Dans un royaume lointain d’Amina Richard

Comment est né ce livre et comment s’est passée la recherche d’un éditeur ?

Ce livre est inspiré de ma propre histoire. J’avais déjà écrit plusieurs nouvelles mais jamais de roman vraiment abouti. J’en ai écrit des petits paragraphes, des morceaux de textes épars. Je suis repartie de ces petits bouts. L’envie d’écrire était là depuis longtemps, mais je suis arrivée à un moment de ma vie personnelle où j’ai eu davantage de temps à consacrer à l’écriture et je me suis lancée. J’ai mis, relectures comprises, environ deux ans : une première version écrite au bout d’un an, puis plusieurs mois d’ajustements et de corrections.
Pour la petite histoire, j’ai été mise en contact avec un agent, relativement reconnu dans le métier. C’est par lui que je suis passée pour être éditée. C’est une pratique courante dans le monde anglo-saxon, et qui se développe de plus en plus en France, depuis peu dans le milieu éditorial. Les grosses maisons d’édition se retrouvent à faire beaucoup d’administratif et de marketing et l’apport de manuscrits finalisés proposés par un agent commence à être accepté.

Y a-t-il eu des modifications demandées par les éditions Stock ?

Assez peu finalement, car le texte était déjà très abouti. L’éditeur m’a seulement suggéré de faire réapparaître une nouvelle fois le personnage de la mère, j’ai trouvé qu’il avait raison, j’ai donc ajouté une scène vers la fin de l’ouvrage.

Qu’est-ce que la sortie du livre a changé dans ton quotidien ? Comment est-il accueilli par les lecteurs ?

Je fais de nombreuses rencontres dans des librairies, un peu partout en France. J’ai commencé dès le mois de mai dernier, avant la sortie du livre, et j’enchaîne de façon intensive depuis septembre, quasiment chaque week-end, à la demande des libraires, qui soutiennent bien le roman. Le roman a été présenté dans un article de la revue Page des Libraires, ce qui l’a bien mis en valeur lors de sa sortie. Je vais également dans les différents salons du livre, à la rencontre des lecteurs, en dédicace. Mes lecteurs n’ont pas de profil type : de l’adolescente attirée par le style graphique de la couverture, aux personnes qui connaissent bien l’Afrique. C’est assez étonnant ! Certains sont décontenancés par le style d’écriture, l’emploi de la 2e personne du singulier au début, mais relèvent souvent que les personnages sont très fouillés et qu’ils se sont identifiés à eux.

Peut-on dire qu’il s’agit d’une autobiographie ?

Le roman est inspiré de mon histoire, c’est vrai, mais le but n’était pas de raconter ma propre vie. C’était surtout d’écrire une œuvre littéraire et c’est ce matériau-là qui était disponible. Mon objectif premier était de produire un écrit littéraire et non une autobiographie, le fait que ce soit inspiré de faits réels est secondaire à mes yeux.

Pourquoi ce choix de l’absence de points ? Les virgules, omniprésentes, créent une écriture ample et rythmée. Comment l’as-tu travaillée ?

Les points sont présents seulement dans les dialogues et les citations, sinon je les ai volontairement supprimés. Je souhaitais que l’on soit pleinement dans le ressenti du personnage, à hauteur de son regard et dans sa respiration, que l’on puisse appréhender toute la violence qu’elle exprime au début. Les questions d’identité et de quête du père ne sont jamais finies, d’où le fait de ne pas mettre de points finaux. C’est une contrainte que j’aime bien, puisque les phrases sont écrites de manière à enfler, enfler, puis terminer par une chute, telle une vague qui monte. La syntaxe fait que l’on sent la structure de la phrase, mais enlever les points permet d’être davantage immergé dans le flux de pensée, pleinement dans la respiration du personnage. J’ai essayé malgré tout que ce soit fluide, en évitant la lourdeur des trop longues phrases. J’ai adapté la syntaxe à cette forme d’écriture particulière pour ne pas perdre le lecteur. J’avais déjà écrit quelques nouvelles de cette manière, je n’étais pas sûre que cette forme passe sur toute la longueur d’un roman. Le fait d’entrecouper de dialogues, d’extraits de contes permet de casser un peu cet effet de roulement, de ménager des pauses.

As-tu beaucoup retravaillé le texte ?

La trame du roman a été fixée dès le début, car je voulais adopter la structure d’un conte, avec un ordre chronologique : la situation initiale, la rencontre avec le père, etc.

Je retravaille beaucoup chaque paragraphe : je relis, je coupe, je réécris par paragraphe. Il y a eu trois versions du texte, je n’ai jamais rien enlevé, en revanche j’ai ajouté des choses à chaque fois. À aucun moment je n’ai changé toute la structure.

Les scènes de racisme ordinaires pendant l’enfance sont glaçantes. Souhaitais-tu dénoncer le racisme ou est-ce simplement la situation initiale de ton récit ?

Les scènes de racisme de l’enfance sont exacerbées par le fait de ne raconter que celles-ci. J’ai eu une enfance heureuse sinon. Je ne voulais pas faire un acte militant, ni dénoncer spécialement le racisme de façon générale, mais surtout que l’on soit à l’intérieur de cette petite fille, de son ressenti, de la violence qu’elle ressent et de la colère qui l’agite. Je l’ai écrit de façon heurtante, avec un ton tranchant, c’est ce que je voulais : que l’on ressente de l’intérieur, à hauteur du regard de l’enfant, cette violence. Il y a une opposition entre le ton ironique utilisé et la candeur des attentes de la petite fille. C’est la friction entre les deux qui engendre de la violence. L’utilisation de la 2e personne du singulier permet au lecteur d’être très concerné mais elle permet aussi de créer une grande distance analytique. Je voulais être dans la sphère du ressenti et non de l’intellect, du jugement ou de la dénonciation.

Tous les « Blancs » sont plus ou moins renvoyés dos à dos, même les enseignants qui sont montrés comme dégoulinants de bonne volonté. Est-ce toujours le cas selon toi ? Es-tu encore confrontée à ce genre de situations ?

C’est un texte qui a été construit dès le début pour donner à vivre cette violence. La violence sociale et raciale est toujours présente dans notre société. Je suis très intéressée par les luttes sur ce thème, mais ce n’est pas là-dessus que j’ai voulu écrire. Beaucoup de lecteurs me disent qu’ils se sentent concernés, d’un côté comme de l’autre. Pour moi, le racisme est indissociable de la question sociale. Je l’ai très peu subi personnellement, évoluant dans des milieux sociaux relativement privilégiés.

« La vie de chacun est un conte, que l’on peut déchiffrer comme un rêve. On a tous nos différences à porter, nos deuils à faire, une quête d’identité à mener. »

Cette quête du père que tu décris, puis la création de liens dans une fratrie peut parler à beaucoup de lecteurs différents, même dans un autre contexte, tout comme la question plus générale de l’identité. En as-tu eu conscience lors de l’écriture ? As-tu essayé de renforcer l’universalité de tes personnages ?

J’ai essayé de tendre vers l’universel, d’où le recours au conte. La vie de chacun est un conte, que l’on peut déchiffrer comme un rêve. On a tous des parcours comme ça. On a tous nos différences à porter, nos deuils à faire, les violences que l’on reçoit. Là, il se trouve que c’est le père, mais on a tous une quête d’identité à mener. Je voulais également montrer à chaque fois l’opposition entre les images d’Épinal que le personnage peut avoir sur l’Afrique, car elle a été élevée en France, et la réalité. Il y a toute une série d’oppositions et de dualités qui émergent : enfant/adulte ; Noirs/Blancs ; réalité/fantasme. Le père est à l’opposé des représentations stéréotypées du bon Noir jovial qu’on peut avoir, il a une personnalité austère, un niveau social élevé, cela génère de l’étonnement face à la réalité qui ne correspond pas aux clichés des Français sur les Africains. L’inversion des classes sociales entre la narratrice française et sa famille africaine fait partie de ce décalage entre stéréotypes attendus et réalité rencontrée.

Comment t’est venue l’idée de personnifier ton identité africaine sous les traits de ce personnage de petite fille, Ndiolé ?

Elle est venue assez vite, dans une première version elle était présente, puis je l’ai développée par la suite. J’avais l’idée dès la première page de rendre hommage à toute la littérature enfantine, j’ai passé mon enfance à écouter des histoires et on m’en racontait beaucoup. J’avais les albums du Père Castor, j’écoutais Le Petit Prince en vinyle. C’est dans toute cette littérature, à travers ces contes et leur langue, que la petite fille trouve son identité et se construit. C’était très important d’avoir ce personnage d’enfant qui est dans ses lectures-là et c’est par là que se fait la construction de sa personnalité.

On a tous « un enfant intérieur », même si c’est une expression que je n’aime pas beaucoup, popularisée dans le domaine du développement personnel, sans qu’on sache très bien ce qu’elle recouvre. Certains lecteurs me disent : « Oh moi, mon enfant intérieur aurait été copain avec le tien ». D’autres le sentent au contraire très éloignés du leur. Ndiolé, la petite fille imaginaire, représente en tout cas cette enfance qui continue obstinément à vivre en nous, pour le meilleur et pour le pire !

Y a-t-il un passage auquel tu es particulièrement attachée dans ton livre ?

Redevenir le souverain de sa propre vie : c’est l’idée importante du roman. Par l’écriture ou la création artistique, on peut aller se situer dans un royaume où l’on redevient vivant et l’on peut réécrire sa propre histoire. Le royaume du titre, je l’ai choisi car il est vraiment polysémique : ça peut être l’Afrique, l’enfance, le royaume des cieux, il y a aussi une interrogation sur un au-delà de l’identité. Il y a, par exemple, pas mal de passages au bord de la mer : l’idée est que, quand on est devant la mer, on est dans une forme d’expérience humaine qui va bien au-delà de toute identité, que l’on soit un homme préhistorique ou une femme du XXIe siècle. Le royaume du titre peut être aussi celui de l’écriture. La quête de l’identité est ultimement une quête de soi, universelle, tous les êtres humains font comme ils le peuvent avec elle.

Quel a été ton parcours professionnel ?

J’ai fait plusieurs métiers, j’ai passé le Capes à 40 ans. Avant, j’étais directrice éditoriale dans la communication. À l’origine, j’ai une maîtrise de Lettres, puis un DESS à l’INTD, l’Institut National des Techniques Documentaires. Ma situation familiale a fait que j’avais besoin d’un emploi proche de chez moi et avec des horaires fixes. J’avais envie d’être dans un rapport différent d’enseignement avec les élèves, dans une relation différente.

Dans le livre, tu vas de bibliothèques en bibliothèques au Sénégal ; quel était ton métier à ce moment-là ?

En deuxième année d’IUFM quand j’ai passé le Capes, on a eu l’occasion de faire un séjour à l’étranger pour observer un autre système scolaire et d’autres centres de documentation. Je voulais aussi que le livre soit physiquement tangible dans le roman, à travers la présence des bibliothèques. Le livre raconte une réappropriation de soi par l’écriture et la lecture, celles de l’enfance, du goût de la langue développé par la lecture. La dimension de l’écriture et du livre est importante, notamment à travers des extraits de contes, c’est ce qui nourrit le personnage.

Quelle professeure documentaliste es-tu en trois mots ?

