Une autre image de la justice

Filmer les procès, un enjeu social
Exposition audiovisuelle des Archives historiques de la Justice, de Nuremberg au Rwanda
Paris – Pierrefitte-sur-Seine, 15 octobre 2020 – 14 mai 2021

Ces archives sont pour l’histoire mais également pour chaque citoyen. En effet, notre connaissance de la justice s’arrête souvent aux marches du palais devant les avocats qui parlent, à l’iconographie judiciaire qui existe depuis très longtemps, aux comptes rendus des médias, elle se limite à ses commentaires. Il s’agit donc de montrer une autre image des procès. L’exposition donne au public l’occasion de voir, souvent pour la première fois, des extraits de ce qui se passe à l’intérieur du tribunal pour tenter de se faire sa propre idée de la justice en confrontant les sources médiatiques, cinématographiques et archivistiques. Le but est de mettre à disposition de tous les publics ces captations de procès pour que chacun puisse s’en saisir car elles sont les garantes de nos valeurs citoyennes et de la construction de notre nation. Voici quelques-unes des intentions de cette exposition qui devraient nous inciter à emmener les élèves découvrir ces images rares de la justice.

Les Archives nationales sont réparties sur deux lieux : Paris et Pierrefitte-sur-Seine. Pour quelle raison ?

Les Archives nationales sont une création de la Révolution Française. Napoléon premier en installe le siège rue des Francs-Bourgeois à Paris au sein de l’hôtel de Soubise.
À partir des années 1980, les archives sont réparties sur deux sites : à Paris sont conservées les archives jusqu’à la Cinquième République, à Fontainebleau les archives plus récentes.
Dès les années 2000, un constat d’’exiguïté et d’inadéquation des locaux est fait. Les archives de Fontainebleau et une partie de celles de Paris sont ainsi transférées à Pierrefitte-sur-Seine en 2012 sur un troisième site qui est alors inauguré. Une répartition des fonds et une réorganisation des services sont effectuées.
De nos jours, le site de Paris conserve les archives de l’Ancien Régime et les minutes des notaires parisiens. Le site de Pierrefitte conserve les fonds depuis la Révolution française jusqu’à aujourd’hui ainsi que les fonds d’archives privées : dons, dépôts d’acteurs de la vie politique ou culturelle (Fontainebleau ayant fermé au public définitivement en 2017 entraînant le transfert des archives sur le site de Pierrefitte-sur-Seine).

Quelles sont les modalités de consultation des archives ?

De façon générale, la consultation des archives est régie par le Code du patrimoine – livre II, lequel précise les modalités de consultation en fonction des typologies de documents ou de la nature de ces documents. Le principe du libre accès est posé mais il y a un certain nombre de restrictions. Cependant, de nombreux documents sont numérisés et consultables directement sur le site des Archives nationales sans nécessité de créer un compte lecteur. La consultation sur place est gratuite, ouverte à tous à condition de s’inscrire auparavant.

Qu’en est-il de l’accès aux archives audiovisuelles des procès ?

Le régime est un peu particulier et constitue une exception au sein du Code du patrimoine par rapport au régime général des archives. En effet, le livre II de ce Code est constitué de deux parties : le régime général des archives est décrit dans le titre 1, le titre 2, quant à lui, concerne uniquement les archives audiovisuelles de la justice.
Dans ce cas précis, Il importe de bien distinguer la consultation (visionnage simple) de l’usage (réutilisation).
La consultation est possible uniquement à des fins de recherches historiques et scientifiques, dès la fin du procès et dès lors que toutes les voies de recours sont épuisées.
Par contre, pour la réutilisation ( publication, diffusion, présentation publique), il y a une restriction de 50 ans à la date de la fin du procès qui peut être individuellement levée en rédigeant un rapport qui décrit le projet de réutilisation et en présentant une demande sur requête auprès du président du Tribunal judiciaire de Paris. C’est une procédure complexe et longue qui ne peut être faite que par un avocat mais la plupart des requêtes ont abouti à une réponse positive.
Jusqu’à présent, les procès les plus demandés concernent la Seconde Guerre mondiale et le procès des quatorze militaires accusés d’avoir fait disparaître quatre Franco-Chilien durant la dictature chilienne1.

© Archives Nationales, BB/30/AV, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Maurice Papon (1997-1998)

Pourquoi une telle contrainte ?

Il s’agit d’assurer la protection des intérêts individuels – intimité, vie privée – des personnes, témoins, parties civiles y compris les accusés. Il faut également protéger le cours de la justice : lui permettre de se dérouler dans le cadre d’une parole libre. Ainsi, les procès aux Assises reposent uniquement sur l’oralité des débats, rien n’est écrit : rien ne doit empêcher la parole des différents acteurs du procès. Enfin, des questions de sûreté de l’État peuvent expliquer l’inaccessibilité de certaines archives.

L’exposition est divisée en deux parties, l’une à Paris, l’autre à Pierrefitte ? Pouvez-vous préciser ce qui est visible sur chaque site ?

À Paris sont présentés deux montages thématiques explicatifs, à savoir la constitution des archives qui donne à voir autant l’acte judiciaire que l’affaire en elle-même. Les montages saisissent ce qu’il y a de particulier dans le déroulement d’un procès, ses acteurs, des informations sur l’évolution des techniques de captation des procès et ce que cette évolution montre de différent ou de similaire.
À cela, s’ajoute une programmation de projections de documentaires réalisés soit à partir des archives des procès, soit pour illustrer un propos particulier. On peut citer Eichmann, un procès d’Annette Wieviorka, Le Procès Pinochet de Sarah Pick et Fabien Lacoudre. L’objectif est de montrer l’usage que l’on peut faire de ces procès et de confronter le visiteur à sa propre perception d’un procès et comment cette réalité est retravaillée et peut être restituée différemment par un réalisateur.

À Pierrefitte sont présentés six extraits de procès conservés aux Archives nationales d’une durée d’environ 20/30 minutes ainsi que les deux premiers procès historiques qui n’ont pas été filmés en France (Eichmann à Jérusalem en 1961 et le procès des dignitaires nazis à Nuremberg en 1946). Concernant les procès Eichmann et Nuremberg, l’intérêt réside dans le fait qu’ils ont été tournés sans aucun encadrement législatif, avec une grande liberté de réalisation alors que la France n’autorise le filmage des procès qu’à partir de la loi du 11 juillet 19852, initiée par Robert Badinter alors garde des sceaux et ministre de la Justice, mais avec une réglementation très précise, laissant peu de marge de manœuvre au réalisateur.

Malgré la stricte réglementation française de la captation des procès, les réalisateurs disposent-ils d’une marge de mise en scène ?

Non, le filmage est totalement contraint par l’encadrement qui se trouve dans le Code du patrimoine même. Plusieurs caméras fixes sont placées dans le tribunal : chaque caméra filme en continu un plan fixe et unique. Il s’agit de suivre la parole, on ne filme que la personne qui parle, ce qui signifie qu’on ne voit pas les réactions des jurés, des avocats, du public ou encore du président du tribunal. La caméra doit être fixe de telle sorte que sa présence ne nuise pas au déroulement de la justice. Le mixage est fait en direct par un opérateur en régie, il n’y a pas de montage, les rushs ne sont pas conservés. L’enregistrement est mis sous scellé chaque soir avant son versement final aux Archives nationales. Cette réglementation très stricte visait, dans l’esprit de la loi, à rendre la captation la plus objective possible.

© Archives Nationales, 20180562, Archives audiovisuelles de la Justice, procès appel Ngenzi-Barahira (2018)

Mais filmer de cette manière, est-ce vraiment objectif ?

Jusqu’en 2017, ces archives intéressaient principalement les réalisateurs, lesquels ne faisaient aucun retour sur la manière de filmer les procès. À partir de 2017, les chercheurs, historiens, sociologues, entre autres, se penchent sur ces captations et commencent à émettre un discours critique sur ces archives dont ils reconnaissent la grande richesse tout en constatant également que le mode de filmage reflète la seule vision que la justice a sur elle-même. Ils notent que cette façon de filmer élude le contexte du procès et empêche de voir toute réaction des différents acteurs. Ils alertent alors les services des Archives nationales et proposent, sans sortir du cadre réglementaire, d’introduire un peu plus de liberté dans la réalisation : utiliser le champ-contrechamp, jouer sur des plans différents pour introduire le contexte.
Dès lors, des discussions s’engagent avec le ministère de la Justice. Durant le filmage du procès en appel pour crime de génocide des Tutsi au Rwanda3, de légers changements ont été permis lors de la captation en raison de la grande capacité d’écoute de la présidente du tribunal mais les modifications sont quasi imperceptibles. Néanmoins, cela a permis d’enclencher le débat avec le ministère de la Justice et de pouvoir en discuter avec le président d’audience, lequel décide en dernier ressort de ce qui sera filmé ou pas.

Et pour le procès des attentats terroristes de janvier 2015 ?

Pour ce procès, le mode de filmage a réellement évolué. Le réalisateur a désormais un peu plus de liberté : il peut réaliser des champs-contrechamps, chacune des cinq caméras de la salle d’audience peut tourner trois types de plans (serré, moyen, large), ce qui représente quinze plans simultanément qui sont mixés en direct. Le procès a lieu dans la plus grande salle du palais de justice et est retransmis dans trois autres salles du palais où se répartissent, en fonction de l’affluence, les avocats de la partie civile et les journalistes, ainsi que dans l’auditorium qui permet de voir les archives audiovisuelles de la justice en train d’être constituées. Sans que la captation soit trop mobile, on passe d’un film très linéaire – une juxtaposition d’images – à un vrai choix possible pour les opérateurs. Par contre, toujours pas de montage ou de rush et mise sous scellé chaque soir de l’enregistrement.

“Filmer ces procès est en effet un acte qui renforce la transparence des débats”, filmer ne peut-il également perturber la transparence des débats ou encore générer des attitudes et comportements brouillant la transparence ?

Les caméras sont placées de telle sorte qu’on ne les voit pas et que l’on n’y prête pas attention. Les acteurs du procès sont informés de l’enregistrement. La présence de la caméra a peu d’influence sur les comportements car les enjeux dépassent leur présence.

À partir de 1985, comment, pourquoi et par qui sont choisis les procès qui seront filmés ?

Plusieurs personnes peuvent demander l’enregistrement du procès : la cour, le ministère public (procureurs et avocats généraux), les parties civiles. Le président de la cour d’appel de Paris prend la décision de l’enregistrement.
Concernant les crimes contre l’humanité et le terrorisme, si le ministère public formule une demande en ce sens, le procès est de droit filmé. Dans tous les cas, la défense et les accusés ne peuvent s’y opposer.
Par contre, les témoins, dans le cadre de la protection des personnes, peuvent obtenir des aménagements, par exemple, apparaître derrière une persienne avec une voix déformée4.

© Archives Nationales, BB/30/AV, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Paul Touvier (1994)

Et si les accusés ne sont pas condamnés ?

À la différence de tous les autres procès filmés dont l’issue laissait peu de place au doute quant à la condamnation des accusés, le procès des attentats de 2015 est un peu particulier car les onze personnes qui comparaissent ne sont pas celles qui ont exécuté les actes de terrorisme mais leurs complices, à des niveaux différents de complicité. Dix sont répartis dans deux box en verre, le onzième est sur un strapontin, assis devant les avocats de la défense car il est en liberté surveillée. Dans ce cas, on voit bien qu’on ne connaît pas l’issue du procès.

Comment choisit-on ce qu’on va filmer ?

À l’origine, Robert Badinter souhaitait filmer tout type de procès, aussi bien la justice administrative que les instances juridiques. Aucune hiérarchie n’était envisagée dans les types de cours ou d’affaires.
Il s’agissait d’être représentatif de ce qu’est la justice ordinaire, de rendre compte pour l’histoire de ce qu’est le travail de la justice et non pas constituer des archives sur des procès historiques.
Or, en 1982, Klaus Barbie est arrêté en France, ce qui fait que le premier procès filmé a été un procès hors norme : il a lieu dans la cour d’assise du Rhône avec un retentissement considérable. Cela a peut-être eu une influence sur les choix futurs centrés sur des procès à caractère exceptionnel mais ce n’était pas du tout le choix de départ. Il n’était pas question de faire Nuremberg et Eichmann et finalement on a fait que Nuremberg et Eichmann car les procès retenus par la suite sont tous des procès exceptionnels : les trois procès de la Seconde Guerre mondiale, le scandale sanitaire du sang contaminé, le scandale industriel AZF, le Rwanda, le terrorisme.

Comment sont conservés les films ?

Les premiers procès (Barbie, Touvier, Papon) étaient conservés au format analogique. Depuis ils ont été numérisés.
Les autres procès sont enregistrés sur support numérique et stockés sur serveurs dans des Datacenters de l’État et sur des supports froids : les bandes magnétiques LTO en plusieurs exemplaires sur des sites distants.

L’exposition ne présente que des extraits de ces films, ce qui paraît cohérent au regard du public visé, soit tout public. Pourquoi ne pas offrir un accès à la totalité de chaque film dans un salle dédiée pour ceux qui le souhaiteraient ?

Les bandes sont extrêmement longues. Le plus petit procès “Faurisson attaque Badinter“ dure 26 h 30, le plus long, la première instance d’AZF : 400 h.
Le procès de la dictature chilienne est visionnable en totalité dans cette exposition. Il est présenté en entier mais découpé en six parties pour les six jours d’ouverture de la semaine, il dure 47 h 30. On a choisi de le montrer in extenso pour donner à voir ce qui se passe sur toute la durée, que les visiteurs puissent voir par eux-mêmes et se rendent compte par eux-mêmes que parfois il ne se passe pas grand-chose, montrer que dans un procès on s’ennuie, qu’il y a des aspects de procédure et non pas uniquement du sensationnel. Il s’agit aussi de mettre en avant un procès très particulier car aucun des quatorze accusés chiliens n’était présents, ni ne s’est fait représenter par un avocat. C’est un procès avec la cour, le parquet, les traducteurs, les témoins, les experts. C’est un procès qui donne toute la place aux témoins et à leur parole. C’est également une façon de souligner cette justice en absence, particulière, mais qui existe aussi.

© Archives Nationales, 9AV, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Klaus Barbie (1987)

Comment avez-vous choisi les extraits diffusés dans l’exposition ?

On voulait s’inscrire dans la continuité par rapport à Nuremberg ou Eichmann, on est resté dans l’esprit de procès de crimes contre l’humanité ou de génocides. Le seul procès qui n’est pas dans cette catégorie c’est le procès chilien qui invoque la compétence universelle de la France.

Dans le cadre de cette exposition, quelles actions spécifiques proposez-vous aux professeurs documentalistes mais aussi aux professeurs d’histoire géographie et aux autres professeurs pour développer l’éducation des élèves aux médias et à l’information ?

