient. Je préfère très nettement la phase d’écriture à celle de la négociation sur le vocabulaire spécifique, par exemple.

Quelle est la différence d’écriture entre un roman et un documentaire ?

Même si la plupart de mes romans sont documentés, je navigue en général dans des univers que je connais bien lorsque j’écris des fictions. Je voyage donc presque librement dans l’écriture, me contentant de vérifier que je ne dis pas d’âneries sur des points particuliers qui ne font pas partie de mon quotidien ! Et j’adore semer des intrigues, incidents, émotions… Mais j’aime aussi énormément rédiger des documentaires en réalisant des recherches approfondies, croisant mes sources, contrôlant chaque détail, interrogeant des spécialistes… Dans le deuxième cas, l’écriture est moins fluide et souvent plus calibrée. On ne peut s’attarder sur un passage spécifique, par exemple. Cela doit « rentrer » là où c’est prévu.

Vous saurez tout tout tout sur… le cheval !

Qu’aimes-tu chez les chevaux ?

Leur grand œil dans lequel on peut voir sa silhouette petite et déformée, le velours de leur bout de nez, l’odeur particulière à chacun, qu’on peut capter en s’approchant de leurs naseaux (geste à ne pas reproduire avec un cheval inconnu, bien sûr !) leur morphologie, si particulière que la plupart des illustrateurs ont un mal fou à la reproduire… leur fougue et leur tendresse, leur « intelligence » et leur espièglerie, leur mode de vie de chevaux libres… prendre soin d’eux, les observer. Je ne monte plus à cheval depuis des années… Je m’y remettrai peut-être un jour !

Que penses-tu de cette mode fille pour les chevaux ?

Lorsque j’ai débuté, les poneys clubs n’existaient pas, et il y avait plus de cavaliers que de cavalières dans les centres équestres. Les instructeurs étaient sévères et exigeants. La pratique de l’équitation demandait une grande rigueur.
Nous avons introduit les poneys anglo-saxons en France pour initier les enfants à ce sport. Des monitrices ont été embauchées pour offrir plus de douceur à ce public différent. Les filles sont arrivées en masse, car elles aiment énormément le contact avec l’animal. Comme il y a près de 80 % de pratiquantes, la mode a fait le reste avec livres, magazines et objets déclinés trop souvent en rose. Gardons de la pratique équestre et de sa relative démocratisation, ce qui est bénéfique et tâchons de ne pas tomber dans les excès ! Souvent, les garçons ne se retrouvent plus dans cet univers féminisé. Pourtant, ceux qui commencent ne décrochent pas aisément. La passion des chevaux, l’équitation et les filières professionnelles s’adressent à tous, c’est certain. Les modes passent, les chevaux resteront !

Un nouvel avenir pour le cheval avec le développement durable ?

Je fais partie de ceux qui le souhaitent et j’y travaille d’ailleurs ! Choisir les chevaux de trait pour certaines de nos actions quotidiennes ne serait certes pas un retour négatif vers le passé. Notre Roul’Livre a d’ailleurs été imaginée pour rétablir ce rapport essentiel au personnage cheval, son impact environnemental, affectif, ancestral.

Peux-tu nous conseiller 3 titres de films sur les chevaux pour ados ?

Un film extraordinaire et instructif, c’est Prince Noir (Caroline Thompson, 1994, d’après Black Beauty d’Anna Sewell, 1877). Même si l’histoire et les « métiers » de chevaux qui y sont décrits datent un peu, il est vraiment intéressant de suivre un cheval de sa naissance à son grand âge, afin de ne plus jamais se comporter vis-à-vis d’eux comme si l’on avait affaire à un vélo. Les images sont magnifiques, le scénario chargé d’émotion. On en ressort un petit peu différent, et très responsabilisé par rapport à sa monture… je trouve !
J’ai beaucoup aimé également Le Cheval venu de la mer (Mike Newell, 1992, d’après une histoire de Michael Pearce). Mettant en scène des nomades et la mythologie irlandaise, il raconte l’histoire de deux jeunes frères dont le père, brisé par la mort de sa femme, ne parvient plus à s’occuper. Un très beau film avec un cheval pour héros et un certain nombre de messages. D’autres films m’ont marquée, qui donnent une place aux chevaux. Il est difficile d’en sélectionner un et d’oublier les autres. À vous de choisir entre Le Frère irlandais (2 épisodes), Manège (idem), Dreamer, La Légende de Seabiscuit, Zig Zag, Danse avec lui, Hidalgo, Spirit, Crinière de feu, Le Cavalier électrique…

Écris-tu aussi sur d’autres thèmes qui te sont chers ?

J’aime écrire sur les relations entre les êtres, et je glisse un peu de cela dans tous les tomes de séries où l’on croit que je vais me contenter de raconter quelques petites aventures autour d’un seul sujet. (Les auteurs de séries sont décriés, en France. On s’imagine qu’ils se contentent de faire du remplissage).
J’aime encore plus écrire sur les « incidents de la vie », perte, maladie, handicap, blessures du corps et de l’âme. Peu de mes livres sur ces sujets sont publiés, mais ils existent… dans mes tiroirs ! D’abord, je suis perméable à la souffrance du monde, c’est pour cela que ces sujets me touchent. Et je ne souhaite pas être la seule à me laisser traverser le cœur. En écrivant à ce niveau, je pense pouvoir soutenir ceux qui se croient isolés dans leur souffrance et sortir les autres de leur égoïsme en les incitant à regarder autour d’eux si, par hasard, leur voisin muet n’aurait pas besoin d’échanger sur ce qui le taraude et qu’il cache.

Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as tant à cœur Camille et les Huskies1 ?

Il s’agit d’un livre comme j’aime à en écrire… un livre qui finit bien et qui donne aussi quelques recettes pour trouver en soi des ressources permettant de sortir de certains mauvais pas de la vie.

Une formidable joie de vivre habite tes livres, pourquoi as-tu à cœur d’offrir aux enfants une littérature positive ?

C’est plus fort que moi ! Je pense que nous avons tous des ressources insoupçonnées en nous… ou à capter autour de nous, pour aller mieux, grandir dans tous les sens de ce terme. Prendre le meilleur de soi, des autres, capter les petits bonheurs qui passent. La confrontation au Monde est rude et cruelle, je ne suis pas pour l’occulter, surprotéger nos enfants. En revanche, il est possible de leur donner quelques recettes de mieux-vivre afin qu’ils puissent trouver dans leur jardin secret de quoi affronter le Monde, tenir bon, aller de l’avant, être acteurs. On ne peut changer le Monde, mais on peut tous agir à notre échelle pour qu’il aille mieux. Éprouver de la joie, la cultiver n’est pas être égoïste ou se voiler la face… face à la réalité. C’est trouver les moyens d’être plus fort pour mieux résister et soutenir les autres.
Même si l’on peut être relativement acteur de sa propre vie, tout ne finit pas bien dans la réalité. L’écrivain a le pouvoir, lui, que son livre s’achève sur une note positive. J’use de ce pouvoir !

Quels sont tes futurs projets d’écriture ?

Il y en a un en gestation, actuellement, dans la série des recyclables : il s’appellera Le Petit Papier qui voulait devenir mot d’amour et fera suite aux deux volumes déjà parus chez Ivoire-Clair : Pull blanc et Pull mauve et Frères et sœurs de verre.
Mais je n’écris plus tout ce qui me passe par la tête, comme je le faisais auparavant. Je n’en ai plus le temps et j’avoue être fortement déçue par nombre d’éditeurs qui ne veulent pas prendre de risques, façonnent des produits et se moquent éperdument de publier des œuvres, ne se donnant pas les moyens de mettre en valeur les textes qui en ont. Un livre ne va pas aux lecteurs si l’éditeur n’en est pas le lien, sauf dans des cas exceptionnels d’autoédition réussis. J’ai bouclé avec un immense plaisir un documentaire pour l’éditeur Delachaux et Niestlé, Mon enfant est fan de cheval, au printemps dernier. Un texte pédagogique dédié aux parents de jeunes passionnés. J’ai participé avec délectation à un documentaire sur le poney pour Milan, destiné aux tout-petits. J’espère recevoir d’autres commandes de ce genre. En parallèle, Flammarion m’a signifié qu’ils arrêtaient de nouveau Clara et les poneys, après l’avoir réédité en rose paillettes… Les lecteurs réclament pourtant la suite et je ne peux la leur donner…
Des histoires vibrent en moi. J’attends, réfléchis. J’ai besoin de sortir de ces boîtes à la française : « auteur jeunesse chevaux », « auteur de séries », « petit éditeur marginal ». Je suis peut-être à un tournant de mon travail autour du livre : inventer un moyen de toucher le public et convaincre. Car lire doit demeurer une évidence au quotidien, et on ne peut abêtir nos concitoyens à coup de produits peu culturels… Je ne baisse pas les bras, même si, parfois, lassitude et incompréhension me gagnent quelques heures durant !

Le métier d’éditrice

Qu’est-ce que Le Pré du Plain, le nom de ta maison d’édition ?

Le Pré du Plain est le nom d’une terre de Haute-Saône, ce département magnifique et dépeuplé, que les Français méconnaîtraient sans doute totalement, si Jacques Brel n’avait pas cité Vesoul dans l’une de ses chansons… En fait, il s’agit d’une terre aussi fertile que peut l’être l’amitié qui nous a fédérés, à sept, autour de ce projet de création d’une maison d’édition en 2003. Dans ce nom, l’on entend : le pré, qui nourrit, et se situe avant ; le plain, de la plaine et de la plénitude. Il induit des liens avec la Nature et le vrai de la vie.

Comment s’est créé petit à petit le catalogue du Pré du Plain ?

Au départ, nous avons édité ceux d’entre nous sept qui étaient auteur et/ou illustrateur, puis nous avons ouvert nos portes aux amis, et amis d’amis, avant d’accueillir les textes ou les images qui nous ont touchés et sont arrivés au hasard des rencontres ou, tout simplement, par la Poste.

