D’après le bilan 2018 du Syndicat des Éditeurs des Logiciels de Loisirs (SELL) , les Français n’ont jamais été aussi nombreux à jouer aux jeux vidéo, toutes plateformes confondues. La moyenne d’âge d’un.e joueur.se est de 39 ans, et 97% des 10-14 ans déclarent y jouer. Le jeu le plus vendu sur console est FIFA 19, le plus vendu sur PC est les SIMS 4, et le plus téléchargé sur mobile est Helix Jump (Fortnite n’apparaît qu’en dixième position). Même si les jeux comme Red Dead Redemption ou Call of Duty, réputés assez violents, arrivent juste derrière, on est quand même loin de l’image du jeu vidéo qui accapare complètement un gameur reclus et lui fait perdre contact avec la réalité. Sans bien sûr nier l’impact que les jeux vidéo et les écrans en général peuvent avoir sur certaines populations fragiles, notamment les plus jeunes enfants ou les ados en construction d’identité, la réalité est toutefois plus nuancée. Et pourtant, les romans pour ados montrent très souvent le jeu vidéo comme un élément plutôt dangereux : nous verrons dans la sélection ci-dessous que c’est plutôt du côté du documentaire que l’on peut trouver un discours plus positif.
Les premiers romans sur les jeux vidéo, ou la sombre menace d’un inconnu
Dans les années 1990, le jeu vidéo est rentré dans les foyers : c’est la période de la console SuperNes, sur laquelle tous les ados jouent à Zelda, MarioKart et Street Fighter (2, évidemment) ; la Playstation sort en 1994, avec ses titres iconiques : Final Fantasy, Gran Tourismo, FIFA.
1996, c’est aussi la sortie du roman de Christan Lehmann, No Pasarán, le jeu. Et pas de gentils personnages sur des plateformes ici. Les trois héros du roman jouent à un mystérieux jeu de guerre, qu’ils finiront par ne plus distinguer de la réalité. Il est question de dénoncer la violence et la guerre, mais aussi la possible addiction à ce média qui propose une expérience immersive.
Les ordinateurs sont aussi source d’angoisse pour les héros de Christian Grenier dans l’Ordinatueur. Ici aussi on retrouve la crainte de l’addiction, du jeu qui nous sort de nous-même et qui peut mener jusqu’à la mort (spoiler : ce n’est pas l’ordinateur qui tue). En 2013, Laurent Queyssi reprend cette trame de l’enquête dans le milieu des jeux vidéo qui transforme les gens en tueurs dans le roman Dans l’œil de Lynx.
Quelques années plus tard, la famille Murail s’empare de ce thème pour écrire à six mains Golem. Dans sa cité des Quatre-Cents, Majid joue en réseau à un jeu, et est invité à se fabriquer un « golem », un double virtuel. Bientôt le jeu va interférer avec la réalité (à moins que ça ne soit l’inverse…).
Amis réels ou virtuels ?
Les années passent, les jeux vidéo deviennent de plus en plus complexes et réalistes, mais en même temps plus familiers. Ils ne sont alors plus aussi effrayants et peuvent être le lien qui unit deux personnages : dans Genesis Alpha de Rune Michaels, paru en 2008, Max et Josh sont deux frères séparés par les études et qui se retrouvent chaque soir pour jouer à un jeu vidéo en ligne. Le jour où Max est accusé de meurtre, Josh se pose des questions sur ce frère qu’il pensait connaître. On retrouve tout de même en filigrane un thème récurrent : connaît-on vraiment une personne avec qui on ne correspond qu’en ligne ? On retrouve ce thème dans E-machination, d’Arthur Ténor, où les héros Clotaire et Lucile, duo de choc dans un jeu vidéo, ne se connaissent pas « en vrai » et vont se rencontrer pour résoudre une affaire de crime.
Le jeu-monde
J’emploie cette dénomination pour parler des romans qui présentent des jeux vidéo proposant un autre monde, plus beau, plus intéressant, moins triste que la réalité . Et bien sûr, il finit toujours par s’y passer des choses dramatiques dont on se demande si elles sont réelles. C’est l’intrigue de la série La Cité de Karim Ressouni-Demigneux, où un groupe restreint a accès à une réalité virtuelle où tout est possible ; de Partie Mortelle, de Chris Bardfort, où, dans un futur apocalyptique, les enfants des rues préfèrent se réfugier dans un jeu certes dangereux, mais qui leur fait oublier leur condition misérable. Dans Sous haute dépendance d’Ursula Poznanski, le jeu vidéo Erebos circule dans le lycée, et rend tous les élèves accros. Peu à peu, le jeu prend le pas sur la réalité, mais la mort, elle, est définitive.
Quand le paradis se détraque
Les jeux vidéo permettent de s’évader dans un monde merveilleux : mais au moindre bug, rien ne va plus au paradis des pixels. Avec Crime-City, Gudule s’empare de cette thématique en décrivant un jeu de simulation type Sims, où tout est joli et mignon et où le joueur-démiurge dicte sa conduite aux personnages. Mais le jour où il se retrouve happé dans le jeu, il constate que tout n’est pas si rose. Dans I.R.L., paru en 2016, Agnès Marot traite ce sujet en ajoutant l’élément plus contemporain des intelligences artificielles : Chloé se rend compte un jour qu’elle et sa famille sont filmées en permanence pour une émission de téléréalité, et que le joli monde dans lequel ils évoluent est factice. En revanche, ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle n’est pas humaine, mais une intelligence artificielle. Plus sombre, Pixel Noir de Jeanne A-Debats raconte l’histoire de Pixel, un adolescent solitaire qui, suite à un grave accident, voit son esprit mis en repos dans un hôpital virtuel. Ce qui est censé le guérir va se transformer en cauchemar, et ici aussi la mort ne sera pas virtuelle.
Aujourd’hui, le jeu vidéo est bien implanté : il est pratiqué par une large partie de la population, et s’il continue d’inquiéter les parents, il est même proposé en médiathèque (c’est dire…). Les romans sortis récemment ne sont plus aussi alarmistes, ou, signe des temps, proposent de plus en plus d’héroïnes gravitant dans le milieu du jeu vidéo. Agnès Marot reprend l’univers d’I.R.L. dans un roman appelé Erreur 404 : Moon veut revenir dans le milieu des gameurs professionnels d’où elle avait été chassée quand on avait découvert qu’elle était une fille. Le monde du jeu vidéo sert même de décor à une romance publiée en 2019 : Level up, les geeks aussi ont droit à l’amour ! Ici, l’héroïne travaille dans un studio de conception de jeux vidéo, avec son timide colocataire. Plus de danger de mort, plus de geeks enfermés dans leur bureau et perdant pied avec la réalité, le jeu vidéo est devenu bien inoffensif.
En parallèle, les documentaires sur les jeux vidéo se multiplient, avec comme ligne éditoriale de montrer les passerelles et influences qu’ont les autres formes d’art et de connaissances sur les jeux vidéo. Les concepteur.rices de jeux étant souvent issus d’écoles de graphisme, ils et elles amènent un bagage d’influences sensible. Les éditions Palette… ont ainsi sorti deux ouvrages en 2018, L’Art des geeks et Art et jeux vidéo, qui positionnent clairement le jeu vidéo comme un produit culturel. On trouve également des sommes, des best-of, tous les outils pour guider les curieux dans l’univers du jeu. On trouve même des ouvrages de philosophie (à proposer aux Terminales littéraires, qui sait ?), tels que Zelda et la philosophie. Des éditeurs américains s’intéressent également au transmédia, ou comment créer des liens entre romans et jeux par des renvois d’une œuvre à l’autre .
Mais alors pourquoi continuer à écrire des ouvrages où le jeu vidéo est vu comme un élément anxiogène, voire dangereux ? Les auteurs et autrices pour la jeunesse ne seraient-ils que des ringards qui n’y comprennent rien et ne connaissent pas du tout l’univers du jeu ? Je propose une réponse toute simple : de la même manière qu’on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, il est beaucoup plus « romanesque » d’être sur un jeu vidéo qui tourne mal. On assiste à la création, comme dans tous les genres, d’un topos, une situation-type dont les auteurs s’emparent et qu’ils interprètent à leur façon. Et quelle meilleure légitimation que de devenir un exercice de style : « le jeu vidéo tueur », sous-branche du fantastique ?
Julian Alvarez, vous êtes professionnel, chercheur, auteur et certainement joueur. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené à vous intéresser à la thématique du jeu, et au serious game en particulier ?
De manière simple, j’ai eu pour le moment deux parties dans ma carrière :
• de 1996 à 2010, une première partie axée sur le jeu en tant qu’auteur/concepteur/développeur. J’ai travaillé pour les éditions Milan, Dupuis, Bayard, puis TF1, ainsi que pour des institutions comme le CNES, le CNRS, l’université de Toulouse, la Cité de l’Espace, pour développer des applications qui combinent à la fois du jeu, mais en même temps des aspects éducatifs, des messages ou même parfois des aspects purement publicitaires ;
• et ensuite, durant ce parcours, autour des années 2003-2004, j’ai eu envie de prendre un peu de recul sur cette activité et de passer un doctorat que j’ai soutenu en 2007.
Qu’est-ce qui m’a amené à utiliser le jeu, à vouloir écrire sur le jeu et à en faire mon métier qui est toujours en lien avec le jeu ? Ça vient certainement de l’enfance. Durant mon enfance, j’ai connu trois types de contextes scolaires (entre la crèche et la maternelle) : le premier en Espagne, sous le régime de Franco dans les années 1970, ensuite en Suède et enfin en France.
Sous le régime de Franco, j’avais 4-5 ans et le souvenir que j’en ai c’est qu’on faisait énormément de siestes. C’est peut-être lié au climat (il fait très chaud), mais en même temps, on ne cherchait pas vraiment à nous épanouir d’un point de vue « stimulation intellectuelle ». Les jouets étaient dans des armoires, sortis très rarement. On avait quelques séances de récréation, mais encadrées. C’était plutôt de la garderie au sens propre.
En Suède, dans ce qu’on appelle les daghem, des crèches ++, entre la crèche et la maternelle, il y a l’idée d’avoir un accompagnement du développement de l’enfant. Le lieu est donc pensé comme une maison. On a la cuisine dans laquelle on va faire des activités. On va pouvoir proposer aussi de la peinture ou des choses qui nécessitent d’avoir de l’eau à proximité, de pouvoir se salir, de pouvoir nettoyer facilement, de faire des recettes, des gâteaux, de comprendre la chimie de manière simple. Ensuite, on a d’autres lieux comme la chambre où on fait de la lecture, où on peut jouer et se reposer si on le souhaite. On n’avait pas de siestes obligatoires. C’était en fonction du besoin : on écoutait son besoin. Ensuite, on avait le salon qui correspondait à un lieu de fête où on pouvait faire de la musique, des spectacles et des représentations. On avait la salle télé et lecture où l’on pouvait regarder un documentaire, suivi d’un débat. L’idée que chaque lieu corresponde à des activités, c’était pour moi très avant-gardiste. Évidemment le jeu avait sa place dans l’équation.
Et puis après, quand je suis arrivé en France, en maternelle (petite et moyenne section), je me souviens qu’on était beaucoup dans les apprentissages. C’était dans les années 1970, il y avait beaucoup d’interdits, même si je sais que cela a évolué depuis : ne pas utiliser n’importe quelle couleur dans le cahier, écouter la maîtresse, ne pas parler, ne pas écrire dans la marge, ne pas raturer… « ne pas… ne pas… », alors que j’étais habitué à « on y va, on explore, on fait ». Je n’ai pas retrouvé le jeu, alors qu’on était en maternelle. Aujourd’hui, on utilise beaucoup le jeu en maternelle. Bon, je n’ai pas le souvenir de beaucoup avoir joué en maternelle à cette époque, moins qu’en Suède en tout cas. Donc, il y a peut-être une frustration, celle de se dire que le jeu pouvait être un vecteur d’apprentissage. Je trouvais aussi qu’en France, on avait des choses à apporter, le système que je voyais me semblait perfectible. J’ai donc toujours porté en moi cette idée que l’utilisation du jeu, la médiation par le jeu, pouvait être bénéfique aux enseignements, aux apprentissages.
Dans la première partie de votre livre, co-écrit avec Damien Djaouti et Olivier Rampnoux1, vous définissez le serious game (SG) comme « tout jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement ».
Cette définition vient de Sande Chen et David Mickael2, c’est exactement ça, le jeu sert à se divertir. C’est parce qu’il y a une industrie du divertissement. Toutefois pourquoi l’homme joue-t-il depuis la nuit des temps ? Et pourquoi des animaux jouent aussi ? Les animaux n’ont pas développé l’industrie du divertissement, et pourtant ils jouent. Selon Antoine Taly (co-responsable pédagogique du Diplôme Inter-Universitaire (DIU)3 « Apprendre par le jeu »), si le jeu se transmet de génération en génération, c’est bien qu’il a une utilité et qu’il répond à une nécessité du règne animal. Sinon, c’est une fonction qu’on aurait perdue. Si elle est maintenue, c’est qu’elle sert à quelque chose.
Doit-on forcément mettre « serious » devant « game » pour parler de jeu à l’école ?
Quand on traduit serious game en Français, on dit « jeu sérieux » : du coup on inverse l’ordre. Pour Clark Abt, chercheur américain qui a sans doute écrit le premier ouvrage sur le serious game en 19704, le serious game vient essentiellement de trois mondes : l’entreprise, le militaire et, dans une moindre mesure, l’éducation. Ce chercheur voyait bien le potentiel du jeu pour faire autre chose que simplement se divertir. Sa définition intègre d’ailleurs tous types de jeux (jeux de rôle, de plein air, jeux sur ordinateur appelés à l’époque computer games). Dans les années 2000, le chercheur Ben Sawyer5 a repris ce terme pour des raisons certainement plus marketing. America’s army6 est un serious game sorti en 2002 développé pour le compte de l’armée américaine qui répondait à des besoins d’ordre militaire, de recrutement, pour redorer l’image de l’armée américaine et proposer aux armées américaines de s’entraîner avec ce jeu. En fait, on voit trois fonctions utilitaires du jeu :
• diffusion de messages : c’est l’aspect marketing ;
• dispense d’entraînement : c’est la dimension d’entraînement qu’on prodigue aux troupes ;
• et enfin recrutement : c’est la collecte de données.
Avec ce jeu, il apparaissait clairement qu’on pouvait faire autre chose que simplement se divertir, mais l’armée américaine n’aurait pas acheté un jeu vidéo pour autant. Pour rendre ça un peu plus crédible, il fallait donc l’estampiller serious game. C’est donc parti d’un besoin de légitimer le jeu : on ne fait pas tout à fait du jeu, mais du jeu sérieux, c’est ce qui assoit la démarche.
Après on a deux choses : du jeu qu’on peut mobiliser et quelque chose d’un peu hybride qu’on appelle le ludo-éducatif. On a eu toutefois du ludo-éducatif qui n’a pas été forcément réussi parce que ce n’était pas vraiment du jeu ; il s’agissait plus d’exercices déguisés en jeu (la génération Adibou7).
Vous avez d’autres titres à conseiller ?
Il y a un jeu pour lequel j’ai un petit coup de cœur, c’est Dragonbox. C’est un jeu qui vise à enseigner les mathématiques de manière très ludique. On peut avoir des élèves qui, si on ne leur dit pas qu’ils font des maths, le font avec plaisir et atteignent des objectifs. Et dès qu’on leur dit : « ce sont des maths », ils se bloquent.