Très heureuse en lycée ! J’ai passé 10 ans en collège REP à Nîmes, c’était passionnant et avec une équipe géniale, mais j’en suis sortie épuisée. Je préfère la relation aux élèves lycéens, qui sont plus autonomes. J’aime la diversité de ce métier : les résidences d’artistes, les concours d’écriture ou d’éloquence, la Nuit de la Lecture, etc. Il n’y a pas deux CDI identiques, ça dépend de l’établissement mais aussi des désirs du professeur documentaliste, on a toute latitude pour proposer tout ce qui nous fait plaisir. J’aime beaucoup cette liberté et cette autonomie. Le rapport avec des élèves « grands » me plaît : toutes les semaines je travaille sur les ateliers de préparation à Sciences Po Paris, avec des élèves motivés et volontaires, sur le dessin de presse, sur la revue de presse, etc., c’est passionnant d’échanger avec eux. L’année dernière nous avions un projet avec les sections STMG, où ils faisaient une simulation du fonctionnement des institutions européennes avec plusieurs lycées différents, ils devaient notamment amender des textes de lois. C’est un âge charnière où ils sont en prise avec l’actualité et la réalité contemporaine, ils deviennent de futurs citoyens et de jeunes adultes qui s’intègrent dans la société. Cet âge-là me va bien, j’aime cette forme d’accompagnement. On fait aussi tout cela en collège mais de façon différente.

L’incipit du roman est une magnifique ode à la lecture à haute voix, au plaisir enfantin mais aussi universel d’écouter des histoires. Quelle lectrice étais-tu, enfant ? As-tu des conseils en littérature jeunesse ?

J’ai beaucoup écouté de contes et de classiques, Peau d’âne, Tom Sawyer aussi, puis j’ai lu toutes les séries jeunesse de l’époque, Le Club des Cinq, L’étalon noir, etc.
Au CDI, j’essaie d’avoir une palette très large de lectures pour tous les profils d’élèves. On a réfléchi par exemple à l’achat de la série de dark romance à la mode, Captive de Sarah Rivens. Finalement, on l’a achetée car c’est déjà un plaisir de lecture. C’est toujours des arbitrages entre ce que les élèves attendent et ce que l’on a envie de leur faire découvrir et cela fait l’objet de discussions riches avec ma collègue. Par ailleurs, une classe de 2de vient de participer cette année au Goncourt des Lycéens : plusieurs ont réussi à lire les 15 romans, chacun s’est investi à la hauteur de ses possibilités. Même ceux qui ont un peu moins lu ont participé à des débats assez riches . Les amener à de telles lectures de littérature contemporaine est un bel objectif ! Avant de commencer, je me disais que c’était énorme et presque impossible de leur faire lire autant de livres en si peu de temps, mais finalement c’était très stimulant. Ils ont rencontré 9 auteurs, sur une journée, lors d’un regroupement de plusieurs lycées, avec des lectures d’extraits par les élèves et des échanges entre auteurs et lycéens.

Pourrais-tu nous citer trois livres marquants dans ta vie de lectrice ?

Un de mes premiers chocs de lecture en 2de, c’était Le roi des Aulnes de Michel Tournier, j’avais été marquée par le foisonnement de l’imaginaire. Je pourrais citer Julien Gracq également, car j’ai fait porter ma maîtrise de Lettres sur ses romans, mais ses ouvrages critiques m’ont aussi beaucoup intéressée : Préférences, Lettrines, En lisant en écrivant, dont les réminiscences ont marqué mon écriture, encore actuellement. J’ai plein de titres en tête de littérature contemporaine surtout depuis que je suis en lycée où je me suis remise à en lire de façon plus conséquente : Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka ; Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin ; Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo ; Nom de Constance Debré.

As-tu d’autres projets à venir ?

Je reste sur l’écriture, c’est vraiment la forme d’expression artistique que j’ai choisie. Je me remettrai à ma table et à ma discipline d’écriture quotidienne dès que j’aurai terminé ma série de rencontres en librairie, en 2023.

 

Appel à contribution : Neurosciences/Neuromythes

Appel à contribution pour le dossier de septembre/octobre 2023

 

Nous envisageons de réaliser un dossier sur le thème des neurosciences/neuromythes, en lien avec les questions de formation et l’EMI. Nous recherchons des retours d’expérience(s) de professeur.e.s documentalistes ayant mis en oeuvre des séances mobilisant les neurosciences. Voici quelques mots clés en lien avec cette thématique : métacognition, cogni’classes, biais cognitifs/fake news, mémorisation, attention, motivation, bibliothérapie, gestion des émotions (méditation, confiance en soi…).

 

 

Date limite d’envoi des propositions de contribution

16 avril 2023

 

Pour une préparation optimale du numéro, n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt

 intercdi.articles@gmail.com

Merci Annette

Nous dédions ce numéro d’InterCDI à Annette Béguin-Verbrugge, compagne de route fidèle de la revue, décédée le 13 décembre dernier.

Professeure en SIC à l’Université Lille 3, chercheure au sein du Laboratoire GERiiCO, Annette s’est beaucoup investie dans la vie de la revue : membre assidue du comité de rédaction, force de proposition attentive à préserver les liens terrain-recherche, élément moteur de l’aventure éphémère InterBCD et auteure régulière, partageant volontiers les résultats de ses recherches, en dialogue avec d’autres chercheurs pionniers de l’information-documentation, ce dont témoigne notamment le numéro anniversaire des 50 ans de la revue paru en décembre dernier.

Parions qu’Annette apprécierait ce nouveau numéro dans lequel plusieurs articles entrent en résonance avec ses centres d’intérêt, présentant des expériences originales, donnant à voir le dynamisme des réflexions en cours, autour de problématiques qui agitent tant la profession que le monde de la recherche aujourd’hui.

Ainsi en est-il de l’article sur l’arpentage littéraire, signé Jérôme Grondin et Béatrice Robert. La pratique de l’arpentage, issue de la culture ouvrière de la fin du XIXe siècle, diffusée ensuite par les associations d’éducation populaire, a pour but de s’approprier une œuvre « pour se construire une culture commune ». La méthode de lecture est dynamique et « augmentée » : le livre est découpé/déchiré en autant de parties que de lecteurs et lu collectivement. La lisibilité des documents s’y trouve interrogée, dans la ligne des nombreux écrits d’Annette sur la lecture, en lien avec les régimes de matérialité (documentaire, graphique, textuelle…) et la manière dont ces matérialités sont prises en compte dans les apprentissages à l’école (Béguin, 2006, 2010).

Autre article stimulant, celui de Jessica Tillard qui fait écho à des publications d’Annette sur l’espace bibliothèque et ses reconfigurations, interrogeant le rapport au savoir et son devenir dans un monde en mutation. L’article reprend les résultats d’une recherche initiée par l’auteure dans le cadre de son mémoire de Master MEEF. Il croise étude de dessins représentant le CDI et le professeur documentaliste, vus par des élèves de 6e nouvellement arrivés dans l’établissement, et réflexion plus générale sur la notion d’espace, notamment l’espace-bibliothèque en tant qu’espace de savoir avec ses objets, ses pratiques, ses acteurs. L’auteure esquisse quelques pistes pour des investigations futures, invitant à poursuivre le questionnement sur le devenir de la bibliothèque/CDI, et l’évolution de la médiation pédagogique en période d’incertitude institutionnelle. « La bibliothèque est le reflet de la manière dont le savoir est ré-envisagé dans nos sociétés ; comment à travers les institutions que sont les bibliothèques, il s’imprime et s’exprime.» (Béguin, 2018).

Autre article, à l’initiative de Kaltoum Mahmoudi, dont les travaux s’inscrivent dans la mouvance de l’École de Lille (Annette a dirigé son mémoire de master), un article sur la plateforme Adage, en dialogue avec Silvana Bonura, référente culture du bassin de Lille centre. La présentation de la plateforme, de sa logique, des valeurs qu’elle promeut (visibilité, partage, mutualisation, équité) et des compétences nécessaires à sa maîtrise est l’occasion pour les auteures d’interroger le processus même de plateformisation : un processus qui n’est pas neutre, mais porteur des idéaux ancrés dans l’imaginaire de l’institution, transmetteur de messages idéologiques via le design des dispositifs, valorisant l’instrumentation technique au détriment des médiations, humaine et pédagogique.

Ces constats soulèvent, de manière toujours plus accrue, la problématique d’un continuum de savoirs, d’un « curriculum info-documentaire », gage de la construction, pour chaque élève, d’une culture informationnelle (Béguin & Kovacs, 2011). Un sujet cher à Annette, notre collègue et amie.

Merci Annette de nous avoir fait le cadeau d’une pensée féconde, stimulante, toujours en mouvement. Sincèrement.

« Madame vous êtes ouverte ? » ou Comment des élèves de 6e se représentent leur CDI et leur professeur·e documentaliste

Les élèves de 6e qui arrivent en début d’année au collège ont-ils déjà une idée de ce qu’est un CDI et un·e professeur·e documentaliste ? La question a été explorée en étudiant leurs représentations sociales à travers leurs dessins du CDI1 et du·de la professeur·e documentaliste : en tout, 248 dessins ont été réalisés en septembre, puis décembre 2018, par 66 élèves de deux classes de 6e d’un collège privé sous contrat du 6e arrondissement de Paris. Ils ont ensuite été analysés à l’aide de la méthodologie de l’analyse de contenu. 

Le travail présenté ici est issu du mémoire de Master 2 MEEF de validation du CAFEP de documentation, soutenu en mai 2019. La question de départ prenait appui sur le souvenir d’un CDI de lycée fréquenté il y a quelques années : un lieu plutôt évité, un endroit assimilé à de la punition, où le bruit était totalement prohibé, avec une « dame du CDI » peu aimable. En tant que professeure documentaliste, nous inscrivant dans l’orientation de la circulaire de missions de 20172, nous souhaitions questionner nos propres représentations et celles des élèves, pour tenter de mieux nous adapter à leurs besoins. L’approche s’est faite à partir de dessins, réalisés par des élèves fraîchement arrivés en 6e (10-12 ans), issus de l’école primaire du groupe scolaire ou des écoles primaires du sud parisien. Le milieu socio-professionnel des élèves du collège est composé globalement de cadres supérieurs et professions libérales. Le CDI de l’établissement est géré par deux professeures documentalistes. Il est ouvert tant aux collégiens qu’aux lycéens avec un accueil toute la semaine sauf le mercredi après-midi.

Pour initier la recherche, nous avons d’abord posé des hypothèses :
1. les élèves ont une représentation du CDI influencée par les images des séries télé, les romans, les légendes urbaines, une représentation que l’on pourrait qualifier de « vieillotte », correspondant à une image négative ;
2. les élèves associent le professeur documentaliste et le centre de documentation ;
3. l’aménagement de l’espace et les représentations ont une forte influence sur les apprentissages, le CDI comme espace spécifique de savoirs au sein du lieu scolaire revêt pour les élèves des significations conscientes et inconscientes, et le lieu aménagé et habité par les élèves participe à la structuration de leur rapport au savoir.

Le travail a ensuite consisté à repérer des éléments permettant d’approcher les représentations des élèves concernant le lieu CDI et son responsable à l’aide de l’analyse de contenu ; et plus précisément à mettre en évidence les éléments se dégageant de ces représentations (noyau structurel, éléments périphériques), de manière à nous permettre de valider ou non les hypothèses émises.

Le dessin

Choisir le dessin comme support d’analyse permet de révéler un certain nombre d’éléments qui ne seraient peut-être pas apparus à l’aide d’un médium faisant appel à l’écrit ou à oral. Un avantage du dessin réside dans l’absence de questions construites en fonction d’idées préétablies, ce qui laisse une totale liberté au dessinateur. Le dessin permet ainsi, à condition de travailler avec une consigne cadrante mais ouverte, de faire émerger des messages originaux. Étant donné son caractère spontané, il parle du vécu personnel de l’enfant (le langage graphique et le langage verbal ne reposent pas sur le même canal perceptif), il restitue la « vision intérieure, immatérielle, d’un instant de la vie, non pas tel qu’il est ou a été réellement, mais tel que le sujet dessinant l’a saisi personnellement » (Royer, 1995, p. 44). Le dessin est aussi une façon de mettre les élèves en activité rapidement, sans évaluation et de façon ludique.