Comment choisis-tu un illustrateur pour un texte ?

La plupart du temps, cela se fait d’instinct. Un texte évoque une « patte ». À la différence de ce qui se passe chez les « grands » éditeurs, les auteurs et illustrateurs du Pré du Plain entrent dans une sorte de famille où ils peuvent, ensuite, « faire des bébés ensemble » qui seront publiés chez nous ou ailleurs. Pas d’exclusivité au Pré du Plain, l’essentiel est souvent qu’un créateur puisse mettre le pied à l’étrier avec nous.

Tu milites pour la lecture et les livres, pourquoi est-il si utile de lire, même aujourd’hui à l’ère d’internet ?

Internet est un chemin inattendu vers la lecture et l’écriture… Je ne conseille donc pas de le bouder… mais de l’utiliser pour le meilleur ! J’aime bien demander aux élèves d’une classe à quoi sert la lecture. Ils me répondent que c’est utile pour le vocabulaire, l’orthographe, pour apprendre, voyager… Quelques-uns évoquent la notion de plaisir. Parfois, ils vont plus loin, je les laisse chercher, leur donne des pistes. Lire permet de décoder le Monde. Tous les parents ont pu assister aux premiers émois d’un enfant qui comprend soudain la rue, ses enseignes, ses panneaux indicateurs… ou les objets de la maison : un livre de cuisine, un emballage… les livres qu’on lui a lus… Lire permet de s’isoler dans le rêve, lorsque le quotidien est rude, de s’offrir des parenthèses positives. Lire permet de cultiver son imagination. Sans imagination, les enfants d’aujourd’hui ne pourront construire demain. Lire, enfin, permet d’acquérir le sens critique, dans un univers dédié à l’image qu’on ne nous apprend pas suffisamment à décrypter. Lire peut permettre de croiser, comparer, et résister au pouvoir de manipulation des images…

 

Le clan des équidés*

Bain de livres

Nous avons commencé par un « bain de livres » avec les romans de M. Mirej, des documentaires et revues sur les chevaux. Nous avons présenté l’auteure grâce à la biographie présente dans Clara et les poneys. Les élèves ont ensuite lu deux histoires courtes de M. Mirej dans la revue Galop Passion (Souffle d’Aube et Sérum, poney d’attelage). Puis ils ont pris connaissance de petits romans de M. Mirej édités au Pré du Plain : Une jument effrontée, Les Chevaux d’Halloween, Une catastrophe ambulante et la BD Galac et Nath. Un tour de table où chaque élève a pu s’exprimer sur ses premiers contacts avec les chevaux a ensuite été réalisé… Tous prennent plaisir à narrer leur expérience : premiers pas avec le cheval en colonie pour certains, courses hippiques pour d’autres, d’autres encore ont la chance de posséder des chevaux d’attelage ou de trait.

Roul’livre

Ce premier rendez-vous fort du projet a débuté avant les vacances de Toussaint2. Les élèves ont pu rencontrer M. Mirej pour la première fois, tout comme l’illustratrice Efté, qui était aussi invitée. Les classes à projet, les 6e et 5e du collège participant au concours lecture ont ainsi pu poser des questions à l’auteure et ont appris à dessiner les chevaux avec Efté en utilisant des formes géométriques et des courbes. M. Mirej a su se montrer à l’écoute et disponible avec les élèves et n’a pas hésité à les encourager à lire et écrire. Les élèves, quant à eux, ont énormément apprécié ce moment d’échange avec l’auteure.

Concours lecture sur le cheval (sept 2012-mars 2013)

Ce concours lecture a concerné tout le collège, de la 6e à la 3e. Les élèves ont pu lire de nombreux livres, ceux de Mireille Mirej bien sûr, afin d’approfondir leur connaissance de l’auteure, mais aussi de beaux livres de littérature de jeunesse récents, attrayants pour la lecture plaisir et également des romans, BD, contes, humour, documentaires, petits livres, gros livres, format poche ou album, de difficultés différentes. Les réponses aux questionnaires synthétiseront l’essence de chaque livre.
Parallèlement au concours lecture, nous proposons aux collégiens de réaliser une affiche libre sur le thème du cheval, au format A3. Le bilan est plutôt bon : 50 inscrits, surtout des 6e, 5e, 4e ; de 1 à 12 livres lus par élève ; 140 prêts. Le noyau des 23 lecteurs assidus ou ceux qui ont fait des affiches et maquettes d’écuries ont été récompensés par une matinée d’initiation à l’équitation à la ferme du Pont de Sains.

Histoires au galop, notre livre sur le cheval

En novembre, la décision a été prise de se lancer dans l’écriture d’un livre sur les chevaux, qui sera édité par La Pépinière du Pré en mini-série (100 exemplaires). Les recherches et créations d’une année sont ainsi collectées pour ce livre qui présentera les textes des enfants sur leur expérience du cheval, avec les dessins de chevaux réalisés dans la roulotte ; les fiches documentaires rédigées par les élèves sur l’anatomie du cheval, le pansage et les soins, les allures, l’alimentation, les comportements et postures, les métiers liés au cheval (6e SEGPA) ; plus un quizz des 5e SEGPA pour tester ses connaissances. Le livre proposera aussi une interview d’Édouard Popieul, notre meneur de chevaux de Roul’livre ; Alexandra Granata, notre monitrice d’équitation à la ferme équestre du Pont de Sains ; Maxime Palma, maréchal-ferrant ; Didier Jacquemin, dentiste équin et M. Mirej, notre auteure très chevaline !
Cet ouvrage est aussi l’occasion de présenter les expressions et proverbes sur le cheval en français ou en ch’ti ! Brainstorming, aidé du Littré et de l’auteur Guy Dubois ; occasion également de dessiner des chevaux à la manière de Lascaux, Picasso, Matisse, Gauguin, le Douanier Rousseau. Les élèves ont créé des mots mêlés et des mots croisés, toujours sur le thème du cheval, qui apportent la touche ludique au livre. L’ULIS a également pu publier deux histoires inventées, ce qui a permis de rappeler ce qu’était un schéma narratif, et, comprendre aussi en relisant des débuts de romans de Mireille Mirej comment tout cela fonctionne : quand ? où ? qui ? Points de départs impératifs à toute bonne histoire…
Après avoir découvert le livre Tanabata (éditions Maegth) de l’artiste Warja Lavater, les élèves d’ULIS et de 6e SEGPA ont résumé en 8 phrases Une jument effrontée, roman que nous avons recréé à la manière de Lavater : des formes géométriques et des couleurs pour symboliser les personnages, les actions, les lieux. Cela a représenté 8 heures de travail par groupe : un groupe 6e SEGPA, 3 groupes ULIS, soit 2 heures de conception, brouillon, maquette ; 4 heures de découpage, assemblage des formes et 2 heures pour la réalisation de l’index qui permet de décoder l’histoire. Les résultats étaient très réussis et très différents d’un groupe à l’autre. Peintre suisse et illustratrice de livres pour la jeunesse, W. Lavater a fait paraître des livres dépliants qu’elle appelle « imageries ». Les illustrations reposent sur une codification des personnages, décors et actions symbolisés par des points et des formes de couleurs variées. Le choix des formes et des couleurs permet une compréhension de l’histoire tout en faisant travailler l’imaginaire des lecteurs. Les ouvrages ne comportent aucun texte, hormis la légende et le titre. Déplier un livre d’une seule bande de 4 mètres permet d’appréhender toute l’intrigue d’un seul coup d’œil, d’une manière très cinématographique avec des effets de zoom grossissant ou diminuant les éléments colorés. L’intérêt de ce type de support est transversal puisqu’il permet des applications dans des domaines variés : le langage oral, la communication, l’abstraction, le codage/décodage, la compréhension, la mémorisation, la structuration dans le temps (frise chronologique), les représentations dans l’espace, la schématisation. L’utilisation des imageries par les élèves présentant des troubles des fonctions cognitives peut aider à prendre conscience des stratégies utilisées pour traiter les informations (méta cognition). En effet, décoder, c’est d’abord percevoir les informations données par le code (forme, couleur, dessin), puis créer un lien entre les informations visuelles et son propre savoir afin de comprendre ce qui est signifié.
3 matinées d’initiation à l’équitation
Ces 3 matinées ont eu lieu le jeudi 28 mars et les mardis 2 et 9 avril 2013, à la ferme équestre du Pont de Sains. Les 6e et 5e SEGPA ainsi que les ULIS ont participé à cette initiation, tout comme les gagnants du concours lecture (23 élèves). Ce fut un moment attendu impatiemment par les élèves. Nous avons « débourré » les élèves (« débourrer » signifiant en équitation « donner le premier dressage à un poulain », Larousse) avant l’équitation avec la lecture de pages de documentaires et en suivant les explications des professeurs de la classe ULIS et de l’AVSCO qui, une chance pour nous, connaissent tout du cheval : harnachement, selle, tapis de selle, filet, sangle, mors, rênes ; la nécessité d’une chaussure avec un petit talon pour que le pied ne glisse pas au fond de l’étrier… La peau et la bouche du cheval sont très sensibles. Quand on avance, il y a un déhanchement particulier. Il faut rester décontracté et accompagner le mouvement du cheval.
À la ferme équestre du Pont de Sains, les élèves ont pu brosser les chevaux avec l’étrille, le bouchon, puis la brosse douce. Ils ont curé les sabots et ont donné du foin et des granulés, mis le licol, la longe, ont vu la graisse et le goudron pour l’entretien des sabots, la pierre à sel. À cheval, ils ont contourné des plots pour travailler le mouvement des rênes, ils se sont levés de la selle au moment de passer au-dessus des barres au sol et ont expérimenté le trot. Bien évidemment, les consignes de sécurité sont respectées et chacun a sa bombe et chaque cheval est tenu par un adulte. Ce fut un formidable moment pour les enfants, à fond dans le moment présent. Les exercices se sont faits dans le manège couvert (sable au sol, lettres qui permettent de se diriger).