Nous proposons un atelier de deux heures qui débute par une réflexion avec les élèves à partir d’extraits des films qui sont montés spécialement pour l’occasion : où sont les caméras, que filment-elles, pourquoi, quelle est la logique du filmage ? Quelle est la spécificité des archives historiques, pourquoi filme-t-on de cette façon ? Il faut donc commencer par regarder. L’accent est mis sur la diversité des procès et la spécificité de chacun d’eux, ceci afin d’éviter les raccourcis, et de susciter la critique et les questions des élèves.
L’atelier permet de comparer les images et la manière de filmer des différents procès : ceux qui sont conservés aux Archives nationales soumis aux contraintes de la loi Badinter de 1985, traduite dans le code du patrimoine français, et ceux de Nuremberg et d’Eichmann.
Il vise à rendre les élèves attentifs à la représentation des différents acteurs de la justice, de ses rituels en fonction des époques, à partir d’extraits des montages présentés sur le site de Paris réalisés à cet effet (ex : l’entrée de la cour dans le tribunal, la presse dans le prétoire à différentes périodes).
Les questions de l’objectivité des images, du point de vue, de la mémoire sont également abordées.
Avec les Terminales, nous souhaitons engager le débat sur la manière dont un État peut choisir de se reconstruire après un conflit majeur.
Enfin, nous proposons de mettre les images en perspective avec d’autres documents d’archives contemporains (PV des audiences au tribunal, extraits de presse…), pour susciter la réflexion critique des élèves sur les sources utilisées.
Nous proposons d’analyser des comptes rendus des procès par la presse, les choix effectués : à titre d’exemple, dans le 20 minutes du 10 septembre, un compte rendu du témoignage du webmestre de Charlie Hebdo, Simon Fieschi, lors de la séance du 9 septembre, dans lequel il explique qu’il n’a plus de sensibilité et qu’il a des douleurs terribles, qu’il ne peut plus faire un doigt d’honneur. La journaliste, Caroline Politi, a choisi de mettre en exergue cette ultime phrase5 à la différence de Sophie Parmentier de France Inter qui rédige également un compte rendu beaucoup plus mesuré de la séance6.
À l’issue de l’atelier les élèves choisissent le film qu’ils souhaitent voir en salle d’exposition.

© Archives Nationales, 20140261, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Simbikangwa (2014)

Le nouveau bac instaure un grand oral, comment abordez-vous la question de l’oralité avec les élèves ?

Ces archives permettent de voir l’engagement physique de tous les acteurs du procès : la voix, le témoignage oral, la gestuelle, le paraverbal et le non verbal.
Un des extraits du procès Papon montre une dame âgée qui vient témoigner en demandant au président du tribunal de diffuser le portrait de son père et de sa mère, en disant qu’elle va prendre la voix de sa mère pour lire la dernière lettre que celle-ci lui a adressée depuis le camp d’internement de Drancy. Le choix d’un extrait de ce type ne peut que faire réagir les élèves et permettre d’aborder la question de l’oralité.
Les témoignages oraux sont abordés du point de vue de l’objectivation puisqu’on a différents acteurs qui se répondent.

Pourquoi les chercheurs, historiens notamment, ne s’intéressent aux archives audiovisuelles qu’à partir de 2017 ?

Les chercheurs qui étudiaient la Seconde Guerre mondiale exploitaient d’autres archives, notamment administratives, et se contentaient de l’accès via les DVD ou émissions de télévision ; ils n’ont peut-être pas eu besoin de ces archives ou ont manqué de curiosité. À cela, s’ajoute la méconnaissance de ces archives audiovisuelles par le grand public.
Enfin, pendant très longtemps, il y a eu une grande méfiance des historiens par rapport aux archives audiovisuelles, à tout ce qui est oral et le sentiment de faire une meilleure critique à partir de documents textuels que sur de l’image fixe ou animée.
C’est là qu’on comprend que l’éducation à l’image ne doit pas uniquement toucher le public scolaire mais l’ensemble de la société. On a tendance à se laisser porter par les images sans forcément se dire qu’il y a une intention, que peut-être on nous oriente quelque part : c’est vrai qu’il faut donc être encore plus vigilant quand on est face à l’image parce qu’on a l’intention derrière. Ceci dit, même quand on écrit on a l’intention derrière. Mais avec l’image, on est dans le subjectif car on la reçoit avec les outils qui sont les nôtres, individuellement ; la perception diffère en toute bonne foi d’un individu à l’autre mais, de ce fait, la distance dans l’interprétation est encore plus forte que dans l’écrit. L’approche par l’oralité et l’image vient plus de la sociologie, de l’ethnologie, de l’anthropologie où cela constitue vraiment une production de sources en tant que telles car les chercheurs de ces champs produisent eux-mêmes des sources qui sont de l’oralité ou de l’image.

 

© Archives Nationales, 9AV, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Klaus Barbie (1987)
© Archives Nationales, BB/30/AV, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Maurice Papon (1997-1998)
© Archives Nationales, BB/30/AV, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Paul Touvier (1994)
© Archives Nationales, 20140261, Archives audiovisuelles de la Justice, procès Simbikangwa (2014)
© Archives Nationales, 20120167, Archives audiovisuelles de la Justice, procès 14 Chiliens (2010)
© Archives Nationales, 20180562, Archives audiovisuelles de la Justice, procès appel Ngenzi-Barahira (2018)

 

12e congrès de l’APDEP 17, 18, 19 mars 2021

Fort de ses quatorze membres, le bureau de l’ARDEP en Nord, présidé par Roselyne Henry, a retenu comme thématique du congrès Innovation ? ADN du prof doc ! Questionner le concept d’innovation nous a paru urgent, au regard de la profession de professeur documentaliste qui doit toujours réinventer sa place et sa fonction au sein des équipes pédagogiques, et au regard de la situation créée par la COVID.
En 2019, le Secrétaire Général de l’Enseignement Catholique invitait tous les acteurs de l’enseignement privé à « ré-enchanter l’école ». Ré-enchantons les CDI, notre métier et consolidons le sens de notre présence auprès des jeunes. Pour cela, il faut de l’audace et de l’imagination. Et la conviction aussi que nous pouvons être force de proposition auprès des directions d’établissement, des collègues, de nos institutions pour accompagner, comprendre et faciliter les changements de l’école de demain.

Innover. Comment ? Pourquoi ?

Innover, grâce à notre liberté pédagogique

Sachons la revendiquer et nous montrer percutants. Veillons à ce que nos choix soient pensés à l’aune de l’humain et à assurer la totalité des missions (re)définies récemment par le législateur (Les missions des professeurs documentalistes, circulaire du 31 mars 2017).
Que signifie « innover » au CDI ? Faire table rase de l’existant ? Peut-être pas… mais explorer les marges, explorer les possibles du numérique. Nous faisons le pari de mettre en place des dispositifs originaux, dans les murs et hors les murs du CDI pour travailler les savoirs, les compétences info-documentaires, l’EMI, la lecture, mais aussi toutes les valeurs universelles qui feront des jeunes en devenir, de belles personnes.
Il s’agit également de développer le bien-être au sein de l’école, en même temps que l’envie de découvrir, de travailler, de savoir, de manière à faire du CDI un espace participatif et créatif, un espace pour éduquer à la citoyenneté.
Innover, c’est se mettre en mouvement, et en tant qu’enseignant, préparer demain. À quoi doit servir l’école ? Quelles ambitions avons-nous pour les jeunes que nous accompagnons ? Quelle place et quelle posture choisissons-nous en tant que professeurs documentalistes ?

Innover aussi, parce que l’école bouge, les jeunes bougent et le monde bouge

L’actualité récente nous a montré qu’il faut sans cesse nous adapter. La thématique et les questionnements autour du congrès ont été pensés dès 2019, bien avant la pandémie de Covid, le confinement et la continuité pédagogique… Nous avons vécu une expérience inédite nous amenant à travailler autrement, à inventer de nouvelles manières de transmettre, d’échanger, d’apprendre. Les portes des écoles et des CDI ont été fermées… Qu’est-ce qui a été considéré comme « essentiel » alors pour nos communautés, et qu’en est-il aujourd’hui ? Cette pandémie nous a conduits à repenser nos façons de faire, à revoir les dispositifs, à apprivoiser des espaces pour continuer à accueillir les jeunes, à imaginer des procédures pour que la lecture puisse rester au cœur de la vie des élèves, à inventer d’autres lieux parfois où travailler les séances pédagogiques… Cette question-clé nous accompagnera tout au long de ces journées.
Sachons penser le concept de « CDI virtuel ». Sachons rebondir, en nous appuyant par exemple sur l’idée de design thinking pour optimiser les conditions d’accueil et le bien-être au CDI. Sachons veiller à toujours mieux articuler l’espace documentaire et les besoins des usagers. Jusqu’où accueillir les nouvelles pratiques adolescentes, lesquelles conforter, réguler et/ou canaliser ? Les échanges entre pairs, les partages, la mutualisation des pratiques devraient permettre de redonner du dynamisme et toujours plus de sens à notre quotidien commun.

Programme de la journée et intervenants

Pour questionner le concept d’innovation, Jean-Charles Cailliez, Directeur d’HEMiSF4iRE Design School, et Vice-Président Innovation de l’Université Catholique de Lille, nous accompagnera tout au long de ces trois journées. Expert en innovation pédagogique, il sera notre grand témoin. Son mot d’ordre : la transdisciplinarité. Qu’a-t-il inventé d’innovant pour ses étudiants ? La conférence interactive d’introduction permettra de comprendre sa conception de l’innovation et d’échanger sur les changements de posture qu’implique une pédagogie innovante. Présent sur la durée du congrès, il sera notre fil rouge ; il participera à nos questionnements et apportera son regard extérieur et expérimenté. Lors de la conférence de clôture, fort de ce qu’il aura vécu et partagé avec nous, il pourra apporter son éclairage pour nous aider à fixer nos feuilles de route.

Pour la conférence inaugurale, Bruno De Lièvre, professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université de Mons (Belgique), abordera la question du numérique dans l’innovation. Le numérique évolue sans cesse, en raison notamment des technologies toujours renouvelées (tablettes tactiles, TBI, smartphones…). Ces évolutions sont à l’origine de pratiques pédagogiques nouvelles, ce qui interroge au quotidien les enseignants que nous sommes. Quelle part donner au numérique dans l’innovation ? Quels mythes faut-il déconstruire pour situer l’innovation pédagogique dans un cercle vertueux de créativité, d’inventivité et de qualité ? Comment aider les élèves à s’approprier ces outils avec prudence et confiance ? Quelle approche des questions de déontologie et d’éthique ?
La seconde journée sera celle de la découverte et de la pratique. Innovante par la forme et ses contenus, elle vous permettra de choisir un univers et de constituer votre parcours : visites, mini-conférences, ateliers pratiques…
Des professionnels partageront avec vous leurs réflexions, vous mettront en situation pour explorer ce que vous ne connaissez pas encore ou ce que vous souhaitez approfondir, dans des lieux inspirants.

Cinq univers sont proposés : l’univers Médias, l’univers Bien-Être, l’univers Autour du livre, l’univers Faire autrement pour apprendre et enfin, l’univers Droit et usages du numérique.

Pour vous donner envie d’embarquer avec nous, voici en quelques lignes les explorations proposées dans chacun.

Univers Médias : trois parcours autonomes pour découvrir et réaliser des activités innovantes avec les médias (webradio, son/vidéo, reportage photo), envisager les médias comme un vecteur d’émancipation, mais aussi « faire », expérimenter les médias comme condition à la réappropriation du discours médiatique.
Ces ateliers auront lieu à La Condition Publique de Roubaix (ancienne usine textile reconvertie en fabrique de coopération culturelle). Ils seront en partie itinérants (photo et vidéo).

Univers Autour des livres : des parcours qui cherchent à ajuster l’acte de lecture et d’écriture aux publics adolescents.
Défi de faire lire pour partager. Défi d’adapter les espaces autour des actes de lire, pour les rendre inspirants. Défi aussi de comprendre et de parvenir, sans douleur, à l’acte d’écriture.
Au programme : visites, mises en pratique, booktube, design thinking et laboratoire d’écriture.

Univers Bien-Être : des parcours animés par des personnes qui pratiquent et sont formées à transmettre, et viennent partager ce qu’elles ont appris et mis en œuvre. C’est l’occasion de découvrir et d’expérimenter des pratiques qui donnent au corps et aux émotions toute leur place. Une réflexion innovante et incarnée sur comment être bien à l’école.
Pour explorer cet univers : mini-conférence interactive, ateliers CNV (Communication Non Violente), sophrologie, yoga et gestion des émotions.

Univers Faire autrement pour apprendre : des parcours qui permettent de découvrir d’autres façons d’enseigner. Changer de posture, c’est accepter de sortir de sa zone de confort pour installer une autre relation enseignants/apprenants.
Dans le cadre de cet univers, vous pourrez participer à la découverte d’un espace créatif, à des ateliers co-élaboratifs (partant de l’expérience de la classe renversée, de la gamification), à des ateliers neurosciences et intelligences multiples. Vous trouverez aussi un atelier inspiré de la pédagogie lasallienne, intitulé « Valeurs du PEJ », pour une réflexion autour de valeurs universelles qui fondent le vivre ensemble (la fraternité, le courage, le respect, le discernement, la responsabilité, la liberté, notamment).
Au programme : réflexions, mises en situation, dispositifs « clé en main ».

Univers Droits et usages du numérique :
Qu’est-ce qu’un citoyen numérique ? Pour comprendre les lois et les règlements en matière de numérique, il faut une culture et des compétences numériques qui permettent un jugement éclairé et une juste représentation des enjeux.
Intimité numérique, enjeux de la protection des données personnelles, compétences numériques, reconnaissance et évaluation, usages et dérives des réseaux, postures professionnelles liées aux droits, logiciels respectueux : tels sont les sujets sur lesquels vous pourrez réfléchir et inventer, dans les différents ateliers proposés.
Temps de mini-conférences, table ronde, échanges et ateliers jalonneront ce parcours.

Un « barcamp » restituera en fin de journée les différents univers, grâce aux témoignages des participants.

N’oublions pas non plus, un temps de rencontre avec les éditeurs : outre les éditeurs avec lesquels nombre d’entre nous ont l’habitude de travailler et dont nous apprécions le sérieux, d’autres, parfois plus confidentiels, ont répondu favorablement à notre invitation. C’est le cas des éditions Talents Hauts, Terres Rouges, le Muscardier…

Nous vous réservons aussi des surprises et des moments conviviaux. Garder ici un peu de mystère nous permettra d’agrémenter avec bonheur les trois journées que nous passerons ensemble. Quant à la soirée festive du jeudi soir, elle devrait nous permettre de partager un temps joyeux et salutaire pour nous ‘vider la tête’.

Informations pratiques

Tous les collègues qui veulent vivre l’aventure de ces trois journées de formation sont invités à se rapprocher de leur direction pour que celle-ci valide leur participation à ces journées. Sont invités les professeurs documentalistes du privé comme ceux du public, de l’enseignement agricole, les enseignants d’autres disciplines, les étudiants en parcours enseignant ainsi que les personnels de droit privé qui travaillent en CDI.
L’équipe de l’ARDEP en Nord a créé un site internet dédié à l’événement, https://jnfapdep.ardepennord.asso.fr/, qui vous présentera les intervenants et le détail du programme. C’est sur ce site également que se font les préinscriptions. Les informations, détails, précisions, seront également transmis sur twitter avec le hashtag #JNFapdep2021.
Pour faciliter votre hébergement, vos déplacements ainsi que la restauration, de nombreux contacts ont été pris (hôtels du Centre-Lille, transports en commun, restauration…). Pour des renseignements complémentaires, n’hésitez pas à nous écrire sur jnfapdep@ardepennord.asso.fr.