L’analyse de contenu

L’analyse de contenu s’organise en trois étapes.

La première, la préanalyse, va orienter l’analyse en opérant des choix dans les documents à analyser, en permettant la formulation d’hypothèses, d’objectifs et le repérage d’indicateurs destinés à l’interprétation finale.
La deuxième étape consiste à relever les différents éléments présents dans les dessins, de façon systématique et rigoureuse afin d’en faire des unités comparables : les unités d’enregistrement ou indices (mot, thème, objet ou référent, personnage, événement, etc.) et leurs indicateurs, ainsi que les unités de contexte3. Par exemple, pour l’indice objet bibliothèques, sept indicateurs ont pu être relevés : présence/absence, longueur des linéaires4, degré de remplissage, surface dans la feuille, position dans la page, éventuelle particularité, présence/absence de livres ; et 31 pour l’indice professeur documentaliste.
L’étape suivante consiste en la création de catégories, composées de plusieurs indices : les catégories ne doivent être ni trop générales ni trop proches ; et elles doivent mettre l’accent sur un aspect de la réalité et posséder quatre qualités (exhaustivité, exclusivité, objectivité, pertinence). Pour notre étude, des catégories ont été identifiées et une grille spécifique élaborée à partir de la littérature (Royer, 1995 ; Moles & Keintz, détaillé par Mucchielli, 1977) afin de prendre en compte la particularité du médium dessin.

Une fois ces catégories élaborées et vérifiées, chaque dessin est analysé minutieusement, et les éléments reportés dans un tableau, à partir duquel des analyses quantitatives sont réalisées pour mettre en évidence ou non certaines caractéristiques saillantes.

La dernière étape consiste en l’interprétation des résultats. Pour cela, l’analyse de contenu utilise l’inférence, un type d’interprétation contrôlée, qui permet l’induction à partir de faits.

Les représentations sociales

L’exploration des représentations sociales est un travail qui s’appuie sur des notions issues de la sociologie. Leurs caractéristiques sont d’être partagées par plusieurs individus et d’être très résistantes. L’individu se représente les choses à partir de ce qu’il sait et il va donc interpréter le monde à partir d’un savoir déjà acquis et à partir de ce qu’il imagine, de ses désirs, de ses peurs, de ses conflits, etc.
C’est la notion retravaillée par Serge Moscovici (1961), dans une perspective psychosociale, qui est utilisée dans le cadre de ce travail, soit un système de valeurs et de pratiques relatif à des objets ou des dimensions du milieu social. Jean-Claude Abric (1994) détaille la notion avec, en premier lieu, un élément fondamental, appelé noyau central qui détermine la signification et l’organisation de la représentation ; ce noyau est composé d’opinions, de croyances, d’informations, faisant consensus dans le groupe porteur de la représentation. Il est relié au contexte historique, sociologique et idéologique, en lien avec les valeurs et les normes. Le noyau central est partagé et stable. Dans un deuxième temps viennent les éléments périphériques, qui sont liés au contexte, à l’environnement immédiat, à l’individu, son histoire et son vécu.

Le CDI : des meubles, des tables, de l’ordre

Les analyses ont ainsi mis en évidence un grand nombre de données. Sont présentées ici celles qui permettent d’approcher les représentations des élèves et donc de mieux les comprendre.

Les dessins des élèves qui n’ont pas encore fréquenté le CDI de l’établissement au moment du recueil des données (20 dessins) sont révélateurs d’un premier noyau dur concernant le CDI : une bibliothèque (meuble). En effet, 19 dessins sur 20 figurent des étagères avec des livres, 13 montrent des meubles pour s’asseoir, 13 des ordinateurs en libre-service et 3 des êtres humains. Rapporté à l’ensemble des dessins représentant le CDI, ce constat est confirmé : 85 % ne représentent aucun professeur, 82 % aucun élève, 77 % ni professeur ni élève. L’absence d’être humain ne peut que questionner… Enfin, 7 % ne représentent pas de bibliothèque : après vérification, il semble que ceci peut être expliqué par l’absence de BCD5 dans l’école primaire fréquentée auparavant par l’élève (Illustrations A). Pour ce qui est de l’élément livres, 30 % des dessins de CDI représentent des bibliothèques sans livres, ce qui fait du livre un élément périphérique de la représentation. Parmi les 40 % de dessins faisant état de titres sur le dos des livres – et qui sont lisibles – on peut noter un attrait pour les BD et les fictions, mais peu de livres « documentaires ». Entre l’espace à disposition contenant des meubles pour ranger des livres, et le contenu réel de ces livres, on ne peut que s’interroger sur le lien fait par les élèves entre CDI et savoir.
Le CDI est-il pour autant envisagé par certains élèves uniquement comme un lieu de détente ? L’absence d’éléments faisant référence au silence pourrait le laisser penser. En effet, les dessins mentionnant des signes en ce sens, comme les mots « chut » ou « silence », ne représentent que 3,5 % de l’ensemble, ce qui tendrait à montrer que l’absence de bruit ne semble pas être un élément central de la représentation.
Sur l’ensemble des dessins représentant des élèves (45), la plupart lisent des livres (14), en général assis, d’autres font la queue à la banque d’accueil (2), entrent dans le CDI (2) ou cherchent un livre (1). Quelques-uns, relativement peu nombreux, utilisent les ordinateurs (4). Certains dessins montrent une interaction entre l’élève et le professeur documentaliste (4). Enfin, d’autres présentent des élèves debout, sans activité particulière (17). Peut-on pour autant en déduire que le CDI est assimilé uniquement à un lieu de lecture et d’emprunt ? Et non à un lieu où travailler sur place ? Les éléments tirés de l’analyse ne permettent pas de dégager une représentation univoque mais plutôt de soulever des questions.

A 1
A 2
A 3

Sur l’ensemble des dessins de CDI, 83 % représentent du mobilier : des tables de tailles et de formes variées et des sièges de tous types : des chaises classiques (23 dessins), des fauteuils (9), des banquettes (12) et des canapés (6), mais aussi des tabourets (8), des poufs (2) ou des chaises de bureau (6), etc. Soit en moyenne 4,3 sièges par dessin. Cependant, 34 % des dessins de CDI ne représentent aucun type de siège. Il ressort ainsi de l’analyse que l’item table peut être inclus dans le noyau de représentation, ce qui correspond d’ailleurs aux résultats de Isabelle Fabre et Hélène Veyrac dans leur étude de 2008 à partir de dessins d’élèves, tandis que l’item siège est un élément périphérique.
Pour ce qui est de l’objet ordinateur enfin, les choses sont nuancées. Sur les 124 dessins de CDI, 90 représentent un ordinateur (73 %), ce qui semble signifier que les élèves associent aisément CDI et ordinateurs. Seuls 27 % ne présentent pas d’ordinateurs, ce qui conduit à considérer l’ordinateur comme un élément satellite dans la représentation du CDI.

Le CDI est aussi, à en croire certains dessins, vu comme le lieu de l’imagination, des idées, de la nourriture de l’esprit et de l’élévation. Deux dessins mettent sur la piste de cette interprétation : une bibliothèque, des livres et… un gâteau ! (Illustration B). La proximité entre livre et nourriture est rare et ce qui vient à l’esprit, en première lecture, est le lien à la nourriture spirituelle, à la façon dont la connaissance « alimente » l’esprit par exemple.

B

Autre exemple relatif au CDI comme lieu de savoir : quatre dessins du CDI affichent une échelle posée contre les bibliothèques. Or, le CDI de l’établissement ne comporte pas d’échelle. Sur ces quatre dessins, trois ont pour auteur des élèves qui sont déjà venus au CDI, et qui avaient une bibliothèque scolaire dans leur école primaire. L’échelle symbolise l’élévation, l’élévation graduelle, mais aussi le rapport entre le ciel et la terre et finalement l’ascension spirituelle. Le dessin qui évoque cela le plus fortement est le C, qui représente le CDI comme une échelle. Il mériterait à lui seul une interprétation détaillée tellement les symboles sont forts. Il faut cependant relever que l’échelle est un élément souvent présent dans les films et les séries quand il est question de bibliothèques. Se retrouve ici l’assimilation CDI/Bibliothèque.
Quelques dessins, très peu nombreux (9 %), représentent des luminaires (lampes de bureau, plafonniers). Ce qui nous a conduite à questionner l’absence/présence de fenêtres. Sur 248 dessins, pas un seul ne fait état de fenêtre : pas de rayons de soleil, pas de ciel. Ce qui peut paraître étrange, même en décembre, étant donné les deux très grandes baies vitrées qui font entrer une lumière abondante dans le CDI. La fenêtre, c’est la réception de ce qui vient de l’extérieur et ce qui permet de voir l’intérieur depuis l’extérieur (les yeux sont les fenêtres de l’âme), c’est le passage de la lumière. Dans les dessins, le CDI ne reçoit rien de l’extérieur, et l’extérieur ne peut rien voir de cet espace, comme un espace clos, qui, peut-être, se suffirait à lui-même. Un seul dessin évoque l’extérieur, qui fait figure d’exception, avec son « CDI échelle » qui monte vers le ciel et ses oiseaux, à moins que les nuages n’évoquent la pensée de l’élève et les rêves (Illustration C). Le CDI serait-il un lieu qui n’a pas besoin d’éclairage venant de l’extérieur ? Ou bien un lieu qui porte en lui-même sa propre lumière, c’est-à-dire le savoir ?
Globalement les dessins présentent des lieux « rangés ». Parmi les dessins représentant des bibliothèques « remplies », 54 dessins de CDI (sur 56) font apparaître des livres « rangés », soit 96,5 %, ce qui est très élevé, et 10 dessins de professeur documentaliste (sur 12) montrent des livres rangés, soit 83 %. Il semble que dans l’esprit des élèves, le CDI est un lieu où les livres sont rangés, et que cet aspect relève du noyau central de la représentation. Néanmoins, ni les dessins de septembre ni ceux de décembre ne montrent d’espaces identifiés en tant que tels (espace collège, espace lycée, espace lecture, espace presse, etc.). Ceci alors qu’une séance pédagogique a eu lieu sur ce thème précis. Il faut mentionner à ce propos que le CDI, à l’époque de ce travail, ne proposait pas de signalétique particulière pour les espaces, ni pour les ouvrages. Quant à la classification Dewey, vue en séance pédagogique, elle est totalement absente des dessins du CDI, et à doses homéopathiques dans deux dessins de professeur documentaliste. Ce qui tend à montrer que l’élément rangement, bien qu’intégré par les élèves, n’est pas encore clairement identifié ni structuré, malgré des séances pédagogiques dédiées.

C

Des éléments de l’ordre de la règle, de la contrainte, ou encore de la surveillance ont pu être également repérés dans les dessins. Sur certains nous pouvons trouver par exemple de grands yeux sur les écrans d’ordinateur (Illustration D 63.12a) qui semblent observer ce qui se passe, et sur l’un d’eux un portique qui sonne (« bip bip bip »). Deux élèves ont dessiné la caméra de l’ordinateur, un autre un panneau signalétique avec un téléphone portable barré et un œil qui observe. Certains dessins enfin font référence à des cellules ou à des grilles de prison (grands traits verticaux et horizontaux barrant toute la feuille, comme une grande grille), ou encore à une boîte, avec ses murs dessinés (Illustration D 61.24a), sensation d’enfermement, représentant un lieu complètement clos, ou symbolisant la tristesse avec un ordinateur qui pleure (Illustration D 61.38a). Ces éléments de l’ordre de l’enfermement ou de la surveillance peuvent alerter sur des perceptions négatives du lieu et inviter à un travail d’ouverture de manière à permettre aux élèves de vivre ces espaces de manière moins contrainte et plus sereine.