Dragonbox est basé sur des mises en correspondance entre des magiciens, des dragons… Plus on avance dans les niveaux, plus ces éléments graphiques deviennent abstraits et s’approchent des symboles mathématiques. Finalement, si les élèves réussissent avec des dragons et des magiciens, pourquoi ne le feraient-ils pas avec des symboles mathématiques ?
Apprendre et jouer, de manière plus générale, c’est compatible ?
En fait, cette question nous renvoie à une autre question : Qu’est-ce que c’est « apprendre » ? Qu’est-ce que « jouer » ? À quoi ça sert de jouer ? Apprendre, c’est l’idée qu’on va assimiler de nouveaux savoirs ou qu’on va renforcer/développer de nouvelles compétences. On peut le résumer comme cela, même si c’est plus complexe. Et finalement, à quoi ça sert de jouer ? S’amuser, l’amusement, c’est explorer de nouvelles choses. Les jeux avec des règles, c’est se conformer à des objectifs, à un cadre, tout en développant, selon les jeux, différentes habiletés qui peuvent être langagières, sensori-motrices, cognitives, socio-affectives. Quel est le jeu ou le jouet qui, du point de vue de l’apprentissage, n’apporterait strictement rien ? Eh bien, on se rend compte que ce n’est pas facile de répondre à cette question.
« Apprendre » et « Jouer » sont deux facettes complémentaires qui rejoignent un même objectif. L’apprentissage, tel qu’on le voit dans un monde institutionnalisé, s’inscrit dans un cadre formel avec un objectif précis qu’on cherche à atteindre ; alors que le jeu, c’est peut-être l’apprentissage de manière plus informelle. On va développer des choses par accident, en faisant, en explorant ; on va revenir sur telle erreur. Toute la difficulté du serious game, c’est d’inscrire le jeu dans un cadre plus formel. Comment amène-t-on le jeu dans l’enceinte scolaire ? Comment amène-t-on le jeu en classe ? Là, ça change un peu la donne…
La Régie, poste d’observation de l’escape game
Vous évoquez justement dans votre thèse8 les liens entre jeu et démarches pédagogiques.
Si on reprend l’historique précédent, contrairement à ce qu’a écrit Clark Abt qui intégrait tous types de jeux, la mouvance du serious game, qui a démarré avec America’s Army en 2002, s’est bâtie sur du jeu numérique. Mes écrits s’inscrivent dans cette direction : au départ, le serious game c’est essentiellement du jeu vidéo comme support. Puis, on s’est rendu compte qu’il y avait des acteurs qui faisaient du jeu de société sérieux, et d’autres du jeu de plein air sérieux, et qu’on était tous inscrits dans la même mouvance, à savoir essayer d’écarter le jeu du simple divertissement. Le jeu a retrouvé sa signification première : tout type de jeu qui peut être mobilisé pour des besoins sérieux ou utilitaires.
Néanmoins, le jeu vidéo reste un objet de questionnement important, car il est plus récent par rapport aux autres types de jeu. Lorsque l’on parle de numérique, d’escape game, de robots, qu’on peut associer dans les pédagogies, ça questionne. Ce numérique, on a envie de l’apprivoiser, de l’étudier, de le comprendre. C’est pour cela qu’il a une place importante dans nos questionnements, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a que cette solution-là.
Et comme il est difficile d’identifier un jeu qui, d’un point de vue utilitaire, n’apporterait strictement rien, c’est l’activité qui est importante : comment je mobilise le jeu pour lequel j’ai une sensibilité, selon mon passé, ma culture, mon filtre de perception, pour en faire quelque chose qui va être plus formel en matière d’apprentissage ou d’enseignement. C’est lié à la manière dont nous percevons les choses. Pour nous aider ensuite à identifier les jeux, on peut se référer au système ESAR9 et à ses différentes facettes.
Dans la préface de votre ouvrage, André Tricot remarque qu’il n’y a pas d’étude qui démontre de manière définitive un intérêt immédiat du jeu en pédagogie.
Ce que dit André Tricot, c’est que d’un point de vue scientifique, ce qui nous manque ce sont des études à grande échelle. On a aujourd’hui des enseignants qui, sur le terrain, sentent qu’ils arrivent à capter l’attention de leurs élèves, à les stimuler, à leur faire apprendre des choses qui sont peut-être d’habitude plus complexes à enseigner avec d’autres méthodes, d’autres modalités. On voit bien qu’il y a quelque chose qui se trame, qui frémit. Mais ce sont des expériences vécues de manière isolée. Il y a des initiatives, mais qu’est-ce que cela donnerait si on les déployait à grande échelle, si tout le monde pouvait faire « la même expérience » ? Est-ce qu’on obtiendrait les mêmes résultats ? Est-ce que ce serait aussi probant ? En fait, un des points sur lesquels on se base, c’est la passion avec laquelle l’enseignant(e) transmet son savoir. Si cette passion est communiquée, l’élève aura tendance à adhérer à ce que dit l’enseignant(e), que ce soit à travers le canal du jeu, de l’art, de la musique… Des canaux différents peuvent être déployés.
Si tous les enseignants faisaient la même chose, qu’ils soient peu ou pas passionnés par le jeu, est-ce qu’on obtiendrait malgré tout les mêmes résultats ? On ne sait pas. Les propos d’André Tricot sont prudents, et il a raison de l’être sur ce point-là. Je suis plus nuancé en disant qu’il ne faut pas écarter ce qui est fait sur le terrain : des enseignants identifient malgré tout des choses qui semblent petit à petit converger. C’est-à-dire qu’on voit des résultats positifs, mais positifs par rapport à quoi ? Si on mène des études comparatives, un enseignant passionnant qui fait un cours magistral peut sans doute atteindre des résultats similaires. La prudence est donc de mise d’un point de vue scientifique.
Vous mettez en avant les apports des serious games notamment pour le développement de compétences sociales et la capacité à travailler en autonomie…
On parle de plus en plus des compétences du XXIe siècle : la communication, la créativité, le collaboratif (travailler ensemble…). Je crois effectivement qu’on en a marre de travailler en mode silo, de cloisonner, de dire : « tu as tels résultats à l’école et donc tu vas plutôt faire tel métier, merci, au revoir ». En fait on se rend compte aujourd’hui que l’on a peut-être besoin des points de vue de chacun et qu’il faut s’affranchir de certains préjugés. Quand on joue par exemple à un escape game, et qu’on joue à plusieurs, certains vont avoir le sens logique des énigmes, d’autres le sens littéraire d’aller chercher les références, d’autres peut-être une approche plus inductive, en disant « si on met jaune, ça peut correspondre à la bonne réponse » mais on ne sait pas vraiment pourquoi… parce qu’il y a des choses qui nous échappent dans la manière dont chacun perçoit l’information et va pouvoir la mobiliser, soit de manière déductive, soit de manière inductive.
Le jeu permet en fait de révéler des modes de fonctionnement qui sont très intéressants et qui peuvent être complémentaires. Quand on dit par exemple que le jeu amène à développer des compétences, il permet finalement de les légitimer dans un premier temps et ensuite d’approfondir la question de savoir comment aider des enfants qui ont cette approche inductive.
Le jeu permet enfin à l’enseignant de découvrir l’élève autrement et de l’appréhender par « sa capacité à… », en lui proposant des modalités qui vont être plus adaptées à ce type de profil. C’est de la pédagogie différenciée. Lorsque l’on joue, on est en mode « situation », on fait. Et en faisant, on voit comment on agit et comment on se positionne. Est-ce qu’on a bien communiqué ? Est-ce qu’on a tendance à faire de la rétention d’information ? Est-ce qu’on se laisse guider ? Est-ce qu’on est leader ? Finalement, un des principaux apprentissages c’est d’apprendre à mieux se connaître soi-même. Le jeu est très révélateur pour ça.
D’où l’importance de la phase de débriefing…
En fait, quand on fait une séquence ludo-pédagogique, on a trois grandes phases : on introduit l’activité, on l’anime et on la débriefe. L’introduction de l’activité, c’est raconter une histoire qui va faire en sorte d’engager les apprenants dans l’activité, tout en leur donnant envie de jouer et en leur expliquant le pourquoi du comment, les objectifs pédagogiques, sans pour autant trop en dévoiler. Mais on leur donne les grandes lignes, au moins la thématique de ce que l’on cherche à enseigner.
Ensuite la phase d’animation c’est le jeu, on joue. On est dans l’amusement, il ne faut vraiment pas tuer le jeu sinon c’est raté.
Enfin, une fois que le jeu est terminé, on passe à la partie débriefing où l’on va donner aux élèves joueurs les réponses aux questions restées en suspens : Pourquoi ce jeu ? À quoi ça servait ? Pourquoi les indices trouvés étaient proposés de telle ou telle manière ? Dans l’escape game, cela répond à la thématique de l’erreur, au droit de se tromper, au droit de recommencer.
Ce qui est important aussi dans le débriefing, c’est peut-être de poser trois questions :
• Qu’avez-vous ressenti ? Il est important d’évacuer des frustrations ou des sentiments négatifs, parce que sinon on ne va pas forcément être réceptif à ce qu’on va nous dire après.
• Qu’avez-vous le sentiment d’avoir appris ? Je dis bien « sentiment » parce que ce ne sont pas forcément des choses nouvelles. On est prudent en parlant de « sentiment d’avoir appris quelque chose ».
• Que pourrait-on faire pour améliorer l’expérience ? Amener l’élève à devenir expert à son tour. Ce qui veut dire revoir les modalités, s’adapter aux différents profils, proposer différentes manières d’aborder les énigmes. On peut toujours améliorer, pour cela il faut des feedback, des retours de la part des joueurs, de manière à savoir dans quelle direction aller.
Concevoir des SG avec les élèves, quels intérêts et limites selon vous ?
Les élèves seront toujours partants pour créer et concevoir. Cela fait appel à beaucoup de créativité, à l’imaginaire, qui est une chose stimulante. D’un point de vue pédagogique c’est très bien de vouloir amener les élèves à faire, à mettre les mains dans le cambouis, à expérimenter. On retrouve ces pratiques dans l’école Freinet où il était question de faire le journal de l’école. On peut imaginer faire le jeu à l’école, avec des adaptations. Concevoir, ce n’est pas jouer. Fabriquer un jeu, ce n’est pas jouer. Qu’est-ce qu’on fait ensuite de ces créations ? On les jette ? On les mobilise pour des enseignements ? On connaît aujourd’hui des enseignants qui ont fait fabriquer des jeux par des élèves et qui ensuite les utilisent dans leurs propres cours. Ce serait intéressant d’avoir des données sur ce point.
L’élève va produire un jeu, mais, finalement, quel est l’objectif pédagogique ? Est-ce concevoir un jeu qui est important ou est-ce des objectifs pédagogiques que l’on cherche à atteindre à travers la construction de ce jeu ? Par exemple, on veut faire découvrir de nouveaux métiers aux élèves (aiguilleur du ciel, juriste). Demander aux élèves de produire des jeux sur ces métiers les oblige finalement à les étudier, à les comprendre, pour ensuite les intégrer dans leur gameplay. C’est un moyen détourné de faire apprendre quelque chose. Mais si fabriquer un jeu demande beaucoup d’énergie pour découvrir finalement la définition d’un métier, est-ce que ce jeu en vaut la chandelle ? On se posera ensuite la question de l’efficacité de cette démarche pédagogique en termes d’énergie et de temps déployé pour atteindre le résultat obtenu.
Comment voyez-vous le rôle du professeur documentaliste et du Centre de Documentation et d’Information (CDI) dans le domaine ?
Les CDI deviennent de plus en plus des lieux de vie, les métiers de documentaliste sont en train de changer. Hier, une documentaliste m’expliquait que son métier devient un métier de médiateur et d’animateur. Comment amène-t-on la vie dans les CDI ? Le silence ok, mais s’il n’y a personne, ça ne sert à rien. C’est antinomique. Il vaut mieux un lieu de vie, de rencontres, d’échanges. On peut réserver bien entendu des endroits silencieux pour ceux qui ont besoin de lire au calme, mais on voit de plus en plus d’initiatives comme Lilliad10 qui est un Learning Center. Une espèce de « tiers lieu » où la bibliothèque est associée à des lieux d’exposition, de restauration, des lieux de lecture où l’on peut échanger librement et des zones où l’on peut s’isoler pour lire au calme, travailler au calme, ce qui est nécessaire aussi. En fait on essaie d’hybrider les choses. On est finalement dans une société qui hybride de plus en plus différentes pratiques et usages en fonction des besoins de tout un chacun.
Est-ce que les documentalistes ont envie de migrer vers cette activité-là ? Et si oui, dans quelle proportion ? Je sais qu’il y a des gens qui aiment indexer, classifier et qui n’ont pas envie d’être en contact avec l’animation. Et puis les élèves sont demandeurs d’un accompagnement. Que signifie la mise à disposition de jeux au CDI ? Est-ce que cela veut dire « vous cherchez tel jeu, je vous le donne » ? Ou « avec ce jeu, voilà les activités que l’on peut faire » ? Ce qui d’un point de vue pédagogique va un peu plus loin…
Ne pas se tromper quand on veut se positionner dans un CDI. Mais là, vous êtes mieux placé(e)s que moi pour le savoir !
Présentoir à nouveautés, Ludothèque de la bibliothèque universitaire de l ESPÉ de Lille.
Vous intervenez dans des journées d’étude et dans des formations, certaines disciplines ou certains enseignants vous paraissent-ils plus ouverts à l’idée de développer la pratique du jeu dans les enseignements ?
Quand on questionne les enseignants, certains font déjà usage du jeu parce qu’ils aiment ça. En général, ce sont des personnes qui ont le sentiment que c’est leur manière d’enseigner. C’est naturel pour eux, il n’y a donc pas grand-chose à faire, si ce n’est les conforter dans l’idée que c’est une piste intéressante. Après il y a des personnes un peu sceptiques, qui sont sur la réserve. Les explications sont multiples, ce peut être « j’ai peur de… du jeu » ou alors « je n’aime pas le jeu » et ça, je le respecte. Quelqu’un qui me dit « je n’aime pas jouer », je fais toujours le parallèle avec la musique : par exemple si on me disait demain « il faut faire de la pédagogie par la musique », je serais très malheureux, parce que je ne suis pas du tout mélomane. De la même manière, je ne peux pas imposer aux autres un « il faut jouer, il faut faire jouer ». Après on a le deuxième profil qui dit « je ne veux pas », mais quand on gratte un peu, ils aimeraient bien, mais ils n’osent pas. C’est là qu’il faut essayer d’aider.
À plusieurs reprises, des chercheurs m’ont demandé s’il y avait un profil type de l’enseignant ou de la personne qui promeut le jeu ? Je n’en sais rien. Mais il y a un dénominateur commun très simple : c’est que la personne aime jouer. Dans son attitude, dans sa manière d’être, on retrouve cet esprit joueur : je me joue de l’autre, je m’adapte parce que je suis finalement dans cette flexibilité que réclame le jeu de pouvoir s’adapter rapidement à des situations, de mobiliser des règles nouvelles et de les intégrer ou de savoir les contourner. Je sais qu’il y a des enseignants qui, quand ils organisent des jeux, aiment avoir un livret pédagogique. Ils aiment suivre les étapes, exécuter, mais dès qu’il y a un imprévu, c’est la panique. Il faut donc que tout soit réglé comme du papier à musique. On a des profils différents et c’est aussi en lien avec des traits de caractère, avec un vécu, une personnalité, plus qu’avec des matières qu’on enseigne. Je dirai que c’est la personnalité et le vécu qui priment. Mais il faudrait mener des travaux de recherches, on est plus dans l’intuition.