Mireille Mirej au CDI

La rencontre s’est déroulée le 13 et 14 mai 2013 et l’auteure nous a présenté son dernier documentaire Le Poney tendre coquin (éd. Milan, coll. Doc à pattes), un livre animé avec des volets à soulever. Elle nous parle de l’origine de ses romans, ce qui l’a amenée à écrire et nous montre les carnets écrits à la main qui accueillent ses premiers jets.
Ce n’est pas forcément facile de se faire éditer, les auteurs reçoivent souvent des lettres de refus. Une grande maison d’édition reçoit 200 tapuscrits par jour. Mireille Mirej est aussi éditrice et sa maison d’édition s’appelle Le Pré du Plain (cf. Gros plan de ce numéro). M. Mirej explique ainsi que notre livre sera édité au Pré du Plain en mini-série pour nous, mais ne sera pas commercialisé même s’il sera publié de manière très officielle avec un numéro d’ISBN et un dépôt légal à la BNF. L’éditeur donne vie au livre, coordonne tout, il est le lien intellectuel entre l’auteur, l’illustrateur… Il choisit le papier en fonction du livre, de la collection : un papier lisse et brillant quand il y a des photos ou bouffant avec un aspect pelucheux pour donner du volume au livre tout en étant plus léger. M. Mirej évoque le rôle des libraires, des bibliothèques, la diffusion, le travail de communication (salons du livre…). Pour le secteur jeunesse, l’auteur touche souvent 3 % du prix de vente, l’illustrateur 2 %, le libraire 33 %, l’éditeur environ 15 % (c’est variable), le diffuseur environ 22 % et le distributeur environ 17 %.

Lecture à voix haute : toute une préparation !

Christine, documentaliste à Lille, est une habituée des soirées littéraires à Avesnelles. Elle a longtemps travaillé dans l’Avesnois avant de rejoindre Lille et s’est proposée pour exercer à la lecture à voix haute les élèves volontaires pour lire des textes au micro lors de la soirée littéraire.
Toutes les techniques de travail exposées ici sont le fruit d’une longue collaboration dans son établissement lillois avec Sandrine Desmazières de l’association À Livre Ouvert. Elle est, selon Christine, un maître absolu dans l’art subtil de partager des textes avec la voix et le corps. Qu’il soit rendu hommage à son grand talent ici, avant tout.
Christine expose aux élèves les principes de la respiration ventrale (en mettant une main sur le ventre) et l’importance des pauses, des silences, notamment quand on lit aux enfants, pour que les écoutants, plus jeunes, avec un cerveau moins entraîné que le leur, puissent comprendre ce qu’ils entendent. Dès les premiers essais, des émotions liées à la gêne surgissent. Il est parfois nécessaire de recadrer les élèves pour qu’ils s’écoutent mutuellement (pas de prise de parole intempestive). Il faut apprendre à se maîtriser, éviter les gestes parasites avec la chevelure, qu’il faudra attacher le jour J. Les textes courts, écrits par 3 classes sur leur expérience avec les chevaux, serviront de support à l’entraînement des lecteurs. Vu le peu de temps prévu pour cette préparation, Christine choisit au fil des échauffements les « perles émotionnelles », les meilleurs morceaux de ces petites expériences, et l’ordre dans lequel ils seront dits et par qui. Chaque lecteur ne lira pas forcément un témoignage en entier. Ils se passeront plutôt la parole comme on se passe le relais en athlétisme, en espérant que leurs voix entremêlées créent une ambiance sonore propice aux émotions et sensations relatées.
L’entraînement a lieu en salle polyvalente avec la sono. Un bloc de texte est lu à quatre. C’est un exercice de concentration : chacun doit savoir reprendre le texte au bon endroit comme le font les musiciens avec une partition de musique. Puis, il faut appréhender le mico et ne pas crier dedans, mais chuchoter ces petites histoires pour que le spectateur déroule un cinéma dans sa tête. Il faut travailler sa confiance en soi en tant que lecteur, s’ancrer dans le sol comme un arbre, prendre conscience et déployer sa respiration pour se calmer, apprendre à regarder le public en bout de phrase pour qu’il sente que c’est à lui que ces textes sont adressés.
Les élèves intègrent à force de répétitions les alternances de voix, de pauses, le travail sur le passage silencieux des deux micros entre les lecteurs : pas de gestes brusques qui entraînent des bruits parasites, préparer avant le micro, ne pas donner celui de la personne qui vient de lire pour plus de fluidité. Chacun pose ses repères sur son exemplaire du texte : les mots importants qu’il faut dire après avoir fait une pause pour qu’ils soient audibles sont encadrés ; les élèves notent des barres verticales pour les pauses courtes et des doubles barres pour les longues ; ils symbolisent par un œil le moment où il faut regarder le public dans la salle. De même, un pont renversé entre deux mots avec un/Z/ou un/T/ en dessous visualise une liaison.
Ce travail demande aux lecteurs de se surpasser dans la concentration et la coopération. Christine remarque que les gestes d’entraide se multiplient au fil du travail. Cette expérience leur permet aussi d’augmenter leur confiance en eux souvent bien mise à mal par leur parcours scolaire chaotique. Leur investissement dans un projet de lecture est émouvant. Un triangle, un djembé ponctuent les différents temps de cette mise en voix.
Cette intervention de Christine a duré une journée et demie, avant la soirée littéraire. Elle a été très formatrice pour tout le monde. Christine espère que cette expérience fera reconsidérer aux élèves leur rapport au texte et à l’écriture, qu’ils se diront qu’eux aussi, malgré leur peu de goût pour la chose scolaire, ont quelque chose à y chercher et à y trouver. Durant son bref passage, elle n’a pu s’empêcher de leur recommander des livres et de les leur faire emprunter au CDI. Espérant ainsi que son bref passage dans leur vie de collégiens puisse être un déclencheur de quelque chose de positif.

Soirée littéraire du lundi 13 mai 2013

Nous avons expérimenté une formule différente des autres années à l’invite de Mireille Mirej. Pas d’exposé sur la création littéraire mais une soirée consacrée aux enfants, héros d’un jour…
La classe de CE2-CM1 a démarré la soirée en chantant les deux premiers couplets d’une chanson joyeuse et entraînante Moi, mon cheval, ma guitare et mon chien… et terminé la soirée avec les deux derniers couplets – chanson que nous avons découverte avec M. Mirej, une alternative aux chansons belles mais tristes d’Hugues Aufray et Brassens.
Ensuite, Christine et trois élèves de 5e SEGPA et ULIS ont présenté leur travail lors d’un spectacle au micro pour valoriser les meilleurs moments des textes de chacun sur le cheval écrits pendant l’année.
Dans la continuité, M. Mirej a proposé le concept de « soirée spontanée » (qui se fait régulièrement chez elle). Elle fait passer ses livres dans la salle et propose aux enfants de choisir des extraits à lire sur scène. Deux albums écrits par Mireille Mirej (éd. Pippa) ont eu beaucoup de succès : Entrechats à Paris et Chercher la p’tite bête ainsi que Ani’mots de François Seine (Le Pré du Plain). Un enfant a dit un poème personnel, une autre a lu sa note de lecture détaillée et enthousiaste sur Clara et les poneys.
Engouement et joie des enfants. Ils ont parlé devant un public qui les a écoutés, sans que personne ne juge personne. Des parents ont été étonnés que leurs enfants aient osé parler au micro. Mireille Mirej a provoqué le déclic chez certains d’entre eux et elle rappelle qu’il y a les grands classiques mais aussi les auteurs d’aujourd’hui « qui sont comme vous ». C’est une chance et une joie de rencontrer un auteur pour les enfants, qui seront, peut-être eux aussi, auteur un jour ! Cette soirée n’a pas été celle de la rencontre de l’auteure ; M. Mirej s’est en effet effacée pour valoriser et mettre en avant les enfants, devant un public de 100 personnes, parents, enfants, enseignants, habitants d’Avesnelles. Pendant la séance de dédicace, les élèves du primaire qui ont lu les livres conseillent les plus petits en racontant un peu l’histoire de chacun !…

Changer le regard

Quand le cheval, animal noble, utilisé à l’origine pour la chasse et la guerre, inspire pendant une année des élèves… avec comme point d’orgue la réalisation de leur livre Histoires au galop. Ainsi, les enfants se surprennent eux-mêmes par ce qu’ils sont capables de faire. Ils ont changé le regard qu’ils portaient sur eux et changé aussi le regard des autres. Nous avons constaté enthousiasme et joie dans les apprentissages livresques (lecture des romans de Mireille Mirej) ou concrets (Roul’livre qui relie le cheval au livre, et l’équitation). « Le but de l’enseignement n’est pas de remplir un vase mais d’allumer un feu », nous dit Montaigne.
Mireille Mirej nous a accompagnés tout une année de son écriture humaine et sensible, joyeuse et vivante, qui réconforte le lecteur. Mireille Mirej, une sacrée trempe de femme, engagée (pour la lecture) et généreuse (elle ne compte pas son temps pour écrire, éditer, rencontrer les enfants). Une vie vouée aux écrits et leur partage. De mémoire de documentaliste, je ne connais personne qui travaille autant. Mais comme dit Confucius : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie » ! Merci aux enfants, aux enseignants, à Mireille Mirej et à tous ceux qui ont participé au projet, et ils sont nombreux !

 

« Réveillez les chouettes », les lycéens font leur cinéma

« Réveillez les chouettes » : qu’est-ce que c’est ?