Conclusion

Innover donc, pour créer l’avenir que nous souhaitons ; non pas l’avenir que nous aurons, mais celui que nous voulons : voilà l’idée majeure et le fil conducteur qui nous guident depuis deux ans que nous préparons ce congrès. Tout métier évolue, le nôtre, si jeune, n’a cessé de le faire depuis 50 ans. Innover, c’est le moyen que nous choisissons pour affirmer notre différence et nos forces.
Forts de la confiance que l’APDEP nous a toujours témoignée, dans le choix de la thématique de ce congrès, de ses contenus et de son organisation, nous sommes persuadés que ces Journées nationales seront des moments riches, tant d’un point de vue professionnel qu’humain.
Et si vous voulez faire durer le plaisir de ces journées dans le Nord, n’hésitez pas à prolonger le week-end et à découvrir les richesses patrimoniales, culturelles ou naturelles. Lille, à l’histoire et à l’architecture qui méritent le détour, mais aussi Lille, carrefour européen à une heure de Paris, Londres, Bruxelles, Bruges (la petite Venise du Nord) ; la Côte d’Opale et ses immenses plages de sable fin, Nausicaa… Sans oublier la proximité avec Amsterdam, Rotterdam… Chaque congressiste pourra compter sur le soutien du bureau de l’ARDEP en Nord pour le conseiller.

Alors… soyez-là les 17-18 et 19 mars 2021, on s’occupe du reste !

 

L’art de lire

Ces ateliers ont pour but de :
– Donner des pistes pour travailler la posture physique et vocale ;
– Proposer des jeux et exercices pour développer l’écoute du groupe ;
– Travailler sur le choix des textes et extraits de textes.

Étayés par des lectures que je donne en bibliographie et des années de pratique de l’improvisation théâtrale, ces exercices et conseils, faciles à retenir et à mettre en œuvre, peuvent aider les enseignantes à travailler ces compétences.
Je vous propose ici un exercice que j’ai testé lors d’une session de formation en janvier 2020, et que vous pouvez adapter. J’ai choisi de présenter cet exercice plutôt que l’ensemble de la formation, car il me semblait à la fois plus original et plus facilement appréhendable pour des enseignant.es qui souhaiteraient mettre en place ce type de travail avec leurs élèves.

En amont

Cet exercice s’insère dans une journée de formation de six heures. Cette formation était inscrite au PAF et quinze enseignantes y ont participé, principalement des professeures de français et des professeures documentalistes. Je leur ai proposé de travailler le matin sur des exercices physiques et des jeux, et l’après-midi de mettre en application les apprentissages du matin sur des textes de leur choix que je leur avais demandé d’apporter.
Les exercices physiques consistaient en des assouplissements, des étirements, des jeux d’articulation, mais également des jeux de groupe, comme par exemple le jeu du cow-boy (cf. l’encadré) pour créer de la cohésion, afin de créer un collectif d’écoute. Vous trouverez facilement des ouvrages ou tutoriels pour des exercices d’assouplissement ou d’articulation, je ne les développerai pas ici. Ce que je vous propose dans ce document, c’est un exercice que j’ai inventé pour l’occasion et qui m’a permis de faire travailler les stagiaires sur un point en particulier, l’investissement.

Travailler l’investissement

L’objectif de l’exercice est de réussir à créer une forme de « théâtralité » qui permettra à la lecture d’être plus habitée, plus vivante et donc plus agréable à recevoir par le public. Il s’agit de trouver l’entre-deux délicat entre la lecture plate, peu attrayante et la mise en scène de théâtre, qui n’est plus de la lecture à voix haute, mais une performance de comédien.ne. Ce que je cherche à faire comprendre aux stagiaires, c’est ce qu’en théâtre d’improvisation on appelle l’investissement. L’investissement est le fait d’être impliqué dans son action, de croire à ce qu’on fait pour pouvoir transmettre l’action ou l’émotion au spectateur. Une lecture investie, c’est une lecture qui permettra de faire passer, en modulant sa voix, les intentions de l’auteur.rice.

Travailler l’écoute

Il ne peut y avoir de lecture réussie sans une bonne écoute de la part de l’auditoire. L’écoute doit réellement être active, et la lectrice ou le lecteur soutenu par le groupe qui l’écoute. Cette création de groupe peut se faire de différentes manières, soit sous forme de jeux théâtraux ou de relaxation en commun, c’est le but des exercices de cohésion que j’ai mentionnés plus haut, mais également en proposant à la lecture un texte décalé, drôle, ironique, voire choquant3. Réveiller l’auditoire, le fédérer autour d’une émotion commune aide à créer le groupe d’écoute. Lors de ma dernière formation, j’ai choisi de faire lire aux stagiaires des extraits de roman à l’eau de rose type Harlequin.

Préparer l’exercice

Pour arriver à faire ressentir aux stagiaires cette expressivité et pour créer de la complicité avec le reste du groupe, je leur propose de lire des extraits de romans sentimentaux, notamment les romans des éditions Harlequin (en vente dans les magasins ou par correspondance, ou récupérables dans les boites à livres). J’en ai ainsi récupéré une dizaine pour les besoins de la formation.
Ces romans à l’eau de rose, très stéréotypés, racontent tous globalement la même chose : une belle jeune femme rencontre un homme riche et ténébreux, leur relation commence à être houleuse, puis, à la suite d’un retournement de situation quelconque, ils finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre et par se marier ; quelques scènes un peu osées viennent pimenter le récit. L’histoire n’a que peu d’importance, car c’est sur le style que l’on va s’appuyer pour théâtraliser le récit : le style est ampoulé, les dialogues convenus, et cela tourne vite au ridicule. Il est difficile de lire à haute voix ce genre de texte au premier degré et l’on se retrouve naturellement à « jouer » un peu en lisant la scène. De plus, ces récits n’étant jamais dans les choix des stagiaires, ils peuvent s’entraîner sur eux sans aucune affection, et pourront les singer facilement.
Ayant constaté cet effet, j’ai proposé cet exercice aux stagiaires. Je l’ai préparé de la manière suivante :
– Je sélectionne à l’avance dans les ouvrages trois extraits signifiants : la première rencontre, le premier baiser/la première nuit d’amour, le dénouement. Ces extraits font une page à une page et demie, guère plus. Connaissant le nombre de stagiaires participant à la formation, j’en ai sélectionné une quinzaine.
– Le jour de la formation, j’expose le but et les modalités de l’exercice aux stagiaires. C’est également le moment que je choisis pour expliquer comment faire pour sélectionner un extrait. En effet, ce qu’on choisit de lire compte autant que la manière d’en faire la lecture. Il s’agit de trouver un extrait signifiant dans un texte, une situation-clé, une description particulièrement parlante. Je n’oblige bien sûr personne à passer, mais le but étant de s’exercer, tout le monde se plie habituellement de bonne grâce au jeu. Après chaque passage, nous échangeons sur ce qui a fonctionné ou pas, et le cas échéant, j’invite la personne à reprendre le passage ou à proposer un autre extrait.

Réception de l’exercice

La plupart des stagiaires ont « senti » le côté théâtral de l’exercice et se sont amusées à surjouer les passages que je leur avais préparés : comme nous avions auparavant travaillé sur l’écoute, et sur la formation d’un groupe, l’auditoire était préparé à jouer le jeu avec la lectrice. L’une après l’autre, les stagiaires se sont emparées chacune à leur manière de ce matériau un peu ridicule et l’ont transformé en lecture, soit sexy, soit comique, voire les deux. Cet exercice permet également de faire prendre conscience de l’importance de l’interprétation : un même passage peut ne pas faire du tout le même effet suivant la manière dont il est lu.
Seule une personne n’est pas rentrée dans l’ambiance, trouvant les textes trop ridicules, elle a toutefois accepté de passer elle-aussi devant les autres.

Que retenir de cet exercice ?

Ce n’est bien sûr pas la qualité littéraire du texte qui est à retenir ici, mais la dynamique créée autour de cette lecture, aussi bien chez la personne qui lit, que chez les élèves qui la reçoivent. Vous pouvez utiliser n’importe quel document qui vous inspire, l’important est qu’il soit un peu décalé ou second degré. Débarrassé de l’aspect « il faut lire avec le ton un texte sérieux », les lecteurs et lectrices retrouvent le plaisir ludique de la lecture, état d’esprit qu’il faut essayer de préserver pour d’autres lectures.
Cet exercice peut être utilisé comme échauffement lorsque vous prévoyez des séquences étalées sur plusieurs séances, pour des mises en voix de textes, mais aussi pour des préparations à des webradios.
Il pourrait aussi être intéressant pour les professeur.es documentalistes et/ou les enseignant.es de français en début d’année : à la fois pour créer le groupe classe et pour progresser sur la lecture d’extraits de texte en classe.

 

 

Espionnage et contre-espionnage

Expositions et musées

Cité des sciences et de l’industrie : Espions
Du 15 octobre 2019 au 21 juillet 2021 à Paris, la Cité des sciences propose une exposition immersive qui met le visiteur dans la peau d’un agent secret. Inspirée de la série du Bureau des légendes, une visite en trois parties : présentation de l’univers du renseignement français, activités interactives sur la réalité du travail des agents du renseignement, analyse des données dans une salle de crise.
http://www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-temporaires/espions/lexposition/

Musée de l’Armée aux Invalides : Guerres secrètes
Exposition de 2016/2017, en ligne depuis le lundi 27 avril 2020. Espionnage, contre-espionnage, opérations de propagande ou réseaux de résistance : focus sur ces « conflits de l’ombre ».
https://www.musee-armee.fr/au-programme/expositions/detail/guerres-secretes-lexposition-en-ligne.html

Exposition aux Archives nationales : Le secret de l’État. Surveiller, protéger, informer. XVIIe-XXe siècle.
Du 4 novembre 2015 au 28 février 2016, accessible en visite virtuelle.
Cette exposition regroupe de nombreux documents illustrant l’histoire des différentes organisations, des lieux du pouvoir et des techniques singulières du renseignement, de la fin de l’Ancien Régime au XXIe siècle.
http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/visites-virtuelles/le-secret-de-l-etat/

London Film Museum à Londres : Bond in motion
L’exposition dévoile l’ensemble des moyens de transport utilisés par James Bond, tous des originaux, ainsi que tous les gadgets, décors et outils utilisés pour la réalisation des films.
http://londonfilmmuseum.com/

German Spy Museum de Berlin
Le musée plonge le visiteur au cœur des sphères obscures de l’espionnage et des services secrets, depuis la guerre froide jusqu’à aujourd’hui.
https://www.deutsches-spionagemuseum.de/

Centres d’archives

Archives nationales
Les archives de la DGSI ainsi qu’une partie des archives du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) appartenant à la DGSE sont sur les sites de Paris et Pierrefitte des Archives nationales.
http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/

Service historique de la Défense
Le Service historique de la Défense à Vincennes est le centre d’archives du secrétariat général pour l’administration et de la sécurité nationale, du ministère de la Défense et des forces armées françaises. À propos de la DGSE, on y trouve, entre autres, une partie des archives du BCRA, les archives relatives à la contribution de la France au déchiffrement de la machine « Enigma » et les archives relatives à la production du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage en Indochine.
https://www.defense.gouv.fr/dgse/tout-le-site/nos-archives
https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/

 

Institutions

Gouvernement – Prévention des risques majeurs : Espionnage
Le gouvernement alerte sur les risques d’espionnage économique et scientifique (types d’attaques, comment réagir, qui contacter) sur son site dans la rubrique Risques.
https://www.gouvernement.fr/risques/espionnage

Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information
L’ANSSI apporte à la police son expertise technique pour identifier les auteurs (États ou sociétés concurrentes) et rappelle la législation en matière d’outils d’espionnage.
https://www.ssi.gouv.fr/publication/legislation-en-matiere-doutils-despionnage/
https://www.ssi.gouv.fr/particulier/principales-menaces/espionnage/

La Direction Générale de la Sécurité Extérieure
Les activités de la DGSE ont pour objectif exclusif la protection des intérêts français et des citoyens français partout dans le monde. Son champ d’action se situe principalement hors des frontières de la France, où elle applique des méthodes clandestines de recherche du renseignement.
https://www.defense.gouv.fr/dgse

La Direction Générale de la Sécurité Intérieure
La DGSI possède une compétence générale en renseignement dans tous les domaines intéressant la sécurité nationale et les intérêts fondamentaux de la Nation et une compétence judiciaire en matière, entre autres, de contre-espionnage et de compromission du secret de la défense nationale.
https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/DGSI

 

 

Programmes et repères pédagogiques

Collège

Français. Quatrième
Individu et société : confrontations de valeurs ?

Français. Troisième
Dénoncer les travers de la société
Romans d’espionnage, illégalité d’État et individuelle
https://eduscol.education.fr/cid99193/ressources-francais-c4-vivre-en-societe-participer-a-la-societe.html

Histoire. Troisième
Thème 1 – L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales
Thème 2 – Le monde depuis 1945
Espionnage pendant les guerres
https://eduscol.education.fr/cid99022/s-approprier-les-differents-themes-programme.html

Lycée général, technologique et professionnel

Français. Seconde générale
Le roman et le récit du XVIIIe siècle au XXIe siècle
“Il peut, dans la mesure du possible, établir des liens avec les programmes des
enseignements artistiques et ceux d’histoire et il favorise le travail interdisciplinaire, par
exemple avec les professeurs documentalistes”
https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/92/8/spe575_annexe1_1062928.pdf
Roman d’espionnage

Sciences numériques et technologie. Seconde générale
Les Paramètres de sécurité, les données structurées, les algorithmes de contrôle des comportements physiques à travers des données des capteurs.
Espionnage via les nouvelles technologies
https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/08/5/spe641_annexe_1063085.pdf

Histoire. Première professionnelle
États et sociétés en mutations (XIXe siècle-1re moitié du XXe siècle)
Thème 2 – Guerres européennes, guerres mondiales, guerres totales (1914-1945)
Espionnage pendant les guerres

Histoire. Première générale et technologique
Première Guerre mondiale
Thème 4 – La Première Guerre mondiale : le « suicide de l’Europe » et la fin des
empires européens (11-13 heures)
Espionnage pendant la Première Guerre mondiale
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/93/9/spe577_annexe2_1062939.pdf

Numérique et sciences informatiques. Première et Terminale
Sécurisation des communications, bases de données, algorithmique
Espionnage via les nouvelles technologies
https://cache.media.education.gouv.fr/file/SPE8_MENJ_25_7_2019/93/3/spe247_annexe_1158933.pdf

Histoire. Terminale professionnelle
France et monde depuis 1945
Thème 1 – Le jeu des puissances dans les relations internationales depuis 1945
guerre froide, Espionnage économique et scientifique

Histoire. Terminale générale
Thème 1 – Fragilités des démocraties, totalitarismes et Seconde Guerre mondiale
(1929-1945)
Espionnage pendant la guerre
Thème 2 – La multiplication des acteurs internationaux dans un monde bipolaire
(de 1945 au début des années 1970)
Espionnage pendant la guerre froide
Thème 3 – Les remises en cause économiques, politiques et sociales des années
1970 à 1991 (10-12 heures)
Espionnage industriel
Thème 4 – Le monde, l’Europe et la France depuis les années 1990, entre
coopérations et conflits (8-10 heures)
Affrontement économique des puissances : espionnage industriel via le numérique
https://cache.media.education.gouv.fr/file/SPE8_MENJ_25_7_2019/17/2/spe243_annexe1_1159172.pdf

Histoire. Terminale technologique
Thème 1 – Totalitarismes et Seconde Guerre mondiale
Thème 2 – Du monde bipolaire au monde multipolaire
Espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide
https://cache.media.education.gouv.fr/file/SPE8_MENJ_25_7_2019/17/4/spe243_annexe2_1159174.pdf

Pistes pédagogiques

Réaliser un escape game au cdi dans lequel les élèves, apprentis espions, doivent récupérer des données sensibles acquises par le ou la professeur documentaliste (espion d’un pays étranger).