Il faudrait sensibiliser les futurs enseignants dans leur formation initiale…
Oui, je pense. J’y participe dans ce cadre du DIU (Diplôme Inter-Universitaire) « Apprendre par le jeu » qui forme à la ludopédagogie des enseignants, et d’autres types de profils comme des médecins, des personnes qui montent leur société ou qui sont dans l’événementiel. L’idée est de leur montrer différentes approches possibles parce que finalement il faut « nourrir ». Montrer un ensemble de possibles pour qu’il y ait un phénomène d’appropriation, de création, d’innovation, mais qui soit toujours opéré au final par les enseignants. Parce qu’en fonction de leurs personnalités, ils doivent s’approprier la chose. En même temps, on ne pourra pas être toujours dans le registre du jeu ; le jeu paradoxalement, pourra aussi cultiver la rareté. Si on met du jeu tous les jours, on va lasser. En revanche, si on met du jeu un peu de temps en temps, il produira son effet, et donc on le préservera.
Votre ouvrage est édité chez Canopé, il répond à une commande. Est-ce que le commanditaire a une influence sur le contenu ?
Oui. En fait Canopé nous a commandé l’ouvrage, au départ sur l’utilisation des serious games. Puis on a eu un échange avec un correcteur et les questions posées par rapport à nos écrits étaient très intéressantes, parce qu’il y avait des remises en question qui ont forcément influencé l’écriture. Il y avait des remarques très simples de l’ordre de « nous on est chercheurs, on a donc peut-être parfois une approche très théorique ». Canopé a une connaissance du terrain et nous dit « là ce que vous dites va fonctionner pour des profs d’Histoire Géographie, peut-être moins pour d’autres matières », ou « dans le programme on ne nous permet pas de faire ceci… qu’est-ce que vous en pensez ? ». On a eu des retours de cet ordre. On va donc chercher des jeux dans telle matière, on va voir ce qui se fait, comment ça peut être intégré dans les programmes. On a vraiment eu des échanges constructifs qui ont permis de co-construire finalement l’ouvrage. Même si on a amené de la matière, beaucoup de matière initialement, il y a eu une influence, c’est clair.
Lundi, 9h45. Lucas, un petit garçon de 6e, entre dans le CDI en larmes : « Monsieur, Enzo m’a dit que je ressemblais à une carotte… ». Bon, OK, on commence fort la semaine. Moi qui pensais naïvement que la rousseur n’était plus un sujet de moquerie depuis belle lurette, je m’aperçois que certains préjugés ont la vie dure… Je tente d’en savoir plus. «Ben, Enzo, il dit que je sens mauvais, et qu’on dirait que je suis tombé dans un pot de peinture… ». Euh, oui… Ben on va aller lui parler à Enzo, hein ? Et puis tu sais quoi, Lucas, moi je rêve d’avoir des cheveux comme les tiens !
Cliché, vous avez dit cliché ?
Sorcières, traîtres, femmes fatales ou souffre-douleur… les croyances populaires, les textes, puis les médias et les réseaux sociaux, associent régulièrement la rousseur à certains clichés tenaces, dont beaucoup de nos élèves souffrent. À l’image de la blonde idiote, ou du brun ténébreux, rousses et roux se voient régulièrement catalogués par une série de préjugés.
Longtemps, la rousseur a fait peur, associée à l’idée du mal, du feu, voire de l’enfer… Dans son roman Sorcière blanche, Anne-Marie Desplat-Duc brosse le portrait d’une jeune femme qui va peu à peu découvrir qu’elle possède des dons étranges. Agathe de Préaut-Aubeterre est née dans une prison de Rennes à la fin du xviie siècle. Contrainte de suivre sa mère aux Caraïbes, Agathe est initiée aux secrets de la nature, aux pouvoirs des plantes. Mais la jeune femme marche sur des œufs : sa rousseur et ses connaissances lui font courir bien des dangers… Il lui faudra se battre pour en faire des atouts, et trouver sa place dans une société qui n’est pas franchement prête à l’accepter.
Ces craintes associées à la rousseur ont la vie dure. Et se sont transformées petit à petit en méfiance, en moqueries, voire en dégoût. Parfois jusqu’au rejet et la violence. Dans le roman Signe distinctif roux, d’Anouk Bloch-Henry, Harold en fait chaque jour l’amère expérience. Il a probablement entendu à peu près tout le catalogue des insultes et des moqueries sur la couleur de ses cheveux. Des blagues, bien entendu, de très bon goût, dont ses camarades usent et abusent parfois sans véritablement en saisir la portée. D’autres attaques se font plus violentes, et, porté par les réseaux sociaux, c’est un véritable hallali qui s’orchestre peu à peu. Si les groupes se contentent au départ d’insultes groupées, très rapidement la situation dégénère, et c’est l’escalade de la violence. Heureusement, Harold pourra compter sur ses amis pour lutter. Abordant le thème du harcèlement et de la négation de la différence, ce roman met le doigt sur les comportements des adolescents lorsqu’ils sont portés par le groupe, dans l’excitation du moment. Un roman fort. Les moqueries, Mylène en a également beaucoup souffert dans le roman M comme…3 de Yaël Hassan. Si son passage à l’école primaire a été plutôt tranquille, les choses se gâtent au collège : les insultes se font plus fréquentes, et même les meilleures amies de Mylène finissent par lui tourner le dos. Mais Mylène a une idée. Elle propose aux adultes de son collège de mettre en place un système de médiation pour améliorer les choses. En devenant médiatrice, elle découvrira qu’il n’est pas simple de gérer les conflits, mais qu’il suffit souvent d’un peu de calme et de communication pour améliorer les choses. Chaque chapitre de ce roman s’ouvre sur un mot commençant par la lettre M : un fil directeur de lecture qui rend l’accès au texte particulièrement agréable.
Cette violence monte d’un cran dans le roman Le Monophone, d’Elisabeth Zöller. Sur la place d’une ville vient de s’installer un étrange gramophone géant. Appelé le «monophone», gardé par un groupe de personnes caractérisés par des chemises noires, il diffuse une musique qui rend les gens mystérieusement heureux. Peu de temps après son installation, le premier ordre arrive : toutes les personnes qui ont des taches de rousseur doivent se présenter près du monophone, et partent pour une destination inconnue qui leur est présentée comme un privilège. Puis ce sont les rousses et les roux qui sont appelés, suivis par les myopes… Mais personne ne revient, et l’angoisse et le doute commencent à gagner la population. Les chemises noires sont de plus en plus violents. Des groupes se créent, on tente d’embrigader les enfants et les adolescents; peu à peu, la résistance s’installe… Dans ce roman dont l’allusion au nazisme est à peine voilée, les habitants d’une paisible ville découvrent peu à peu l’horreur cachée derrière de belles paroles. Quand une simple différence de couleur de cheveux peut mener au pire. Un récit glaçant.
Rebelle(s) ?
La rousseur est souvent associée à l’idée de caractère fort, indépendant, voire de meneur. On pensera bien entendu immédiatement à Zora la rousse, qui a enchanté nos après-midi au début des années 1980 (je vous parle d’un temps…). Mais qui se rappelle qu’avant d’être une série télévisée, Zora la rousse est un roman de Kurt Held ? On suit dans ce roman les aventures de cette jeune fille « meneuse de bandes », en Croatie, sur la côté dalmate. Un groupe d’orphelins qui vivent comme ils le peuvent dans une forteresse, et passent une partie de leur temps à jouer des tours aux habitants qui les considèrent comme des sauvages… Une histoire inspirée de personnages réels, que Kurt Held avait rencontrés lors d’un voyage en Croatie en 1941. En version française, le roman parut tout d’abord en 1959 sous le titre Zora la rouquine, puis en 1980 sous le titre Zora la rousse et sa bande, aux éditions L’école des loisirs. La chevelure flamboyante de Zora semble être un écho à son caractère. Elle mène sa troupe de main de maître. Et comme le dit l’inoubliable générique : « Zora rebelle, Zora l’espoir t’appelle, toi la sauvageonne au coeur pur ». Un ouvrage désormais épuisé. Une réédition, l’école des loisirs ?
Boby également a des allures de jeune caïd dans le roman Mado m’a dit, de Christophe Leon. La description qu’en fait l’auteur est sans équivoque : «Petit. Teigneux. Le poil roux. Le genou cagneux. Les cheveux hirsutes. Des dents plantées de travers.» Entre son physique et son histoire – il est «né Souzixe» –, Toby semble devoir attirer les moqueries. Mais son charisme et sa couleur de cheveux le rendent également mystérieux, attirant, et toutes les filles du collège en sont folles. Aussi, lorsqu’il croise la route de Mado, une vieille dame hors du commun, leurs destins semblent croisés. Tous deux ont subi le rejet, les railleries. Une étonnante amitié commence entre ces deux personnages que tout semblait pourtant opposer au départ. Un roman choc, coup de poing. Une ambiance parfois pesante, oppressante, à l’image des tourments que vivent Boby et Mado.
La rousseur comme atout !
Mais si les clichés ont la vie dure, la rousseur semble prendre une revanche bien méritée. Dans le très bel album La Couronne, illustré par Annelise Heurtier, sur un texte d’Andrea Alemanno, Lou découvre à ses dépens ce qu’être rousse peut vouloir dire. Lors d’un cours de danse, une nouvelle élève, à la blondeur éblouissante, est totalement choquée qu’une jeune fille rousse puisse faire partie du spectacle de danse. Sa rousseur pourrait gâcher l’harmonie colorée des tutus et des chignons ! Bouleversée, la jeune fille se coupe les cheveux. Mais lors d’un spectacle à l’opéra, Lou est subjuguée par la danseuse étoile. Une danseuse magnifique, qui reçoit une salve d’applaudissements, et dont la longue chevelure rousse se dévoile à la fin du spectacle… Lou comprend alors que ses cheveux peuvent être un indéniable atout. Un album magnifique, dans lequel les personnages baignent dans une ambiance colorée riche en couleurs, dans des camaïeux d’orange, de rouge et de brun.
Car la rousseur est également associée à la créativité, l’originalité, la puissance. Des qualités plebiscitées dans nos sociétés modernes, et que de nombreuses œuvres de littérature jeunesse mettent en avant. Dans l’album Thomas la magicien, de Sébastien Perez et Clément Lefèvre, le jeune Thomas a reçu un héritage pas forcément simple à porter : il s’appelle Thomas Edison. Pour lui, il n’y a aucun doute : il sera aussi créatif et inventif que son illustre prédécesseur ! Mais tout ne se passe pas comme prévu. À l’école, Thomas est différent. Mais sa rousseur ne semble pas un problème. Au contraire, elle entretient son image de savant surdoué et étourdi. D’inventions farfelues en situations gênantes, Thomas finira par découvrir son véritable talent… Cet album, de grand format, est un régal de lecture. Les couleurs chatoyantes, la douceur du trait créent une ambiance feutrée, riche et chaude, qu’il est difficile de quitter.
La Couronne, Annelise Heurtier
Deux incontournables
Impossible, bien entendu, de ne pas mentionner le petit Poil de carotte, de Jules Renard. Et nous avons choisi aujourd’hui une bande dessinée inspirée du roman autobiographique. Poil de carotte, de Lemoine, Cécile et Mariacristina Federico, relate l’histoire de ce jeune garçon, souffre-douleur de sa mère, et que son père ne comprenait guère. Mis de côté pour sa rousseur, c’est à lui qu’échoient la plupart des corvées. Dans un camaïeu de brun et d’orangé, cette belle bande-dessinée propose un agréable moment de lecture, et permet une découverte différente de ce personnage.
Coup de coeur final pour le documentaire Être(s) roux, regards croisés sur une singularité, aux éditions Goater. Ce bel ouvrage propose de nombreux témoignages, nous permettant de découvrir comment jeunes et moins jeunes ont vécu et vivent aujourd’hui leur rousseur. La rousseur dans l’art, dans les réseaux sociaux, dans l’Histoire… Une approche très intéressante, richement documentée et illustrée font de ce livre un ouvrage indispensable dans nos rayons.
C’est à Grenoble, du 22 au 24 mars, que le 11e congrès des professeur.e.s documentalistes de l’Éducation nationale organisé par l’A.P.D.E.N. s’est tenu, sur le thème : « la publication sur le web, un objet pédagogique et didactique ». L’occasion de conférences, tables rondes et ateliers qui ont vu des interventions riches de la part d’acteurs variés, offrant aux congressistes une réflexion porteuse pour alimenter notre pratique professionnelle. Comme à chaque opus, les actes du congrès publieront sur le site dédié l’intégralité des interventions. En attendant, Timothée Mucchiutti, qui s’est fait l’envoyé spécial d’Intercdi, nous livre sa synthèse, sous forme de sketchnote !
Entrée au sein du comité de rédaction d’InterCDI en 1990, Véronique Delarue a partagé, avec enthousiasme et à longueur de numéros, ses réflexions sur l’évolution de notre mission et ses prises de position pour la défense de notre métier. C’est à ce titre qu’en 2010 elle a été élue à la tête de l’association à la suite de José Frances et qu’elle signait son premier éditorial :
« Responsable et engagée ». Une profession de foi qu’elle n’a jamais démentie et que nous continuerons à défendre. Portée par de nouvelles fonctions, elle n’a pas souhaité renouveler son mandat. Gabriel Giacomotto a pris le relais en avril 2019, bien déterminé à poursuivre le travail de ses prédécesseurs.
Nous tenons à rendre hommage à Véronique pour toutes ces années où elle a incarné notre revue et s’est battue avec passion pour la reconnaissance de la spécificité de notre identité professionnelle. Dans cette période où, chacun le sait, la presse subit de fortes tempêtes, elle a su tenir la barre d’une main ferme et maintenir le bateau à flot. C’est en partie grâce à elle si nous sommes une des seules revues pédagogiques de l’Éducation nationale rescapée de cette lame de fond qui a balayé quasiment toutes les autres.
Nous la remercions chaleureusement pour ces années de passion, d’exigence et de sacrifices personnels et sommes fiers de vous présenter ce dernier numéro réalisé sous sa direction.
Partie pour un nouveau périple et de nouvelles aventures nous lui souhaitons bonne route. Nous garderons le cap…
À la rentrée littéraire 2018, vous publiez votre premier roman Ça raconte Sarah, aux Éditions de Minuit.
Vous obtenez très rapidement le Prix des libraires de Nancy-Le Point, le Prix Envoyé par La Poste, le prix du Style, le prix du Roman des étudiants Télérama-France Culture, enfin vous restez la seule femme parmi les cinq derniers candidats pour le prix Goncourt. Comment avez-vous vécu ce tourbillon de récompenses et de reconnaissance ?
J’ai vécu tout cela petit à petit, jour après jour, en allant de surprise en surprise. Il se trouve que je ne pensais pas voir ce roman édité un jour, alors sa publication a été la première et immense surprise, puis l’accueil critique qui lui a été réservé, dans l’été, m’a profondément émue. J’ai été plus que stupéfaite d’apprendre qu’il était sélectionné sur les grandes listes des prix d’automne (le prix Goncourt, le prix Médicis, le prix Décembre…) et enfin les rencontres avec les différents publics, dans les librairies et ailleurs, n’ont fait que continuer à me surprendre, et à me ravir !
Depuis quand écrivez-vous ?
Pensiez-vous un jour être éditée ?
J’écris depuis mon entrée en sixième où j’ai eu un professeur de français formidable qui m’a donné envie d’écrire, et j’écris de manière quasi quotidienne depuis l’adolescence. Je ne pensais pas un jour être éditée, vivant l’écriture comme une activité intime et secrète. Jusqu’au jour où j’ai décidé d’envoyer mon manuscrit, car j’allais avoir trente ans et je voulais savoir si je pouvais poursuivre ce rêve d’être écrivain ou s’il fallait que je change de projet.