À la tête de ce joli projet, Dominique Jean, présidente de l’association, a à cœur d’ancrer une manifestation culturelle ambitieuse sur un territoire fortement rural dans la communauté de communes du Cœur Cotentin, dont Valognes fait partie. Le concept : inviter un artiste, auteur, compositeur et interprète, à être parrain de la manifestation et à passer une année avec le public autour d’un projet culturel et pluridisciplinaire original, l’année se terminant par « les concerts d’été », en août, dans la commune de Sauxemesnil.

En 2012-2013, le chanteur Adelbert a initié des écoliers de CM1-CM2 de Valognes, Tammerville-Montaigu et Sauxemesnil à l’écriture de chansons ; en 2013-2014, la chanteuse Liz Cherhal a aidé ceux de Saint Joseph à monter un spectacle inspiré du livre CD Ronchonchon et Compagnie, qu’elle a co-écrit avec Alexis HK. Le spectacle a été joué sur la scène des Pieux dans le cadre du festival « Les Arts zimutés ». Enfin, en 2014-2015, pour la 3e édition, c’est au tour du lycée de Valognes d’être l’heureux partenaire du musicien suédois Peter von Poehl, des réalisateur et chef-opérateur Thomas Aufort et Fabien Drugeon, pour la réalisation d’un clip.

Enjeux culturels et pédagogiques

Les objectifs poursuivis par Réveillez les chouettes à travers le partenariat avec les lycéens rejoignent presque en tous points ceux du lycée, et s’inscrivent parfaitement dans l’axe « ouverture culturelle » du projet d’établissement, mais aussi dans l’acquisition de l’autonomie et la formation citoyenne.

Selon Dominique Jean, le projet consistera en des rencontres avec un auteur, compositeur et interprète dans le champ des musiques actuelles (Peter von Poehl) et un réalisateur de films d’animation (Thomas Aufort) pour aboutir à l’analyse d’une chanson et la réalisation d’un clip vidéo. Ce travail permettra d’aller à la rencontre d’une œuvre musicale (appréhender les différentes facettes de l’écriture d’un texte, se confronter à la contrainte du format, de l’esthétique et de l’illustration du texte par l’image) et également d’aller à la rencontre des lieux environnants, en cohérence avec l’objet culturel créé (en trouvant les décors du clip, par exemple).

La démarche de création aura pour point de départ une chanson existante de l’artiste invité, sur une thématique choisie par les élèves. À partir de ce support, les objectifs sont les suivants :

  • Adapter un texte narratif afin d’en faire une représentation imagée et sonore en utilisant les arts visuels et numériques (clip vidéo) ;
  • Réaliser une performance vidéo animée et/ou selon le type de film choisi, une performance d’acteur ;
  • Apporter un éclairage sur le travail proposé par les deux artistes en mettant les élèves en situation créative et participative ;
  • Permettre aux élèves de découvrir différentes formes d’expression (l’écriture, la vidéo, la photo, le numérique…) et les métiers du cinéma ;
  • Participer au développement de la pratique culturelle sur le territoire rural concerné par le projet.

 

J’ajouterai également que ce projet favorisera l’apprentissage ou le renforcement de l’autonomie de l’élève par la mise en situation, l’expérimentation de différents postes de travail et la responsabilisation au sein d’une équipe de tournage ; tout comme l’apprentissage de la citoyenneté par la découverte des contraintes et des implications qui sous-tendent la réalisation d’un film, aussi court soit-il : contraintes juridiques (droits à l’image, droit d’auteur) et financières, implication en termes de travail, investissement physique et affectif.

Déroulement du projet

Juin 2014

Une première présentation du projet au proviseur du lycée signe l’accord de partenariat entre le lycée Henri Cornat et l’association J’imagine Production, qui reçoit le soutien de la DRAC via l’appel à projets Jumelages, et en assume le financement.

Septembre 2014

Le projet est validé lors du CA présidé par le proviseur. L’équipe pédagogique et les parents d’élèves en prennent alors connaissance. Mme Carole Drouet, CPE, est la coordinatrice du projet pour le lycée.

Novembre 2014

Dominique Jean et Carole Drouet organisent une réunion de présentation au lycée. Une trentaine d’élèves et quelques adultes, équipe vie scolaire et documentaliste, sont présents. Initialement pressentie pour s’adresser aux élèves internes, la proposition s’élargit finalement aux élèves intéressés quel que soit leur statut. Réaliser un clip avec un artiste de renom et des professionnels du cinéma est en effet une proposition bien séduisante, même si, à ce stade, personne ne semble connaître les noms de Peter von Poehl et de Thomas Aufort. Mais apprendre que Peter von Poehl a collaboré avec, entre autres, Alain Chamfort, Dépèche Mode ou Vincent Delerm, avec l’artiste et écrivaine Marie Modiano, fille du prix nobel de littérature, que son titre The story of the impossible est repris dans le film L’Arnacœur de Pascal Chaumeil a déjà de quoi impressionner. Cela pose le caractère exceptionnel d’une telle rencontre, mais aussi le niveau d’exigence dans la constance et l’engagement que cela suppose, d’autant que tout se fera sur le temps extrascolaire – les mercredis après-midi voire les samedis matin aussi. S’inscrire est un choix qui impose de jouer le jeu jusqu’au bout.

À l’issue de la réunion, une vingtaine d’élèves s’inscrivent – quinze resteront présents et très investis jusqu’à la fin – trois AE et moi-même, professeur documentaliste.

Les séances de travail, jusqu’au tournage, auront toutes lieu le mercredi après-midi, de 14 heures à 18 heures, au CDI du lycée.

14 janvier 2015

La première rencontre avec Peter von Poehl et Thomas Aufort a lieu. C’est l’occasion pour eux de présenter leur métier – auteur, compositeur, interprète et réalisateur pour l’un, professeur de cinéma à l’université de Caen et réalisateur de clips pour l’autre – et leurs œuvres. Thomas Aufort avait déjà eu l’occasion de collaborer avec Peter von Poehl, notamment en introduisant le morceau Twelve Twenty One (extrait de l’album Big Issues Printed Small) dans l’un de ses clips.

28 janvier 2015

Le véritable travail commence en présence à nouveau des deux artistes. On découvre différents titres de Peter von Poehl : six chansons extraites de ses deuxième et troisième albums (respectivement May Day et Big Issues Printed Small) ainsi que des musiques de film (Ring Player et Side by side pour le film Ladygray d’Alain Choquart, Vanishing Waves pour le film du même nom de Kristina Buozite, Paradise pour le film Main dans la main de Valérie Donzelli). Après l’écoute de chaque chanson, chaque participant est invité à exprimer les émotions et les images que cela lui inspire : des ambiances, voire des embryons de scénarios naissent déjà. Puis Peter von Poehl raconte le contexte dans lequel la chanson est née, et ce qui l’a inspirée : une émotion, un souvenir, une autre musique. May Day, par exemple, premier titre écouté, a été écrit le 2 mai 2008 à Berlin, un jour très calme succédant à une manifestation monstre ayant laissé devant chez lui une voiture calcinée. Ce contraste saisissant l’a ramené au 1er mai en Suède, fête de la lumière qui donne également lieu à des débordements. Texte et musique lui sont alors venus en même temps, inspirés par la musique du chanteur compositeur Al Green.

Personne ne voit le temps passer. Peter von Poehl séduit par sa simplicité, sa douceur et sa générosité. À un journaliste de Ouest France, il expliquera que n’étant pas d’une famille de musiciens, c’est justement la rencontre avec un musicien dans son collège, en Suède, qui a décidé de sa vocation. Répondre présent aujourd’hui quand on lui demande la pareille lui apparaît comme une évidence.

Thomas Aufort est également très à l’écoute des idées qui émergent, bien qu’un peu en retrait. Mais dans les séances qui suivront, en l’absence de Peter retenu ailleurs, c’est bien lui qui encadrera et accompagnera les lycéens, à la fois amical, disponible, mais aussi très professionnel.

Le tout est organisé avec beaucoup de dynamisme et de bonne humeur par Dominique Jean et Carole Drouet, notre CPE. Un échange de mails se met alors en place entre les différentes personnes impliquées qu’elles centralisent et coordonnent. Échanges de plus en plus nourris au fil des semaines.

25 février 2015

Tout le monde est à nouveau réuni au CDI. Entre-temps, nous avions tous reçu les fichiers musicaux des trois albums de P. von Poehl et eu le loisir de les écouter. L’objectif premier est de choisir la chanson à illustrer dans le clip. Après quelques écoutes, le choix se porte très vite, à la quasi-unanimité, sur la chanson May Day. Puis Thomas Aufort évoque les différents postes de travail dans une équipe de tournage. Il les liste en deux catégories de compétences : techniques (image-photo, cadrage-son, script, maquillage, coiffure, costumes, intendance…) et artistiques (scénario, jeu, musique, chant), il énumère les professions qui s’y rattachent : réalisateur, 1er assistant-réalisateur (découpage, planning), 2e assistant-réalisateur (s’occupe des acteurs), chef-opérateur ou directeur de la photographie, 1er assistant chef-opérateur (cadre), 2e assistant chef-opérateur (caméra), script, régisseur, maquilleuse, coiffeuse, costumière ; et scénariste, acteur, danseur, musicien, chanteur… Est également posée la question des lieux de tournage. Amandine, élève de seconde qui se révèle être très douée pour la photo et attirée par les lieux déserts, en ruine ou à l’abandon, a apporté quelques clichés qu’elle projette au tableau. Certains, associés à la musique de P. von Poehl, accrochent déjà l’imaginaire. Chacun repart avec pour consigne de réfléchir à un scénario possible, et à des lieux proches qui pourraient servir de décor.