Dans le cadre d’un voyage scolaire à Londres ou Berlin, se rendre au German Spy Museum ou au London Film Museum et préparer une activité en lien avec plusieurs disciplines.

En histoire géographie, recherches documentaires sur l’espionnage pendant les guerres mondiales et la guerre froide.

Revue de presse en SES sur l’espionnage industriel de nos jours.

En littérature, critiques d’ouvrages ayant pour thème l’espionnage.

Se rendre à l’exposition Espions de la Cité des sciences et de l’industrie à la Villette (Paris) dans le cadre d’un projet avec les professeurs de mathématiques et d’informatique.

Participer au concours Alkindi avec les professeurs de mathématiques et d’informatique, au collège ou au lycée.

Concours et journées

Concours Alkindi
La DGSE apporte son soutien au concours du nom du savant arabe AlKindi, ayant écrit, au IX siècle, le premier livre connu destiné à décrypter les codes secrets. Il s’adresse aux classes de 4e, 3e et de 2nd. Les services de renseignement souhaitent diffuser aux élèves une culture du renseignement en France. La DGSE cherche à recruter dans les métiers de l’informatique et des mathématiques (cryptologie et cryptanalyse).
https://concours-alkindi.fr/#/

Musée de l’Armée : Journées européennes du patrimoine
La DGSE s’associe au musée de l’Armée pour les Journées européennes du patrimoine depuis 2017. Elle présente des ateliers et expose des objets surprenants.

 

Documents audios

Emissions de radio

Côme, Lise. Secret bien gardé : espionnes et espions. France culture, 29/07/2020. 73 mn
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-culture/la-grande-table-emission-du-mercredi-29-juillet-2020

Kervran, Perrine. L’Espionnage sur écoute. 4 Épisodes. France culture, 2016. 55 mn par épisode
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lespionnage-sur-ecoute

Monsieur X, Pesnot, Patrick. Rendez-vous avec Monsieur X. France Inter, 2019. 60 mn par RDV
Patrick Pesnot dévoilait à ses auditeurs les coulisses d’affaires avec le mystérieux «Monsieur X», présenté comme un ancien des services secrets.
https://www.franceinter.fr/culture/rendez-vous-avec-monsieur-x-des-episodes-a-reecouter

Drouelle, Fabrice. Farewell : l’espion qui a fait basculer la guerre froide. France Inter, 2014. 45 mn
https://www.youtube.com/watch?v=eBTymP55Nbs

 

Filmographie

Documentaires

Fred et Jamy. Les Espions – C’est pas sorcier. France 3, 2015
Histoire de Berlin Est et Ouest, rencontre d’un ancien directeur de la DST, l’utilisation de la valise diplomatique par les espions. Documentaire jeunesse.
https://www.youtube.com/watch?v=uyRXwTe5ye4&t=452s

Huver, Étienne, Ladous, Marina. Grande-Bretagne : Global Assange. Arte Reportage, 2020
« Nom de code « Opération Hôtel ». Des milliers d’heures d’enregistrement vidéo, des Gigaoctets de rapports et de courriers confidentiels, autant d’éléments étayant l’accusation d’espionnage qui visait Julian Assange lors de son asile à l’ambassade d’Équateur à Londres ». Autre reportage sur Arte : Julian Assange : l’homme traqué.
https://www.arte.tv/fr/videos/097012-000-A/grande-bretagne-global-assange/

Karel, William. CIA : guerres secrètes. 1 – Opérations clandestines 2 – La Fin des illusions 3 – D’une guerre à l’autre. Arte, 2003

Korn Brzoza, David. Histoire des services secrets français. LCP, 2019
https://www.youtube.com/watch?v=PXXf45xmCqc

Laïdi, Ali. ‘Les espions de l’Élysée’ : le président et les services de renseignement. France 24, 2020
Entretien de Floran Vadillo. «Depuis Nicolas Sarkozy, les présidents de la République s’impliquent davantage dans les services de renseignements.»
https://www.youtube.com/watch?v=gZwBovaLgoA

Muller, Philippe. La Guerre du renseignement. Arte GEIE, 2017
https://www.youtube.com/watch?v=D2ECAPPn5PE

Pollet, Aurélie. Les Espionnes racontent. Arte, 2018
https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017940/les-espionnes-racontent/

Fictions

Alfredson, Tomas. La Taupe. StudioCanal, 2011. 124 mn
Le renseignement britannique.

Assayas, Olivier. Cuban Network. Memento films, 2020

Campbell, Martin. Casino Royale. Gaumont Colombia Tristar Films, 2006. 138 mn
Ainsi que de nombreux James Bond Skyfall (2012), Bons baisers de Russie (1963), Mourir peut attendre (2020) par des réalisateurs différents.

Henckel von Donnersmarck, Florian. La Vie des autres. Océans Films, 2006. 137 mn
La Stasi à Berlin-Est.

Hitchcock, Alfred. Quatre de l’espionnage. Gaumont british, 1936. 86 mn
Film connu sous le titre de Secret Agent. Du même réalisateur La Mort aux trousses (1959), Les Enchaînés (1946).

Pollack, Sydney. Les Trois Jours du Condor. Paramount Pictures, 1975. 117 mn
Film tiré du roman Les Six Jours du Condor de James Grady.

Rochant, Éric. Les Patriotes. Gaumont, 1994. 138 mn
Du même réalisateur : Möbius (2013).

Spielberg, Steven. Le Pont des espions. Twentieth Century Fox France, 2015
CIA pendant la guerre froide.

Tyldum, Morten. Imitation Game. Black Bear Pictures, 2014
Le film est inspiré de la vie du mathématicien et cryptanalyste britannique Alan Turing.

Verhoeven, Paul. Black Book. Fu Works, 2006. 145 mn
La résistance dans le service des renseignements allemands.

Séries TV

Rochant, Éric. Le Bureau des légendes. Canal+ 2015. 52 mn
Actuellement cinq saisons, 50 épisodes.
Au sein de la DGSE, le département appelé le Bureau des légendes forme et dirige à distance des agents spéciaux.

Weisberg, Joe. Les Américains. FX Networks, 2013. 42 mn
6 saisons, 75 épisodes.
Pendant la guerre froide, un couple d’officiers du KGB vit aux États-Unis.

Wolstencroft, David. MI-5. BBC One, 2011. 52 mn
10 saisons, 86 épisodes.
La série narre avec réalisme la vie quotidienne des agents du MI5.

 

Représentations artistiques

Peintures

Carpeaux, Jean-Baptiste. L’espion. Épisode du siège de Paris (1871).
Valenciennes, musée des Beaux-Arts. Dimension : 89,7 x 117,1 cm.

De Neuville, Alphonse. L’Espion (1880).
Paris, musée de l’Armée.

Folco, Laurent. L’Espionnage (2018)

Juglar, Victor-Henri. L’Espion (1880)
Scène des guerres de Vendée.
Châlons-en-Champagne, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie.

Dessin

Laforge, Lucien. L’Espion (1916)
Dimensions 23,5 x 31,5 cm.
Dessin de décoration. Édité en édition limitée mais non numérotée.

Représentation des femmes scientifiques en littérature

Marie Curie, l’arbre qui cache la forêt

La visibilité des femmes scientifiques ne peut bien évidemment se faire sans évoquer Marie Curie. Véritable égérie des sciences, seule femme ayant remporté deux prix Nobel, elle concentre la presque totalité de l’attention portée aux femmes scientifiques. Ainsi, une grande partie de la production littéraire abordant cette thématique est consacrée à Marie Curie, et si cette abondance traduit le rôle majeur qu’elle a pu avoir dans le milieu de la physique-chimie, c’est aussi l’arbre qui cache la forêt que composent toutes les autres femmes scientifiques qui méritent d’être reconnues.
Parmi ces œuvres, nous pouvons citer quelques titres issus de la littérature pour la jeunesse et pour adolescents. Cette branche éditoriale propose souvent, quand il s’agit de parler de personnages célèbres, des biographies romancées à biais pédagogiques. Concernant Marie Curie, la collection «Les romans-doc» des éditions Bayard propose un ouvrage intitulé L’incroyable destin de Marie Curie, qui découvrit la radioactivité, écrit par Pascale Hédelin, un texte qui s’intéresse autant au parcours de la scientifique qu’à sa personnalité à part. De même, récemment, Belin Jeunesse publie dans sa collection «Des vies extraordinaires» Le Journal de Marie Curie. Écrit à la première personne par l’historienne Gertude Dordor, ce roman s’attache à introduire une certaine intimité avec son lectorat, notamment par l’usage de nombreuses anecdotes, pour décrire la vie et les découvertes de Marie Curie.
De son côté, le roman de Natacha Henry, Marie et Bronia : le pacte des sœurs, prend un angle plus original en axant sa narration sur la jeunesse de Marie Curie, lorsqu’elle était encore Marie Sklodowska. L’autrice nous emmène ici dans la Pologne de la fin du XIXe siècle, encore occupée par la Russie, et où les femmes, qui plus est pauvres, n’ont pas la possibilité de faire des études. Pourtant, Marie et sa sœur Bronia, à force de détermination, malgré la mort de leur mère et les difficultés de leur famille, vont parvenir à aller à l’université, la première pour étudier la chimie, avec le destin que nous lui connaissons ensuite, et la seconde pour étudier la médecine.
Par ailleurs, la figure de Marie Curie est très présente dans la bande dessinée documentaire. Marie Curie, la scientifique aux deux prix Nobel de Ceka et Yigaël, Marie Curie de Laura Berg et Stéphane Soularue, Marie Curie d’Alice Milani et Marie Curie, la fée du radium de Chantal Montellier et Renaud Huynh, avec des styles graphiques très différents, proposent toutes des récits biographiques, plus ou moins détaillés, mais axés tant sur les sciences que sur la vie privée de la scientifique polonaise.

Ces autres grands noms à connaitre

Cette abondance d’œuvres littéraires consacrées à une seule scientifique ne doit pas faire oublier d’autres figures féminines incontournables, mais souvent oubliées des sciences, et que certains auteurs se sont attachés à mettre sur le devant de la scène.
Dans les collections destinées aux adolescents, deux titres récents illustrent cette nouvelle volonté de mettre en avant des scientifiques méconnues et de les faire connaitre aux jeunes. D’abord Sophie Germain, la femme cachée des mathématiques de Sylvie Dodeller, paru chez l’École des Loisirs, s’intéresse à cette mathématicienne pionnière du XIXe siècle qui, comme nombre de femmes scientifiques, dut se faire passer pour un homme pour que son travail soit reconnu. Ce roman biographique très documenté est également l’occasion de relater la naissance de l’école Polytechnique, qui a bien sûr été longtemps interdite aux femmes. Par ailleurs, Combien de pas jusqu’à la lune, de Carole Trébor, chez Albin Michel, s’intéresse à Katherine Johnson, l’une des femmes noires qui, dans des États-Unis en pleine ségrégation, parvient à devenir ingénieure aérospatiale à la NASA, univers foncièrement masculin, jusqu’à jouer un rôle fondamental dans la mission qui permit aux américains de marcher sur la lune.
Ce roman jeunesse relate ce pan de l’histoire de la conquête spatiale à travers la trajectoire d’une seule scientifique, mais nous pouvons noter que cette même histoire est racontée par Margot Lee Shetterly, dans Les Figures de l’ombre, dont le film est sorti en 2017, à travers le destin des quatre scientifiques noires qui ont intégré la NASA à cette époque. Ce récit nous présente le parcours de Dorothy Vaughan, Mary Jackson, Katherine Johnson et Christine Darden pour parvenir à leurs postes, et notamment toutes les difficultés liées à leur statut de femmes noires dans un milieu masculin et blanc.
Tracy Chevalier, grande autrice de roman historique, s’intéresse dans Prodigieuses créatures à Mary Anning, paléontologue britannique. Issue d’un milieu modeste, on découvre dans cette œuvre de quelle manière elle s’est initiée seule à sa science et comment la découverte d’un squelette d’ichtyosaure a fait d’elle une personnalité incontournable de la communauté scientifique. Tracy Chevalier rend également hommage ici à Elizabeth Philpot, autre paléontologue amatrice ayant travaillé et partagé une longue amitié avec Mary Anning.
De son côté, l’autrice Marie Benedict se distingue en proposant un roman axé sur le destin de Mlileva Marić, plus connue sous le nom de Madame Einstein. Si son mari est sans doute aujourd’hui le physicien le plus connu au monde, l’autrice rappelle ici que Mileva Einstein était elle aussi une scientifique, née sans doute au mauvais moment. En effet, le roman montre bien qu’elle débute ses études de mathématiques et de physique, à l’instar d’autres scientifiques oubliées, à une époque où elles étaient réservées aux garçons. Par ailleurs, la question de sa contribution aux découvertes d’Albert Einstein, toujours irrésolue actuellement, fait l’objet ici de fortes spéculations. 
De son côté, Barbara Kinsolver avec son roman Des vies à découvert, s’intéresse à Mary Treat, entomologiste et botaniste proche de Charles Darwin. Si elle fut reconnue à son époque pour ses travaux en entomologie et en botanique, elle est aujourd’hui tombée dans l’oubli.
Ada Lovelace, mathématicienne à l’origine de l’informatique (même si l’ordinateur n’a pas été inventé de son vivant) est au centre de Ada ou la beauté des nombres. Dans un récit biographique impertinent et passionnant, Catherine Dufour décrit le parcours de celle qui, bien qu’elle créât le principe de programmation qui permit au numérique d’exister, ne reçut jamais la reconnaissance qu’aurait dû lui valoir sa découverte.
Comme tous ces romans et biographies, certains ouvrages à vocation documentaire s’attachent à mettre en exergue des personnalités scientifiques féminines majeures. Notons par exemple Les Découvreuses. 20 destins de femmes pour la science, de Marie Moinard et Christelle Pecout, qui permet de découvrir des scientifiques incontournables ayant évolué dans le monde entier dans des domaines aussi variés que l’aérospatial, la biologie, la physique-chimie, l’informatique, etc. De même, la bande dessinée Les Culottées de Pénélope Bagieu dresse les portraits de figures féminines ayant marqué l’histoire et notamment l’histoire scientifique.