Quelle relation avez-vous eue avec votre éditeur/éditrice aux Éditions de Minuit ? Avez-vous retravaillé votre texte, quels changements cela a-t-il produit ?
Mon éditrice, Irène Lindon, qui dirige les Éditions de Minuit, n’a pas souhaité beaucoup toucher le texte. Elle m’a demandé de retravailler un peu la deuxième partie, mais elle l’a pris pratiquement tel quel dans l’ensemble.
Depuis la parution de votre roman, vous sillonnez la France à la rencontre de vos lecteurs, mais avez-vous eu des retours de vos collègues ou de vos élèves ?
Mes collègues sont divisés par rapport à la publication de ce roman. Certains l’ont lu et m’ont dit tout le bien qu’ils en pensaient, d’autres l’ont lu mais ne parviennent pas à m’en parler et puis d’autres refusent tout simplement de le lire… c’est normal et cela ne m’atteint pas plus que ça. C’est un texte qui divise et c’est très bien qu’il ne fasse pas l’unanimité ! Quant à mes élèves, j’ai un petit groupe de fans en terminale L. Ce sont des élèves que j’aime beaucoup et qui sont venus me faire dédicacer leurs exemplaires, me parler du processus d’écriture, etc. Je suis très touchée, cela dit, par l’accueil des collègues des autres établissements, certains ayant mis Ça raconte Sarah en lecture intégrale pour le bac, me faisant venir pour intervenir dans leurs classes… et puis avec la rencontre, dans toute la France, de centaines de lycéens dans le cadre du prix Goncourt des lycéens. C’était des moments magiques et inoubliables.
Depuis quand êtes-vous professeure documentaliste ? Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Cela fait six ans que je suis professeure documentaliste. J’ai choisi ce métier car c’était une évidence pour moi que d’évoluer au milieu des livres tout en m’ouvrant à d’autres domaines comme le numérique et l’information. J’aime beaucoup la relation aux élèves que notre statut induit, elle me plaît infiniment. Et, depuis quatre ans, je mène des PEAC assez importants. Ce sont des projets interdisciplinaires qui concernent trois classes et trois disciplines différentes. Mon rôle est d’inventer et de concevoir les projets, de trouver une institution culturelle capable de prendre en charge cette action dans son accueil des publics, de trouver les collègues motivés pour travailler dessus toute une année à mes côtés, de trouver les subventions nécessaires et l’institution culturelle qui pourra être notre partenaire, d’organiser les réunions entre les différents acteurs du projet, d’organiser les sorties (visite de musée, visite à la Maison de la radio), et d’organiser les ateliers artistiques évidemment. Chaque année, le PEAC donne lieu à l’édition d’un livre que je supervise. Mon rôle est donc de maquetter ou d’assister le maquettage du projet, mais aussi d’être en lien avec une imprimerie. C’est passionnant car ce sont des projets qui brassent un certain nombre de corps de métier et qui ouvrent des horizons inédits.
Pouvez-vous nous présenter votre projet de cette année : Et partout où j’irai je serai étranger
Pour l’année 2018-2019, nous avons travaillé autour de la question de l’exil avec une professeure d’histoire-géographie, une professeure de lettres et une professeure d’arts plastiques, en lien avec le Musée National de l’Histoire de l’Immigration (MNHI) qui se trouve au Palais de la Porte Dorée à Paris.
Trois classes (deux classes de 2de et une classe de 1re) sont allées voir l’exposition temporaire au MNHI intitulée Persona grata comme amorce au projet pour lancer des réflexions autour des questions de l’exil, de l’hospitalité, etc. Une classe de 1re a ensuite travaillé avec un écrivain, Arno Bertina, lors d’ateliers d’écriture ayant lieu au musée. Ils ont produit des textes de fiction selon trois consignes données par l’auteur. Une classe de 2de a travaillé avec deux documentaristes d’Arte Radio lors d’ateliers radio au lycée puis au musée, produisant plusieurs capsules sonores et plusieurs fictions radiophoniques. Enfin, une classe de 2de a travaillé de manière plastique avec un plasticien, Princia Itoua, et une illustratrice, Magali Attiogbé lors de deux journées de workshops intensifs.
L’ensemble de ces travaux (textes, sons, œuvres plastiques) font l’objet d’une exposition conçue et réalisée par les élèves des trois classes (du choix du titre, en passant par l’affiche, la création des cartels, l’écriture des textes de présentation, etc.) et accrochée in situ pendant une semaine dans les murs du musée. L’exposition s’intitule Et partout où j’irai je serai étranger. Le catalogue de l’exposition, regroupant la totalité des travaux des élèves, sera offert à chacun d’entre eux lors du vernissage.
Après cet événement, qui signe la clôture du projet, il me reste encore à rédiger des rapports détaillés pour chaque institution nous ayant subventionnés (la région et le département, principalement).
Dans votre roman, la narratrice se présente comme professeure mais ne précise pas qu’elle est documentaliste, la seule allusion est une scène où elle couvre des livres, pourquoi ce parti pris ?
Je ne voulais pas tellement que ça soit important dans le roman, il n’y a rien de bien important si ce n’est la passion entre les deux personnages.
On retrouve la précision de la professeure documentaliste dans de courts paragraphes informatifs qui parcourent votre roman : la définition des mots passion ou latence, l’origine du nom de la ville des Lilas, les Quatre saisons de Vivaldi, Mon manège à moi d’Edith Piaf, quelle est leur fonction ?
Ces paragraphes d’écriture que j’appelle, pour moi-même, objective, ont plusieurs fonctions. La première est d’aérer le récit, qui est dense et intense, de ménager des pauses dans la passion fulgurante qui prend les personnages et qui entraîne le lecteur dans un tourbillon. Mais ils ont aussi une fonction plus particulière : la narratrice, bouleversée par cette histoire d’amour qu’elle n’attendait pas, a souvent l’impression que ce qu’elle vit est sur-réel, à côté du réel. Plonger dans l’encyclopédie, y chercher des choses très concrètes ayant toujours rapport avec ce qu’elle vit, lui permet de reprendre pied, de toucher du doigt la réalité de ce qui lui arrive. Enfin, chaque définition est écrite de manière à faire sens, car, dès lors qu’on est amoureux, le réel a tendance à parler, à être composé de signes qui montrent une route, un chemin. Aucun de ces paragraphes d’écriture objective n’a été écrit par hasard, tout y est pensé pour faire écho à des choses qu’ont vécues ou que vont vivre les protagonistes.
Quand trouvez-vous le temps d’écrire ?
Avez-vous besoin de conditions particulières ?
En me levant très tôt, de cinq heures à sept heures du matin, qui est l’heure du réveil de ma petite fille que j’élève seule. Ou pendant les vacances scolaires, qui sont un des avantages de notre métier (rires). J’ai besoin de silence et de solitude. Je suis quelqu’un de très solitaire, dans le fond. Et si je ne me trouve pas chez moi, alors c’est encore mieux !
À la lecture, on sent votre plaisir d’écrire, en utilisant des mots rares : des yeux malachite, ou de poétiques allitérations : une étole à étoiles.
Écrire c’est que du plaisir (comme on dit maintenant) ?
Ohlala non, c’est aussi, pour ma part, une activité très éprouvante, qui me demande beaucoup d’énergie et de courage. Il y a une grande jubilation, c’est vrai, quand on avance bien, qu’on trouve une bonne phrase ou l’adjectif parfait… mais la plupart du temps c’est un travail ingrat qui ne fait pas que du bien !
Sarah est violoniste, la musique, dans la première partie est omniprésente, l’est-elle également dans votre vie ? Vous accompagne-t-elle dans votre écriture ?
Comme je vous le disais, il me faut plutôt un silence parfait pour parvenir à écrire dans de bonnes conditions. Mais, dans tout le reste de ma vie, la musique est primordiale et m’accompagne très souvent. J’aime en écouter, j’aime en voir sur scène, et, plus jeune, j’ai beaucoup aimé en jouer aussi.
La seconde partie de votre roman se déroule à Trieste, où séjourna James Joyce, pourquoi cette ville ?
C’est une ville où j’ai eu un immense choc esthétique lorsque je m’y suis rendue, un peu par hasard, seule, pendant deux jours, il y a quelques années. C’est une ville à l’atmosphère toute particulière, où j’ai le sentiment qu’on peut vraiment s’inventer une nouvelle existence. Tout est permis, à Trieste. Toutes les langues sont parlées dans les rues, l’italien, le français, le slovène, l’allemand… Il y a une place où une synagogue fait face à une église, il y a la mer absolument superbe dans le port autrichien et la même mer, magnifique, vue depuis le port naval désaffecté et tout pourri ; on peut rester dans la vieille ville somptueuse ou se perdre dans les ruelles de la colline qui grimpe au-dessus de la ville. Et puis il y a ce vent fou qui souffle dans les rues, et l’esprit des poètes que j’aime qui flotte sur la ville, Umberto Saba, Rilke, Joyce et puis mon cher Franck Venaille, qui m’a donné envie d’y aller.
On croise beaucoup d’écrivains tout au long de votre roman : Annie Ernaux, Aragon, Shakespeare ; mais celui qui accompagne la narratrice c’est Hervé Guibert, que représente-t-il pour vous ?
Hervé Guibert est une figure tutélaire pour moi, un gentil fantôme qui me quitte rarement. Pour l’écriture de ce livre, il m’a accompagné à sa façon, et notamment parce qu’il a écrit Fou de Vincent dans lequel il y a cette phrase que je me répétais comme un mantra pendant l’écriture de mon roman : « Qu’est-ce que c’était ? Une passion ? Un amour ? Une obsession érotique ? Ou une de mes inventions ? »
Vous pratiquez également la photographie, vous réalisez des courts-métrages, ces moyens d’expression sont-ils complémentaires de votre écriture ?
Oui, je crois que je ne peux pas me contenter des mots, qu’il me faut les images aussi. Je tiens un journal photographique en couleurs et un autre en noir et blanc. J’aime beaucoup m’essayer au cinéma aussi, j’ai fait quelques petits courts-métrages pour m’amuser mais j’y ai mis beaucoup de cœur.
À propos de cinéma, vous citez Domicile conjugal de Truffaut, est-ce parce que Claude Jade y est violoniste comme votre héroïne ou par affection pour le cinéaste ?
J’aime le cinéma de Truffaut et notamment le cycle des Doinel, et ce film précisément fait sens dans le récit au moment où il est cité, il fait écho avec ce que vivent les deux amoureuses. Il était important pour moi de glisser des références dans le roman pour donner envie à la lectrice ou au lecteur de poursuivre ensuite la lecture en allant écouter des musiques, lire des livres, voir des films, aller au musée… que mon roman s’inscrive à côté d’autres, qu’il soit entouré par des œuvres talismans.
Dans quelle mesure Ça raconte Sarah, cela raconte un peu Pauline ?
Il y a beaucoup de moi entre ces pages, oui, mais je crois que c’est toujours un peu le cas lorsqu’on crée quelque chose. Il y aura probablement encore un bout de moi dans mon prochain roman, qui sera pourtant, c’est sûr, radicalement différent de celui-ci !
« Alors c’est comme ça ? La vie peut s’arrêter, l’amour peut mourir, et ce monde peut continuer, juste à côté, dans le même temps, dans le même espace, à étinceler de beauté ? »
Espace contributif de réflexion portant sur les communs numériques qui pourraient être mis au service
de l’intérêt général, suite au colloque NEC organisé par la Mission Société Numérique, La MedNum et l’association Ping, les 13 et 14 septembre 2018 à Nantes. La synthèse consultable en ligne s’articule autour de quatre thématiques : #Inclusion apprendre le numérique, s’insérer grâce au numérique ; # Données : ouvrir et protéger les données, réconcilier les injonctions contradictoires ; #Lieux : concevoir les lieux hybrides où s’incarne l’utilité sociale du numérique ; #Communs : écrire un cadre facilitant la création et l’utilisation des communs du numérique.
https://societenumerique.gouv.fr/wp-content/uploads/2019/01/NEC_V_0801_web3.pdf
Electro à la Cité de la musique
L’exposition Electro de Krafwerk à Daft punk à la Philharmonie de Paris du 9 avril au 11 août 2019 explore l’histoire de la musique électronique : machines, genres ou styles musicaux ; ses relations avec la science-fiction : utopies, dystopies ; causes défendues : lutte contre le racisme, l’homophobie. La salle des machines retrace l’évolution des instruments électroniques : musique électroacoustique, synthétiseurs analogiques et samplers. Les principaux musiciens du genre sont présents : Krafwerk (The robots 1978, Computer love, 1981) Daft Punk (Technologic, 2005), Jean-Michel Jarre (Oxygène, 1976). Ambiance sonore et visuelle garantie. Catalogue de l’exposition disponible sur le site (Catalogue, éd. Textuel, 256 p., 45 €). https://philharmoniedeparis.fr/fr/expo-electro
Les grands discours
La première saison de la série documentaire diffusée par Arte sur l’histoire des grands discours est accessible via une plateforme en ligne spécialement dédiée. Le site rassemble, entre autres textes, « No Pasarán » de Dolores Ibárruri, « Let Europe arise ! » de Winston Churchill et « I have a dream » de Martin Luther King. La deuxième saison est disponible sur le site d’Arte.
http://lesgrandsdiscours.arte.tv/fr/
Robots à la cité des sciences
La nouvelle exposition permanente Robots de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris nous questionne : «Qu’est-ce qu’un robot exactement ?» Selon le commissaire de l’exposition, Vincent Blech, «L’objectif c’est de démythifier les robots». L’exposition se compose de six parties : Robot, pas robot ?; Dessine-moi un robot; Au labo les robots !; Vivre avec les robots ?; Le salon robotique; TROBO, installation artistique.
www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-permanentes/expos-permanentes-dexplora/robots/lexposition/
Lecture numérique
Babelio sur smartphone
L’application de Babelio est disponible depuis janvier 2019 sur Android et IOS. Elle permet de gérer sa bibliothèque, de trouver des informations sur un livre en scannant le code-barres, de découvrir les lectures de ses amis et de consulter les critiques d’un ouvrage. À terme, il sera possible de faire des critiques via l’application. À destination des grands lecteurs, l’appli a été téléchargée plus de 4 000 fois en janvier 2019.
L’OVNI, application littérature
Sept œuvres courtes sont proposées chaque mois au lecteur dans un catalogue d’une trentaine d’éditeurs francophones. Frédéric Martin, de la maison d’édition Le Tripode, est à l’origine du projet qui est soutenu par la région IDF, la Métropole de Rennes, le Salon du livre de Paris, le Pass culture et les Librairies indépendantes. L’application est gratuite pendant la phase de test jusqu’en octobre 2019. Après cette date, l’offre sera hebdomadaire et payante. https://lovni.com/
La Traviata en BD sur Insta
Sur le compte d’Arte concert sur Instagram, une adaptation de la Traviata de Verdi en anime de 30 épisodes est parue en mars 2019. La voix de Violetta dans l’opéra Instraviata est chantée par la soprano Elsa Dreisig, révélation artiste lyrique aux Victoires de la musique classique 2016. Cette adaptation modernisée et inédite de la Traviata a été produite dans l’objectif de toucher le jeune public par les réseaux sociaux.
Youbox chez SFR et Free
Les deux opérateurs ont intégré dans leurs abonnements la lecture numérique en streaming via Youbox. Gratuit selon l’abonnement (jusqu’au 31/01/2020 chez Free, 30/06/2019 chez SFR), le catalogue de l’application Youbox One offre de très nombreux livres (Romans, BD, documentaires…) avec possibilité de lecture hors connexion pendant 30 jours. Sur Android et IOS, il suffit d’utiliser les identifiants SFR ou Free sur l’application après l’avoir téléchargée sur l’App store ou Google Play.