D 63.12a
D 61.24a
D 61.38a

Ainsi, quand les dessins mettent en valeur les aspects positifs du CDI, la majorité montre du mobilier : tables, chaises, bibliothèques vues de haut, sans vraiment montrer l’activité de travailler, étudier, lire, etc. On peut alors se demander dans quelle mesure le CDI est un lieu que les élèves envisagent d’habiter au sens de « pratiquer un lieu géographique » (Stock, 2004)6. Ceci est d’autant plus questionnant que 85 % des dessins ne représentent aucun adulte dans le CDI. Cela paraît étonnant et pose la question de la perception du lieu par les élèves. Si le professeur documentaliste est souvent assimilé à son lieu (« Madame CDI », « Madame, vous êtes ouverte ? »), la réciproque ne semblerait donc pas vraie : le lieu n’est pas forcément associé au professeur documentaliste. De plus, aucun indice ne permet de penser que les personnes dessinées représentent d’autres personnes (professeurs, parents, personnel d’encadrement) : cet endroit semble donc strictement réservé au professeur documentaliste et aux élèves, quand ils sont présents.

Le professeur documentaliste : souriant mais inconnu

Le professeur documentaliste est un professionnel singulier. Il est le gardien d’un lieu chargé d’affect et de savoirs, et revêt à ce titre un caractère mystérieux. Ses principales qualités sont l’aide et le sourire. L’élément pédagogique, quant à lui, demeure inconnu et intrinsèquement relié au fonds documentaire qu’il gère. Le noyau central de la représentation semble renvoyer à la qualité sourire, accompagnement, femme et à ses éléments périphériques bienveillance/tristesse, relation avec l’élève, intellectuel. (Illustrations E)

E 1
E 2
E 3
E 4
E 5
E 6

 

Un des constats les plus évidents à la lecture des dessins est la présence de sourires sur les visages des professeurs documentalistes : plus de 74 % des visages sont souriants, que ce soit dans les dessins de septembre ou dans ceux de décembre. À l’évidence, le professeur documentaliste est quelqu’un de souriant dans l’esprit des élèves, et la palette des sourires est large : petit sourire, sourire figé, sourire avec dents visibles (ou non), sourire large, sourire franc. Ceci est toutefois à nuancer. Les regards ont également été étudiés dans l’intention de noter la sensation ressentie à la vue du regard de la personne dessinée. Les données relatives à l’ensemble des dessins montrent un équilibre presque parfait entre un professeur bienveillant, présent, voire malicieux (45 %), et un professeur plutôt triste, absent, voire méchant (43 %)7.
Pour ce qui est des paroles ou des mots notés pour décrire le professeur documentaliste (40 % des dessins), une majorité est de l’ordre de l’accueil (10) et de l’accompagnement vers le livre (montrer, renseigner, gérer les emprunts, expliquer) (31), et seulement 4 de l’ordre de l’interdiction.
Autre constat : sur l’ensemble des dessins de professeurs documentalistes, seuls 25 représentent le professeur et l’élève ensemble (soit 20 %), ce qui est peu. La relation professeur-documentaliste se trouve alors questionnée, elle semble n’être qu’un élément périphérique de la représentation.
Enfin, beaucoup de professeurs dessinés ont des lunettes. Les lunettes, c’est ce qui permet de mieux voir, qui corrige une déficience. C’est aussi le lot de ceux qui lisent beaucoup, des « intellos ». Peut-on alors dire que, dans le milieu scolaire, porter des lunettes peut être assimilé à la fonction « d’intello » ? Ce qui ressort de l’analyse des données, c’est une constante dans le port de lunettes entre les dessins de septembre et de décembre. Plus d’un tiers des professeurs documentalistes se voient affublés de lunettes (39 % des dessins). Et nous-même en portons, ainsi que notre collègue. Le professeur documentaliste serait alors pour un tiers des élèves quelqu’un qui lit beaucoup. La qualité intellectuel pourrait ainsi être un élément périphérique.
Si l’on observe à présent les coiffures des professeurs documentalistes, on remarque une réelle évolution entre les dessins de septembre et de décembre : une quasi disparition du chignon (de 27 % à 7 %) et de coupes carrées (de 26 % à 5 %), et une nette augmentation des coupes courtes (de 3 % à 24 %) et de cheveux détachés (de 38 % à 59 %). L’influence des deux professeures documentalistes du CDI qui ont chacune une coupe assez courte semble ici importante. Cela aurait tendance à illustrer l’influence des enseignants sur l’évolution des représentations des élèves. Mais cela semble aussi révéler la permanence du cliché de la bibliothécaire à jupe et chignon des films ou romans, encore très souvent représentée.

Dans l’ensemble des dessins de septembre, sur les 72 représentant des professeurs documentalistes, 55,5 % peuvent être identifiés comme des femmes et 22 % comme des hommes8. En décembre, le ratio passe à 68 % de femmes et 6 % d’hommes. Notons l’augmentation de la part des femmes entre septembre et décembre et la part stable des professeurs documentalistes non genrés. Ce qui apparaît nettement est la prégnance des femmes représentées dans les dessins. Même si cela a pu être largement influencé par le genre des professeures documentalistes de l’établissement, ceci correspond aussi, à peu de choses près, aux chiffres de l’ONISEP (80 % de femmes dans la profession), et semble être un élément du noyau central de la représentation des élèves.

Enfin, les livres sont moins représentés dans les dessins des professeurs documentalistes (46 %) que dans ceux du CDI (87 %). Cette part moindre montre que le livre semble ne pas faire partie du noyau de la représentation du professeur documentaliste par les élèves, mais plutôt être un élément gravitationnel. Au total, 25 % des dessins de professeur documentaliste ne représentent ni livres, ni documents, ni ordinateur en décembre. Ce qui fait 43 dessins représentant un « objet » symbolique de la connaissance, 16 n’en représentant aucun. Ce sont ces derniers qui questionnent : qu’est-ce que cela signifie pour un élève ? Positif ? Négatif ? Doit-on s’en attrister ? Ou plutôt s’en réjouir ? Un professeur de maths doit-il avoir une règle ou une calculatrice pour être un professeur de maths ? Cette absence d’objet référentiel renseigne-t-elle sur une forme de méconnaissance du professeur documentaliste et donc sur ce qui fait aussi la difficulté du positionnement professionnel ? (Illustration F)

F

Concernant la posture corporelle des professeurs documentalistes représentés, la majorité des dessins (75 %) les montrent sans activité particulière. En septembre, les 25 % de dessins restants les présentent en train de désigner des livres (56 %), porter des livres (6 %), ranger des livres (6 %), donner des livres (13 %) ou d’utiliser un ordinateur (6 %). Ce n’est qu’en décembre que des dessins (14 %) les montrent en posture d’enseignement. Ce qui tend à montrer qu’en début d’année la composante enseignante du métier ne fait pas du tout partie de la représentation des élèves, et que celle-ci est largement influencée par la mise en œuvre (ou non) de séances pédagogiques.

Conclusion

Tenter d’analyser les représentations sociales d’élèves qui arrivent en 6e, et qui n’ont, à priori, jamais fréquenté un CDI ou un professeur documentaliste, pourrait sembler inutile. Or, les analyses ont permis de repérer des éléments qui constituent un état des lieux de ce que les élèves apportent avec eux lorsqu’ils pénètrent pour la première fois dans le CDI de leur collège.

L’exploration, systématique et méticuleuse, des dessins a ainsi mis au jour certains éléments qui pourraient faire partie du noyau central de la représentation des élèves.
Pour le CDI, ce sont le meuble bibliothèque, la table, le rangement, avec en éléments périphériques le livre, le siège, et l’ordinateur. Certains éléments, en revanche, qu’il aurait été logique de trouver ne ressortent pas de l’analyse, comme la présence humaine, la signalétique, le silence, le travail.
Pour le professeur documentaliste, ce sont le sourire, l’aide/accompagnement, la femme, avec, pour éléments périphériques, autant la bienveillance que la tristesse, la relation à l’élève, le caractère intellectuel. Ce qui est à noter est la très faible présence d’éléments en lien avec l’information-documentation et la quasi absence de références à l’Éducation aux médias et à l’information.

Quant à notre regard de stagiaire dans sa deuxième année d’exercice, enthousiasmée par ce métier, il a évolué. Le CDI n’est finalement pas le temple du silence ou de l’ennui ; le professeur documentaliste n’est pas un être focalisé sur le silence et l’absence de mouvement. Tout est très vivant et presque joyeux pour les élèves et nous nous en réjouissons. Nos propres représentations ont été bousculées par ce mémoire. Les différents espaces ont, depuis, fait l’objet d’une reconfiguration, favorisant une meilleure identification. Notre posture aussi a changé : plus en lien avec les élèves, moins axée sur le respect du silence, et davantage dans l’accompagnement sur les aspects info documentaires.

Bien entendu, les éléments mis en exergue ne sont ni exhaustifs ni généralisables : l’étude prend place dans un lieu et un temps donnés et il est très possible que le contexte de réalisation des dessins ait influé sur certaines données. Mais ces données peuvent déjà apporter des éléments de réponses aux hypothèses formulées en amont. Les représentations semblent influencées par les images de séries télé et les romans, sans que cela soit toujours de façon négative. Pour ce qui est de l’amalgame fait entre le lieu CDI et le professeur documentaliste, la faible présence de professeurs documentalistes dans les dessins des CDI tendrait à monter que, à l’inverse de l’association « professeur documentaliste = CDI », un CDI n’est pas forcément attaché à un professeur documentaliste. Enfin, l’absence d’identification des différents espaces dans les dessins de décembre, alors qu’une séance pédagogique a porté sur ce thème, permet de mesurer le poids des représentations, et met en évidence l’importance de l’aménagement du lieu dans l’accès au savoir.

Pour aller plus loin, il serait pertinent de réitérer l’exercice dans d’autres établissements en tous points différents pour comparer les résultats et proposer des analyses plus générales. D’autres pistes seraient aussi à explorer pour poursuivre ce travail : par exemple, analyser les dessins sous l’angle de la consommation ; demander aux élèves de dessiner leur CDI idéal ; chercher à savoir si les élèves font la différence entre une bibliothèque et un CDI. Enfin, pour compléter l’analyse, il serait très intéressant de faire dessiner tous les niveaux de la 6e à la Terminale, des parents, d’autres professeurs et d’autres professeurs documentalistes.

Quoi qu’il en soit, l’analyse a permis de mettre au jour un aspect fondamental de la représentation du CDI, le meuble bibliothèque. Comment alors concilier cela avec les Centres de Connaissance et de Culture impulsés par le Ministère, dans lequel le livre n’a plus la même place ? Cela pourrait-il créer un vide ? Un manque ? L’élève s’attend-il encore à trouver un lieu avec des livres aujourd’hui ? Il semblerait…
Un autre point saillant des représentations des élèves est le caractère accueillant du professeur documentaliste. Si l’on met en parallèle l’absence d’éléments concernant l’information ou les médias, ce travail permet de souligner la difficulté structurelle du métier : un professeur sans discipline, un professeur non identifié comme tel par les élèves. C’est ici sa légitimité qui est questionnée et surtout l’influence que ce manque de reconnaissance peut avoir sur la structuration des connaissances de l’élève.

 

« Adage », vous avez dit « Adage » ?