Des fictions pour se reconnaitre

Découvrir les sciences à travers la littérature, ce n’est pas toujours apprendre à connaitre les grandes scientifiques, mais c’est aussi pouvoir s’identifier à des personnages fictifs.
Ainsi, la littérature pour adolescents propose un certain nombre de jeunes héroïnes passionnées de sciences dans lesquelles de jeunes lectrices pourront se reconnaitre. Du côté des romans historiques, nous pouvons citer le roman Calpurnia, de Jacqueline Kelly, prix Sorcières, qui raconte l’histoire d’une jeune fille de 11 ans passionnée de naturalisme et vivant à la fin du XIXe siècle. Tout en étudiant le comportement des animaux, elle doit également faire face aux contraintes imposées à son genre dans une société qui estime que les filles doivent apprendre les pratiques domestiques et non les sciences. Ce livre a été adapté en bande dessinée par Daphné Collignon.
Plus tôt encore, au XVIIIe siècle, mais confrontée aux mêmes préjugés, l’héroïne des Aventures d’une lady rebelle de Mackenzi Lee, Felicity, s’enthousiasme pour la médecine qu’elle aimerait pouvoir étudier. Ce but, et tous les obstacles (masculins) qui vont lui barrer le chemin, vont la mener à affronter de véritables aventures autour du monde.
Si ces deux protagonistes viennent des siècles passés, la littérature nous démontre que vivre à notre époque n’empêche pas forcément les jeunes filles et les femmes d’affronter les mêmes préjugés. Par exemple, L’Effet Matilda d’Ellie Irving présente deux nouveaux personnages féminins lésés dans la reconnaissance de leur travail scientifique. Mathilda, d’abord, collégienne inventrice qui perd injustement un concours de sciences face à un concurrent masculin, et sa grand-mère, ensuite, astrophysicienne qui se voit retirer le crédit de sa découverte au profit d’un autre chercheur qui s’apprête grâce à cela à remporter un prix Nobel.
Toutefois, la littérature ne sert pas uniquement à dénoncer les injustices. On notera le roman d’aventure Miss Einstein de James Patterson et Chris Grabenstein, qui met en scène une adolescente de 12 ans déjà à l’université, que des organisations secrètes essaient de récupérer pour pouvoir bénéficier de son génie. Par ailleurs, la série Geek Girls de Stacia Deutsch s’intéresse à un groupe d’amies férues d’informatique qui vont devoir résoudre des énigmes grâce à leur talent numérique. Ces romans sont d’ailleurs particulièrement appréciables du fait de la diversité des personnages.

Conclusion

On constate donc que ces dernières années, la littérature, et notamment la littérature jeunesse, prend à cœur de participer à la lutte contre l’effacement de la contribution des femmes aux plus grandes découvertes scientifiques en proposant d’intéressants personnages féminins évoluant dans divers domaines. C’est également une manière d’encourager les filles à s’engager dans ces disciplines encore trop souvent considérées comme masculines.
Pour compléter cette démarche, la Cité des sciences met à disposition gratuitement un jeu diffusé sous licence libre intitulé Femmes scientifiques et techniciennes à travers les époques1. Ce timeline permet de (re)découvrir des personnalités féminines mondiales des sciences et de mettre en avant leurs travaux, qui n’ont pas toujours été reconnus de leur vivant.

 

 

 

Appel à contributions : Le cdi vert

Alors que le confinement a redonné, de façon inattendue, une courte bouffée d’oxygène à la planète, nous sommes nombreux à nous interroger sur les modes d’action efficaces pour freiner le réchauffement climatique et inverser les effets néfastes de l’impact humain sur la Nature. De COP en Agenda 2030, de marches pour le climat en campagnes de sensibilisation, les initiatives sont foisonnantes et impliquent la jeunesse dans de nouvelles formes d’engagement.

Quelle place donner au professeur documentaliste dans cette recherche de solutions ?

Informer pour comprendre ces thématiques scientifiques et sociétales et par là même enclencher l’action, semble être au cœur des enjeux. Comment mettre en valeur les informations liées aux changements climatiques, à l’écologie, au développement durable au sein du fonds documentaire mais également dans tout l’établissement ? Revisiter les classifications, créer des espaces ou rayons « climat », développer une politique documentaire spécifique, mais aussi inviter des intervenants ou organiser un forum associatif peuvent en être des modalités. En parallèle, comment communiquer efficacement sur ces thématiques et marquer les esprits en utilisant des moyens durables ?

Éduquer au développement durable peut converger avec l’ÉMI pour être le terreau d’un esprit critique de combat qui abatte définitivement les arguments climato-sceptiques, et redonne foi en l’information scientifique, souvent complexe sur de tels sujets. Quels dispositifs pédagogiques mettre en œuvre dans ce contexte pour le professeur documentaliste ? Avez-vous des exemples d’activité menée sur les infox du climat ? Le calcul de l’empreinte carbone de chaque élève ou enseignant, et même celui du CDI, est-il possible ?
Par ailleurs, si vous travaillez dans un éco-collège ou un éco-lycée, ou sous label E3D, faites-nous part des actions menées à l’échelle de l’établissement et de votre implication. Grainothèques au CDI, jardins intérieurs, ruches, potagers, etc. : nous attendons vos retours d’expérience sur ce type d’initiatives. Partagez également vos conditions de travail, les particularités architecturales et l’agencement de l’espace de votre CDI si vous travaillez dans un établissement à énergie positive ou à haute qualité environnementale.

Agir pour un CDI durable et responsable, qu’est-ce que cela implique concrètement ? Comment se former ? Quels petits gestes adopter au quotidien pour rendre le CDI plus vert ? Quelles initiatives mettre en œuvre pour recycler, redonner vie aux livres pilonnés, usagés ? Gestion de la consommation de papier, mode de couverture des livres, réduction des déchets, comment résoudre ces multiples paradoxes liés à nos consommations de fonctionnement, tout comme celui de l’impact du numérique sur l’environnement, numérique qu’il semble désormais bien difficile d’utiliser avec parcimonie ?

Enfin, plus globalement, quelles formes particulières d’engagement des élèves en matière de développement durable peuvent se fédérer au CDI ? Clubs, associations, réunions, cercles de réflexion, autant de manières d’agir ensemble et de continuer à espérer…

Nous ne doutons pas que vos contributions seront autant de petites graines semées dans les esprits, qui donneront vie à de nouveaux CDI verts.

 

Date limite d’envoi des propositions de contribution : 30 avril 2021.

Pour une préparation optimale du numéro, n’hésitez pas à contacter la Rédaction au plus tôt : intercdi.articles@gmail.com

 

EMI versus obscurantisme

Une véritable éducation aux médias et à l’information : rien n’a jamais semblé plus urgent mais rien n’est aussi négligé en dépit d’une actualité dramatique, très fortement liée à ce déficit permanent. Les choix effectués en la matière dans les nouveaux programmes du lycée posent question : répartir les compétences ÉMI et info-doc dans les disciplines sans nommer explicitement le professeur documentaliste comme co-enseignant ou référent dans ces domaines, ne facilite la tâche de personne et renvoie chaque professeur à ses propres compétences, souvent très disparates, sans qu’aucune formation collective ne soit proposée aux enseignants.
Les exemples sont pourtant nombreux sur le terrain, de formations à deux voix, professeurs documentalistes et professeurs d’autres disciplines, dans lesquelles chacun accorde ses pratiques. Ceci, même si la suppression des dispositifs interdisciplinaires, qui officialisaient la pédagogie de projet et la présence du professeur documentaliste, complexifie la mise en place d’un parcours cohérent de formation à la culture informationnelle de tous les élèves.
Faire preuve d’esprit critique face à l’information, recouper les informations en comparant différentes sources, comprendre les mécanismes de la rumeur et des fake news, sensibiliser au cyberharcèlement, savoir analyser les images, respecter le droit à l’image, utiliser les réseaux sociaux de façon responsable et sécurisée, constituent plus que jamais des savoirs essentiels que chaque citoyen se doit de maîtriser. Logiquement inscrits dans les programmes, ils devraient être prioritairement pensés avec le concours des professeurs documentalistes qui trouveraient là les moyens et la reconnaissance indispensables pour assurer leurs missions. Y a-t-il vraiment une prise de conscience institutionnelle du fait que les réseaux sociaux, massivement utilisés dans le quotidien par une très grande partie de la population, doivent être une priorité didactique dans l’éducation nationale ?
Non pas que les réseaux sociaux soient à eux seuls responsables des récents attentats : il est bien évident que de multiples facteurs, historiques, sociaux, politiques, entre autres, expliquent ces événements inacceptables.
N’oublions pas que notre collègue, Samuel Paty, était professeur d’Histoire-Géographie avant d’être professeur d’ÉMI, comme l’y enjoignent les programmes officiels. Comment une séance pédagogique sur la liberté d’expression avec comme support des caricatures peut-elle conduire à un assassinat ? Cet attentat ignoble atteint l’éducation nationale au cœur de ses missions : faire respecter le principe de laïcité et transmettre les valeurs de tolérance, de liberté, de fraternité et d’égalité.
N’oublions pas que d’autres attentats se sont produits récemment, en particulier devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Viser la presse, viser les médias, quel meilleur moyen pour faire taire la liberté d’expression et tout esprit critique.
N’oublions pas que le procès des attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher est en cours, filmé pour l’Histoire comme le rappelle Martine Sin Blima Barru, une des commissaires de l’exposition Filmer les procès, un enjeu social, actuellement présentée aux Archives nationales. Nous avons choisi de réaliser un gros plan sur cette exposition dont la thématique alliant justice, image et mémoire, colle tragiquement à l’actualité tant en ce qui concerne les faits de terrorisme que ceux relatifs à la crise sanitaire. En effet, même si le procès du scandale du sang contaminé n’est pas dévoilé dans l’exposition, les Archives nationales en conservent l’enregistrement. Enfin, il nous est apparu qu’une visite commentée avec les élèves de cette exposition pourrait contribuer à l’éducation au regard, à l’image, à la subtilité critique et analytique indispensable à chaque citoyen.

La place incertaine de l’oral dans l’enseignement

D’une représentation influencée par l’écrit à une vision plurielle de l’oral

Ce qu’on appelle « oral » est un objet complexe, polymorphe, à la fois familier, puisqu’il fait partie de notre expérience quotidienne, et difficilement connaissable comme le prouve la difficulté d’en donner une définition simple (Plane 2015).
La communication au moyen du langage parlé est un des plus anciens attributs de l’espèce humaine, et pourtant cela fait relativement peu de temps qu’on dispose d’un corpus de connaissances solides à son propos. Plus exactement, même si beaucoup de travaux anciens consacrés au langage n’ont rien perdu de leur pertinence, leur approche de l’oral est peu éclairante car leurs auteurs établissaient leurs descriptions à partir des formes écrites du langage. En effet, pendant très longtemps, faute de techniques permettant d’enregistrer la parole, de saisir l’oralité dans son immédiateté, les savants n’ont pas disposé des matériaux qui leur auraient permis d’analyser l’oral. La tradition grammaticale à laquelle nous devons les catégories et les règles que nous enseignons aujourd’hui est l’héritière de cette époque et de ses lacunes : elle nous a fourni des outils pédagogiques qui conviennent bien à l’écrit (encore que cela se discute), mais qui sont inappropriés à l’oral. Et la représentation que nous avons de l’éloquence antique ou révolutionnaire a été édifiée non pas à partir des discours réellement prononcés, mais à partir d’écrits rédigés a posteriori par les orateurs.
Les choses changèrent à partir du début du XXe siècle. Dès 1911 le linguiste Ferdinand Brunot s’intéressa aux techniques d’enregistrement récemment inventées, utilisées jusqu’alors pour la musique, et en saisit l’intérêt pour l’étude de la parole. Il obtint le soutien d’industriels, les frères Pathé, et réalisa des enregistrements pour garder un témoignage de la diversité des accents et des formes employées par les locuteurs en fonction de caractéristiques personnelles et du type de prestation orale. Il constitua ainsi les Archives de la parole, première banque de données consacrée à l’oral. Sa démarche permettait d’observer des signaux informatifs spécifiques aux discours oraux, telles les courbes intonatives, la manière de prononcer ou d’accentuer des mots ou des syllabes et la durée des pauses. Comme le note Kremnitz (2013), cette volonté de saisir sur le vif la production orale dans sa réalité imparfaite et imprévisible contraste avec les méthodes utilisées pour étudier les langues : alors que les philologues s’efforcent de décrire des systèmes linguistiques et les lois qui régissent leurs évolutions (ce que fit d’ailleurs Brunot dans son Histoire de la langue française), Brunot a perçu l’intérêt d’observer des énoncés oraux dans leur instantanéité et leur singularité.
Il faudra attendre les années 1970 pour que le français parlé commence à être décrit dans son extrême diversité par les linguistes. Disposant d’enregistrements, ils ont pu réaliser des transcriptions fidèles et constituer ainsi un matériau complémentaire pour l’étude de l’oral. Les linguistes ont alors mis en défaut les visions simplistes et dévalorisantes de l’oral en montrant la complexité structurelle d’énoncés oraux, y compris quand ils ont l’air chaotiques, et en la rapportant aux contraintes de production (Blanche-Benveniste 1998 ; Cappeau 2016). Actuellement, de nombreuses recherches apportent des éclairages sur le fonctionnement des interactions, le développement du langage chez l’enfant, les processus cognitifs impliqués dans la production et la réception de messages oraux, les usages sociaux et scolaires du langage et bien d’autres aspects de l’oral. La diversité de ces approches atteste du caractère pluridimensionnel de l’oral, d’où la difficulté de le cerner (Plane et Garcia-Debanc 2007 ; Nonnon 1999, 2016). Il n’est donc pas étonnant que l’objet scolaire appelé « oral » fasse l’objet de conceptions très diverses et soit sommé de répondre à des attentes multiples.

Les paroles de deux Angolais revenus avec le comte de Rohan-Chabot sont enregistrées par Brunot pour les Archives de la parole (1914). Ferdinand Brunot, Wikiwand.com

Les demandes traditionnelles adressées à l’école et les réponses pédagogiques

La loi de 1882 qui fonde l’école républicaine en rendant obligatoire l’instruction à partir de six ans assigne à l’école la mission de faire accéder à l’écrit. Mais dans un contexte marqué par la défaite de 1870 puis par la Grande Guerre, l’oral apparait dans les textes règlementaires à la faveur de l’injonction faite à l’école d’apprendre aux élèves à « parler français ». Et pendant des décennies, l’oral sera associé à deux autres missions de l’école : aider à l’apprentissage de la lecture et assurer la diffusion de la langue française. Les programmes scolaires précisent ce qui doit être fait en matière d’oral à l’école élémentaire : ils recommandent instamment la récitation et la lecture à voix haute, préparée ou non, et soulignent la contribution que ces exercices apportent à l’acquisition d’une belle langue et à l’apprentissage de la lecture. Ce maigre arsenal est complété par les « exercices d’élocution » qui demandent à l’élève de reproduire de petites phrases, puis, lorsqu’il est parvenu à un niveau avancé, d’exprimer des impressions personnelles à la suite de lectures, de promenades ou d’expériences (Instructions de 1923). S’y ajoutent des exercices de prononciation qui permettent de corriger les « intonations vicieuses ».
Cette attention à la langue et à la prononciation se nourrit de l’idée apparue en France au XVIe siècle selon laquelle l’unité politique serait conditionnée par l’unité linguistique. L’idée d’une hiérarchie entre les langues, au sommet de laquelle serait le français, conforte cette position et explique le mépris exprimé par l’institution scolaire à l’égard des langues parlées par « les indigènes » dans les colonies et des parlers régionaux. Ainsi, en 1925, dans une « circulaire sur les idiomes locaux », le ministre Anatole de Monzi vilipende les « patois » et en condamne l’usage. Il faudra attendre la fin du XXe siècle pour que les langues régionales soient réhabilitées (Cerquiglini 1999).
Assez vite, la consigne d’apprendre aux élèves à « parler français » se précise : il faut que ce soit « un français correct et pur », comme l’écrivent les Instructions officielles de 1938. Mais cette prescription, qu’on retrouve aujourd’hui formulée dans les mêmes termes sur les forums, est en réalité très difficile à opérationnaliser. En effet, dans la mesure où les règles du langage oral ne sont pas formalisées, elles ne sont pas enseignables telles quelles. Il n’existe donc que deux réponses à la question « Comment apprend-on à parler une belle langue à quelqu’un qui sait déjà parler ? » : fournir des exemples de beau langage ou bien faire parler les élèves et corriger leur expression.