Base de données
Art Institute of Chicago
Le musée met à disposition gratuitement l’accès à plus de 52 000 œuvres de son catalogue. Toutes les images sont sous licence Creative Commons Zero (CC0). La recherche des œuvres s’effectue via de nombreux filtres, parmi lesquels : auteurs, références et thématiques. En cas de réutilisation des contenus, le musée exige qu’une légende soit inscrite selon le modèle suivant : Artiste. Titre, Date. Art Institute of Chicago. www.artic.edu/
Charlie Chaplin Archive
Les archives professionnelles et personnelles de Charlie Chaplin ont été numérisées par la Fondation Cinémathèque de Bologne. D’une grande diversité et très bien préservées, elles regorgent de documents tels des scénarios, des photographies, des lettres, des poèmes, des dessins, des magazines, des bandes dessinées… Options de recherche : mode simple ou avancé avec de nombreux filtres. Plateforme uniquement en anglais ou italien. www.charliechaplinarchive.org/en
Fiabilité de l’information
Data Science vs Fake
Série de films d’animation de 3 min. qui tournent autour des idées reçues ou des fausses informations en les confrontant à des données chiffrées. Produits par Universcience, France TV Éducation et l’IRD, ces films, dont voici quelques titres, sont diffusés sur la plateforme d’Arte : C’est la fin du pétrole, On ne meurt plus du sida aujourd’hui, Les éoliennes et la mortalité des oiseaux, Le cancer est la première cause de mortalité, On voit la Muraille de Chine de la lune, Les garçons sont meilleurs en science…
www.arte.tv/fr/videos/RC-016740/data-science-vs-fake/
Droit et données personnelles
Données personnelles de l’éducation nationale
Dans un cadre pédagogique, le ministère de l’éducation nationale, des établissements scolaires et des professeurs utilisent les outils des GAFAM. Toutes les données collectées par les géants du numérique peuvent être traitées par des algorithmes, lesquels permettent de reconstituer des identités grâce aux traces laissées par les internautes. Dans le RGPD, les données scolaires ne sont pas des données sensibles. On attend avec impatience «le code de conduite» sur les responsabilités dans le traitement des données personnelles scolaires annoncé par le ministre de l’éducation nationale en août 2018.
RGPD : les épinglés de la CNIL
Depuis l’entrée en vigueur du Règlement Général pour la Protection des Données le 25 mai 2018, de nombreuses entreprises ont reçu une amende administrative. Pour éviter les condamnations, les sociétés s’étaient pourtant préparées en nommant des délégués à la protection des données. La CNIL a sanctionné entre autres Google LLC (50 millions d’euros), Uber (400 000 euros) et Bouygues Telecom (250 000 euros). Selon la CNIL, une prise de conscience des clients et des entreprises sur la nécessité de protéger les données personnelles s’est opérée depuis le RGPD.
Directive sur le droit d’auteur
Après trois années de négociations, le Parlement européen a adopté la directive controversée sur le droit d’auteur le 26 mars 2019. Cette directive prend en compte l’ère du numérique : la liberté d’expression et la juste rémunération des auteurs, c’est pourquoi les œuvres mises à disposition sur les plateformes des GAFAM sont désormais soumises au paiement de droits d’auteur.
Bug de la messagerie d’état, Tchap
L’application de discussion ultra sécurisée «Made in France» destinée aux services gouvernementaux ambitionne de remplacer Telegram ou WhatsApp, vulnérables aux espions. Hélas, dès son lancement le 17 avril 2019, une faille a été repérée… mais aussitôt corrigée. Tchap est hébergée sur des serveurs en France et est intégralement chiffrée. Cela suffira-t-il ?
Technologie
Panneau solaire du futur
La chercheuse Olga Malinkiewicz de l’Institut des sciences moléculaires de Valence en Espagne a mis au point un panneau solaire souple en utilisant la pérovskite. Cette matière atomique abondante naturellement dans le sol et facilement reproductible en laboratoire, a été travaillée pour la première fois à froid pour créer des cellules photovoltaïques. Grâce à cette nouvelle technique, la production à grande échelle de panneaux photovoltaïques est devenue possible, après plusieurs années de test. Dès 2019, 40 000 m ? de panneaux sortiront d’une usine polonaise.
Prix Turing 2018 : Yann LeCun
Pour ses travaux sur le Deep Learning (apprentissage profond), le chercheur français a reçu le prestigieux prix Turing qui récompense les personnes dont les contributions sont considérées d’une importance majeure pour les sciences informatiques. Diplômé de l’ESIEE Paris, Yann LeCun est actuellement directeur du laboratoire d’intelligence artificielle de Facebook et professeur à l’université de New York.
Radio numérique terrestre
La radiodiffusion numérique ou DAB+ (digital audio broadcast) devrait selon le CSA couvrir 70% du territoire d’ici 2020. La plupart des radios FM ont participé à l’appel d’offre en 2018 et ont obtenu un ou plusieurs canaux. Les nouveaux postes radios sont, en principe, compatibles avec la DAB+. Il faut néanmoins s’en assurer car, récemment, seuls les postes haut de gamme l’étaient réellement. Le détail de la couverture est accessible sur le site officiel du DAB+. À terme, la FM devrait disparaître comme en Suisse ou en Norvège.
No future…
Les robots des géants du livre numérique
L’autopublication et la numérisation des livres en masse sur les plateformes de Google, Apple, Amazon, Kobo et Wattpad, servent à alimenter les IA de ces éditeurs afin que celles-ci puissent créer leurs propres histoires. Volontairement ou involontairement, les auteurs aident les futurs robots auteurs qui seront leurs concurrents de demain.
Le web : 30 ans après sa création
En 1989, l’informaticien britannique Tim Berners-Lee crée le moyen de consulter la base de données du CERN (laboratoire de physique nucléaire européen) grâce à des liens hypertextes. Il vient de jeter les bases du réseau internet qui sera ouvert au monde entier en 1993. Dès la fin des années 90, les premiers mastodontes numériques apparaissent jusqu’à devenir omniprésents sur la toile de nos jours (GAFAM). D’espace universel, où chacun peut gratuitement et librement accéder à des ressources, le web est devenu un immense marché aux lois dictées par le capitalisme numérique dans lequel nos moindres gestes sont épiés puis commercialisés.
Il faut rappeler que les littératures de l’imaginaire éditées « en littérature adulte » peinent toujours à être reconnues par les médias classiques qui ne leur accordent que peu de place. La France est très attachée à sa littérature classique, dite « blanche », favorisée par l’école et le monde universitaire : les littératures de l’imaginaire ont été longtemps définies d’ailleurs comme une paralittérature. Aussi, en mars 2017, une pétition voit le jour à l’initiative d’éditeurs, auteurs, traducteurs et libraires, lançant un « Appel à la mobilisation des acteurs de l’imaginaire ». Ce manifeste de défense de ces littératures s’est prolongé par la création du « Mois de l’imaginaire » en octobre. Ces actions, inédites pour ce genre littéraire, ont été suivies par un état des lieux et une réflexion lors d’États Généraux de l’Imaginaire tenus lors du festival des Utopiales début novembre 2017 à Nantes. Un an plus tard est né l’Observatoire de l’Imaginaire1 qui va continuer à dresser un état de l’imaginaire en France et encourager les initiatives pour le soutenir dans la presse ou en librairie.
Ce manque de reconnaissance est toutefois à nuancer en ce qui concerne la littérature de jeunesse. Il semblerait que la situation soit un peu différente. En effet, la parution du cycle Harry Potter à l’aube des années 2000 est maintenant reconnue comme un tournant dans l’histoire éditoriale des littératures de l’imaginaire : un véritable phénomène sociologique et économique qui a ébranlé le monde de l’édition jeunesse, notamment en lui donnant de la visibilité, et qui a permis d’atténuer les frontières avec la littérature adulte. On mesure aujourd’hui, vingt ans après la parution du premier tome, son impact dans le milieu éditorial et sur le lectorat. Il est encore aujourd’hui le titre le plus vendu en France. Depuis, les littératures de l’imaginaire sont devenues le genre le plus plébiscité par les jeunes et le plus édité en littérature de jeunesse. Elles ont acquis une certaine légitimité, sont reconnues comme genre à part entière et tiennent une place de choix auprès des lecteurs et dans la culture médiatique. On peut citer désormais des œuvres repères, identifier des auteurs, établir des filiations, tracer une histoire. Depuis une quinzaine d’années, le milieu universitaire s’y intéresse, notamment Anne Besson qui en a fait sa spécificité après avoir soutenu sa thèse en 2001, mais aussi Laurent Bazin, Matthieu Letourneux, Christiane Connan-Pintado, Gilles Béhotéguy entre autres.
Caractéristiques de l’évolution des genres de l’imaginaire en littérature de jeunesse depuis 20 ans
L’influence anglo-saxonne
Plus décomplexées car non considérées comme mauvais genres, les littératures de l’imaginaire anglo-saxonnes ont toujours offert une production foisonnante et innovante. Certaines parutions ont été déterminantes et leur succès auprès des lecteurs a bousculé le monde de l’édition.
On peut noter un premier bouleversement dans les années 1990 avec le succès de la collection Chair de poule (traduction de Goosebumps). Dès 1992, les jeunes américains découvrent avec plaisir ces textes fantastiques de R. L. Stine, où la peur est associée au jeu. Publiée en France chez Bayard Poche en 1995, cette série d’ouvrages met en scène des enfants ou adolescents qui doivent faire face à des phénomènes étranges. Le plébiscite des jeunes pour ce genre est un premier coup de semonce envers les médiateurs et les éditeurs français. Le goût pour cette littérature populaire qui privilégie la distraction et qui s’éloigne des prescriptions de l’institution scolaire va modifier petit à petit le regard des adultes. À l’époque, les romans miroirs priment ; la plupart des collections pour adolescents proposent des fictions privilégiant une approche réaliste de la vie quotidienne et une qualité littéraire. La collection Chair de poule au format stéréotypé confirme le retour des séries, en retrait à l’époque. On assiste alors à une production de masse où le marketing prend une place prépondérante.
Un deuxième événement éditorial va avoir des répercussions encore plus importantes et provoquer un tournant décisif. C’est bien sûr le succès, en 1998, du premier tome d’Harry Potter, « cette lame de fond », comme le décrit Anne Besson, qui a bousculé un certain nombre de principes :
– un livre issu de la paralittérature est numéro un des ventes ;
– une longueur inhabituelle du roman, qui pourtant n’effraie pas les jeunes lecteurs ;
– un livre qui plaît aux jeunes ET aux adultes ;
– un grand format (16 x 24 cm) peu fréquent à l’époque dans l’édition pour la jeunesse qui privilégie plutôt le format poche ;
– la promotion de chaque tome, véritables événements internationaux et commerciaux ;
– le vedettariat de son auteur JK Rowling ;
– la mise en avant de la notion de cycle ;
– le lien avec les adaptations cinématographiques.
La trilogie À la croisée des mondes de Philippe Pullman confirmera l’émergence de ces ensembles romanesques, véritables locomotives pour tous les genres de l’imaginaire. Ils vont ouvrir la voie à une production importante, en plaçant les adolescents au centre des intrigues, dans des parcours initiatiques jonchés d’épreuves qui les mèneront à l’âge adulte.
Puis, deux œuvres connaissent un succès remarqué à la fin du XXe siècle : Twilight de Stephenie Meyer, tétralogie parue entre 2005 et 2008, fusion entre le roman fantastique et le roman sentimental qui renouvelle le mythe du vampire ; et Hunger Games de Suzanne Collins en 2008 qui développe une branche de la science-fiction : la dystopie. Ces deux cycles marquent également l’émergence d’une nouvelle catégorie de lecteurs : les jeunes adultes.
Notion de cycle
Aujourd’hui, on assiste à une systématisation de la littérature d’évasion en littérature de jeunesse sous forme d’ensembles romanesques appelés cycles. Selon Anne Besson, un cycle est constitué de plusieurs tomes conçus comme un tout, avec un personnage récurrent qui évolue. Il existe donc une évolution chronologique, un fil de l’histoire qui fait le lien entre les tomes, contrairement à la série où l’intrigue est différente à chaque volume. Dans Le Club des Cinq ou Le Clan des Sept, on retrouve les mêmes personnages – ils ont le même âge, leur situation a peu évolué – seule l’histoire à laquelle ils sont confrontés change. Ce format à épisodes plaît aux plus jeunes car la redondance est un socle nécessaire dans la construction de leur personnalité. La série allie donc le besoin de répétition des jeunes lecteurs au plaisir de la variation. Avec la parution d’Harry Potter, ces deux notions vont se mêler : chaque tome représente une année à Poudlard, on retrouve les mêmes personnages et rituels, formant un tout autonome. Mais les héros grandissent à chaque tome et doivent faire face à des épreuves de plus en plus difficiles. L’innovation la plus importante est sans doute d’avoir accordé le rythme de parution des livres à l’évolution physique des personnages (et des lecteurs ?).
Aujourd’hui, le cycle est la forme la plus répandue dans les romans de l’imaginaire pour adolescents car il paraît en adéquation avec ce passage de l’enfance à l’âge adulte, et accompagne le processus de maturation des adolescents et leur recherche d’identité.
Renouvellement des codes / Transgénéricité / Hybridation
Le roman de l’imaginaire en littérature de jeunesse se caractérise par un art du brassage et un mélange des genres. Cet affranchissement des frontières génériques permet alors à de nombreux éléments, communs à d’autres genres et traditions littéraires, de se croiser : le conte, la nouvelle, le roman historique, d’aventures, le genre fantastique, la fantasy, la science-fiction. Ces combinaisons donnent alors naissance à de nouveaux sous-genres (bit-lit, urban fantasy, steampunk). Ce métissage est sans doute la plus grande particularité du roman de l’imaginaire pour la jeunesse aujourd’hui. Les frontières sont de plus en plus fluctuantes et poreuses, et le roman de l’imaginaire pour la jeunesse devient un genre protéiforme. Les motifs, les personnages traditionnels des contes ou de la mythologie ont été modifiés, retravaillés et adaptés au monde moderne. Il est parfois difficile de classer ces romans dans tel ou tel genre. D’ailleurs, les collections autrefois étiquetées « SF » ou « fantastique » ont disparu pour se fondre dans une catégorie plus large : « les mondes imaginaires ».
Culture médiatique
Le livre est aujourd’hui un produit intégré dans un espace culturel globalisé. Il existe un va-et-vient systématique entre les différents objets culturels : le succès d’un livre incite à la réalisation d’un film ou vice-versa, la sortie d’un film redynamise les ventes des ouvrages. Il existerait donc une porosité entre les langages des différents médias, chacun apportant une spécificité aux autres. On peut définir ce passage d’une forme à une autre par le terme de crossmedia : une même fiction est déclinée simultanément sur plusieurs supports. Ce lien culturel ou système croisé entre audiovisuel et livre se révèle indispensable pour les adolescents. Ils naviguent entre tous ces médias, des livres aux films, aux séries télévisées, en passant par les jeux vidéo et internet. Pour eux, le livre est un objet culturel intégré dans d’autres usages.
Un nouveau public : les jeunes adultes (ou Young Adults)
Cette évolution est aussi due à un renouvellement du public ou à une colonisation d’un nouveau public : celui des grands adolescents ou jeunes adultes. Aujourd’hui, le temps de l’adolescence s’est étendu et est devenu un état qui se prolongerait jusqu’à 25-30 ans, et ce sont les genres de l’imaginaire qui ont permis l’émergence de ce nouveau segment éditorial. On peut alors parler de « littérature passerelle » entre les adolescents et les adultes. Nous assistons depuis quelques années au phénomène de la double exploitation d’un texte en rayon adulte et jeunesse. Un titre publié d’abord dans des maisons d’édition pour la jeunesse va l’être par la suite dans une édition pour adultes (et vice-versa d’ailleurs).