Adage est une plateforme numérique dédiée à l’Éducation artistique et culturelle (ÉAC) qui se constitue progressivement en une porte d’entrée pour tout enseignant du premier et du second degrés désireux de mener des projets artistiques et culturels, de les recenser et de bénéficier de financements au moyen de campagnes d’appels à projets ou d’offres pass Culture collectives1. Après le déploiement de Pix, Parcoursup, Pronote et des ENT, Adage ne vient que confirmer le phénomène de plateformisation de l’éducation et l’injonction faite aux enseignants de « se mettre » au numérique. Comprendre le fonctionnement de ces plateformes et maîtriser leurs contenus avant de bénéficier de leurs potentiels exigent des efforts, des compétences et du temps. Dédiée à la culture, Adage est accessible via Eduline par tous les enseignants. Pour en savoir plus sur cette plateforme et ses implications sur le terrain de l’établissement scolaire, nous nous sommes entretenue avec la référente culture coordonnatrice du dispositif dans son académie. Silvana Bonura nous livre ici sa vision d’Adage et des enjeux que cette plateforme soulève pour les enseignants.

Depuis 2019, tu es référente culture de bassin. L’arrivée des plateformes numériques dans le champ éducatif facilite et complexifie à la fois la tâche des enseignants d’autant plus qu’elles se constituent en une porte d’entrée incontournable. Cette injonction à passer au numérique se traduit par un enchevêtrement de dispositifs qui, selon moi, crée une sorte de brouillage sur le terrain de l’établissement scolaire. Avant de te demander en quoi consiste ta fonction de référente culture de bassin, pourrais-tu préciser l’origine de cette « nouvelle » plateforme d’accès à la culture nommée Adage ?

Réponse : La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 rend obligatoire le parcours d’éducation artistique et culturelle de l’école au lycée (PÉAC) dont l’objectif est de « […] favoriser un égal accès de tous les jeunes à l’art et à la culture2 ». Cette loi inscrit quatre parcours éducatifs obligatoires : le Parcours Avenir, le Parcours Citoyen, le Parcours Santé et le Parcours d’Éducation Artistique et Culturelle3. Depuis 2019, Adage est l’objet d’une expérimentation dans notre académie par quelques établissements scolaires dont le mien, jusqu’à sa généralisation en 2021. À l’époque en 2019, il n’y avait sur Adage que la partie recensement des enseignements, des projets et actions en ÉAC. Ensuite, en 2020, l’onglet « monter son projet » est apparu pour les campagnes d’appel à financement et des projets bien précis (Jeunes en librairie, Printemps des poètes, Invitation au voyage, Atelier de pratique artistique et culturelle, etc.). Depuis janvier 2022, des offres pass Culture collectives ou établissements proposées par les structures culturelles pour les collèges et lycées sont disponibles sur Adage. En deux ans, plusieurs fonctionnalités ont donc été ajoutées sur Adage.

La notion de « parcours » n’est pas anodine. Elle suppose une trajectoire unique, pour l’élève. Une responsabilité plus grande pèse sur les enseignants qui se doivent désormais d’amener l’élève du début à la fin du « parcours ». Quelle est l’origine de cette politique culturelle en faveur du pass Culture ? Cette question mérite d’être posée puisque cette politique induit l’arrivée de dispositifs numériques sur le terrain de l’établissement scolaire.

R : Fournir un crédit culture pour tous les jeunes de 18 ans est une décision politique qui figurait déjà dans le programme de campagne du président Macron en 2017. L’idée était de permettre aux jeunes d’accéder gratuitement à la culture. Depuis mai 2021, le pass Culture individuel concerne tous les jeunes de 18 ans, et depuis janvier 2022, tous les jeunes scolarisés en collèges ou en lycées entre 15 et 17 ans. Quant au pass Culture collectif ou établissement, il concerne les élèves de la 4e à la terminale depuis janvier 2022. Ces établissements scolaires reçoivent un crédit virtuel en fonction du nombre d’élèves. C’est une politique conjointe Ministères de la culture/Éducation nationale. Il y a une volonté forte de l’État de faciliter l’accès à la culture par la « généralisation4 » de l’ÉAC. Le pass Culture s’inscrit dans le cadre du 100 % PÉAC. Il y a derrière ce dispositif un souci d’équité et d’égalité d’accès à la culture pour tous les élèves. Adage répond à la volonté d’uniformiser et de rendre visible les actions culturelles à l’échelle d’un établissement et d’un district, puis du département et d’une académie. Le recensement des actions culturelles sur la plateforme permet cette visibilité.

En quoi cette plateforme change-t-elle la donne pour les professeurs documentalistes selon toi ?

R : Au niveau des établissements scolaires, ce qui change c’est d’avoir un crédit assez conséquent par établissement pour financer des projets, des ateliers et des sorties artistiques et culturelles. Nous passons en direct avec les structures culturelles, ce qui signifie qu’il n’y a plus de bons de commande et de factures à demander. Le chef d’établissement valide ensuite tous les projets pass Culture sur Adage. Ce qui change pour nous, et ce qui est fastidieux aussi, c’est de comprendre la plateforme en entrant dans le bon onglet : choisir « offre pass Culture », trouver une offre qui convienne à son projet ou en créer une en partenariat avec une structure culturelle, par exemple. L’arrivée d’Adage n’est pas sans poser de questions au sein des établissements scolaires. Qui est rédacteur des offres pass Culture ? Qui se charge de préserver ces offres sur Adage ? Qui se charge de recenser les actions pour en tirer un bilan ? Le référent culture ou le professeur de la classe ? Ou tout autre personnel à l’initiative de l’action culturelle ? Si c’est le référent culture qui se charge de recenser toutes les actions sur Adage, il faut expliquer cette « nouvelle » tâche aux chefs d’établissements ainsi que la charge de travail supplémentaire qu’elle induit afin d’obtenir au moins une IMP « référent culture » complète. Et s’il y a deux référents, comme c’est le cas dans mon établissement, alors deux IMP complètes5. La tâche de référent culture est précisée dans une lettre de mission. À partir du moment où l’on accepte la mission, il faut discuter aussi la question de la rémunération. Adage permet un recensement synthétique des actions culturelles de nos établissements. En tant que référente culture, j’effectuais déjà ce travail avant Adage, sur un tableur, pour faire le bilan culturel à présenter en fin d’année au Conseil d’administration (CA). Adage me permet maintenant d’avoir un recensement uniforme et des statistiques par niveau et par partenaire culturel. Adage offre enfin la possibilité d’éditer des attestations individuelles de PÉAC pour chaque élève et de valoriser les parcours (onglet « Suivi des élèves » dans Adage). L’objectif du PÉAC reste l’équité pour tous les élèves.

Si l’objectif du PÉAC reste l’équité pour tous, ne s’agit-il pas d’un idéal plutôt que d’un véritable objectif atteignable ? Tous les élèves d’un établissement scolaire ne sont pas logés à la même enseigne puisque les apprentis et les étudiants, dans les lycées, ainsi que les élèves de 6e et de 5e, dans les collèges, ne bénéficient pas de l’offre pass Culture. En outre, est-ce que les membres de la direction d’un établissement scolaire valident les offres culturelles en tenant compte de ce principe d’équité ?

R : Adage, c’est justement un outil qui aide à la visibilité des activités des classes de la 4e à la terminale et permet de tendre vers l’équité puisque tous les élèves ont une somme allouée de manière équitable. Mon rôle est d’accompagner les référents culture et les collègues, y compris les chefs d’établissement qui me demanderaient des conseils concrets d’utilisation d’Adage.

Justement, tu es référente culture coordon­natrice de bassin pour la culture. En quoi consiste ta mission ?

R : Au départ cette fonction de coordonnatrice n’était pas uniquement pour Adage, mais pour chercher de nouveaux partenaires, de nouvelles structures culturelles, faire remonter les besoins culturels et réfléchir à la mise en place d’une politique culturelle en partenariat avec la DAAC6. Depuis deux ans, date de son arrivée, Adage a pris beaucoup de place. J’ai été nommée par la DAAC en 2019. Je suis le relai des référents culture en établissements scolaires. Ma mission complète celle des formateurs de la DAAC : réfléchir aux offres culturelles d’un territoire, anticiper les besoins de formations culturelles, connaître de nouveaux domaines ou de nouveaux lieux de culture, réfléchir aux appels à projets et aux financements de la DAAC. Je suis chargée de répondre aux mails, aux appels téléphoniques, aux interrogations des collègues face à Adage et au pass Culture. J’essaye de les former au mieux à ces dispositifs. Pour assumer cette fonction, il faut être référent culture de son propre établissement scolaire. Je suis rémunérée une IMP pleine par an environ.

Comment les enseignants recoivent-ils ces nouvelles directives sur le terrain, ce « passage obligé » par Adage ? Quels échos en as-tu en tant que référente culture coordonnatrice de bassin ?

R : Cela varie. De l’indifférence ou du rejet quant au recensement des actions sur Adage. J’entends les collègues dire : « encore un nouvel outil, on nous demande trop de compte, outils de flicage, je n’ai pas le temps de recenser, pas payé pour…». Adage pose également la question des compétences numériques car la plateforme est complexe. Il faut un temps pour la comprendre. Ce qui remonte du terrain, ce sont les problèmes techniques pour valider des offres pass culture, comprendre les différents onglets d’Adage ou le référencement d’une structure culturelle partenaire avec laquelle les professeurs documentalistes ont l’habitude de travailler par exemple. Certaines structures partenaires sont refusées dans Adage. Certains enseignants ont la volonté de comprendre cette plateforme et voir comment on peut en tirer profit pour la mission de référent culture : pour faire des bilans, des statistiques, pour acquérir une compétence supplémentaire, observer concrètement les actions culturelles dans l’établissement grâce à un outil visible par tous les personnels. C’est aussi ce que permet Adage. Si on ne s’y intéresse pas, on sera vite dépassés par ces plateformes. Si l’on ne sait pas qu’il y a de l’argent pour la culture, ni comment aller sur Adage et l’utiliser, comment pourra t-on monter des projets culturels ou des sorties à l’avenir ?

À qui donne-t-on les droits d’accès sur Adage ?

R : Il y a un accès administrateur pour les chefs d’établissement et un accès rédacteur. Tout le monde peut être rédacteur qu’il soit référent culture ou pas. Cela se décide dans chaque établissement. Enfin, il y a un accès lecteur pour tous les autres.

Qu’est-ce qu’Adage et pass Culture changent pour les professeurs documentalistes, selon toi ? Quelles sont les évolutions que tu ressens ?

R : Le risque est que la gestion du pass Culture et le recensement des actions reposent uniquement sur les professeurs documentalistes référents culture pour des raisons entendues chez certains collègues et personnels de direction : les professeurs documentalistes ont l’habitude et le temps de rédiger des bilans, de répondre à des appels à projets, de créer des partenariats culturels, de planifier et réserver des sorties, de faire de la gestion culturelle en quelque sorte ! Face au risque pour le professeur documentaliste référent culture de devenir « gestionnaire et prestataire de sorties et actions culturelles » de l’établissement, il y a quand même des avantages. Adage peut-être un levier pour les professeurs documentalistes désireux de s’investir dans le domaine culturel avec de vrais outils à disposition pour être reconnus dans ce domaine en tant qu’experts et interlocuteurs privilégiés. Des collègues aiment travailler dans ce domaine et font des formations pass Culture aux élèves et aux collègues enseignants. Ils développent une politique culturelle de l’établissement concrète, présentée aux conseils pédagogiques et/ou au CA.