Gravure de presse d’après une gravure sur bois. Gravure collée sur un carton beige déchiré. 1830 (vers), Musée national de l’Éducation.

Le langage de l’enseignant doit donc être exemplaire. Cette recommandation, rappelée aujourd’hui encore dans la formation des enseignants, était présente dès les débuts de l’école républicaine puisque dans les premiers textes règlementant les Écoles normales d’instituteurs il est prescrit de corriger chez les futurs instituteurs « les vices de prononciation et d’intonation » qu’ils pourraient transmettre à leurs élèves (Ferry 1881).
Cependant, dans le secondaire, l’idée que la parole de l’enseignant puisse servir de modèle ne s’est pas imposée d’emblée. En effet, Bréal (1872) nous apprend dans sa description du fonctionnement des petites classes du secondaire que le professeur y parlait peu : il passait l’essentiel du cours à faire réciter par les élèves les leçons que ces derniers avaient apprises en étude. Mais, progressivement, sous l’influence du modèle universitaire et des leçons ex cathedra dispensées dans les classes de rhétorique et de philosophie, le cours magistral, qui avait été la modalité pédagogique dominante dans les collèges de l’Ancien Régime, se répandit dans tout le secondaire et s’y s’imposa (Bruter 2011). Le discours du professeur se nourrit alors de la science exposée dans les manuels et devint une source de connaissances pour les élèves et un exemple de langage oral élaboré, proche de l’écrit.
À partir des années 1920-1930, de nouvelles idées sur la pédagogie se répandirent et on commença à considérer qu’il ne suffisait pas que les élèves écoutent, mais qu’ils devaient également prendre la parole pour progresser. Dans l’enseignement primaire, différents courants pédagogiques attentifs au développement naturel des enfants, comme le mouvement initié par Freinet, incitèrent les enseignants à favoriser l’expression des élèves. Dans l’enseignement secondaire, l’évolution des pratiques en matière d’oral se fonda sur d’autres sources et se manifesta par la diffusion de la pratique du « cours dialogué ». Le cours dialogué, appelé recitation script (ou IRF pour Initiation Response Feedback) dans les pays anglo-saxons, s’inspire de la maïeutique et repose sur l’idée que le questionnement et la mise en activité des élèves sont favorables aux apprentissages. Le dispositif du cours dialogué s’organise autour de séries de trois énoncés : la question de l’enseignant, la réponse de l’élève et la validation par l’enseignant. Cette modalité pédagogique commença à se diffuser en France à partir des années 1930 et supplanta peu à peu le cours magistral sauf dans les dernières classes du lycée.
Cette forme pédagogique, aujourd’hui dominante dans l’enseignement primaire et au collège, est souvent invoquée pour affirmer que l’oral a sa place dans l’enseignement, et elle peut même donner lieu à l’attribution aux élèves d’une note d’oral en fonction de leur « participation ». Cependant, si le cours dialogué constitue pour les enseignants expérimentés un moyen d’enrôler les élèves et de faire de la classe une communauté (Veyrunes et Saury 2009), des études relèvent que la part dévolue aux élèves est en général très réduite, à la fois sur le plan quantitatif et sur le plan fonctionnel : chaque élève parle très peu et les énoncés qu’il produit sont hautement prévisibles. En effet, ce dispositif, censé offrir un espace à la parole des élèves, se trouve souvent réduit à ce que Leclaire-Halté (2010) appelle un « questionnaire en entonnoir », au moyen duquel l’enseignant s’efforce de guider les réponses des élèves vers l’énoncé attendu. Il est également reproché au cours dialogué de faire l’impasse sur les difficultés qu’éprouvent les élèves les plus fragiles à mobiliser les capacités d’abstraction et de distanciation nécessaires pour entrer efficacement dans le jeu dialogal mené par l’enseignant (Bautier et Rayou 2009).
L’observation des classes montre que les exercices offrant aux élèves l’occasion d’une pratique orale sont d’une grande stabilité. Ainsi les documents d’accompagnement de 1996 constataient que dans le secondaire, seuls les exposés, le théâtre et la récitation fournissaient l’occasion d’un travail mettant en jeu l’oral. Et le rapport de l’Inspection générale de 2013 consacré au primaire notait à propos du cycle 2 : « L’oral : un continent délaissé mais une activité plébiscitée : la récitation », et plus loin, à propos du cycle 3 : « L’oral : quelques pratiques convaincantes mais bien rares, la récitation toujours ». Ces pratiques convaincantes dont le rapport déplore la rareté consistent en travaux de groupe, ateliers, débats, qui exigent une solide réflexion didactique. Le succès de la récitation s’explique parce que cet exercice familiarise les élèves avec la littérature et avec des formules qu’ils pourront s’approprier et donne l’occasion d’un travail sur la voix. Mais ce n’est pas la seule raison : d’une part, c’est un exercice facile à mettre en œuvre et à évaluer, d’autre part, il amène les élèves à ne proférer que des énoncés corrects, ce que ne peuvent garantir les exercices faisant parler les élèves.
En effet, la prescription « enseigner un français correct » pose la question de la définition du français correct. Pendant très longtemps, la réponse a été simple : les Instructions officielles de 1938 souhaitaient que les élèves utilisent « la parole d’une langue écrite ». Ces mêmes Instructions officielles distinguaient deux types d’élèves : l’un « appartient à un milieu cultivé », l’autre « parle une langue entachée comme celle des siens de termes impropres et de constructions vicieuses ». La violence et la connotation morale de cette la formule qui stigmatise à la fois l’élève et « les siens » seront dénoncées par Halté (2005).

Classe de Musique et Chant vers 1900. école de Montigny-Lès-Vesoul, Musée national de l’éducation MUNAÉ

L’émergence de nouvelles réflexions sur l’oral

Dans les dernières décennies du XXe siècle, la massification scolaire due à l’arrivée des générations d’élèves nés après la deuxième guerre mondiale conduit l’école à se poser de nouvelles questions sur sa mission et sur le langage à enseigner.
Au début des années 1970, la commission Rouchette, du nom de l’Inspecteur qui la préside dans le cadre de l’Institut Pédagogique National1, élabore un projet d’Instructions Officielles pour l’école primaire en s’appuyant sur des expérimentations menées dans des classes. Mais l’administration de l’Éducation nationale se montre frileuse et publie des Instructions officielles édulcorées. Le projet Rouchette, nourri des travaux des linguistes, trouve un prolongement à travers le Plan de Rénovation pour l’enseignement du français qui sera utilisé pour la formation des instituteurs. Dans les Écoles normales d’instituteurs, on attire donc l’attention des futurs enseignants sur le rôle moteur de la communication dans les apprentissages langagiers et on recommande de mettre en place des situations de communication adaptées aux spécificités des classes. Des recherches appliquées sont engagées pour opérationnaliser le concept de variation issu de la sociolinguistique. En faisant alterner des phases de « libération de la parole » et des phases de « structuration », il s’agit de faire prendre conscience qu’un même locuteur emploie des registres différents en fonction des caractéristiques de la situation telles que les statuts respectifs des interlocuteurs, les enjeux de la situation, la nature du thème traité, etc. Contrairement à la notion de « niveau de langue », héritée de la rhétorique classique qui distinguait des « styles bas » et des « styles nobles », la notion de registre, plus subtile, induit une réflexion sur les paramètres de la situation de communication et n’est pas porteuse de jugement de valeur. À partir des années 1990, les chercheurs s’intéressent également au rôle du langage dans les disciplines scolaires. Les programmes de 2002 pour le primaire qui s’en inspirent recommandent que l’attention portée au langage ne soit pas réservée au seul cours de français. Et, tout en faisant la part belle à l’écrit, ils insistent sur la nécessité d’apprentissages organisés et structurés dans le domaine de l’oral. Ils préconisent notamment de mettre en place des ateliers, par exemple pour apprendre à élaborer une explication et la présenter devant la classe.
Pendant toute cette période, dans le secondaire, on continue de se référer aux « niveaux de langue » et de faire pratiquer des exercices de transposition d’énoncés du « niveau familier » au « niveau soutenu ». Les prescriptions officielles évoluent peu. Quelques notions issues des théories de la communication, comme celle d’émetteur et de destinataire, sont cependant introduites dans l’enseignement.
Une évolution se fait sentir avec les programmes de 1996 pour le collège et de 2002 pour le français au lycée. En effet, s’inspirant de la linguistique de l’énonciation, ils prennent comme point nodal la notion de discours, celui-ci étant défini comme « toute mise en pratique du langage dans un acte de communication à l’écrit ou à l’oral ». Ils fournissent également un cadre pour l’étude et la pratique de l’argumentation. Ces outils intellectuels sont précieux pour apprendre à décoder l’ironie, identifier les procédés employés pour convaincre ou persuader. Ils s’appliquent aussi bien aux discours oraux qu’aux discours écrits, mais dans les classes, le plus souvent, ils ne sont mobilisés que pour travailler sur des textes écrits.
Par un retour de balancier, les programmes pour le primaire et le secondaire publiés dans les années 2007-2008 s’exemptent de toute influence des travaux de recherche et n’affichent que peu d’intérêt pour « l’expression orale ». Seuls l’enseignement des langues vivantes et celui du français langue de scolarisation destiné aux élèves allophones font alors l’objet d’une réflexion sur l’oral.
Il faudra attendre 2015 pour que l’institution scolaire recommence à s’intéresser à l’oral et publie des programmes qui lui font une large place.

Des réponses complémentaires

On attend du travail scolaire sur l’oral qu’il rende plus civils les adolescents en rupture avec les codes et les modes de vie des adultes et qu’il répare la fracture sociale dont témoignent les difficultés de l’école dans les zones sensibles. Mais cette mission porteuse des valeurs de solidarité entre en contradiction avec les souhaits légitimes de chaque famille qui veut son enfant soit préparé mieux que les autres à la compétition scolaire et sociale.
Trouver une réponse unique et définitive à ces attentes multiples est impossible. Mais il existe plusieurs dispositifs qui apportent des réponses complémentaires en envisageant différents aspects de l’oral.
Les ateliers de mise en voix de textes et de pratique théâtrale font partie des dispositifs classiques. L’élève est placé dans une démarche d’interprétation : devenu lecteur ou acteur il attribue en fonction de sa sensibilité et de son expérience un sens à un texte et le communique par des moyens verbaux – les mots du texte – et des moyens gestuels, posturaux ou paraverbaux (intonations, débit, accentuation, volume de la voix, expressions du visage…). En offrant aux élèves l’occasion d’exercer leur voix, de mobiliser leur corps, de maitriser leur souffle, d’explorer les possibilités offertes par l’espace, le geste, le déplacement, ces ateliers compensent en partie l’immobilité et le quasi-mutisme auxquels le fonctionnement ordinaire de la classe les contraint. Le fait que le travail sur la voix, le souffle, la posture, se fasse à partir d’un texte fourni aux élèves permet de focaliser leur attention sur ces variables, ce qui ne serait pas le cas s’ils devaient élaborer les énoncés qu’ils prononcent. L’équilibre entre les activités ludiques, l’improvisation, le travail à partir de textes et les apports théoriques varie selon les ateliers. Cependant, ces ateliers sont rarement intégrés à l’activité ordinaire de la classe et ne sont donc fréquentés que par les élèves volontaires et non par tous ceux qui ont besoin d’acquérir de l’aisance à l’oral.
À côté de ces ateliers organisés par les équipes éducatives des établissements scolaires, d’autres ateliers mis au point par différents organismes ont fait récemment leur apparition dans les collèges où ils se proposent d’initier les élèves à l’éloquence. Leur développement est en lien avec la multiplication de concours popularisés par les médias et organisés sur le modèle des compétitions sportives auxquelles ils empruntent une partie de leur vocabulaire et de leurs pratiques. Dans ce contexte l’éloquence est associée à la prestance personnelle et à la maitrise de techniques de la communication médiatique ou politique, voire du spectacle, comme le stand- up. Le soutien institutionnel accordé à ces concours et à ces formations vient de ce qu’ils offrent à des élèves de milieu défavorisé l’occasion de remporter des succès, à condition toutefois d’avoir un talent personnel.
Sans nier l’intérêt d’activités ciblées qui favorisent le développement personnel et entrainent les élèves à la communication publique, des chercheurs et des enseignants se sont intéressés au traitement didactique de l’oral envisagé sous l’angle de ses enjeux cognitifs, sociaux et scolaires et ont exploré deux voies complémentaires.
L’une des voies consiste à dédier des séquences d’apprentissage à l’oral, mais il faut pour cela faire de l’oral un objet enseignable, c’est-à-dire trouver un principe organisateur qui permette une programmation et la détermination d’objectifs précis. Pour y parvenir Dolz et Schneuwly (2016) prennent comme point d’appui la notion de genre telle que Bakhtine (1984) l’a formalisée. Pour Bakhtine, les genres de discours, oraux ou écrits, sont caractérisés par un ensemble de traits et par la spécificité de leur sphère d’usage. À côté des genres seconds, qui relèvent de la littérature, il existe des genres premiers, ceux de la vie courante, dont la codification, quoique implicite, joue un rôle culturel. Des analystes ont ainsi montré que la conversation ordinaire obéit à certains rituels, constamment pratiqués mais jamais explicités. Dolz et Schneuwly ont sélectionné des genres scolaires, comme l’exposé ou le débat régulé, et des genres sociaux, comme l’interview radiophonique qu’ils ont transposés pour l’école. À partir des caractéristiques de ces genres, ils ont défini des objectifs d’apprentissage et mis au point des séquences. Se fondant sur ces mêmes principes, Dumais et al. (2017), au Québec, proposent un protocole d’enseignement pour l’école primaire assorti de modalités d’évaluation. En France, dans une optique proche, des écoles et des collèges ont mis sur pied des projets de web-radios scolaires. Les élèves sont ainsi initiés à des genres audio ou audiovisuels et perçoivent la finalité des apprentissages qu’ils réalisent.
L’autre voie s’intéresse à la manière de faire du langage oral un outil du travail intellectuel. L’objectif est de familiariser les élèves avec ces usages spécifiques du langage, usages qui constituent un atout scolaire et social, mais dont seuls certains élèves ont les clés. Pour cela, il faut concevoir des tâches langagières, attirer l’attention des élèves sur ce qui se joue lors de leur exécution et assurer un guidage. Il peut s’agir de tâches complexes comme le débat ou la discussion qui exigent une préparation en amont de la prestation : les élèves doivent se documenter, sélectionner les informations utiles et en expérimenter le pouvoir argumentatif dans de micro-séquences de débat. Il est important que les élèves soient avisés des enjeux propres à la situation : dans un débat interprétatif portant sur un texte littéraire on cherche à faire prévaloir une interprétation plausible, alors que dans un débat scientifique, on vise l’administration de la preuve ; dans le cadre de l’éducation morale et civique, l’enjeu n’est pas d’argumenter avec brio, mais de réfléchir aux valeurs en jeu. Il peut aussi s’agir de micro-tâches dont la vie scolaire offre de multiples occasions, comme celle de reformuler un propos, expliciter un terme, résumer, synthétiser en rassemblant des éléments issus de plusieurs interventions orales. Pour qu’il y ait apprentissage, il est utile de dénommer ces opérations langagières lorsqu’on les sollicite ou lorsque des élèves les réalisent spontanément, notamment lors de travaux collaboratifs, afin que les moins aguerris puissent en comprendre le fonctionnement à partir des exemples signalés. Il est également indispensable de multiplier et diversifier les prises de parole consistantes, depuis les situations de recherche dans lesquelles l’élève se confronte à la résistance des mots, hésite, se corrige, parce qu’il élabore sa réflexion en même temps qu’il produit son message, jusqu’à l’exposé portant sur un sujet bien maitrisé pour lequel le locuteur dispose d’une trame préconstruite et d’un répertoire de formules.
Il est difficile de savoir aujourd’hui quels effets aura le Grand Oral sur la formation des élèves en amont. L’attention portée à l’oral est une bonne chose, mais tout dépendra du modèle qui finira par s’imposer. Si le modèle issu des grands concours prévaut, il est probable que les élèves dont certains traits trahissent l’origine populaire seront défavorisés : Labov (1992) nous a appris que le cadrage de l’interaction et les traits intonatifs sont de puissants marqueurs sociologiques dont il est difficile ou douloureux de se débarrasser, d’autant qu’ils sont une des composantes de l’identité personnelle. Et comme il est prévu que seul l’un des deux évaluateurs soit compétent sur le plan disciplinaire, il est probable que les traits classants auront une influence sur le jugement porté sur la prestation, même si celle-ci a été longuement répétée, et même si la réponse à la question finale portant sur la motivation de l’élève aura été elle aussi apprise par cœur.