Les opportunités commerciales offertes par l’apparition de ce public ont modifié les stratégies éditoriales. Aujourd’hui, ce segment a remplacé la collection. Les éditeurs font le choix aujourd’hui, non plus de classer les romans par genre, mais par catégorie d’âge ou par format.
Changement des pratiques et des préférences de lecture des jeunes
Depuis le succès des romans de l’imaginaire dans les années 2000, les préférences de lecture des jeunes ont évolué. Pour Laurent Bazin2, avec le plébiscite de ces romans par les jeunes s’est opéré un basculement d’une prescription verticale (l’adulte propose) à une prescription horizontale (la communauté de pairs s’impose). En effet, il a mis en évidence l’émancipation des adolescents vis-à-vis d’une littérature patrimoniale, jusque-là légitime. La transmission culturelle ne se fait plus par les médiateurs culturels mais par le biais des réseaux sociaux, des groupes d’amis ou des communautés de lecture. Il parle alors de passage d’une culture de « pères » à une culture de « pairs ». Les adolescents se construisent une culture parallèle, en rupture avec celle connue jusqu’ici.
Une représentation de l’imaginaire d’aujourd’hui
L’explosion des romans de l’imaginaire au XXIe siècle correspond à une évolution des représentations de l’imaginaire. On peut considérer ces œuvres plutôt comme des produits commerciaux, mais il est indéniable d’y voir un reflet de la pensée d’aujourd’hui. Le point commun entre tous les romans de l’imaginaire, c’est le thème de la pluralité des mondes : univers virtuels, voyages entre les mondes, mondes idéaux (utopies), mondes apocalyptiques (dystopies), passé revisité (uchronies). Ce regain de popularité peut s’expliquer entre autres raisons par l’éclatement des certitudes au XXe siècle qui a provoqué chez les jeunes générations un engouement pour le virtuel, refuge contre l’opacité du réel et l’angoisse d’une société en perte de repères. La construction même de ces récits (enchâssés, polyphoniques), la fusion des temps qu’ils proposent accentuent la perte des repères et permettent de lutter contre l’immédiateté du présent.
Aussi, ces romans représentent-ils moins des phénomènes de mode que des réponses littéraires à un contexte politique troublé.
Le fonds BB ou une histoire de la littérature de jeunesse
Profitant d’un congé de formation après vingt ans d’exercice en tant que professeur documentaliste, je me suis inscrite au Master 2 professionnel Parcours Littérature pour la Jeunesse (dispensé à distance par l’Université du Mans). Dans ce cadre, j’ai eu l’opportunité d’effectuer un stage au secteur Patrimoine de la Bibliothèque municipale de Nantes et de découvrir le fonds Bermond Boquié. Véritable caverne d’Ali Baba pour une passionnée de littérature de jeunesse, ce fonds conserve de vrais trésors et témoigne de l’Histoire de la littérature pour enfants et adolescents.
Historique du fonds BB
Ce fonds spécialisé porte le nom de ses deux donateurs, Monique Bermond et Roger Boquié qui ont œuvré à la promotion de la littérature de jeunesse francophone comme critiques littéraires et producteurs d’émissions radio sur France Culture (Allô, allô, ici jeunesse en 1962 et Le livre : ouverture sur la vie en 1970). En 1999, ils font don à la ville de Nantes de 24 000 livres, enregistrements sonores et montages audiovisuels représentatifs de l’édition jeunesse depuis 1960.
Le Centre d’Information sur la Littérature Enfantine qui existait au sein de la bibliothèque municipale de Nantes depuis 1977 est alors rebaptisé Centre Bermond-Boquié, puis devient le Fonds Bermond-Boquié en 2014, et intègre le service Patrimoine à la médiathèque Jacques Demy. Aujourd’hui, Françoise Chaigneau et Claire Fruchard ont en charge ce fonds patrimonial et ont pour mission de le conserver, de l’enrichir et de le valoriser. Regroupant plus de 57 000 ouvrages, il est divisé en deux parties, l’une concerne la donation, l’autre est consacrée aux documents acquis grâce aux dons reçus notamment par des écoles en début des années 2000, aux services de presse des éditeurs et à des acquisitions.
La politique de conservation
Les ouvrages sont classés par ordre d’arrivée et par format couvrant plus de 700 mètres linéaires. Ils sont répartis selon 7 formats différents : les livres grand format de + de 35 cm ; de 25 à 35 cm (albums et documentaires) ; de 19 à 25 cm ; moins de 19 cm ; les formats « bâtards » ; les formats audio ; grand format à l’italienne.
Ce classement permet notamment de voir l’évolution des formats et des collections au cours des dernières décennies et de dresser des panoramas à partir des ouvrages du fonds.
Au niveau des formats, on peut faire plusieurs constats : « Dans la donation Bermond-Boquié (1960 à 1998), les livres grand format de plus de 35 cm étaient très peu nombreux (environ une cinquantaine), aujourd’hui nous en avons environ 400 », précise Françoise Chaigneau. Les albums grand format reviennent sur le devant de la scène ces dernières années avec de nombreuses publications pour les petits et les plus grands.
« À partir de 1998, le rayonnage des livres au format de 19 à 25 cm s’est considérablement développé, alors qu’auparavant celui des livres au format poche augmentait le plus rapidement ». En effet, moins onéreux, ce format couvrait l’ensemble des parutions pour les adolescents. Il a été détrôné par la sortie chez Gallimard Jeunesse d’Harry Potter en 1998. Le succès de cette saga auprès des jeunes a obligé les éditeurs à modifier leurs stratégies éditoriales. Progressivement, depuis les années 2000, les éditeurs lancent leur propre collection grand format dans un marché très porteur. Françoise Chaigneau ajoute : « les séries se sont alors multipliées, notamment dans les romans pour ado alors que nous avons moins de romans pour les plus jeunes. Nous nous limitons dans les séries aux trois premiers tomes. Nous sommes obligés, les magasins ne sont pas extensibles, il faut penser à la place… ».
La politique d’acquisition
L’enrichissement du fonds s’effectue donc d’une part par les livres envoyés par les services de presse des éditeurs et par des acquisitions. Douze revues professionnelles spécialisées en littérature de jeunesse sont dépouillées systématiquement. « Nous achetons en priorité les livres « coups de cœur » qui ne sont pas envoyés par le service de presse. Puis une partie de notre budget est dédiée aux livres anciens. Nous enrichissons le fonds en acquérant notamment des livres antérieurs à la donation, avant 1960 (134 par exemple sont antérieurs à 1900). Nous orientons nos achats notamment sur des albums illustrés et également en fonction de nos projets d’animations. Ces dernières années nous nous sommes procuré des abécédaires et nous les présentons aux scolaires lors de nos ateliers patrimoniaux ».
Mise en valeur du fonds
Ce fonds accessible à tout public est consultable à l’espace Patrimoine à la médiathèque Jacques Demy et s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse : professionnels du livre et autres passionnés ou nostalgiques des lectures de leur enfance.
Cet espace de consultation permet d’avoir accès à des ouvrages de référence sur la littérature de jeunesse (l’Histoire, les contes, l’illustration, etc.), et aux revues professionnelles.
Les actions culturelles
Afin de valoriser ce fonds, des animations sont organisées en direction de différents publics. « Auprès du public adulte, une fois par an nous présentons les nouveaux titres les plus « remarquables » que la bibliothèque a acquis, patrimoines adulte et jeunesse confondus. Auprès des plus jeunes, nous proposons l’animation « Lecture d’hier et d’aujourd’hui » : trois à quatre fois par an, une comédienne vient lire des extraits de romans ou d’albums devenus des classiques. Le Petit Nicolas a eu beaucoup de succès ainsi que les romans de Roald Dahl et prochainement nous présenterons des albums de Sendak. Nous animons également des formations autour de l’Histoire du livre pour la jeunesse, destinés à des enseignants ou des professionnels du livre, par exemple sur les albums petite enfance (0-3 ans), ou en proposant des outils pour accompagner des élèves en difficulté de lecture.
Pour les jeunes des établissements scolaires de l’académie de Nantes, nous animons des ateliers patrimoniaux. L’atelier « À la découverte des abécédaires », nous donne l’occasion de mettre en valeur un florilège de livres de différentes époques. Les livres les plus anciens sont numérisés, nous les présentons sur tablette et nous montrons également des livres d’artistes plus récents. Sur le site de bibliothèque, à la rubrique Patrimoine, les lecteurs peuvent découvrir quelques titres qui sont numérisés au fil des présentations que nous faisons. Et enfin, nous exposons au sein de la médiathèque des livres issus des collections du fonds BB en lien avec des thèmes d’actualité (Printemps des poètes, Noël.) ».
La base de données LIVRJEUN
La bibliothèque municipale administre une base de données liée au fonds Bermond-Boquié. Elle travaille en partenariat avec l’association Nantes Livres Jeunes (association née à la suite de la donation qui a pour ambition de promouvoir la production éditoriale pour la jeunesse, dans la continuité du travail des deux critiques). Celle-ci anime des comités de lecture constitués de professionnels de la lecture qui chroniquent les livres reçus et enrichissent ainsi le site LIVRJEUN. Aujourd’hui, elle recense plus de 30 000 fiches critiques d’ouvrages pour la jeunesse.
Les projets
Une exposition sur les albums du Père Castor de 1931 à 1967 aura lieu à la médiathèque de décembre 2019 à fin février 2020 à partir des collections du fonds Bermond-Boquié. Entrés au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2018, ces ouvrages ont joué un grand rôle dans la démocratisation de la lecture en France. Paul Faucher, fondateur de cette collection enfantine en collaboration avec sa femme, l’écrivain tchèque Lida Durdikova, a fait appel à plusieurs illustrateurs venant des pays de l’Est influencés par différents mouvements artistiques dont le constructivisme russe.
INFOS PRATIQUES
Fonds Bermond-Boquié
Bibliothèque municipale de Nantes, Médiathèque Jacques Demy, Espace Patrimoine 24 quai de la Fosse
www.bm.nantes.fr
InterCDI a interrogé sur leurs parcours des collègues professeurs documentalistes du bout du monde : Hélène Charlet en poste au lycée Louis Massignon d’Abu Dhabi ; Nina Da Rocha-Huard en poste au lycée Blaise Pascal d’Abidjan ; Paule Maillet en poste au lycée François Mitterrand de Brasilia ; Mathilde Vendé, en poste à La Paz puis au lycée Eugène Delacroix d’Athènes ; et Aline Royer, en poste au lycée Français de Lomé.
Depuis combien de temps occupez-vous ce poste ?
Hélène Charlet : septembre 2014. Nina Da Rocha-Huard : 1 an. Paule Maillet : 1 an Mathilde Vendé : 1 an à La Paz et depuis 2 ans à Athènes. Aline Royer : septembre 2017.
Pourquoi avoir choisi un poste à l’étranger ? Comment avez-vous choisi le pays ?
H.C. : J’avais envie de partir à l’étranger depuis quelque temps, dans le cadre d’un projet de couple et de famille. Des vacances aux Émirats en 2013 nous ont fait aimer le pays, et regarder s’il y avait des postes en documentation ; par chance un poste a été créé à Abu Dhabi en janvier 2014 et je l’ai eu ! Toute la famille a suivi (3 enfants). C’est un pays surprenant, loin des clichés qu’on en a depuis la France, et qu’on a choisi pour la sécurité qu’il apporte aux enfants, le multiculturalisme, la tolérance de tous les modes de vie. N.D.R-H. : Parce que j’aime rompre la monotonie, changer de vie, recommencer. C’est une chance que de pouvoir vivre ailleurs et découvrir des choses qu’on ignore. J’évolue au fil de ces changements, je me sens enrichie chaque fois davantage. Je n’ai pas particulièrement choisi ce pays, mon objectif était de ne pas être en France. J’ai postulé à différents endroits et je suis allée là où j’ai été prise. P.M. : J’habitais déjà à Brasilia. M.V. : C’est un projet que j’ai toujours eu. J’avais envie d’expérimenter d’autres contextes et habitudes de travail. J’ai ciblé les pays qui m’attiraient. A.R. : J’ai toujours eu envie de travailler à l’étranger, et c’est en partie parce que cette possibilité existait dans l’Éducation Nationale que j’ai passé le Capes. Le Togo n’était pas mon premier choix. J’avais postulé sans succès pour le Chili, la Grèce, le Portugal et d’autres pays mais c’est l’envie de partir qui l’a emporté sur le choix de la destination.
Comment avez-vous obtenu ce poste,
sur quels critères de recrutement, avec quel statut ? H.C. : Procédure classique de recrutement sur le site de l’AEFE pour un poste de professeur résident. J’ai déposé un dossier et j’ai été appelée en mars pour dire que j’étais classée première sur la liste ; 15 jours plus tard on me confirmait que si mon détachement était accepté, le poste était pour moi. J’ai, par la suite, su que mon dossier avait retenu l’attention car en France je travaillais avec un partenariat avec le Louvre Lens ; et comme un Louvre s’apprêtait à ouvrir à Abu Dhabi, cet aspect de mon CV a paru correspondre aux attentes du proviseur. N.D.R-H. : Il fallait être titulaire du MEN. J’ai un statut de détachée directe ce qui signifie que je suis employée par une entreprise privée avec un contrat de résidente. Je ne bénéficie plus de la sécurité sociale et je ne suis pas obligée de cotiser pour la retraite. Cependant, je cotise auprès de la CFE (Caisse des Français à l’Étranger), la MGEN est toujours ma mutuelle et je verse une cotisation pour mes droits à la retraite. Je garde aussi le bénéfice de l’évolution de carrière. P.M. : J’étais responsable de communication à mi-temps ; une documentaliste à mi-temps est partie en retraite, j’ai postulé en interne. Je venais du monde de la culture. Je suis en contrat local.
M.V. : J’ai candidaté lors de la campagne de recrutement pour les postes de résidents dans le réseau AEFE. Elle a lieu chaque année en janvier. Concernant les critères, chaque établissement a sa propre grille mais les personnes qui ont des liens avec le pays d’accueil sont prioritaires. Il est recommandé d’avoir des certifications complémentaires. Pour ma part, j’ai un diplôme de FLE. La connaissance de la langue du pays d’accueil est un plus. A.R. : J’ai postulé 3 années de suite, sur une dizaine de postes à chaque fois, avant d’obtenir celui-ci avec le statut de résident. Il y a peu de postes de résidents vacants en documentation. Il n’y en a aucun avec le statut d’expatrié. J’ai axé ma lettre de motivation sur mes capacités d’adaptation (j’ai travaillé dans 6 établissements différents, du petit collège rural au lycée de plus de 2000 élèves) et sur mon double profil FLE-documentation (je suis titulaire de la certification FLE-FLS et j’ai exercé deux années en tant que professeur de FLE dans une UPE2A avant de partir). Le Lycée Français de Lomé a accepté ma candidature en mai 2017 mais le Rectorat de Montpellier a fait des difficultés pour accepter mon détachement. J’ai attendu mi-juillet pour avoir la certitude que je pouvais partir.
Hélène Charlet
Le fait d’être expatriée a-t-il eu des répercussions sur votre salaire ?