 

Si la plateforme Adage promeut des valeurs de visibilité, de partage, de mutualisation et d’équité dans le cadre de la mise en place d’une éducation artistique et culturelle pour tous les élèves, elle impose également l’évaluation et le recensement des projets et permet de « voir ce qui se passe » dans les établissements scolaires. Les travaux scientifiques menés par des chercheurs, notamment en Sciences de l’information et de la communication7, ont montré l’absence de neutralité qui préside à la conception des plateformes numériques ainsi que les messages idéologiques qui émanent de leur design, des contenus et des idéaux qu’elles incarnent ancrés dans l’imaginaire de l’institution scolaire. Qu’il s’agisse de l’ÉAC ou de l’ÉMI, la logique de plateformisation accompagne l’injonction institutionnelle à mettre le numérique au cœur des usages et des pratiques professionnels et pédagogiques des enseignants. Une logique qui présente cependant le risque de détourner les enseignants de ces plateformes en raison des exigences que leur maîtrise impose (temps, compétences, efforts…) avec pour conséquence de renforcer les inégalités socio-culturelles plutôt que de les réduire. Chronophage, la maîtrise des plateformes numériques reconfigure les pratiques professionnelles des enseignants : combien de temps passé à comprendre les rouages et les logiques des plateformes au détriment des médiations humaines et pédagogiques à l’égard des élèves ?

 

 

 

 

Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information de Mônica Macedo-Rouet

C’est une lecture plutôt rare et très rafraîchissante en matière professionnelle, que propose Mônica Macedo-Rouet avec Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information. Professeure des universités en Psychologie, la chercheuse est déjà connue dans le domaine info-documentaire, de par son travail souvent à la croisée entre Psychologie, Sciences de l’éducation et de la formation (SEF) et Sciences de l’information et de la communication (SIC). C’est dans le cadre de ce triptyque que s’inscrit l’ouvrage, qui convoque les recherches menées sur la question de l’évaluation de l’information dans ces trois disciplines, afin d’en faire une synthèse. Et ce ne sont pas seulement des états des lieux qui sont proposés, mais un travail de bilan et de perspectives.

Saluons comme il se doit l’intérêt des éditions normandes C&F, dirigées par Hervé Le Crosnier, pour les questions d’information, de documentation, avec, au-delà d’écrits nombreux sur l’histoire de l’informatique et le paysage numérique contemporain, plusieurs ouvrages relatifs à des sujets importants pour les professeurs documentalistes. On rappellera ainsi la publication des travaux d’Anne Cordier sur le rapport des adolescents à la recherche d’information (2015), ou de Marion Carbillet et d’Hélène Mulot sur les communs dans l’éducation (2019).

Pour discuter d’évaluation de l’information, Mônica Macedo-Rouet contextualise d’abord son propos, nous offrant un point de vue large sur la notion. En appui sur différentes études menées depuis plus de vingt ans, elle interroge la lecture sur écran, en comparaison avec la lecture sur papier. Ce qui l’amène à préciser et à définir plusieurs notions, comme celles de texte, d’hypertexte et d’hypermédia, directement liées à la lecture sur écran. C’est aussi l’occasion de traiter de la structure du document, de la structure du texte, rappelant à l’occasion que cette notion suppose des apprentissages, dès l’enseignement élémentaire, et ce, afin de favoriser chez les enfants le repérage de l’organisation des textes, notamment des ouvrages documentaires. L’auteure montre aussi toutes les limites de la lecture sur écran, et les difficultés qu’elle peut poser : du fait d’une lecture hypertextuelle parfois complexe, de logiques éditoriales qui ne sont pas toujours pertinentes pour une lecture efficace, et d’une lenteur et d’une superficialité qui semblent intrinsèques à ce mode de lecture. Il n’en ressort cependant pas l’idée d’abandonner l’écran, ce serait aller contre les usages et les pratiques. Il s’agit plutôt d’insister sur le fait que ce n’est pas un sujet à prendre à la légère, à la fois dans le domaine de l’édition où des efforts sont à faire, et dans le domaine de l’enseignement pour cerner ce qui peut et doit être mis en œuvre en matière pédagogique. L’auteure insiste également sur le besoin d’éviter une simple transposition, du document imprimé au document numérique, qui relève de deux modes différents de concevoir le document.

C’est avec un même souci de synthèse que sont abordés les processus de recherche et d’évaluation, dans un contexte d’augmentation du nombre de sites web et du nombre d’utilisateurs d’Internet (avec aujourd’hui près de deux milliards de sites pour quatre milliards d’internautes potentiels). Un tel paysage informationnel suppose des compétences de recherche, avec alors, pour les enfants, des difficultés de méthode et de connaissance que rappelle l’auteure. Une piste pour dépasser ces difficultés est de maîtriser l’ensemble des étapes que compte une recherche d’information : par exemple les huit étapes du modèle TRACE, proposé par Jean-François Rouet en 2006, qui peut être un outil intéressant dans le cadre d’un travail pédagogique avec les élèves. La recherche est d’autant plus complexe que l’évaluation de la pertinence des sources apparaît, selon les études citées, particulièrement difficile pour les jeunes (des pistes possibles pour améliorer les pratiques sont données). L’évaluation de la qualité et de la crédibilité des sources est également étudiée, avec un regard particulier sur le contexte scolaire : il en ressort que les élèves ne sont pas indifférents à la question de l’évaluation, qui demande une mise en œuvre différenciée, selon les consignes données et les difficultés rencontrées. Là encore l’auteure s’attache à pointer ce qui pose problème, afin de proposer des solutions pédagogiques, mettant en avant à l’occasion des pistes de recherche non encore exploitées. Parmi les problèmes et/ou les obstacles relevés, on peut citer par exemple, en fin de primaire et début de collège en particulier, l’intérêt pour l’affichage des pages plutôt que pour la connaissance des sources, ou encore la difficulté à détecter les biais commerciaux et les conflits d’intérêts sur le web. Cela suppose des apprentissages, relatifs à la navigation web, au repérage d’informations, à la connaissance des questions techniques liées aux bases de données, au fonctionnement des moteurs de recherche, à l’évaluation des sources et à tout ce que cette notion recouvre (pertinence, fiabilité, autorité, typologie, etc.).

L’auteure ne s’arrête pas à des préjugés, il n’est pas question de dire que les élèves savent tout faire parce qu’ils ont été bercés par le numérique ou qu’ils ne savent rien faire parce qu’ils n’ont que des usages superficiels. Non, il s’agit de regarder précisément les pratiques, d’en étudier les subtilités pour en tirer des pistes pédagogiques : par exemple, en contexte scolaire, expliciter les étapes de la recherche et de l’évaluation. Les élèves peuvent avoir envie d’évaluer les sources, encore faut-il qu’on leur explique comment faire, et qu’on leur apprenne à le faire. Ce n’est pas une démarche spontanée pour eux, des compétences sont nécessaires qui sont mises en exergue dans l’ouvrage : l’identification de l’auteur, l’évaluation de son niveau de compétence, ses intentions, les éventuels conflits d’intérêt. Ces savoirs et savoir-faire permettent notamment d’aider à repérer les fausses informations, auxquelles sont réservées quelques pages.

Un chapitre est consacré à l’éducation, côté terrain : il est d’autant plus décevant que les chapitres précédents sont riches. Sans doute faut-il voir là le fait que les études relatives à ces apprentissages sont rares. L’auteure elle-même insiste sur la nécessité de commencer par analyser les dispositifs de formation dans le domaine. La limite du propos tient notamment dans le plaidoyer, présent dès le titre de l’ouvrage, « pour une éducation à l’évaluation de l’information ». On ne parle pas d’apprentissages, d’enseignement, mais bien d’une « éducation à », un domaine particulièrement flou, dont la transversalité cache mal des projets très ponctuels, non systématiques, qui s’appuient sur des « bonnes volontés », autant de limites que l’auteure n’aborde pas. Il manque une observation des pratiques réelles, aussi la proposition de cette nouvelle « éducation à », sans mention de pratiques et dispositifs, peut laisser dubitatif. Une autre limite de cet ouvrage, un écrit scientifique, toujours dans le même chapitre, est de voir l’Éducation aux médias et à l’information (EMI) englober l’éducation aux médias, la maîtrise et les cultures de l’information, ainsi que la culture de l’informatique. Cela crée une confusion entre la Media and information literacy (MIL) et l’EMI telle qu’institutionnalisée en France : en effet, telle que définie dans les programmes en France, l’EMI n’intègre pas la culture informatique dans son entier, des enseignements spécifiques existent en Technologie et en Sciences numériques et technologie (SNT). De même la prise en mains de l’EMI en France par le CLEMI, sujet d’un anachronisme dans l’ouvrage, peut amener selon certains points de vue à minorer l’importance de la maîtrise de l’information dans son ensemble, dans les documents institutionnels. De ces problématiques françaises, il n’est nullement question dans l’ouvrage, ce qui ne contribue pas à la clarté du propos. Ainsi, alors que la revue de la littérature portant sur les recherches est intéressante, le mélange effectué entre domaines scientifiques et dispositifs politiques ou éducatifs peut poser problème. En outre, l’apport des professionnels est peu envisagé. Si par exemple est cité le référentiel de compétences de 1997 de la FADBEN, devenue APDEN, ainsi que les travaux du GRCDI (2010-2012), rien n’est dit des travaux qui ont donné lieu au Wikinotions Info-Doc (2010) ou à la proposition de curriculum info-documentaire (2013).

Ainsi, si l’ouvrage est riche en études scientifiques sur la lecture de l’information, sur la recherche et l’évaluation de l’information, avec des pistes intéressantes pour construire des séances et des progressions, les propositions plus politiques, elles, manquent sans doute de diversité, elles restreignent les possibles. L’engagement pour un dispositif spécifique, dans un ouvrage de ce type, de niveau universitaire, conduit à minorer d’autres voies ou à les ignorer. L’auteure fait la prouesse de ne citer qu’une fois les professeurs documentalistes, sans discuter de leurs apports ou de ce qu’on peut envisager pour l’avenir des apprentissages qu’ils peuvent mettre en œuvre. Quand des disciplines sont invoquées pour des expérimentations, le domaine de l’information-documentation n’apparaît pas, que ce soit seul ou même dans le cadre de dispositifs en collaboration. Et alors que des études citées montrent l’importance d’une expertise, une étude récente est mentionnée qui « montre la faisabilité d’un tel programme au sein des disciplines, sans bouleverser complètement la structure actuelle et sans demander des moyens très importants ». Après des réflexions pédagogiques, sur la nécessité d’un travail didactique, avec des pistes intéressantes pour avancer, ce sont des propositions « clé en main » qui sont faites, dans la voie typique des « éducations à ».

Malgré ses limites, compte tenu de la perspective politique que prend l’ouvrage, on peut cependant souhaiter que tout professeur documentaliste le lise, pour prendre connaissance des voies pédagogiques que l’auteure met en avant, études à l’appui : explicitation des démarches de recherche et d’évaluation, séances spécifiques sur la notion de pertinence, mise en place de processus d’évaluation relatifs à la crédibilité et la qualité de pages, avec identification et évaluation des auteurs, catégorisation des différents types de sites web, etc. Cette synthèse est aussi une promesse de nouvelles recherches, pour mieux encore mesurer les capacités d’apprentissage des élèves dans le domaine, et les méthodes les plus efficaces. Ces travaux et ces pistes valent-elles la création d’une nouvelle « éducation à » ? Rien n’est moins sûr.

 

Macedo-Rouet, Mônica. Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information. Caen : C&F Éditions, 2022. 244 p. Préface d’Alexandre Serres. 