25 mars 2015

L’écriture du scénario commence. P. von Poehl, qui ne peut être présent, intervient via skype. En amont de l’écriture, il y a la musique de Peter et les lieux déjà repérés par Amandine, qui conditionnent le découpage du scénario en sept courtes séquences : une forêt, une maison abandonnée, un intérieur, des rails, un toit, les dunes et la mer, la forêt à nouveau et une rue. Des idées émergent, s’imposent, qui restent à développer : des personnages surpris dans leur rêverie ou leur occupation par une lumière qui les guide les uns vers les autres, les rassemble avant de disparaître et de les ramener brutalement à la réalité. Déambulations, rêverie, danse dans le sable, vélo sur des rails… des idées qui tiennent à cœur. Dans le même temps, les lycéens apprennent à concevoir et à visualiser l’histoire en termes cinématographiques : plan d’ensemble et plan rapproché, plongée et contre-plongée, travelling… Ils découvrent les différents métiers qui interviennent au cours d’un tournage, les tâches techniques et les outils. Des fiches méthodologiques, qu’ils sont amenés à utiliser, sont mises en ligne sur Pearltrees. Thomas et Dominique se chargent du repérage des lieux et des autorisations de tournage à demander aux propriétaires, communes et/ou préfecture ; aux lycéens de demander pour eux-mêmes l’autorisation parentale – une manière très concrète de se confronter au droit à l’image et au droit de propriété. Enfin, pour la séance suivante, chacun est invité à réfléchir à d’autres suggestions (chorégraphie, costumes, rue pour la scène finale) et à la fonction technique qu’il souhaite occuper, en plus d’être acteur du clip.

29 avril 2015

L’écriture du scénario est achevée et la fonction de chacun sur le tournage définie. Trois ateliers de travail sont mis en place : un groupe fait le plan de travail (planning très précis pour deux jours de tournage), un groupe s’occupe du découpage technique (écriture plan par plan du scénario) et le dernier groupe prend en charge l’esthétique du film (accessoires, costumes, maquillage…).

15 et 16 mai 2015

Enfin arrive le temps du tournage : deux jours seulement, vendredi 15 et samedi 16 mai. Tout est minuté. Il faut aussi prévoir le point presse : inviter les journalistes et, pour les lycéens volontaires, répondre en direct à une interview dans les locaux de la radio France Bleu Cotentin ou dans l’arrière-boutique d’un commerçant de Valognes pour Virgin Radio.

Quelques points noirs demeurent :

  • Nous n’avons pas obtenu l’autorisation de tournage pour la vieille maison ; le propriétaire est introuvable. Il faut donc réfléchir rapidement à un lieu de remplacement.
  • Il nous manque un lieu fonctionnel (camping-car ou petite fourgonnette) pour servir de loge où s’habiller et se maquiller.
  • La météo est incertaine.

15 mai 2015

Un minibus, financé par la MDL du lycée, est affrété. Il servira aussi de loge. Le départ est donné à 8 h 15. Le premier lieu de tournage sera, à Cherbourg, l’ancienne voie de chemin de fer. Une élève joue, les autres – quand leur fonction sur le tournage le leur permet – vont tour à tour se faire maquiller par l’élève-maquilleur. Tous ont à cœur de tenir le rôle pour lequel ils se sont engagés, sérieux sans se prendre au sérieux. Et, comme ils le feront pour chaque scène, Thomas Aufort et Fabien Drugeon multiplient les prises, en panoramique et en gros plans, en variant l’angle de prise de vue.

Cette première séquence occupera une bonne partie de la matinée. Pour la seconde – initialement toit ou balcon d’une maison en ruine – le lieu reste à trouver. Plusieurs pistes sont tentées en vain – impossible d’obtenir une autorisation ou de prendre des contacts dans l’urgence. Au milieu de l’après-midi, le découragement se fait sentir et l’attention se relâche. Notre assistante d’éducation sauve alors la situation en proposant son grenier… Coup de chance : c’est le lieu idéal pour l’ambiance recherchée. Mais le temps file et on a pris du retard par rapport à la feuille de suivi. Pour pouvoir tourner une 3e scène ce jour, il faut donc aller au plus près. Un lieu s’impose alors, non prévu au départ : le magnifique parc du lycée. Rigueur, persévérance et adaptation auront été les maîtres mots de cette journée, mais toujours dans la bonne humeur et l’enthousiasme.

Samedi 16 mai 2015

Dès 8 h 15, tout le monde se retrouve rue Pelouze, à Valognes, à deux pas de chez moi… à défaut de camionnette-loge, ma maison fera cette fois l’affaire pour permettre habillage et maquillage dans de bonnes conditions. À cette heure-là un samedi matin, la ville dort encore. Dominique a l’autorisation d’interdire la circulation dans la rue jusqu’à 10 heures, mais faute d’avoir mis le panneau la veille, un 4×4 est garé dans le champ, il va falloir faire avec – encore une façon d’apprendre combien chaque détail compte, et que tout relâchement dans la vigilance peut compromettre le bon déroulement du tournage.

Ensuite, tout se passera comme prévu – même la météo est de notre côté – une scène tournée dans la forêt de l’Hermitage, à Sauxemesnil-Rufosses, un pique-nique dans la clairière, une danse dans les dunes de Biville, et la journée touche à sa fin. Journée au cours de laquelle on aura beaucoup joué, beaucoup rit, beaucoup appris les uns des autres, on en oublie la fatigue et les rares moments de tension.

Mercredi 3 et 4 juin 2015

Tandis qu’une petite équipe de 7 lycéens va avec Fabien Drugeon tourner la dernière séquence à l’usine, les autres assistent avec Thomas Aufort au visionnage des rushs (entre deux cours, ou en en manquant le moins possible) : chaque prise de chaque scène est projetée sur écran au vidéoprojecteur, et détaillée pour ne retenir parfois qu’un geste, une expression. On note précisément la référence de la prise retenue en vue du montage

Jeudi 4 juin 2015

Séance de montage avec Thomas, qui initie les lycéens au logiciel « Adobe première pro ». Chaque vue est renommée en notant les remarques faites au moment du premier visionnage des rushs. Et pour chaque plan, on sélectionne les meilleurs moments et on coupe. Puis on raccorde les images les unes aux autres par glissement. Un vrai puzzle, voire un travail de dentellière. Parfois, l’ordinateur bugge et l’on se félicite d’avoir fait une sauvegarde juste avant. Parfois, il est difficile de trouver les bons raccords, et l’on comprend alors toute l’importance du travail du scripte sur le tournage. Les lycéens se succèdent deux par deux aux commandes du logiciel, pendant que d’autres discutent de la façon dont « Réveillez les chouettes » est suivi sur Twitter, et de l’organisation de la soirée et des concerts en août.

Début juillet

Arthur Shelton réalise les effets spéciaux.

7 août 2015

La veille de l’ouverture des concerts de « Réveillez les chouettes », une soirée est organisée à Valognes pour présenter le clip, que personne n’a encore vu, et honorer ceux qui ont permis à cette belle aventure d’exister. Un cocktail est offert à la mairie, en présence de MM les maires de Valognes et de Sauxemesnil. Puis l’on découvre avec émotion le clip sur le grand écran du cinéma Le Trianon de Valognes, partenaire de cette soirée. Peter von Poehl, après avoir félicité et remercié les lycéens, offre alors un concert intimiste et magique : juste une guitare acoustique, un harmonica, des mélodies douces et sa voix, le moment est précieux et la salle est charmée. La soirée se termine par la projection du très beau film Ladygrey, d’Alain Choquart, dont il a composé la musique.

Bilan

L’expérience aura été exceptionnelle dans tous les sens du terme : hors du commun et d’une grande richesse éducative, culturelle, et humaine. Sans doute l’une des formes les plus abouties de la pédagogie de projet. Les lycéens étaient tous très impliqués, affectivement, scolairement, socialement, parce qu’ils étaient dès le départ au centre du dispositif et mis en situation de créateurs – et non récepteurs ou spectateurs, parce qu’on leur proposait pour cela de travailler avec des artistes talentueux, modèles d’exigence et de qualité, et que, libres de participer ou pas, ils se devaient d’être à la hauteur, parce qu’enfin on leur a fait confiance.

Mine de rien, ils auront travaillé à leur orientation : les métiers du cinéma n’ont plus de secret pour eux. Ce fut pour certains la confirmation d’une vocation, pour d’autres l’envie de continuer sur le temps des loisirs. Les élèves auront pu éduquer leur regard et deviendront des spectateurs avertis. « Dorénavant, nous verrons les clips avec un autre regard », confie l’un d’eux à un journaliste. Ils auront également pris la mesure des contraintes liées aux droits à l’image et aux droits d’auteur, mais aussi du bien-fondé de ces droits, et du respect qu’on leur doit ; ils n’auraient pas apprécié que le clip se retrouve sur Internet avant la projection officielle. Ils savent maintenant que derrière toute œuvre, si modeste soit-elle, il y a beaucoup de professionnels qui travaillent, beaucoup d’argent en jeu, beaucoup de temps et d’énergie dépensés, beaucoup d’émotions aussi. Les élèves auront aussi pu développer leur sens de l’initiative et des responsabilités en allant jusqu’au bout de leur engagement ; ils auront vécu une belle histoire faite de rencontres et d’amitié, dont ils garderont le souvenir toute leur vie

Et la documentaliste dans tout cela ?