H.C. : Oui, mais pas celles attendues ! Le salaire paraît énorme sur le bulletin mais les loyers sont très très chers à Abu Dhabi (plus de 2 500 € par mois pour un appartement avec 1 chambre) et les frais de scolarité également (lycée payant même pour les enfants de profs, à près de 10 000 € par an). Je ne gagne pas d’argent en vivant ici, mais plutôt une expérience de vie, une richesse culturelle, une ouverture qui sont précieuses. N.D.R-H. : Oui, le salaire est plus élevé parce que l’on touche une indemnité de vie locale. Cependant, les loyers du pays dans lequel je vis ainsi que les produits de la vie quotidienne sont plus chers qu’en France si on fait le choix de conserver un certain confort. P.M. : Non, je suis en contrat local. M.V. : Je touche l’ISVL (Indemnité spécifique de vie locale, propre au statut de résident dans le réseau AEFE) en plus de mon salaire France. Lorsque j’étais en contrat local en Amérique latine, je touchais 1 100 dollars par mois (un peu plus de 900 €). A.R. : Pour les résidents, le salaire est majoré en fonction d’une indemnité de coût de la vie locale qui varie selon le pays. Le coût de la vie est bien moins élevé au Togo qu’en France mais actuellement, je gagne environ 500 € de plus que si j’étais documentaliste en France. Mon salaire est versé en euros sur mon compte français, ce qui pose un certain nombre de difficultés pour avoir des liquidités sur place. On touche également une prime d’installation qui compense le premier billet d’avion et les frais d’installation. Mon salaire mensuel est 45 fois supérieur au SMIG togolais, ça frôle l’indécence. Dans mon établissement, il y a des expatriés qui touchent jusqu’à trois fois leur salaire français, les résidents qui comme moi touchent un salaire français majoré, les enseignants français ou togolais qui sont recrutés en contrat local qui touchent environ la moitié, et enfin les agents de maîtrise et les agents d’exécution dont le salaire peut descendre très bas (pas plus de 100 € par mois). De telles disparités ne peuvent pas être sans conséquence sur l’atmosphère de travail et les relations entre collègues.
Comment s’est passée votre installation dans le pays ? Vous a-t-on aidé ?
H.C. : Difficile, car les lourdeurs administratives sont nombreuses aux Émirats et surtout, le CAPES n’est pas reconnu comme diplôme. Donc pour un poste de documentaliste il a été très long et compliqué de faire comprendre aux autorités que c’est un statut de professeur. J’ai commencé ma carrière à Abu Dhabi en étant enregistrée à un statut de femme de ménage… Le lycée a toutefois des personnels dédiés à ces démarches et à l’installation dans le pays, qui aident et conseillent. N.D.R-H. : Cela n’a pas été simple surtout pour trouver un logement qui soit à la fois abordable et qui nous convienne. Trouver une voiture a aussi été difficile… ici, il y a pas mal d’arnaques (faux agents immobiliers, prix très élevés selon l’image que l’on se fait de vous…). Obtenir une carte de résident a été ma plus mauvaise expérience comme tout ce qui relève de l’administration d’ailleurs (attentes interminables, paiement de bakchich, personnes de mauvaise foi…).
L’établissement m’a versé une prime pour m’aider à m’installer et nous aide en nous offrant quelques nuits d’hôtel lorsqu’on arrive. Un chauffeur est aussi venu nous chercher à l’aéroport très tard dans la nuit, c’est très appréciable. Généralement, si l’on fait face à un problème, la hiérarchie est à l’écoute et essaie de nous aider, mais ce sont surtout les collègues déjà intégrés qui m’ont accompagnée et conseillée. P.M. : J’étais déjà installée. M.V. : En Bolivie : beaucoup d’aide de la part des collègues. Un juriste, payé par l’établissement, nous a accompagnés dans les procédures pour obtenir le visa de travail. En Grèce : pas besoin de visa de travail en tant que résident. Les collègues et l’administration du lycée nous ont aidés dans les démarches administratives auprès de l’administration grecque. A.R. : Quand on connaît rapidement son affectation, on peut facilement entrer en contact avec des collègues sur place, avoir des tuyaux pour s’installer, voire récupérer la maison de quelqu’un qui s’en va. Dans mon cas, mon détachement n’a été validé par le Rectorat que le 11 juillet. Tout le monde était déjà parti en vacances. Je suis donc arrivée fin août avec mes deux valises et aucun contact. J’ai passé un mois et demi dans une location saisonnière avant de trouver une maison à louer. J’ai découvert un marché de l’immobilier très différent de ce que je connaissais. Il n’y a pas d’agences immobilières à proprement parler, mais des démarcheurs qui font visiter les maisons moyennant une commission. On ne rencontre le propriétaire qu’au moment de la signature du contrat. Il faut souvent verser trois mois de caution et six mois de loyer dès la remise des clés, autant dire une valise de FCFA.
Par contre, le lycée nous accompagne dans nos démarches pour l’obtention d’une carte de séjour et heureusement, car c’est un parcours du combattant !
Quel est le public de votre établissement ?
H.C. : Public très varié en termes de nationalités (moins de 50% de Français, beaucoup de Libanais, Marocains, Algériens…) mais aussi de mixité sociale : enfants des soldats de la base militaire d’Abu Dhabi aussi bien que de diplomates. Mais globalement un point commun : beaucoup d’enfants qui ont vécu toute leur vie ou presque à l’étranger, donc habitués au multiculturalisme, à la tolérance des religions et des cultures. 98% de réussite au bac, pas de gros problèmes de discipline. N.D.R-H. : Des enfants socialement privilégiés, issus de familles illustres dans le pays ; des enfants d’expatriés français mais aussi d’autres pays P.M. : Enfants de diplomate ou de fonctionnaires internationaux expatriés ou enfants de brésiliens de classe sociale haute. M.V. : 1 700 élèves de la petite section à la Terminale. Il y a deux sections : section française (maternelle, élémentaire et secondaire. 1 300 élèves) et section hellénique (système grec avec un apprentissage approfondi du français. Secondaire, 400 élèves). La plupart des élèves sont grecs (engouement traditionnel pour la culture française) mais il y a aussi des enfants d’expatriés français et étrangers (enfants de diplomates notamment). A.R. : C’est un public d’enfants en grande majorité togolais, issus des classes aisées. Il y a aussi beaucoup d’enfants des pays africains limitrophes, d’autres issus des communautés fortement implantées au Togo : les Libanais et les Chinois. Il y a un à deux enfants d’expatriés français par classe.
Êtes-vous plusieurs professeurs documentalistes ?
H.C. : Non, j’ai une assistante documentaliste à temps plein. N.D.R-H. : Nous sommes trois mais je suis la seule détachée. Mes deux collègues sont natifs du pays et employés sous contrat local. Ils font plus d’heures et sont bien moins payés. P.M. : Nous sommes 3 mi-temps et nous nous partageons la BCD (400 élèves) et le CDI (300 élèves). M.V. : Oui, une prof doc pour la section française, un doc pour la section hellénique. A.R. : Le Lycée français de Lomé accueille les élèves de la très petite section à la Terminale, soit environ 1 000 élèves. Une bibliothécaire s’occupe de la BCD. Je m’occupe du CDI du collège et du lycée, où je suis secondée par un attaché documentaliste à mi-temps.
Comment travaillez-vous avec les autres professeurs ?
H.C. : Il a fallu une année, voire deux, pour mettre en place des choses car le poste n’avait jamais été occupé par un « vrai » documentaliste et mes propositions venaient déstabiliser certaines habitudes. Désormais c’est un vrai partenariat complet et riche, énormément de projets culturels dans lequel le CDI est toujours impliqué, comme lieu de ressources, lieu d’enseignement, et on fait appel à mes compétences pour encadrer les élèves, proposer des activités, donner des cours… N.D.R-H. : Cela se passe comme en France. P.M. : Plusieurs activités en partenariat : incitation à la lecture, éducation aux médias, philosophie… M.V. : Collaboration similaire à celle pratiquée en France. En Bolivie, les modalités de travail étaient complètement différentes car je m’occupais de la BCD en primaire. Les professeurs des écoles avaient des attentes très précises (passages hebdomadaires des classes pour emprunter des livres). Je proposais de petites animations et j’ai pu impulser un peu de recherche documentaire en CM1-CM2. A.R. : Pas de différence sur ce point avec les établissements en France. Il y a des collègues demandeurs ou réceptifs aux propositions pédagogiques, d’autres pas du tout.
Quelle est la singularité de votre CDI ? En quoi est-il adapté au pays ?
H.C. : Il est très grand, très bien doté en matériel et en moyens… je n’ai jamais connu ça en France ! Commun au collège et au lycée, ce qui est parfois difficile à gérer notamment au niveau des règles de fréquentation qui sont plus adaptées aux collégiens qu’aux lycéens. Le fonds est adapté au fait que ce soit un pays musulman et que le ministère local de l’Éducation contrôle ce qui est proposé à la lecture. Beaucoup d’ouvrages en anglais et en arabe, langues dominantes du pays (et même dans la cour de récréation). P.M. : C’est le lieu central de l’école, l’espace accueille tous les élèves de deux ans et demi à 18 ans. C’est un grand espace, clair et agréable. Les adultes (parents, responsables, professeurs…) viennent aussi emprunter des livres pour leur usage personnel, le CDI fait aussi office de bibliothèque grand public pour les emprunts. M.V. : Le CDI est commun aux deux sections. Nous abritons donc un fonds francophone et un fonds hellénophone, ainsi qu’un important fonds anglophone, le lycée proposant l’option internationale britannique (OIB). Beaucoup de nos élèves maîtrisent couramment l’anglais. Pour le fonds hellénophone, nous utilisons un logiciel de catalogage grec (lien sur e-sidoc). La signalétique est bilingue français-grec. A.R. : Il y a beaucoup de singularités ! La plus importante pour moi est l’accueil simultané de collégiens et de lycéens. Il faut aménager un espace et proposer des règles adaptées à des élèves de 11 à 19 ans, acceptées par tous.
Ensuite, bien qu’issus de familles très à l’aise financièrement, nos élèves ont accès à peu de ressources en dehors du lycée. L’Internet mobile est bien développé mais rares sont ceux qui ont un accès à Internet avec un débit correct sur un ordinateur. Les rares librairies sont très mal achalandées et les livres y sont chers. Le CDI est donc indispensable pour le travail scolaire, mais c’est aussi une bouffée d’air pour les élèves, qui dévorent tous les livres mis à leur disposition. Nous battons tous les records de prêts ! Ces conditions particulières orientent la politique d’acquisition. Je n’hésite pas à acheter beaucoup de mangas et de romans jeunesse, car je sais que les élèves ne les trouveront pas ailleurs.
Autre contrainte, l’humidité pendant la saison des pluies ou la poussière en période d’harmattan font que les livres s’abîment très vite et qu’il faut renouveler souvent le fonds.
Faute d’approvisionnement local, les commandes se font une fois par an, en mars, et arrivent par bateau en container pendant l’été. C’est une forte contrainte, à laquelle j’ai eu du mal à m’adapter. J’ai ainsi passé un an en poste avant de recevoir mes premières commandes. C’est difficile d’être réactif en fonction des projets et des envies des élèves. Quand un élève me demande la suite de son manga préféré, je dois toujours lui répondre qu’il devra attendre jusqu’à la rentrée prochaine. Par contre, l’achat du mobilier se fait sur place : tous les meubles du CDI sont en teck. Dessinés par la précédente documentaliste, ils ont été fabriqués par un menuisier du quartier.
Mathilde Vendé
Avez-vous des projets spécifiques ?
H.C. : Oui beaucoup ! un peu long de tout lister… Localement c’est avec le Louvre Abu Dhabi que j’essaie de développer le plus gros partenariat. Le fait d’être un lycée de l’étranger permet aussi d’attirer des « têtes d’affiche » comme Florence Aubenas qui vient en avril 2019. Je coordonne sa venue et son séjour aux Émirats. N.D.R-H. : Le niveau des élèves étant élevé, on peut voir les choses en grand. P.M. : Un club média. M.V. : Chaque année, un important projet vidéo autour du Festival du Film Francophone d’Athènes, en partenariat avec l’Institut Français. Depuis l’année dernière, projet littéraire avec les premières L. A.R. : Je participe cette année à une APP, action pédagogique pilote, qui vise à transformer le journal lycéen qui existe depuis quelques années en webradio (LA VOIX DU LYCÉEN). C’est un beau projet, emmené par une équipe d’élèves très motivés.
Ce projet permet de donner de la visibilité à d’autres plus modestes. Les échanges du club manga sont désormais enregistrés sous la forme d’une émission, Instant Manga, qui est diffusée sur la webradio.
Comment avez-vous « acclimaté » votre pédagogie ?
H.C. : Je fais de l’Éducation aux médias comme j’en faisais déjà en France. Pas de différence notable de pédagogie avec la France je pense. N.D.R-H. : Lorsque le niveau des élèves est élevé, c’est plus simple. P.M. : Nous nous adaptons au travail des professeurs, la pédagogie est très française. Nous avons cependant un fonds important en langue du pays (portugais). M.V. : En Bolivie, j’ai beaucoup observé les collègues dans leurs classes pour voir quoi proposer aux petits. En Grèce, plus simple car c’est le même cadre qu’en France. Avec les 6e, lors des séances de présentation du CDI, je suis amenée à jongler entre les deux langues pour expliquer les classements des deux fonds. A.R. : Comme je l’ai dit précédemment, c’est plus au niveau des acquisitions et des règles de fonctionnement que je me suis adaptée. Ce qui est sûr, c’est que le climat scolaire est ici très apaisé. Les élèves sont calmes, très respectueux. Il est très rare que nous ayons à lever la voix et encore plus à prononcer une sanction. C’est plutôt au retour que je devrais « réacclimater » ma pédagogie !
La politique locale a-t-elle des incidences sur le lycée ou le CDI ?
H.C. : Oui il y a des cours d’arabe et d’éducation islamique pour les musulmans, pendant le Ramadan on change les horaires de cours, les élèves peuvent venir voilées… tout cela se passe dans un climat très serein et de tolérance, d’acceptation des façons de vivre de chacun. A.R. : Quand je suis arrivée en septembre 2017, la situation au Togo était très tendue. Il y avait des manifestations réclamant le départ du président plusieurs fois par semaine. Ces jours-là, l’ambassade envoyait aux ressortissants français des consignes de sécurité du type « évitez les déplacements et les rassemblements ». Pourtant, même au plus fort des troubles le lycée n’a jamais été fermé. Nous venions travailler, mais n’avions que très peu d’élèves.
De manière générale, la politique locale est taboue au lycée. Nous avons pour consigne de ne pas l’aborder dans le journal scolaire. Quand nous avons voulu signer un partenariat avec une radio locale, le proviseur s’est inquiété du positionnement de cette antenne. Travailler avec une radio connue pour son opposition au régime en place aurait été impossible.
Quelles sont les difficultés matérielles que vous rencontrez (commande de livres, abonnements, mobilier…) ?
H.C. : Une seule librairie francophone pour tous les Émirats, donc frustration de ne pouvoir feuilleter et avoir des partenariats avec des libraires. Les délais de livraison font qu’il est parfois difficile d’être réactif quand on a besoin d’un livre en urgence. Des colis qui peuvent rester bloqués en douane… le système postal ici n’est pas très au point. N.D.R-H. : Les commandes, ça reste un point noir. Les délais de livraison sont longs, les marchandises peuvent rester bloquées au port, on ne reçoit pas tout, pas en même temps. Sur place, on ne trouve pas tout ce dont on aurait besoin, on est contraint de commander en France et de prendre notre mal en patience quand ça n’est pas refusé car au final trop onéreux…
Nous n’avons pas beaucoup de librairies, peu de choix dans les BD et même, en général. Il est impossible de satisfaire un besoin ou une demande dans des délais raisonnables. Pour pallier cela, nous avons acquis des liseuses et une tablette (pour lire les BD). P.M. : Les livres qui viennent de France sont très chers (frais de port et de douane), nous ne faisons qu’une seule acquisition par an. Les magazines arrivent toujours avec un délai notoire. M.V. : En Bolivie, tout était commandé en France. Il fallait donc anticiper plusieurs mois à l’avance (rétroplanning calculé en fonction des arrivées des bateaux au Chili !). En Grèce, c’est beaucoup plus simple, il y a plusieurs librairies francophones avec lesquelles nous travaillons. Pour les abonnements, nous passons par Unipresse. Pour les fournitures et le mobilier, nous commandons au maximum en Grèce (il nous arrive de faire fabriquer) mais nous nous approvisionnons également en France.