 

Veille numérique 2023 N°1

Éducation

Jeu égalité femmes/hommes dans l’ESS

À destination des enseignants, L’ESPER (L’Économie Sociale Partenaire de l’École de la République) et l’Économie Sociale et Solidaire France ont élaboré un jeu de cartes vrai/faux sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie sociale et solidaire et, plus largement, dans le monde professionnel. Le jeu peut être utilisé pour lancer des débats entre élèves. Il existe quatre types de carte : constat, métier, transition, pouvoir. Les cartes sont librement téléchargeables (PDF) et imprimables.
https://lesper.fr/ressourcess/vrai-faux-egalite-femmes-hommes-dans-le-monde-professionnel-et-dans-less/

Le Dictionnaire Électronique des Synonymes du CRISCO

Le Centre de recherche inter-langues sur la signification en contexte a mis à jour son portail du dictionnaire des synonymes. En plus des synonymes proposés, le CRISCO donne la possibilité d’accéder à une définition très détaillée de l’unité lexicale en nous redirigeant vers le portail du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) qui comprend, entre autres, le TLFi (Trésor de la langue française informatisé). Le portail lexical du CNRTL propose aussi la synonymie, l’antonymie, la proxémie ou encore l’étymologie.
https://crisco4.unicaen.fr/des/

Tutoriels Canopé-Pix

Pix et le réseau Canopé ont conçu des tutoriels vidéo à destination des enseignants sur les compétences numériques. Quatre domaines sont abordés : 1/ Utiliser le numérique pour agir et se former dans son environnement professionnel ; 2/ Sélectionner, créer et gérer des ressources ; 3/ Concevoir, scénariser, mettre en œuvre et évaluer des situations d’enseignement-apprentissage ; 4/ Inclure et rendre accessible, différencier et engager les apprenants. Chaque vidéo dure environ 5 minutes.
https://tutos.pix.fr/edu/

Lecture numérique

L’édition passe au méta-livre

NBE éditions a publié le premier méta-livre en automne 2022 ! Ce livre, Cellule 381, disponible en librairie, comprend des parties de texte cryptées qui peuvent être débloquées en achetant des NFT créées par une Intelligence artificielle de la société Selas AI. La raison invoquée par l’éditeur, pour justifier ce choix, est que l’autrice, qui raconte son histoire d’escort girl, ne souhaitait pas que certaines parties de sa vie soient librement accessibles. Les tarifs des 39 NFT se situaient entre 0,06 ETH (72 €) et 0,3 ETH (360 €) depuis novembre 2022. P.-S. : ETH = cryptomonnaie Ethereum.

Base de données

Label culture libre

Wikimédia a lancé fin 2022 un label pour les institutions culturelles qui soutiennent la culture du libre. L’objectif est de valoriser les démarches collaboratives vers de l’open content (œuvre dont la diffusion et la modification sont libres) des musées, médiathèques et centres d’archives. Les partenaires de ce label sont Creative Commons, Club Innovation & Culture CLIC France et inno3. La création de ce label fait suite au rapport sur l’open content dans les institutions culturelles (Wikimédia France et agence Phare) et à l’évolution des usages des internautes.

Contre-archivage du patrimoine numérique

La reprise brutale du réseau social Twitter par un milliardaire pose la question de l’archivage des données des réseaux sociaux. En cas de faillite ou de rachat, les données peuvent disparaître. Les réseaux sociaux sont des sources primordiales pour comprendre une époque. En plus de l’archivage par les institutions (Library of Congress, Internet Archives), les chercheurs et archivistes proposent le contre-archivage décentralisé et collaboratif des médias sociaux.

Écologie

Flight tracking vs Elon Musk

Chantre de la liberté d’expression, selon des critères très personnels, Elon Musk a bloqué les comptes twitter automatisés qui géolocalisent les jets privés des milliardaires. @elonjet, le plus célèbre compte de flight tracking, créé par l’étudiant Jack Sweeney, a bien entendu été suspendu. Utilisé par les militants écologistes pour dénoncer la pollution aérienne, le flight tracking était, à l’origine, destiné aux passionnés d’aviation.

Carte Climate Trace GES

La carte interactive de Climate Trace géolocalise les plus gros émetteurs de CO2 de la planète. Ce groupement d’ONG et de chercheurs s’appuie sur les données publiques, 11 100 capteurs et 300 satellites, pour identifier et quantifier les émissions. En France métropolitaine, 359 activités polluantes ont été répertoriées et la palme du plus gros émetteur de gaz à effet de serre revient au Groupe ArcelorMittal. Il suffit de zoomer sur la carte pour identifier les pollueurs, puis de cliquer dessus pour consulter le détail.
https://climatetrace.org/map/

Réseaux sociaux

Twitter blue payant

Depuis février 2023, les usagers français de Twitter peuvent, en déboursant 9,60 € par mois, faire apparaître leurs tweets en priorité et réduire de 50 % le nombre de publicités sur leur compte. En sus, ils obtiennent le macaron bleu du Compte certifié comme les personnalités (VIP). À la suite des licenciements massifs d’Elon Musk, il semblerait que les comptes certifiés soient peu vérifiés, selon un journaliste du Washington Post.

#BookTok

Le phénomène Booktok rassemble les internautes qui évoquent et mettent en scène leurs lectures sur Tiktok, le réseau social en vogue chez les moins de 30 ans. Le mot-clé #BookTok agrège quotidiennement des milliers de nouvelles vidéos sur les livres. Les Maisons d’édition s’intéressent de plus en plus à ce moyen de communication, en accompagnant leurs auteurs sur ce réseau. La spontanéité et la créativité des utilisateurs va être remplacée par le marketing et la publicité des éditeurs pour augmenter leur chiffre d’affaires.

Technologie

ChatGPT vs Playground

Ces deux IA conversationnelles sont développées sur la base de l’outil GPT-3 de l’entreprise californienne OpenAI. Playground, lancé en 2019, a été le premier outil dévoilé par OpenAI (à cette époque, une association à but non lucratif). Playground est principalement destiné aux développeurs ou férus d’IA alors que ChatGPT, lancé en 2022, s’adresse au grand public. ChatGPT est programmé pour s’en tenir aux faits ou à des histoires inventées très “encadrées” afin d’éviter les dérives (biais et tabous) alors que Playground est paramétrable et prend en compte le fantastique, voire l’impossible, si on le lui demande. https://platform.openai.com/

ChatGPT vs Playground (texte écrit par Playground)

“Les deux outils sont des outils utiles pour les développeurs et les utilisateurs, mais ils ne sont pas identiques.
ChatGPT est un outil de conversation qui permet aux développeurs de créer des bots conversationnels et de les mettre en production. Il est basé sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, il permet donc aux développeurs de créer des bots qui peuvent s’adapter à différentes situations.
Playground est un outil de développement basé sur le web qui permet aux développeurs de tester leurs bots. Il permet aux développeurs de tester leurs bots avant de les déployer en production. Il est conçu pour fournir un environnement simple et intuitif pour les développeurs afin qu’ils puissent créer et tester facilement leurs bots.”

ChatGPT vs Playground (texte écrit par ChatGPT)

“ChatGPT et OpenAI Playground sont tous deux des produits développés par OpenAI, mais ils servent des buts différents.
ChatGPT est un modèle de langage qui utilise des techniques avancées d’apprentissage automatique pour générer des réponses de texte similaires à celles d’un humain. Il peut répondre à des questions, générer de la création littéraire et même converser avec les utilisateurs de manière naturelle et engageante.
OpenAI Playground, d’un autre côté, est une interface interactive qui permet aux développeurs et aux chercheurs d’expérimenter et de peaufiner divers modèles IA développés par OpenAI, y compris ChatGPT. Il fournit une plate-forme pour que les utilisateurs exécutent et testent des modèles, modifient le code et visualisent les résultats de leur expérimentation.
Ainsi, tandis que ChatGPT est un modèle de langage qui génère des réponses de texte, OpenAI Playground est un outil qui permet aux utilisateurs d’expérimenter et de peaufiner des modèles IA tels que ChatGPT.”


No future

Sped up sur TikTok

Rendez-vous sur le hasthag #spedup (plus de 10 milliards de vues !) pour découvrir la dernière mode musicale du réseau social TikTok. Sur une vidéo banale, de nombreuses chansons des années 2000 ou du siècle dernier sont remixées en accéléré au point qu’elles sont méconnaissables. Il existe aussi le mode ralenti lowed + reverb, un peu moins populaire. Apparemment, ce phénomène commence à intéresser l’industrie de la musique qui ressort elle-même des versions sped up.

Licenciement en masse dans la tech

Les GAFAM, les sociétés de jeux vidéo, les réseaux sociaux prévoient de licencier en masse du personnel. Les chiffres annoncés donnent le vertige : 12 000 chez Google, 10 000 chez Microsoft, 18 000 chez Amazon, 11 000 chez Méta, 3750 chez Twitter, Tencent…
Ces annonces ont fait bondir les actions en bourse de ces géants. À toute chose malheur est bon !

Notules de la veille numérique

Dans un futur proche, les notules seront écrites par ChatGPT ou une autre IA encore plus performante !

 

L’arpentage littéraire en lycée technologique ou comment rentrer dans la lecture autrement ?

Lire est un acte complexe nécessitant de se concentrer, de développer une créativité, de passer du temps sur des mots, de faire des liens… d’avoir de la patience. En cela, lire s’oppose à l’écran qui est bien plus instantané et facile car il ne demande aucun effort d’imagination. De manière caricaturale, nous pourrions dire que toutes les informations étant affichées et sonorisées, le spectateur n’effectue plus de travail de compréhension. « Lire » nécessite d’être actif alors que « Voir » est synonyme de passivité. Il y a 19 ans de cela, Catherine Henri, dans son ouvrage intitulé De Marivaux et du Loft (Henri, 2003), faisait déjà un constat alarmant : « C’est pire qu’une banalité de dire que les élèves sont aussi devenus, dans le même temps, avides d’images ; pas cinéphiles mais spectateurs aphasiques. » (p. 82).

Dans une société cernée par les médias de toutes sortes, force est de constater que l’acte de lire est vécu « comme une corvée » (Henri, 2003, p. 18) pour nombre d’élèves de lycées technologiques et particulièrement l’année du Baccalauréat. Ils ne voient pas qu’au-delà de trouver un plaisir à imaginer une histoire et à s’évader, lire relève aussi d’une réelle appropriation de capacités à construire un rapport au monde leur permettant de s’y inscrire plus efficacement. Passant tour à tour par des lectures analytiques, groupements de textes, lectures d’œuvres intégrales ou lectures cursives, les professeurs de français « dotés d’un arsenal de moyens, de techniques, de démarches qui ont défini une didactique de la littérature au collège et au lycée » (Jordy, 2009, p. 95) passent en quelque sorte pour des rats de bibliothèques ne parcourant des œuvres littéraires dites « classiques », que pour les imposer à tout prix dans le cadre de séquences fastidieuses uniquement tournées vers la préparation des épreuves anticipées de français (EAF). Le professeur documentaliste, quant à lui, même s’il a pour mission, en tenant compte de l’évolution des pratiques informationnelles des élèves, de contribuer au développement, entre autres, de l’esprit critique face aux sources de connaissance et d’informations (Ministère de l’Éducation nationale, 2017) au travers de projets de co-enseignement, apparaît malgré tout comme le garant de l’objet livre (itéré le long de vastes et sombres rayonnages), pire encore, comme le « Cerbère » du CDI, une espèce de gardien du savoir et d’un espace un peu hermétique où seuls quelques individus se retrouvent1.

À l’heure où l’Éducation nationale encourage le numérique dans les écoles, où la dématérialisation s’accentue, comment donc, dans une société de l’immédiateté de l’information et de l’image, une société consommatrice et impatiente, redorer le blason de la lecture, redonner goût au plaisir du livre en proposant une médiation culturelle qui ne soit pas ressentie comme une contrainte scolaire mais plutôt comme un tremplin vers l’appropriation de capacités plus globales en redevenant acteur ?