Que vient faire la professeure documentaliste dans ce projet ? Il n’est pas question ici de recherche documentaire, mais par contre beaucoup d’ouverture culturelle. Mais il est vrai que, n’étant pas à l’initiative du projet, et les intervenants ainsi que les organisatrices jouant très bien leur rôle d’encadrement des lycéens qui, par ailleurs, étaient très volontaires et autonomes, j’ai eu du mal à trouver ma place. Mais j’ai toujours été associée à chaque étape du projet. J’ ai donc choisi la position d’observatrice, m’engageant à en rendre compte, et je dois dire que j’ai moi-même beaucoup appris, humainement et professionnellement. Humainement, parce que ce genre d’expérience fait forcément changer le regard que l’on porte sur certains adolescents qui ont révélé là des talents et des qualités insoupçonnés ; professionnellement, parce que la structure est transposable sur d’autres projets culturels – que je mène déjà depuis longtemps (manifestation littéraire, rencontres avec auteur, partenariats culturels, ateliers d’écriture) – et dans lesquels je tâche de me repositionner pour laisser aux élèves une plus grande part de création. Et cela vaut aussi pour des cours plus traditionnels. Je suis également convaincue que concernant l’ouverture culturelle et l’éducation citoyenne, nous avons tout à gagner à construire – ou renforcer – un véritable partenariat avec les CPE, dont les objectifs en la matière rejoignent souvent les nôtres, sans craindre pour autant de nous voir rattachés à la vie scolaire. La confusion des rôles naît souvent de l’ignorance que l’on a du travail de l’autre.

En cette nouvelle rentrée, dans la morosité ambiante, que risque-t-on à essayer ?

La « déscolarisation »

Ivan Illich, c’est le parfum sulfureux de la remise en cause de toutes les institutions créées par la société occidentale par un esprit extraordinairement affûté et prolifique.

Né en 1926 à Vienne, sa famille doit fuir l’Autriche lors de l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en mars 1938) en raison des lois raciales. En effet, si le père du jeune Ivan est catholique, sa mère est juive. La famille se réfugie en Italie, où le père meurt. Ivan Illich suit des études et obtient un doctorat d’histoire à l’Université de Salzbourg. Il devient prêtre de l’Église catholique. En 1951, il rejoint les États-Unis, traverse l’Amérique latine et s’attache au Mexique où il fonde, dix ans plus tard, le Center for Intercultural Documentation (CIDOC) à Cuernavaca. Durant presque deux décennies, le CIDOC sera un lieu brillant de rencontres, d’échanges et de productions intellectuelles. Plus tard, internationalement reconnu, défroqué, et refusant la célébrité acquise, Ivan Illich rejoint Brême pour y mourir en 20021.
Polyglotte, il parle couramment, l’allemand, l’anglais, l’italien, l’espagnol et le français. Outre le latin et le grec, il apprend le serbo-croate, l’hindi et le portugais. C’est aussi un esprit universel ayant suivi des études scientifiques en cristallographie, en philosophie et en histoire. Il imprime sa marque dans le débat des idées imposant des termes comme : « autonomie », « convivialité », « contre-productivité » voire « déprofessionnalisation » et « désinstitutionnalisation. » Ses livres marquent de nombreux intellectuels et alimentent le débat idéologique autour de la naissance d’une prise de conscience écologique. La Convivialité2, Le Travail fantôme3, Énergie et Équité4, Némésis médicale5 et 6, Le Chômage créateur7 ouvrent pour chacun d’entre eux des pistes de pensée et de réflexion au point que, dès 1970, il est recherché pour ses conseils par de grands dirigeants politiques comme Indira Gandhi, le shah d’Iran, Pierre Trudeau, le président péruvien Juan Velasco ou encore Georges Pompidou (Président de la République française de 1969 à 1974)8. Brusquement, entre 1978 et 1980, il clôt le CIDOC et se retire plus ou moins du monde médiatique déclarant que le temps des « pamphlets9 » est terminé et qu’il préfère se consacrer à l’observation, à l’analyse critique et à ses amitiés. Jusqu’à sa mort en 2002, il mène une longue lutte idéologique pour que les personnes ne soient pas réduites à une mesure abstraite, à une courbe statistique et pour que nulle séparation ne soit introduite entre l’esprit et la chair10. Toutefois, il reste une voix écoutée et nous verrons que des auteurs peuvent être considérés comme les fils spirituels d’Ivan Illich.
Avant de passer à l’étude de l’ouvrage en question, il faut revenir très rapidement sur deux points importants de la vie d’Ivan Illich. Il est croyant, profondément chrétien et attaché au message biblique et s’en réclamait constamment, même après avoir quitté ses fonctions sacerdotales. D’ailleurs, il reconnaîtra la forte influence exercée sur son parcours et sur son œuvre par un autre intellectuel chrétien : Jacques Ellul11. Lors d’un hommage à l’intellectuel français, Ivan Illich s’exprime ainsi : « Je me suis efforcé de vous suivre dans un esprit de filiation, avec tous les faux pas que cela implique.12 »

Le contexte historique

Deschooling Society a été publié en 1971 dans la collection World Perpectives par Ruth Nanda Ashen, édition prestigieuse regroupant de grands penseurs comme Raymond Aron, René Dubos, Erich Fromm, Werner Heisengberg, Marshall McLuhan, Lewis Mumford et Denis de Rougemont. Le livre d’Ivan Illich a été immédiatement traduit aux éditions du Seuil par Gérard Durand, sous le titre Une société sans école13. À mon sens, ce titre trahit quelque peu la pensée de l’auteur, il me semble que l’intitulé « La société déscolarisée » aurait été plus approprié. Ce livre de 219 pages arrive à un moment crucial dans un monde secoué par des contestations estudiantines ébranlant la stabilité de sociétés bien établies comme la France gaulliste, les États-Unis dans le camp occidental et la Tchécoslovaquie dans le camp communiste. En 1968, la jeunesse de ces pays se révolte, cherchant le moyen de les transformer en profondeur tant aux États-Unis, englués dans une nouvelle guerre au Vietnam, qu’en Tchécoslovaquie, où le réformateur Alexandre Dubcek s’appuyant sur la jeunesse voulait construire un socialisme à visage humain. Dans notre pays, la révolte étudiante de mai 1968 et les grandes grèves ouvrières qui ont perpétué le mouvement durant un long mois ont abouti d’une part aux accords de Grenelle entre le Gouvernement et les syndicats, d’autre part à la loi Faure (du nom de son porteur, Edgar Faure) qui devait transformer l’enseignement supérieur avec la disparition du « mandarinat », accordant une certaine autonomie aux établissements universitaires et à ceux de l’enseignement secondaire et permettant aux étudiants, aux enseignants, aux parents d’élèves et aux lycéens d’être représentés avec pouvoir délibératif dans les instances dirigeantes de leurs établissements. Le système d’enseignement de l’école à l’université avait été entraîné dans la tourmente politique, mais aussi pédagogique de mai 1968. De nombreux soubresauts persisteront des années, des décennies durant. Les objectifs du système scolaire, ses méthodes pédagogiques, la formation des enseignants sont sans cesse remis en cause sous la pression des médias, d’immenses manifestations (1973, 1986, 1988 etc.) et des controverses acharnées menées autour de l’orthographe, de la laïcité ou de l’enseignement des « genres. »
Il est bien évident qu’un tel titre paru à un tel moment historique suscita bien des polémiques passionnées dans les médias et entre enseignants et pédagogues. D’ailleurs, et c’est une forme de consécration, Le Monde du 11 avril 1972 a dédié plusieurs articles aux thèses d’Ivan Illich, dont celui d’un de ses journalistes, Frédéric Gaussen, spécialiste connu de l’éducation14.

Le livre comporte une courte introduction et est divisé en sept chapitres auxquels s’ajoute un appendice.

L’introduction, certes succincte, n’en porte pas moins un message iconoclaste fort. Il explique comment lui sont venus l’idée de cet ouvrage et les liens qui le relient au CIDOC et aux discussions menées en son sein. Le passage suivant mérite notre attention tant il ferait tempêter les ministres souhaitant mettre des ordinateurs dans tous les coins et recoins des établissements scolaires, les pédagogues insistant sur l’engagement pédagogique des enseignants et la réforme méthodologique ainsi que les syndicalistes réclamant des moyens humains et matériels accrus. « En effet, il ne suffit pas de vouloir modifier l’attitude des maîtres face aux élèves, ni d’avoir recours à un matériel pédagogique, électronique ou non, sans cesse plus encombrant, ni encore de vouloir étendre la responsabilité du pédagogue jusqu’à lui permettre d’envahir la vie privée de ses “disciples”. » Pour notre auteur il faut concevoir de véritables « réseaux de communication » qui permettront de s’instruire par le partage et l’entraide.