Quelles sont les obligations que vous n’auriez pas en France ?
H.C. : Les hymnes chaque matin, l’engagement de promouvoir une bonne image de la France, le respect des règles locales. P.M. : Le prêt des manuels scolaire pour tout le secondaire et le prêt de série de livres étudiés en classe pour le primaire et le secondaire. Cela prend beaucoup de temps et de place. M.V. : Il ne s’agit pas d’obligations à proprement parler mais nous sommes parfois amenés à venir au lycée le week-end pour des projets spécifiques ou des événements. A.R. : Lors de notre recrutement en tant que résident, nous recevons une lettre de mission dans laquelle l’AEFE insiste fortement sur notre devoir de réserve. Nous ne devons pas afficher publiquement notre avis sur la politique locale. Nous devons prendre garde à ne pas diffuser une image négative de la France par nos propos, par notre tenue ou nos activités.
Êtes-vous obligée de revenir travailler en France, au bout d’un certain nombre d’années ?
H.C. : Contrat de 3 ans renouvelables sur demande et avec accord de la direction, de l’AEFE et de l’académie d’origine. Une nouvelle circulaire a laissé entendre récemment que les affectations à l’étranger seraient désormais limitées dans le temps. À suivre… N.D.R-H. : Tant que je reste dans ce pays, non ; à moins que le renouvellement de mon détachement me soit refusé. Par contre, cette année, de nouvelles dispositions ont été prises pour les nouveaux contrats. Celles-ci limitent le nombre d’années passées à l’étranger. P.M. : Non car je suis en contrat local. M.V. : Difficile à dire actuellement mais c’est probable. L’AEFE fait l’objet d’un projet de réforme qui sera présenté d’ici peu au gouvernement. Une circulaire est déjà parue. Elle fait état d’un changement du statut de résident : le droit au détachement sera désormais limité à 6 ans (2 x 3 ans). A.R. : J’ai signé pour trois ans, avec la possibilité de renouveler mon détachement autant de fois que souhaité. Nous avons ici des collègues résidents qui sont installés depuis une quinzaine d’années. Cependant les règles sont en train de changer et il semblerait que l’on soit désormais obligé de rentrer au bout de 6 ans.
Nina Da Rocha-Huard
Quels liens avez-vous avec les autres documentalistes du pays ou de la région ?
H.C. : Essentiellement par mail. Beaucoup de turn-over, de personnes affectées là pour un an, sans qualification, sans formation. Peu de projets communs ou de moyens de se voir P.M. : Grâce aux formations nous nous connaissons et sommes en contact par divers moyens, en l’occurrence mail et WhatsApp. Nous nous rendons beaucoup service, cela est très précieux. M.V. : Au sein de l’établissement, nous travaillons étroitement avec la collègue qui s’occupe de la BCD. Nous sommes en lien avec l’équipe de la médiathèque de l’Institut Français et l’équipe de la Bibliothèque Nationale. A.R. : Le Lycée Français de Lomé est le seul établissement conventionné AEFE au Togo. Il y a des établissements privés qui suivent le programme français qui se mettent à ouvrir des bibliothèques avec un personnel dédié, en s’inspirant du fonctionnement des CDI et des missions des professeurs documentalistes. Il n’y a pas à ma connaissance d’autre professeur documentaliste titulaire du CAPES dans la sous-région. Je crois que la plus proche se trouve au Gabon. Autant dire que les réunions de bassin où nous pouvions échanger sur des problématiques communes me manquent et que les échanges par mail ou whatsapp avec les anciennes collègues en poste en France sont bienvenus !
Avez-vous accès à des formations ?
H.C. : Oui, formations organisées par l’AEFE dans la zone. Mais peu de choses en documentation, parfois peu adaptées à la réalité du terrain, et pas beaucoup de places donc pas sûre de les obtenir. Quelques formations organisées par l’Institut français ou l’Alliance française. N.D.R-H. : Oui, elles peuvent être internes à l’établissement ou être organisées dans la zone géographique et nous permettre ainsi de découvrir d’autres pays et établissements. P.M. : Oui de la DGESCO et de l’AEFE. Nous sommes gâtés. M.V. : Oui, stages de formation continue organisés par l’AEFE dans chaque zone et formations internes au sein des établissements. A.R. : L’AEFE propose un plan de formation mais ces deux dernières années, il n’y avait rien de spécifiquement dédié aux professeurs documentalistes dans la sous-région. J’ai cependant été retenue pour un stage en FLE qui aura lieu à Lomé, car je suis en charge des élèves allophones du lycée. Ceci est différent pour les professeurs des autres disciplines qui partent régulièrement dans les pays voisins pour des regroupements et qui à leur retour proposent des restitutions de stage.
Si c’était à refaire ?
H.C. : Sans hésiter ! N.D.R-H. : Je le referai P.M. : Oui, toujours ! M.V. : Mille fois oui !!! A.R. : C’est une expérience très riche professionnellement. Je ne pense pas retrouver en France un tel enthousiasme de la part des élèves, qui se pressent pour participer à toutes les activités proposées. Le CDI ne désemplit pas et pourtant il y règne toujours une ambiance sereine. Il y a aussi une forte émulation entre collègues enseignants, tous sont motivés et dynamiques. En contrepartie, le travail prend beaucoup de place et on vit dans un milieu très fermé, un peu étouffant. Si je demande ma réintégration, ce ne sera pas pour les conditions de travail – même si les disparités de statuts et de salaires sont pour moi le gros point noir du lycée français – mais parce que le contexte local, entre tensions politiques, pollution, circulation chaotique et climat caniculaire, est éprouvant, et parce que l’automne et le printemps me manquent !
Alors que l’on s’apprête à célébrer les 50 ans des premiers pas de l’Homme sur la lune (le 21 juillet 1969 par Neil Amstrong), c’est l’occasion de s’intéresser à cet astre, un sujet très riche qui offre des pistes de travail aussi bien en sciences qu’en arts, en Histoire ou en littérature. Objet d’attirance et de fascination depuis l’aube de l’humanité, voici une tentative de cartographier sous ses multiples facettes ce territoire fertile en ressources, où l’information documentation mais aussi l’Éducation aux Médias et à l’Information ont une place majeure à tenir.
Dans toutes les cultures, à toutes les époques de l’humanité, nous observons avec crainte ou curiosité cet objet céleste, à la fois si proche de nous et pourtant inabordable, qui rythme nos nuits comme le soleil rythme nos jours. De nombreuses histoires mythologiques ont pour sujet la reine de la nuit. On lui associe un dieu ou une déesse, on lui rend un culte. Ainsi, chez les Grecs, la lune était représentée par trois déesses selon ses phases : Artémis pour la lune croissante, Séléné pour la pleine lune et Hécate pour la lune noire, incarnant respectivement la naissance, la maturité et la mort. On retrouve le culte de la lune chez les Phéniciens (Astarté), les Sumériens (Sin) ou encore chez les Inuits (Igaluk), ou les Japonais, les Égyptiens…
D’élément naturel déifié, la lune est devenue progressivement objet littéraire, et les récits de voyages imaginaires vers ce corps céleste, mais aussi les contes philosophiques, les poèmes, les romans fantastiques, etc., se sont multipliés : Cyrano de Bergerac, Camille Flammarion, Edgar Allan Poe, Verlaine, Alexandre Dumas, H.G Wells, Baudelaire, Jules Verne, Hergé… pour ne citer que les plus célèbres.
Ce rêve a été, siècle après siècle, alimenté par les découvertes scientifiques successives : Thalès, 600 ans avant J.-C. s’interrogeait déjà sur sa luminosité. Ptolémée publia un catalogue d’étoiles au IIe siècle, un inventaire poursuivi encore aujourd’hui. Puis Copernic bouleversa la science en mettant le soleil au centre de notre système. Autre astronome de génie, Galilée perfectionna la longue-vue pour étudier la lune, et démontra – au péril de sa vie – que celle-ci était un satellite de la Terre, et que cette dernière tournait autour du soleil immobile. La liste est trop longue pour que l’on puisse citer tous les hommes et femmes ayant observé la lune, travaillé sur ce sujet et participé à cette aventure extraordinaire qui a mené les hommes jusqu’à ce fameux 21 juillet 1969 et ce « bond de géant pour l‘humanité ».
Mais peut-être est-ce l’inverse, la littérature et la poésie qui sont au fondement de la curiosité scientifique. Ainsi, on raconte que la lecture du roman De la Terre à la Lune de Jules Verne par un jeune savant russe du nom de Constantin Tsiolkovski (1857-1935) le marqua si fort qu’il se passionna pour l’astronautique : ses travaux furent à l’origine de la première fusée lancée en 1926 ! Et combien de vocations ont-elles été déclenchées par la lecture des célèbres aventures de Tintin : Objectif Lune et On a marché sur la Lune de Hergé ?
Objet de fascination universelle, la lune multiplie à l’envi les possibles imaginaires, artistiques, scientifiques et techniques, mais pas seulement : la philosophie (les limites de l’Homme, la satire de la société à travers les contes et les utopies) ou la politique et l’Histoire (de la Guerre froide à la « Guerre des Étoiles » de Reagan) peuvent s’inviter elles aussi à ce banquet sous le signe de Séléné.
De la Terre à la Lune, Jules Verne
Pistes pédagogiques
La thématique de la lune est idéale pour la construction d’un projet en interdisciplinarité tant elle est riche.
• Avec les professeurs de Français, d’arts plastiques ou de sciences, on pourra envisager un travail sur les caractéristiques de la lune : distance, aspect, rythme calendaire, influence sur la nature.
En information documentation, on proposera la recherche de textes et la réalisation d’une anthologie littéraire ou poétique (sur support numérique, par exemple) qui pourra s’accompagner de réalisations plastiques, de cartographies imaginaires ou de portraits d’habitants de la lune…
• On pourra aussi construire un projet autour de l’œuvre de Jules Verne, en y associant les Lettres, les sciences et les arts plastiques : on proposera un travail sur les illustrations de l’œuvre de J. Verne et une comparaison avec des images de la réalité (notamment des illustrations des fusées mais aussi des caractéristiques de la lune). Une activité qui pourra se réaliser à partir d’autres récits de voyages vers la Lune en littérature ou au cinéma (voir encadré Ressources).
• D’autres pistes sont possibles autour des mythologies avec un travail de recherche documentaire.
• En 3e et au lycée, l’aspect politique de la conquête spatiale (Guerre froide, propagande) donne une ouverture intéressante sur l’EMI avec les controverses liées à la conquête spatiale (de la théorie selon laquelle l’homme n’a jamais marché sur la lune au faux selfie de Thomas Pesquet dans l‘espace).
Repères pédagogiques
Collège
6e – EIST : le système solaire.
6e – Français : les mythologies.
5e – Physique-Chimie : la lumière (optique) ; les phases de la Lune
Cycle 4 – Français : se chercher, se construire ; Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu (utopies, romans d’anticipation des xviie et xixe s., bandes dessinées, films, etc.).
4e – Français : regarder le monde, inventer des mondes (récits fantastiques) / Agir sur le monde (Informer, s’informer, déformer ?)
3e – Français : Progrès et rêves scientifiques – explorer l’inconnu
3e – Histoire : thème 2, le monde depuis 1945. Un monde bipolaire au temps de la Guerre
3e – Mathématique : trigonométrie.
Enseignement transversal de l’EMI au collège comme au lycée : construction de l’information (recherches documentaires, étude des controverses, fiabilité des sources, etc.).
Lycée général et technique
Histoire : la guerre au xxe siècle (Guerre froide, relations internationales).
2de – Physique-chimie / SVT : l’univers, le système solaire / la terre dans l’univers (mesures et représentation, géométrie dans l’espace…).
1re techno – Français : éducation aux médias
1re, Tle S – Mathématique : trigonométrie, géométrie dans l’espace, angles.
Lycée professionnel
2de – Français : les médias disent-ils la vérité ?
1re – Français : du côté de l’imaginaire (registre fantastique) / l’Homme face aux avancées scientifiques et techniques : enthousiasmes et interrogations.
Tle – Histoire : les États-Unis et le monde.
Au Grand Palais, à Paris, La Lune, du voyage réel aux voyages imaginaires, du 3 avril 2019 au 22 juillet 2019 https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/la-lune [consulté le 30/03/19]
« LUNE : ÉPISODE II » : nouvelle exposition dès le 20 avril 2019 à la cité de l’espace, Toulouse. https://www.cite-espace.com/communiques-presse/2019-annee-lune/ [consulté le 30/03/19]
Au Palais de la découverte à Paris, visiter les salles permanentes d’astronomie et d’astrophysique http://www.palais-decouverte.fr/fr/au-programme/expositions-permanentes/toutes-les-salles/salles-dastronomie-et-dastrophysique/visite-libre/ [consulté le 30/03/19]
Au musée des Confluences, à Lyon, l’exposition permanente : Origine, les récits du monde avec une présentation des outils d’observation des astres, une maquette du Spoutnik 2, etc. www.museedesconfluences.fr/fr/node/351 [consulté le 03/04/19]
Expositions virtuelles
Ciel et terre – BNF – 1999
http://expositions.bnf.fr/ciel/index2.htm [consulté le 30/03/2019]
Astronomie : Ces instruments qui ont permis de comprendre l’univers – le CNAM
https://artsandculture.google.com/exhibit/6gJCYv6jIzbsIA [consulté le 30/03/2019]
Le Voyage dans la lune, Georges Mélies, 1902 : fiche pédagogique sur France TV.fr (2018)
https://education.francetv.fr/matiere/arts-visuels/quatrieme/article/le-voyage-dans-la-lune-de-melies-film-cle-d-une-oeuvre-prolifique [consulté le 30/03/19]
Dossier d’accompagnement pédagogique autour du documentaire de William Karel Opération Lune.
www.ac-strasbourg.fr/fileadmin/pedagogie
/clemi/semaine_de_la_presse/DAP_Ope__ration_Lune_Clemi_Strasbourg.2018__1_.pdf [consulté le 30/03/19]
Critique et analyse du documentaire de Théo Kamecke Moonwalk One, par Benjamin Genissel, photographe et réalisateur, auteur de « le blog documentaire »
http://leblogdocumentaire.fr/2014/12/10/moonwalk-one-le-documentaire-de-theo-kamecke-en-dvd [consulté le 30/03/19]
Analyse du film : « Moonwalk One, 1972 : la propagande mise à nu » par Jean-Jacques Delfour, professeur agrégé de philosophie https://blog.culture31.com/2014/09/10/moonwalk-one-1972-la-propagande-mise-a-nu/ [consulté le 30/03/19]
Faux selfie de Thomas Pesquet
www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques/ressources-pedagogiques/laffaire-du-faux-selfie-de-thomas-pesquet.html [consulté le 30/03/19]
Outils
Animation : les phases de la Lune
www.pccl.fr/physique_chimie_college_lycee/cinquieme/optique/phases_lune.htm [consulté le 30/03/19]
Affiches
Expositions de l’Association Française d’Astronomie (AFA) : Ciel, miroir des cultures ; Reflets du ciel ; Mémoires d’autres mondes
www.afastronomie.fr/expositions [consultéle 30/03/19]