Sylvie Plane

 

 

Se préparer à l’oral par la pratique médiatique

Comprendre qu’il existe différentes dimensions dans la communication et savoir ce que chacune recouvre semblent constituer le socle de connaissances et compétences à faire acquérir aux élèves pour les préparer à une bonne maîtrise de l’expression orale. S’entraîner par la pratique médiatique en intégrant les codes de la communication dans ses dimensions verbale, paraverbale et non verbale peut permettre à chacun de se construire les bases d’une culture de l’oralité.

Les différentes dimensions de la communication

Quand on propose aux élèves de faire une recherche sur le sujet des différentes dimensions que recouvre la communication (en vue d’un exposé, par exemple) c’est Albert Mhérabian qui est souvent cité en référence. Professeur émérite en psychologie de l’Université de Californie, il a effectué deux études auprès d’un panel de femmes, qui sont à l’origine de la « règle des 3 V » (surt les parts respectives du Verbal, du Vocal, du Visuel dans la communication orale). La première étude reposait sur l’écoute de mots à connotation positive, négative ou neutre et à la façon dont les réceptrices interprétaient le sens des mots en fonction de l’intonation donnée par le locuteur. Dans tous les cas, c’est l’intonation et le son de la voix qui déterminaient le sens donné et donc la communication paraverbale (ou vocale) semblait l’emporter sur la communication verbale (choix des mots). La deuxième expérience avait pour but d’identifier le rapport entre communication paraverbale et communication non verbale (expression faciale ici), autrement dit posait la question de savoir ce qui de l’intonation ou de l’expression du visage était le plus impactant dans la compréhension d’un message. Les résultats de ces expériences ont conduit Mhérabian à dire que l’attitude corporelle et l’expression visuelle, ou encore l’intonation et le son de la voix, donnaient des informations essentielles sur la façon d’interpréter un message. En 1971, la « règle des trois V » ou « règle du 7 % – 38 % – 55 % » établit la part de verbal, de vocal et de visuel dans une communication orale. 93 % de la communication orale serait donc non verbale. Albert Merhabian lui-même a souligné les limites de son étude3 et en particulier le panel réduit et non mixte utilisé. Ses résultats sont pourtant fréquemment repris et ont quand même le mérite de faire prendre conscience de l’existence de ces trois niveaux de communication et de leur nécessaire prise en compte en situation d’émission ou de réception.
Une approche comparative des présentateurs de journaux télévisés à travers le temps (fiche 7 page 19 du dossier pédagogique Se préparer à l’oral par la pratique médiatique) peut justement permettre d’illustrer ces trois dimensions. Claude Darget en 1957, Roger Gicquel en 1976 et Nathanaël de Rincquesen en 2020 ne les prennent pas du tout en compte de la même façon. Gestuelle et expressions faciales désordonnées y sont beaucoup plus marquantes à l’époque où le présentateur TV fait ses débuts, comparativement à aujourd’hui où tout semble sous contrôle (gestuelle, expressions faciales, expression orale, gestion de l’espace).

« Au commencement était le verbe »

En début d’année pour contribuer à créer du lien entre les élèves ou en début de séquence, l’activité Une voix pour faire connaissance (fiche 2 page 9 du dossier) permettra d’évaluer le niveau de maîtrise des compétences orales des élèves. Trois niveaux (permettant également une marge de progression) sont possibles, de l’autoportrait audio que chacun peut réaliser seul à l’émission collaborative nécessitant un bon niveau de complicité entre les élèves. Tous sont associés dès le départ pour réfléchir à la définition des critères à prendre en compte, qu’il s’agisse de ceux relatifs au langage verbal (qualité de l’expression : lexique, syntaxe, clarté du propos) ou au langage paraverbal (débit, volume, intonation). La gradation possible entre les différents types de production radiophonique permet de mettre en œuvre des compétences complexes dans le domaine de la maîtrise du langage (savoir s’exprimer de façon maîtrisée en s’adressant à un auditoire, participer de façon constructive à des échanges oraux, adopter une attitude critique par rapport à ses productions orales).
La maîtrise du langage verbal propre à la pratique radiophonique passe par des exercices qui vont aider à structurer son propos et à prendre en compte son interlocuteur. La fiche 8 du dossier permet par exemple de former les élèves à l’art de la relance grâce à l’interview. À partir de thématiques proposées par l’enseignant sur lesquelles les élèves vont dialoguer, ils sont formés à ce qu’est une question ouverte. Constitués ensuite en binôme, ils doivent préparer une ou deux questions pour interviewer leur camarade et prennent des notes sous forme de mots clés pendant que ce même camarade répond. Ces mots clés, reformulés, constituent alors autant de points de relance qui dynamiseront ensuite l’interview. Cette écoute active est formatrice pour l’intervieweur mais elle l’est aussi pour l’interviewé qui, avec un peu d’expérience, pourra dans le meilleur des cas imaginer les questions de relance à venir ou au moins s’y préparer, en restant ouvert et à l’écoute de son interlocuteur comme il est utile de l’être en situation d’oral face à un jury.
D’autres fiches proposent de faire travailler l’argumentation : la fiche 17 page 42 (voir encadré 1), intitulée Le podcast pour travailler l’argumentation met les élèves en situation de créer des bandes annonces radiophoniques pour présenter des œuvres. Les podcasts réalisés déterminent ensuite le vote des élèves constitués en jury pour établir un classement. Ils auront au préalable conçu une grille d’évaluation en commun (grille d’auto-évaluation ou évaluation par les pairs, en annexe du dossier). L’activité est réalisable à partir de divers contenus (jeux vidéo, articles scientifiques, albums de musique, vidéos You Tube, etc.). La fiche 18 page 44, plus classique, propose d’Organiser un débat dans sa classe. Un enregistrement vidéo ou sonore pourra servir de support pour une auto-évaluation ou celle par un pair.

Langage paraverbal : intensité, débit, intonation

Découvrir sa voix et ses phénomènes de résonance, expérimenter la respiration profonde sont proposés dans l’activité Respirer et dire (fiche 3 page 11 du dossier). En binôme, un élève lit un texte court, l’autre enregistre. Ils écoutent à deux puis de manière collective et découvrent alors qu’ils ont deux voix : celle qu’ils entendent et celle que les autres entendent. L’écoute se fait avec les yeux fermés pour mieux se concentrer sur ce qu’on entend sans se laisser parasiter par le regard et les expressions des autres. Un exercice relatif à la prise de conscience de la respiration abdominale profonde est également proposé fiche 4 page 13. De petits exercices simples permettent d’approfondir le travail relatif à l’intonation et à la puissance vocale : qualifier sa voix et en jouer pour expérimenter le rapport intonations/intention du locuteur (accrocher un sourire à sa voix), travailler sa diction (crayon dans la bouche, virelangues) et lutter contre ses tics de langage. Pour être intégrés par les élèves, ces exercices ont intérêt à s’inscrire dans la durée et à être expérimentés régulièrement. Respirer, dire, moduler débit et intonation peuvent devenir un rituel dans la classe. On peut y consacrer chaque jour quelques minutes ou chaque semaine une séance dédiée. D’autres rituels possibles seront développés un peu plus loin.

Langage non verbal : gestuelle, communication visuelle

Une évaluation diagnostique des élèves concernant la communication non verbale peut constituer l’étape suivante du travail à mener. La fiche 5 page 16 du dossier Se préparer à l’oral par la pratique médiatique propose pour cela d’amener les élèves à s’enregistrer sur une chronique radio ou un texte simple dans la classe. Pendant ce temps d’autres élèves évaluent le langage non verbal exprimé grâce à une grille d’évaluation. Ils prennent ainsi conscience que l’attitude du corps (positionnement des pieds, des épaules, gestuelle des bras, port de tête, regard) doit être pleinement engagée dans le processus de communication (ouvrir sa cage thoracique, se tenir droit, lever le menton, etc.). L’atelier suivant (même fiche) permet de travailler la posture du corps en situation d’expression orale que ce soit par un exercice d’analyse et de réflexion comme le visionnage d’un numéro de l’émission Déshabillons-les sur Public Sénat ou par des exercices pratiques comparatifs comme le fait de déclamer un texte avec une mauvaise posture puis de le déclamer à nouveau dans une bonne posture. La notion de « congruence » émerge durant les exercices pour insister sur le fait qu’une certaine harmonie est absolument nécessaire entre gestuelle et communication verbale si on veut réaliser un oral réussi et efficace et si on veut se sentir serein en position de locuteur.
Concernant la dimension visuelle qui relève de l’image que l’on donne à voir en fonction de notre attitude, Paul Ekman, psychologue américain a commencé dès les années soixante-dix des recherches sur les expressions émotionnelles faciales. Il les a décomposées en unités (micro/macro) et a établi une typologie de gestes – le « Facial Action Coding System » (FACS). Pour Ekman, « le visage est le premier signal de l’émotion, la voix le second ». La gestuelle de tout ou partie du corps est révélatrice pour qui sait observer. Ces signaux comportementaux (micro-expressions) que nous émettons sont conditionnés par notre culture. Ils relèvent de la psychologie et du rôle de nos émotions et de notre état d’esprit par des attitudes particulières, souvent à peine perceptibles. À l’inverse, certains signes révélateurs d’émotion sont parfois difficiles à dissimuler en situation d’épreuve orale (tremblements, rougeurs,) et cela d’autant plus que la lecture du gestuel attire souvent davantage l’attention de notre public que le langage verbal ou paraverbal que nous utilisons. Soyons donc vigilant à conserver la maîtrise. Pour aller plus loin, voir le site de Paul Ekman4, le documentaire Le visage décrypté diffusé en 2011 sur Arte et disponible sur You Tube en cinq parties5 et la fiche REC-Communication non verbale de Catherine De Lavergne de l’Université Paul Valéry de Montpellier6.
Travailler à partir d’extraits de films pour faire du doublage est également un exercice intéressant car il permet de s’attacher justement à une dimension visuelle imposée à partir de laquelle il faudra imaginer un message verbal et vocal. La fiche 16 page 41 Conjuguer écrit et oral vous permettra de travailler l’écriture d’une bande son qui colle à l’image imposée et de prendre conscience que l’image peut nous inciter à utiliser notre corps pour être plus expressif. Les comédiens qui font du doublage de film ou de dessin animé sont à ce titre en général debout, « à la barre » comme dans un tribunal, pour permettre justement l’expression corporelle7.

Communication interpersonnelle et prise en compte de l’espace

Les « nouveaux penseurs de la communication » qui constitueront ce qu’on a appelé plus tard l’école de Palo Alto commencent leurs travaux dans les années 50 et remettent en question le schéma de la communication de Jacobson qu’ils assimilent à ce qu’Yves Winkin appellera en 1996 « un modèle télégraphique de la communication »8, c’est-à-dire un modèle de communication qui ne prend pas en compte la dimension interpersonnelle. Pour les chercheurs de Palo Alto, « on ne peut dissocier l’émetteur du récepteur, comme si ceux-ci fonctionnaient dans des sphères différentes. La communication est un système de relations où les individus ne peuvent se penser isolément. Par la rétroaction, elle agit en boucle. Le récepteur n’est pas considéré comme passif, mais il interprète les messages et émet à son tour des signes qui font évoluer le système en obligeant l’émetteur à s’adapter. Le nouveau paradigme de la communication implique que le système s’autorégule, du fait que A ne peut agir sur B sans s’affecter lui-même »9. Paul Watzlawick (un des fondateurs de Palo Alto) assure que dans tout échange humain, la relation l’emporte sur le message : « un cinquième, peut-être, de toute communication humaine sert à l’échange de l’information, tandis que le reste est dévolu à l’interminable processus de définition, confirmation, rejet et redéfinition de la nature de nos relations avec les autres ». Cette communication interpersonnelle repose sur « le primat de la relation sur l’individualité » ; sur le fait que « tout comportement humain a une valeur communicative » et sur le fait que « tous les phénomènes humains peuvent être perçus comme un vaste système de communications qui s’impliquent mutuellement »10.
Si la communication non verbale est relative aux mouvements et positions du corps (la kinésique), elle est aussi relative à la gestion par l’individu de son espace et des distances interpersonnelles qu’il établit (la proxémique). Sur ce dernier point, Edward.T. Hall, anthropologue, étudie dans les années 1970, l’usage culturel de l’espace dans la communication11. Il distingue espace social et espace personnel et définit quatre types de distances, variables selon les cultures et qui vont de la distance intime (15 à 45 cm) à la publique (3,60 m à 7,50 m), en passant par la personnelle et la sociale. On peut tester avec les élèves ces différentes distances dans la communication orale et apprécier ce qui est le plus adapté selon les situations (dans une situation d’épreuve orale, on sera plutôt entre distance sociale et publique).
Pour aller plus loin et se perfectionner, il faut s’entraîner régulièrement et la ritualisation de certains exercices est sans aucun doute la meilleure façon d’y arriver (voir encadré 2). C’est l’objet de la troisième et dernière partie du dossier. La fiche 11, intitulée À la manière du Quoi de neuf ? de Célestin Freinet propose chaque semaine à un élève sur un temps court de rendre compte de son actualité (coup de cœur, coup de gueule et coup de poing de la semaine écoulée) ou d’une actualité locale, nationale, internationale devant la classe. Selon le niveau et la discipline dans laquelle l’activité se déroule, on peut lui demander de traiter d’une actualité particulière. Il peut lire ou dire ce qu’il aura préparé. L’exercice a de nombreux avantages : il permet de découvrir sa voix ; de travailler la prise de parole en public ; de structurer son propos ; d’argumenter et d’apprendre à gérer son temps. Il peut permettre aussi de faire émerger une parole singulière car il laisse une marge de liberté sur le fond et la forme. Dans le dossier, la fiche 15 Faire émerger une parole singulière et authentique propose trois autres pistes inspirées de l’ouvrage Porter sa voix de Stéphane de Freitas (Éditions Robert).