Pourquoi il faut en finir avec l’institution scolaire

Le chapitre 1 reconnaît dans un premier temps ce que l’école apporte aux élèves d’origine modeste. Cependant, elle confond les méthodes d’acquisition du savoir et la discipline enseignée. Dès lors, elle impose son idéologie et l’idée que plus on reste à l’école, mieux on réussit dans la vie et que le diplôme devient le symbole de l’escalade sociale. Mais Ivan Illich constate que l’imagination des élèves est bridée par la soumission aux règles imposées. Elle lui apprend à accepter les autres institutions, les services sociaux, l’armée, la police. Dès lors, la confusion s’installe entre les institutions et les valeurs humaines qu’elles semblent porter. L’auteur assimile cette institutionnalisation à une pollution qui conduit à croire que les besoins non matériels sont conçus comme une demande accrue de biens de consommation. La déscolarisation consisterait à élaborer des interactions personnelles, créatrices et autonomes non soumises aux technocrates. Il faut donc concevoir les recherches en opposition à celles des planificateurs.
Même si la scolarisation d’un élève d’un quartier défavorisé coûte autant, voire plus, que celle d’un élève des « beaux quartiers », il est bien évident que cette égalité ne mène pas à l’égalité réelle. Aux États-Unis, entre 1965 et 1968, trois milliards de dollars furent alloués à la lutte contre les inégalités scolaires dont étaient victimes six millions d’enfants… sans aucune amélioration. Selon l’auteur, ce pays devrait consacrer quatre-vingts milliards de dollars pour obtenir une véritable égalité des chances à l’école. Cependant, pour les riches comme pour les pauvres, la dépendance à l’institution scolaire s’établit sur le long terme dans toutes les strates de la société. En fait, les pauvres sont de plus en plus dépendants des institutions scolaires, hospitalières et sociales. Toutefois, la croyance dans la nécessité de la scolarité obligatoire est profondément ancrée dans les populations. Or, comme le remarque l’auteur, le Président Nixon promettait que tous les jeunes bénéficieraient « du droit de savoir lire » en sortant de l’école. C’est dire que d’énormes investissements financiers et humains ne sont vraiment pas rentables.
Le langage n’a pas besoin d’être appris à l’école, il s’inscrit naturellement dans l’esprit des enfants. Les connaissances ne sont pas acquises à l’école mais par les hasards de la vie. Illich envisage la nécessité d’acquérir des connaissances de base pour pouvoir progresser par la suite. Dans ce cas, il admet jusqu’à la méthode répétitive dont il reconnaît les mérites. Il suggère que chaque personne puisse bénéficier au cours de sa vie d’un crédit éducatif avec une possibilité d’augmentation de ce crédit pour ceux qui l’utiliseraient tardivement. En effet, Ivan Illich constate que les pauvres se rendent compte assez tardivement de la nécessité d’obtenir telle ou telle formation. Il donne l’exemple de l’Église catholique de New York qui devait rapidement trouver des personnes parlant espagnol pour recevoir les Portoricains s’installant par milliers dans la ville. Par simple annonce, 48 jeunes souvent déscolarisés furent choisis et formés en une semaine. Leur mission fut une réussite. L’auteur en tire la conclusion que, bien motivés, ces jeunes en difficulté obtiennent de meilleurs résultats que des enseignants peu au fait de la langue parlée. Il en est de même pour apprendre aux autres jeunes la position des étoiles ou la fabrication d’un poste radiophonique. Ivan Illich remet en cause la présence obligatoire aux cours et s’inquiète de la confusion établie entre l’apprentissage et l’activité créatrice qui lui apparaissent comme différents et opposés. Toujours dans les suggestions, il propose d’apprendre à lire à des analphabètes à partir de mots qu’ils utilisent couramment, de créer des réseaux sociaux autour du besoin de discuter d’un article ou d’un ouvrage. L’échange de compétences et les rencontres entre égaux permettent de parler d’éducation pour tous et empêchent un enrôlement institutionnel. Les hommes ne doivent plus s’abriter derrière les diplômes pour élever la voix et apporter leurs propres réponses. A contrario, les acteurs de l’école considèrent que seule cette dernière possède la capacité de former, d’éduquer en s’isolant du monde réel avec, en contrepartie, l’idée fondamentale que ce monde réel, instable, mauvais ne peut générer de véritables actions éducatives.

La phénoménologie de l’école

Le deuxième chapitre revient dans un premier temps sur les rôles de l’école, qui est la gardienne des enfants, qui sélectionne, endoctrine et instruit. L’auteur considère l’école comme un lieu où l’on rassemble de jeunes êtres humains soumis à une présence obligatoire et à la nécessité de suivre des programmes. L’auteur revient ensuite sur la naissance de « l’enfance » dans la bourgeoisie européenne du XVIIIe siècle. Auparavant, cette distinction entre l’adulte et l’enfant n’existait pas. Or, l’âge industriel a permis au système scolaire de former industriellement des jeunes qui n’apprécient pas d’être traités en enfants, c’est-à-dire d’être préservés des soucis de l’âge adulte. De plus, il se pose la question de savoir pourquoi il faut favoriser un âge pour apprendre, alors que durant l’âge adulte la nécessité d’apprendre reste vive. Il considère que le maître est à la fois un gardien, un prédicateur et un thérapeute s’appuyant sur l’autorité dévolue, il se substitue aux parents, à l’État et à Dieu. L’auteur en conclut que les libertés individuelles des enfants ne sont pas garanties.

Le rite du progrès

La progression vers le haut au sein du système scolaire est échelonnée. Il faut montrer ses lettres de créance et accepter l’ordre établi. La réussite des étudiants aux examens définit un niveau de consommation. L’autonomie n’existe pas au sein de l’Université et la rencontre fortuite ainsi que la recherche sans plan établi à l’avance a disparu au profit de la norme terne et interdisant le débat.
Ivan Illich montre cependant qu’en son sein, l’université donne naissance à la contestation et à des contre-sociétés rejetant l’enseignement normalisé, l’autorité de l’État et la pollution engendrée par nos modes de production et la consommation effrénée érigée en vertu. Ultérieurement, Ivan Illich compare le gigantisme des universités modernes à celui des HLM qui restent à ses yeux des taudis. Un paragraphe intitulé « Le mythe des valeurs institutionnalisées » revient sur la présence obligatoire et l’idée que plus le jeune passe du temps à l’école, puis il aura appris. À son sens, on apprend en réalité sans contrainte. La séparation du savoir en matières distinctes et les mesures étalonnées par le système scolaire grâce aux programmes créés par des scientifiques et des ingénieurs, qui attendent les réactions des enseignants et des élèves pour introduire des correctifs et produire de la sorte de nouveaux programmes qui devront à leur tour être évalués, génère la fabrique d’une chaîne sans fin en perpétuel renouvellement. L’école, en tant qu’institution, se maintient tout au long de la vie des personnes adultes par les cours de rattrapage et la formation permanente destinée aux adultes.
L’école devient une religion universelle avec ses rites, ses serviteurs, ses convertis. Elle est aussi un nouveau système d’aliénation. Ivan Illich calcule que les États-Unis cumulent, en 1970, 62 millions d’écoliers, d’élèves et d’étudiants contre 82 millions de personnes actives. « Les jeunes sont aliénés par l’école, qui les tient à l’écart du monde, tandis qu’ils jouent à être à la fois les producteurs et les consommateurs de leur propre savoir défini comme une marchandise sur le marché de l’école. » L’école aliène car elle sépare l’éducation de la réalité et le travail de la créativité. Pour Illich, il est vain de vouloir réformer l’institution scolaire.

Analyse spectrale des institutions

Dans le quatrième chapitre, Ivan Illich propose une classification des institutions, des plus aliénantes aux plus libératrices. Il constate que certaines présentent un véritable miroir déformant et dégradant comme les asiles pour vieillards (maisons de retraite d’aujourd’hui) et les hôpitaux psychiatriques, où les pensionnaires n’y sont pas de gaieté de cœur. D’autres institutions sont au contraire libératrices comme les services postaux ou les transports publics. L’institution scolaire n’est pas un service public, car elle conduit à la disparition de l’initiative personnelle et à la passivité. L’homme post-industriel devra choisir entre fabriquer et agir, entre la consommation effrénée et mortelle et la production durable, terme utilisé déjà en 1971 ! Selon Ivan Illich, l’homme doit construire des systèmes institutionnels où il s’éduquera de lui-même à l’action et à la participation.

Une logique absurde

Le cinquième chapitre critique les réformateurs du système scolaire en crise qui promettent de venir à bout d’une jeunesse rétive tout en maintenant l’école obligatoire et la référence à l’idéologie de la croissance économique.

Les réseaux du savoir

Ce chapitre est étonnamment moderne. Ivan Illich constate que l’on apprend mieux, plus rapidement dans la vie réelle qu’à l’école. L’école initie le citoyen à un mythe, celui de l’efficacité bienveillante des experts et de la bureaucratie s’appuyant sur un savoir scientifique. Cette idéologie se retrouve dans tous les pays capitalistes ou socialistes (Chine, Vietnam), riches ou pauvres.
La nouvelle éducation devrait permettre d’apprendre à tout moment et à tout âge de la vie. Lorsqu’un homme désire partager son savoir, il devrait pouvoir le faire sans problème. Cette méthode permettrait de supprimer des bâtiments scolaires et de limiter, voire de révoquer, le corps démesuré des enseignants. Les réseaux de partage du savoir pourraient utiliser les moyens de communication. Quatre services sont envisagés :
• la mise à la disposition du public des objets éducatifs ;
• la mise en place d’un service d’échange des connaissances ;
• la création d’un organisme facilitant les rencontres entre pairs par la création de réseau de communication ;
• l’organisation d’un service de référence des éducateurs choisis ou élus par consultations de leurs anciens élèves.

L’homme épiméthéen

Le septième et dernier chapitre revisite les mythes de Pandore, de Prométhée et d’Épiméthée (l’époux de la première et le frère du second). Ivan Illich, après une longue critique de la société de production et de consommation, mettant en jeu la survie de la planète, explique que l’institution scolaire est devenue l’agence de publicité de la société dont l’éthos de l’insatiabilité se retrouve au fondement de la destruction du bien commun qu’est notre Terre.
L’appendice reprend les thèmes développés au long du livre et propose de choisir une pauvreté librement consentie ainsi qu’une culture déscolarisée faisant prévaloir une approche éthique et spirituelle aux dépens de la consommation matérielle.