Écrire pour l’oral

C’est la grande surprise des élèves quand on leur fait faire de la radio ; il faut passer par l’écrit ! Après le premier jet de la rédaction, cet écrit va devoir être retravaillé pour être oralisé. Il existe trois formes d’oral (spontané, scriptural, oralisé) et si l’oral spontané est plutôt celui qui relève de la sphère privée, l’oral scriptural, repose quant à lui sur un écrit qui est lu (exposé rédigé in-extenso dans la plupart des cas, en particulier dans le primaire ou au collège, que les élèves ânonnent). C’est l’oral qui est le plus largement privilégié par l’école à ce jour. C’est un oral très contraint qui a plus d’analogies avec l’écrit qu’avec l’oral. L’écrit oralisé est sans doute la forme d’oral la moins exploitée et pourtant c’est celle qui est la plus équilibrée dans la relation qu’elle entretient entre l’oral et l’écrit. C’est un entre-deux. Bernard Lahire dans Culture écrite et inégalités scolaires12 écrit en 1993 « Pour favoriser la réussite scolaire des élèves habituellement exclus du système éducatif, il importe de travailler avec eux la diversité des oraux, en les mettant en position de pratiquer à l’école à la fois l’oral pratique conversationnel qui leur est familier et l’oral scriptural privilégié par l’école ». Ce n’est pas un hasard si c’est un enseignant (professeur-documentaliste) de lycée professionnel qui a proposé la fiche pédagogique 12 Écrire pour l’oral ; s’approprier les codes de l’écriture à la radio. Les activités proposées consistent dans un premier temps à écouter une revue de presse radiophonique et à comprendre les spécificités de son écriture ! Chaque élève est concentré sur une mission de repérage (structure, longueur des phrases, temps des verbes, etc.) et sur un travail de transcription écrite. La trace écrite permet de lister les caractéristiques de l’expression radiophonique. Dans un second temps, les élèves sont formés à mettre en forme leur prise de notes : apprentissage de différentes techniques (carte mentale, mots clés, etc.). La restitution orale de la revue de presse se fait pour finir, à partir des notes prises.
La fiche 14 est relative à Estime de soi et gestion des émotions. Ses objectifs sont nombreux : aider les élèves à avoir une bonne estime d’eux-mêmes ; aider les élèves à « porter leur voix » grâce à une bonne confiance en eux ; apprendre à gérer leurs émotions, par une mise en situation régulière, par des exercices d’improvisation et des exercices respiratoires ; passer d’une mise en pratique individuelle à une mise en pratique collective.
En complément du dossier pédagogique Se préparer à l’oral par la pratique médiatique qui est sorti en novembre 2019 et que nous mettons à votre disposition2, nous proposons aujourd’hui le programme « Les Babillages du CLEMI Bordeaux », série de neufs petits défis que les élèves peuvent relever seuls ou avec l’accompagnement d’un adulte (enseignant.e, éducateur.trice, parent.e). Son but est de permettre à chacun de s’entraîner de manière autonome à l’aide d’exercices faciles et ludiques pour atteindre la « simple effusion, en paroles faciles, d’une personne qui se complaît à parler » (définition de « babil » selon le dictionnaire Le Littré) !

 

 

 

LabAURAScopE – Développer les compétences de l’oral par l’analyse de l’activité

L’oral comme objet d’enseignement au collège et au lycée

La compétence en communication orale est aujourd’hui primordiale. Elle révèle la capacité à s’exprimer et à échanger des idées entre individus en milieu professionnel ou dans la vie quotidienne. Maîtriser son expression orale c’est être capable d’énoncer clairement un message tout en adaptant le message et le médium à l’auditoire et au contexte. Ainsi la loi du 8 juillet 2013 sur la refondation de l’école de la République, comprenant la réforme des cycles, a fait de l’enseignement de l’oral une priorité afin de réduire les inégalités entre élèves. Des changements effectifs dans les programmes sont désormais visibles sur l’enseignement de l’oral.
Au collège, l’oral est une compétence scolaire. La mise en œuvre des nouveaux programmes et la maîtrise du socle commun de connaissances et de culture a renforcé cet enseignement. Toutes les disciplines concourent à l’acquisition d’une aisance à l’oral et permettent de produire des énoncés oraux maîtrisés. Par ailleurs la réforme du lycée a introduit de nouveaux paradigmes quant à l’enseignement de l’oral. La maîtrise de la parole et de l’expression est en effet une composante nécessaire de la formation de l’élève comme sujet : expression et épanouissement de la confiance en soi, construction de la relation à l’autre, du système des valeurs personnelles et collectives, appropriation d’une culture. Mais il s’agit aussi d’une condition essentielle pour l’avenir universitaire et professionnel des jeunes comme pour leur formation citoyenne.
L’épreuve du Grand Oral parmi les épreuves du nouveau baccalauréat pose à nouveau la question de « l’oral » dans le système scolaire. Les problématiques liées à l’apprentissage de l’oral resurgissent car en France, traditionnellement, seule la culture écrite possède une valeur scientifique. L’écrit incarne la réussite scolaire. À l’école, l’écrit et l’oral peuvent être parfois mis en opposition. Pourtant, les compétences orales des élèves sont nécessaires à la transmission des savoirs et à l’apprentissage en général.

LabAURAScopeE, travailler l’oral grâce à la vidéo

En classe, l’oral est difficile à observer et complexe à analyser car il ne laisse pas de trace. LabAURAScope prend ainsi tout son sens.
Cette expérimentation pédagogique, pilotée par Véronique Julien, IA-IPR d’histoire-géographie dans l’académie de Lyon, est née du postulat suivant « Qu’est-ce-que les images peuvent transmettre que les mots ne peuvent pas communiquer ? » (David Mac Dougall, 2004)1.

Ce projet basé sur la vidéoscopie, consiste à filmer les élèves en situation d’apprentissage. Il a débuté à la rentrée 2019, encadré par la DANE de Lyon et l’IFé (Institut Français de l’Éducation), et s’appuie sur un protocole de recherche précis dont les points de référence sont les suivants : introduire des situations de vidéoscopie en classe et au CDI, définir clairement le droit à l’image, étudier et analyser le rôle de l’activité de réflexion dans la construction des savoirs grâce à l’auto et à l’allo-confrontation (voir et commenter sa prestation orale) et garantir la valeur scientifique de l’expérience en évitant les biais cognitifs, ces mécanismes de la pensée qui influencent les émotions et les prises de décision.
Un groupe de travail composé de six enseignants de collège, lycée général et technologique, lycée professionnel et de disciplines différentes (documentation, histoire-géographie, lettres modernes, math-sciences et sciences physiques) participe cette année à l’élaboration de séquences pédagogiques filmées. Les objectifs de LabAURAScopE sont multiples : mettre l’élève au cœur des apprentissages en permettant d’analyser sa pratique à l’oral et d’en rendre compte, développer des compétences disciplinaires, transdisciplinaires, sociales chez les sujets filmés afin de répondre aux exigences scolaires et sociétales. Par ailleurs, s’intéresser à la compétence orale c’est aussi repenser la posture de l’enseignant et sa pratique et donc se poser les questions suivantes en matière de pédagogie et de didactique : quels attendus pour les élèves ? quels objectifs ? pour quels élèves ? c’est-à-dire comment différencier les apprentissages ? quels outils pour les faire progresser dans l’exercice de l’oral ? Le 2 avril 2019, Véronique Julien a présenté LabAuraScope à la formation « Numérique et gestes professionnels des enseignants » qui a eu lieu à l’IFé de Lyon car la vidéo est aussi pour l’enseignant un facteur de transformation de la pratique pédagogique.

Présentation d’une situation vidéoscopique au collège

Deux expérimentatrices, une professeure documentaliste et une professeure de lettres ont choisi de coenseigner des séquences pédagogiques en suivant trois binômes d’élèves volontaires et de niveau hétérogène dans une classe de quatrième sur une année scolaire. Pour Fouzia Amara, professeure de lettres et moi-même, gérer la diversité des apprentissages avec des groupes de niveau différent doit favoriser l’entraide entre élèves, la collaboration et les procédures, encourager l’autonomie et par conséquent lutter contre le décrochage scolaire.

La collaboration

Description de l’expérimentation, première captation

Avant de commencer à travailler avec les sujets filmés, nous avons suivi le protocole mis en place. Il a donc fallu au préalable demander par écrit une autorisation d’enregistrement de l’image et de la voix aux responsables légaux des élèves mineurs et expliciter le projet pour lequel les élèves allaient être filmés : « Expérimentation académique : filmer les élèves en situation d’apprentissage au CDI dans le cadre du cours de français afin de travailler avec eux la maîtrise de l’oral en analysant leur posture. Ces captations vidéo pourront donc servir aux professeurs pour faire progresser les élèves dans leur pratique de l’oral, dans la perspective de la préparation de l’épreuve orale du brevet et également aux enseignants ou formateurs dans le cadre de la formation ou de la recherche en éducation ». Puis nous avons décliné le cadre, la démarche pédagogique et les objectifs/finalités de cette séquence pédagogique filmée avec un téléphone portable.

La démarche pédagogique

Cette première expérimentation a été menée au CDI, en demi-classe, dans le cadre du cours de français et durant les heures d’accompagnement personnalisé. La séquence s’intitulait « La Peinture au temps de Maupassant » en lien avec le thème au programme, « La fiction pour interroger le réel ». Les objectifs transversaux visés en français, histoire et éMI étaient les suivants : « Connaître les principaux mouvements artistiques au XIXe siècle, s’interroger sur le peuple et ses représentations artistiques au XIXe siècle, savoir présenter une œuvre d’art à l’oral, utiliser le logiciel de cartographie Xmind afin d’acquérir des compétences numériques, organiser sa pensée » pour présenter un exposé oral en s’appuyant uniquement sur la carte mentale produite, sans autres notes. Le « mind map », outil transversal et transdisciplinaire, permet de synthétiser, rassembler et réorganiser ses connaissances afin de pouvoir/savoir les réinvestir dans d’autres activités ou d’autres disciplines.
Huit heures de travail au CDI ont été nécessaires pour effectuer les recherches documentaires sur l’œuvre d’art choisie et la réalisation de la carte mentale. Tous les élèves de la classe ont présenté un exposé oral de dix minutes et seuls les trois binômes désignés au départ ont été filmés.
Pour rendre efficace le passage à l’oral, nous nous sommes questionnées sur l’évaluation.
Pourquoi et comment évaluer l’oral ? Qu’il soit enseigné ou non enseigné, l’oral est évalué dans les examens ou les entretiens d’embauche ; toute évaluation de l’oral implique une réflexion sur la norme (qu’est-ce-que bien parler ?). Le statut de l’oral dans la classe est un bon analyseur du mode de travail de l’enseignant et de sa conception des apprentissages. Une évaluation objective est nécessaire à l’enseignant pour un étayage efficace (Bruner 2002, 7e éd., p. 261) et plus précisément quand l’adulte aide l’enfant à faire ou dire ce qu’il ne pourrait pas faire tout seul. Enfin, l’évaluation objective est nécessaire aux élèves pour savoir comment progresser.
Fortes de ce raisonnement, nous avons donc décidé, afin de rendre l’élève acteur de son apprentissage, d’évaluer et de faire évaluer par les pairs. Concernant l’évaluation sommative, les élèves de la classe ont construit eux-mêmes la grille d’évaluation en fonction des items et critères de réussite à l’oral : la communication verbale (élocution, aisance, articulation et volume de la voix), la communication non verbale (distance par rapport aux notes, aisance, dyna-misme), les aspects relationnels (prise en compte de l’auditoire, sources…) et enfin l’argumentation (réponses pertinentes aux questions) et le vocabulaire d’analyse. Quant à l’évaluation formative, pendant la séquence, elle nous a permis de repérer les erreurs, les lacunes et d’apporter une aide individualisée, au cas par cas, en fonction des demandes et des besoins.
Avec ce type d’évaluation, nous avons constaté que les élèves sont capables d’engager leur responsabilité en s’investissant pour conseiller leurs camarades, en prenant en compte les remarques des professeurs ; la collaboration pédagogique devient optimale et les élèves sont alors aptes à progresser.

Construction d’une carte mentale

Le temps de l’auto-confrontation et de l’allo-confrontation, le processus de métacognition

Les six élèves filmés se sont engagés avec sérieux dans l’expérimentation et se sont d’ailleurs impliqués davantage que les élèves non filmés. Ils ont vite fait abstraction de la présence de la caméra et malgré un stress perceptible au début de la captation vidéo, ils se sont vite remobilisés, ont oublié « l’œil du téléphone portable » et se sont concentrés sur leur présentation orale. Le visionnage a eu lieu au CDI à l’aide du vidéoprojecteur et seuls les sujets filmés y ont assisté. Des pauses ont été faites régulièrement afin que les élèves observent leur attitude, leur gestuelle, leur élocution, leurs réactions ou leurs interactions… Ensemble, nous avons repris les points forts et les points à améliorer pour la prochaine captation. Avec une certaine gêne au départ car ils n’étaient pas à l’aise avec leur image, ils ont observé et décortiqué leur présentation orale. Ils ont jugé cet exercice utile et facilitateur et nous ont dit espérer pouvoir réinvestir dans les autres disciplines les conseils prodigués et les points analysés dans les vidéos. À rappeler : ils n’ont pas été embarrassés par l’outil de captation, le téléphone portable, et disent ouvertement que cet outil fait partie de notre quotidien, de notre environnement numérique et social.

Bilan de la première captation

La majorité des élèves ont apprécié travailler sur l’outil numérique Xmind car conscients des enjeux en matière de numérique (travailler de manière innovante et progresser), ils ont pu construire une carte mentale comme support de présentation orale. S’ils maîtrisent plutôt bien ce logiciel, qui est d’une technicité assez intuitive, ils éprouvent des difficultés réelles dans la recherche d’informations ainsi que dans la reformulation, c’est-à-dire le passage de la phrase aux mots-clés. Ils ont sollicité régulièrement notre aide pour les accompagner et les rassurer dans cette activité innovante. Les binômes sélectionnés ont eu la volonté de « bien faire » car ils ont compris l’enjeu pédagogique de l’expérimentation : travailler différemment pour les faire progresser. Les trois binômes filmés une première fois ont demandé à poursuivre l’expérimentation dans la perspective de l’oral du brevet.
« Je pense qu’être filmé peut permettre de m’améliorer à l’oral car je peux voir mes qualités et mes défauts. On peut en débattre avec mes camarades pour trouver des solutions et donc progresser ». Ethan, élève de 4e
« Être filmé va me faire progresser car on s’entraîne et plus on s’entraîne moins on est stressé à l’oral ». Rafaël, élève de 4e
Cela fait maintenant presque deux ans que LabAURAScope a été mis en place au collège Jean-Philippe Rameau. Le bilan pour les élèves filmés est plutôt positif car conscients de l’enjeu de l’oral dans leur scolarité et encore plus aujourd’hui avec le nouveau BAC, leur investissement est optimal. Ce type d’expérimentation est pour eux primordial car nous constatons chaque jour qu’apprendre à parler mais surtout parler en public, communiquer, est un processus sociocognitif complexe qui nécessite de nombreuses interactions avec les adultes. Malheureusement, de nombreux élèves ont des difficultés à maîtriser la langue et sont par conséquent en échec scolaire. Les filmer, les accompagner dans l’analyse de leur pratique, les aider à collaborer, les écouter, les conseiller doit avant tout leur redonner confiance pour les amener à progresser. C’est pourquoi l’oral est devenu objet d’enseignement à part entière et donc, comme l’a souligné Cyril Delhay, professeur d’art oratoire à Sciences Po Paris « Il faut faire de l’oral un levier d’égalité des chances ».

Présentation orale Ethan et Rafaël 4e