Dans notre pays, autant dire que, en dehors d’un succès immédiat et retentissant, la remise en cause systémique de « l’institution scolaire » par Ivan Illich a été quelque peu oubliée. Cette amnésie est bien compréhensible si l’on songe à l’aura de l’école républicaine et à la reconnaissance que lui portent les enseignants et autres cadres issus de milieux modestes15. Mais, en affirmant que cette institution n’était plus réformable, Illich s’était aussi coupé des promoteurs d’une vigoureuse réforme pédagogique et didactique. La phrase suivante explique la violence du rejet, puis la réserve et enfin l’amnésie : « L’école est devenue la religion mondiale d’un prolétariat modernisé et elle offre ses vaines promesses de salut aux pauvres de l’ère technologique. »
Et pourtant, les critiques de notre auteur ne sont pas dénuées de fondements, d’observations pertinentes et d’une cohérence idéologique profonde. Aujourd’hui, nous voyons bien les limites de notre système incapable d’endiguer l’échec scolaire, impuissant à juguler les inégalités d’accès au savoir, inapte à combattre la dérive d’une économie souterraine de la drogue et désarmé face à l’islam fondamentaliste et au nihilisme djihadiste d’une partie, certes minoritaire, mais combien agissante de jeunes désorientés dans nos banlieues sensibles à l’abandon.
L’héritage spirituel d’Ivan Illich est également à souligner ; je pense notamment à deux intellectuels français et un américain. Boris Cyrulnik émet, dans son ouvrage Mémoire de singe et parole d’homme16, l’hypothèse d’un l’échec scolaire massif par l’oubli des sens, du toucher et de la création manuelle ainsi que par la séparation d’avec les modèles adultes proches (père, oncles etc.) reprenant ainsi l’idée d’Illich refusant la séparation du corps et de l’esprit ainsi que le cantonnement des jeunes dans l’espace clos de l’école. Lucien Sfez suit les sentiers défrichés par Jacques Ellul et Ivan Illich lorsqu’il critique l’aveuglement de notre société face « au tautisme17 » qui enferme l’homme dans une fuite technologique éperdue Technique et idéologie, un enjeu de pouvoir18 et la recherche d’Une santé parfaite. Critique d’une nouvelle idéologie19 dont le thème rejoint largement celui de « Némésis médicale. » Jérémy Rifkin, avec La Fin du travail20, L’Âge de l’accès21 et La Nouvelle Société au coût marginal zéro22 reprend et met en valeur les notions « d’autonomie » et de « réseau » qu’Ivan Illich a promues comme l’avenir d’une humanité assagie et responsable. Toutefois, si Illich n’a pas pensé à la « marchandisation » forcenée de ces réseaux et à la rétention ainsi qu’à la diffusion des données personnelles déposées imprudemment sur la Toile, il n’en reste pas moins un grand visionnaire, un architecte de l’avenir anticipant, dans cet ouvrage fondamental, le besoin d’autonomie des enfants comme des adultes, la naissance des « réseaux électroniques de partage des savoirs » et l’impasse productiviste, techniciste et polluante dans laquelle l’humanité s’est engagée.

 

Les adolescents et la recherche d’information

Pour Anne Cordier, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rouen après avoir exercé comme professeur documentaliste, une des responsabilités du chercheur est de « toujours faire un retour à ce terrain, (de) consacrer du temps aux acteurs investigués pour que la recherche prenne sens avant tout pour eux et que le fait d’avoir accueilli un chercheur ne laisse pas, lors de son départ, un amer sentiment de pillage » 1. Avec Grandir connectés. Les adolescents et la recherche de l’information, elle met en œuvre le principe énoncé, et nous propose les résultats de sa recherche sur le terrain, résultats tirés, en partie, et en partie seulement, de sa thèse de doctorat2.
L’analyse fine de l’accès et de la relation des adolescents à la recherche d’information est fondée sur l’observation et le suivi de collégiens et de lycéens, d’abord de trois établissements lillois (une demi-journée par semaine), puis des élèves d’une classe de Première (2012-2013) et de Terminale (2013-2014) sur la base d’entretiens et d’observations de pratiques. Rendre compte de l’observation des pratiques réelles (et non fantasmées par les adultes…) en matière de recherche de l’information est en effet l’objectif majeur de ce livre. Il faut ainsi sortir d’une vision dichotomique, ne pas porter un regard évaluatif ou légitimant, prendre en compte enfin des pratiques non formelles (formule préférée par Anne Cordier à « pratiques informelles ») de recherche sur Internet et mettre en lumière des « circulations de compétences et de savoirs » (p. 85), et pour ce faire « donner à voir et à s’exprimer « ces pratiques informationnelles. L’ouvrage est divisé en quatre grands chapitres et une conclusion ouverte sur la pratique (De l’analyse à l’action).

Une chercheuse, des adolescents et des pratiques informationnelles

Ce premier chapitre nous expose la méthodologie de cette recherche. Il s’agit pour l’auteur de procéder à une recherche de type qualificatif. Très peu donc, pour ne pas dire pas du tout, d’études de type statistique, de « camemberts », de pourcentages de qui fait quoi, quand etc. La recherche se base essentiellement sur l’observation et l’entretien d’élèves de 11 à 17 ans. Cette approche pourrait conduire à un regard subjectif, à la recherche de justification de présupposés. Anne Cordier expose donc ses outils d’investigation pour éviter ces écueils, sans cacher toutefois son empathie pour le public étudié. Empathie présente, et c’est bien compréhensible, tout au long de l’ouvrage. Analyse qualitative donc, fondée sur des entretiens privilégiant les questions ouvertes, et une attitude d’attention extrême (interprétation des ruptures dans le discours, des silences…). Tout l’ouvrage repose sur le principe d’intercompréhension humaine : « tout homme peut accéder au ressenti et au vécu d’un autre homme ».
Pour Anne Cordier, la génération des 11-17 ans est évidemment multimédia. Le livre documentaire possède beaucoup de qualités aux yeux de certains collégiens et lycéens ; cependant, Internet est prédominant pour les trois quarts des élèves dans l’accès à l’information. Et comme le laisse entendre clairement le titre, c’est de l’accès à l’information grâce à Internet qu’il va être question.

Vérités et contre-vérités sur les pratiques informationnelles des adolescents

Dans la deuxième partie de son livre, l’auteure met en cause la notion, oh combien médiatique, de « digital native ». Le chapitre s’ouvre sur un dialogue savoureux avec l’élève Anastasia (17 ans), mettant en cause la perception qu’on a des pratiques des jeunes : génération branchée, tous à fond Internet, pirater des sites… Et c’est là un des intérêts de cet ouvrage : ces dialogues rapportés tels quels, où le chercheur pose les bonnes questions (ouvertes, bien entendu) et où l’élève s’exprime simplement et spontanément, avec tous les tics du langage oral. On s’y croirait…
La notion de « digital native » a été introduite en 2001 par Marc Prensky, consultant américain en TICE pour désigner cette jeunesse qui n’a pas connu le monde sans Internet et serait donc différente des autres générations. Propos qui « a fait mouche d’emblée et a permis de justifier (…) de prendre les adolescents pour cibles marchandes, au nom d’une rupture générationnelle ». Cette thèse est battue en brèche par de nombreux chercheurs… Louise Merzeau va jusqu’à parler de « dernière imposture en date ». Suit un passage un peu inattendu, mais tout à fait savoureux, dans lequel Anne Cordier met en cause la recherche de la « formule efficace » par des chercheurs comme Pascal Lardellier ou Michel Serres (p. 100, 103). Confusion entre information et savoir, portrait univoque d’adolescent quasiment « mutant », ces idées à la mode sont ici déconstruites par l’auteur.

Internet dans l’environnement informationnel et social des adolescents

Dans le chapitre III, l’auteure observe précisément ce qui favorise la familiarité de ces adolescents à Internet. D’abord, bien sûr, l’environnement familial. Car selon le CREDOC, en 2012, 98 % des 12-17 ans disposaient à domicile d’un accès à Internet. Avec des formes disparates, certes (poste dans le salon, la chambre, accès libre ou surveillé…), mais le fait est là : Internet est à la maison. Et, avec l’accès, une première « formation » technique faite logiquement par la grande sœur, le cousin, les parents (c’est la figure de la mère qui est surtout présente ici, d’ailleurs).
Par rapport à ce premier apprentissage familial « empreint de sérénité et de plaisir », l’accès à la recherche en ligne dans le milieu scolaire paraît à ces adolescents moins attirant, manquant de « personnalisation », voire de « confort à la fois physique et temporel » : dans la recherche d’information, on manque de temps pour chercher à comprendre…

Imaginaires et pratiques d’information des adolescents sur internet

Dans le dernier chapitre, Anne Cordier étudie pour nous comment ces adolescents surfent, naviguent, toutes métaphores maritimes, sur la Toile : « On a un truc à chercher, ben on va sur Internet… c’est naturel » déclare Claire (16 ans) de but en blanc. Car si un tiers de nos ados préfèrent commencer une recherche par le support papier, la grande majorité utilise d’abord Internet (sans exclusive, les recherches sont très souvent multimédia). Mais l’environnement matériel de type, disons « classique », attire ces ados : nombreux sont ceux qui distinguent les CDI d’autres lieux de vie par « la présence d’un fonds documentaire imprimé qu’ils n’ont pas en leur possession ».
Internet est donc plébiscité dans un premier temps par une majorité d’élèves et avec lui, sans surprise, le moteur de recherche le plus populaire, « C’est le plus simple, c’est le meilleur », disent nos élèves à propos de Google, sans avoir essayé autre chose bien souvent. Et comme Google « dit » d’aller sur Wikipédia, cette encyclopédie est aussi plébiscitée… Les élèves ont là une aisance manipulatoire qui ne va pas souvent de pair avec la connaissance des outils qu’ils manipulent.
Tout au long de ce chapitre apparaît le goût des élèves pour un lieu d’information (le CDI, donc) et aussi de curiosité et de vie : les ados sont « très attachés à ce lieu au carrefour d’apprentissages formels et non formels, espace d’expression de leurs pratiques ordinaires, et de compréhension plus fine de l’information et de son traitement. » (p. 261)

De l’analyse à l’action

Enfin, la conclusion de ce livre donne quelques pistes de réflexion, pas d’actions concrètes car ce n’est pas le but de l’ouvrage, mais des réflexions qui pourraient (devraient ?) guider notre action. Car l’accès à l’information ne suffit pas : « la donnée n’est pas l’info et encore moins le savoir ». (p. 269)
C’est donc le développement d’une culture de l’info que prône Anne Cordier. La responsabilité est certes collective, mais place bien sûr le professeur documentaliste en première ligne, en spécialiste, et sans aucune mainmise. Le prof de Français enseigne une matière qui par ailleurs est l’affaire de tous, il doit en être de même pour le professeur documentaliste et l’éducation à l’information et aux médias.
À nous d’entendre le dernier propos du livre, par la bouche de Morgan, 17 ans : « On a besoin de vous ! ».