LA CRÉATION D’UN ATELIER « CRITIQUES D’ORME » : UNE MISE EN ROUTE

Sensibles à la question de la lecture vécue comme calvaire, à la « sacralité » de l’objet livre supplanté par d’autres médias et d’autres formes de communication, tels les réseaux sociaux et les films, nous avons décidé de monter un atelier : notre volonté était de partager, d’échanger et de construire en se centrant sur l’élève et ses besoins et (a priori) grâce à différents médias (supports littéraires, cinématographiques et artistiques), et ce, afin de l’enrichir culturellement et aussi diminuer ses réticences.

Des objectifs au cadre de réalisation

Cet atelier s’inscrit particulièrement dans le cadre de la circulaire de mission des professeurs documentalistes (Ministère de l’Éducation nationale, 2017). En effet, n’oublions pas que le CDI est d’abord et avant tout, pour reprendre la circulaire : « un espace de culture, de documentation et d’information, véritable lieu d’apprentissage et d’accès aux ressources pour tous ». Parallèlement : « le professeur documentaliste contribue à l’éducation culturelle, sociale et citoyenne de l’élève. Il met en œuvre et participe à des projets qui stimulent l’intérêt pour la lecture, la découverte des cultures artistiques, scientifiques et techniques en tenant compte des besoins des élèves, des ressources locales et du projet d’établissement ».

De son côté, le professeur de Lettres se doit de permettre aux élèves de se constituer une culture personnelle, de consolider leurs compétences fondamentales d’expression écrite et orale, de lecture et d’interprétation, dans une perspective de formation de la personne et du citoyen (Ministère de l’Éducation nationale, Programme de Lettres, 2019). Il répond ainsi à plusieurs compétences communes des enseignants et personnels de l’éducation telles que accompagner les élèves dans leur parcours de formation (C5), agir en éducateur responsable selon des principes éthiques (C6), maîtriser la langue française à des fins de communication (C7) ou encore s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel.

Pour cet atelier, le CDI de l’établissement nous est apparu comme le lieu adéquat. Disposant d’un étage, repensé en espace modulable et modulaire pour accueillir les groupes classe dans le cadre de projets de co-enseignement, il permettait ainsi de disposer d’un espace ouvert à l’échange.

Le caractère obligatoire étant parfois un frein, nous avons plutôt opté pour un atelier basé sur le volontariat en dehors des heures de cours. Cela présentait le risque de ne pas avoir beaucoup de réponses positives mais l’avantage de poser le contexte de réalisation aux élèves : un réel temps d’échange et de partage dans le but d’améliorer leurs compétences.

Les débuts

Ouvrant cet atelier à une classe de 1ST2S2, nous n’espérions pas trouver un public nombreux, mais fidéliser quelques personnes souhaitant poursuivre une véritable aventure littéraire dans une ambiance sereine et décontractée. Après avoir échangé avec les élèves3 qui arguaient que lire leur demandait trop d’efforts et surtout que cela leur prenait trop de temps, il a été souligné, qu’a contrario, pour eux, le film représentait le support parfait : limité dans le temps, une image au service de l’imaginaire et simple d’appropriation. Nous avons donc débuté l’atelier par le visionnage de films comme Amistad (de Steven Spielberg) et Seven Sisters (de Tommy Wirkola) amenant à la création d’affiches résumant leur compréhension. L’objectif consistait à valoriser la créativité des élèves ainsi que l’œuvre cinématographique elle-même en les diffusant sur les écrans d’information dispatchés au sein de l’établissement.

À partir du moment où nous étions certains que les élèves avaient adhéré au projet, nous avons agrémenté l’atelier d’une participation au concours De livre en livre (2021-2022) organisé par l’ALCA Nouvelle-Aquitaine4. Il s’agissait pour les élèves de devenir jury littéraire de cinq livres : Les Monstres de Maud Mayeras, Danxomé de Yann Fastier, L’œil du STO de Julien Frey, Maktaaq de Gildas Guyot et Déjà, l’air fraîchit de Florian Ferrier. L’objectif était de lire ces œuvres et de voter pour celle qui leur plaisait le plus. À cela s’ajoutait la possibilité de rencontrer des auteurs. C’est dans ce cadre-là qu’il nous a été proposé d’organiser une séance d’arpentage littéraire. Issue de la culture ouvrière de la fin du XIXe siècle, cette pratique avait pour but de s’approprier une œuvre pour se construire une culture commune. Pour cela, le livre était déchiré en autant de parties que de lecteurs. Chacun lisait son passage pour ensuite en partager sa lecture avec les autres. L’arpentage nous offrait l’occasion d’expérimenter un travail coopératif (où l’élève n’était plus seul face à ses difficultés) et critique, en lien avec l’acte de lire.

L’ARPENTAGE LITTÉRAIRE : UNE EXPÉRIENCE NOVATRICE

Une proposition ALCA comme tremplin

Si initialement l’ALCA Nouvelle Aquitaine nous proposait de faire l’arpentage avec le roman Déjà l’air fraîchit de Florian Ferrier, nous avons, après réflexion, orienté notre choix vers le roman de Maud Mayeras, Les Monstres, que nous avions (les professeurs) préalablement lu et sur lequel nous avions quelques interrogations, à savoir si ce livre pouvait être lu par notre public de lycée technologique. En effet, si ce roman policier (genre aimé des élèves) aborde des thèmes intéressants (enfance, manipulation, liens familiaux, séquestration…), notre public est parfois en difficulté avec des situations privées particulières pour ne pas dire problématiques. Toutefois, la qualité d’écriture, le chapitrage spécifique de l’œuvre de Maud Mayeras ont fini par nous convaincre que ce roman pouvait être lu d’une toute autre manière sans heurter notre public. Et ce, d’autant plus que nous étions là pour accompagner cette lecture. Ainsi, l’aspect polyphonique de la construction du récit permettait d’imaginer, de présupposer l’histoire, de découvrir progressivement lieux et personnalités, en bref, de reconstruire l’histoire en tenant compte collectivement de ses tenants et aboutissants, et ce, sans que l’immersion soit trop oppressante.

L’atelier pas à pas

L’atelier consacré à l’arpentage littéraire a été l’occasion de vivre une immersion complète dans le roman de Maud Mayeras mais aussi d’accéder aux univers de la lecture et de l’écriture, en respectant le rythme et les attentes des élèves. À chaque fois, nous nous sommes préoccupés de leurs envies et de leurs ressentis pour adapter nos séances d’arpentage afin de maintenir des leviers motivationnels. Les neuf séances dévolues à l’arpentage ont été l’occasion pour le groupe de :
– s’approprier pleinement l’œuvre, tant dans le geste de lecture que dans la compréhension du texte ;
– devenir un lecteur autonome doué d’une sensibilité ;
– échanger pour reconstruire un scénario ;
– prendre plaisir à découvrir la suite d’un récit ;
– s’interroger sur les intentions d’un écrivain ;
– valoriser une œuvre auprès d’un public varié ;
– rencontrer un auteur et échanger avec lui.

Séance 1 : présentation de l’atelier et directives

La première séance consacrée à l’arpentage a consisté à présenter le projet aux élèves (séance de 50 minutes). Nous avons commencé par susciter l’interrogation en leur parlant des droits du lecteur tels que stipulés par Daniel Pennac5 (Pennac, 1992) et en proposant une manière de lire totalement novatrice, à savoir lire un livre sans lire la totalité de l’œuvre. Les élèves étaient intriguées ; nous leur avons ensuite proposé de déchirer une dizaine de pages. Ce moment tant attendu (nous étions curieux de voir la réaction des élèves) a été l’occasion d’échanger sur les pratiques de lecture et aussi sur le caractère même du livre. Enfin, envisager la lecture comme une enquête policière en relevant des indices a été l’idée qui a clôturé cette première séance. Cela leur a paru séduisant, intrigant, et les a motivées pour la séance à venir.

© B. Robert, janvier 2022 – Lycée Bel Orme, CDI – Mise en route de l’arpentage littéraire
avec l’arrachage des pages du livre Les Monstres de Maud Mayeras par les élèves de 1ST2S.
© B. Robert, janvier 2022 – Lycée Bel Orme, CDI – Mise en route de l’arpentage littéraire
avec l’arrachage des pages du livre Les Monstres de Maud Mayeras par les élèves de 1ST2S.

Séance 2 : première immersion dans l’œuvre de Maud Mayeras

La séance 2 a vu l’activité débuter pleinement. Un temps de lecture individuelle de 30 minutes a été proposé et nous avons ensuite gardé un temps de partage de 20 minutes afin de collecter toutes les informations. Une première immersion dans l’œuvre a été tentée grâce à l’apport d’un fond musical. En effet, Maud Mayeras proposait à la fin de son roman une « playlist » personnelle adaptée à son roman. Ajoutons que plusieurs tableaux avaient été installés dans la salle afin de collecter les différents indices : lieux, personnages, actions… Cette mise en situation a largement favorisé le plaisir de l’arpentage.

Au début, la prise de parole était discrète. Il nous a fallu réintroduire l’idée d’une lecture sous forme d’une enquête policière pour les encourager à adopter une nouvelle posture. Les filles ne devaient plus être de « simples » lectrices partageant leur histoire, mais de véritables investigatrices s’échangeant des informations pour découvrir les lieux des principaux moments de l’histoire, les principaux personnages et essayer de comprendre ce qui les liait. À la fin de la séance, un bilan a été fait pour savoir ce qu’elles en pensaient. Au final, toutes avaient à cœur de poursuivre cette exploration littéraire et policière.

Séance 3 : au cœur de l’enquête

Afin de renforcer l’immersion des élèves, nous les avons accueillies en ayant au préalable créé une ambiance « enquête policière » : lumière plus douce, musique et vidéoprojection d’une affiche incitative du roman leur rappelant ce qu’elles devaient découvrir (via les 5W). Nous avons ainsi débuté cette séance par une restitution des données collectées lors de la séance 2, avant de les laisser terminer leur lecture.

Nous avons été agréablement surpris de voir nos lectrices s’emparer de leur rôle d’enquêtrice et, de là, très rapidement, discuter entre elles et s’échanger des informations pour mieux comprendre le récit. Nous leur avions également proposé un livret d’enquêteur, mais nous avons très vite constaté qu’il représentait un frein à la prise de parole et avons décidé de l’abandonner.
De lectrices réticentes, les élèves sont passées lors de cette séance au stade de lectrices entreprenantes et critiques. Devant leur enthousiasme, nous avons donc proposé une seconde phase d’arrachage de pages mais cette fois au hasard du livre.

© B. Robert, janvier 2022 – Lycée Bel Orme, CDI – Vidéoprojection préparée par J. Grondin
et première prise de notes des élèves.
© B. Robert, janvier 2022 – Lycée Bel Orme, CDI – Vidéoprojection préparée par J. Grondin
et première prise de notes des élèves.

Séances 4 à 6 : la compréhension et la restitution complète de l’histoire des Monstres

Lors des séances 4 à 6, nous avons décidé de renforcer le côté enquête policière. Nous avons donc proposé une carte géographique plus ou moins fictive, imprimé des portraits-robots et utilisé des aimants et des fils de laine pour simuler une véritable enquête policière comme nous pouvons le voir à la télévision.

© B. Robert, mars 2022 – Lycée Bel Orme, CDI.

L’objectif était de permettre aux élèves de pouvoir mieux visualiser l’histoire dans son ensemble.
Ces trois séances se sont globalement déroulées de la même manière : temps de lecture individuel et ensuite mise en commun des informations récoltées.
Pour la troisième séance, nous avons décidé de réaliser un texte à trous récapitulant l’intrigue policière et présentant les personnages principaux. L’objectif était de proposer un document de synthèse et de vérifier l’appropriation du récit. Au final, l’arpentage a permis une très bonne compréhension du récit.

Plusieurs éléments intéressants ont été soulignés au cours de ces séances.
– Tout d’abord les élèves ont acquis une véritable autonomie dans la prise en main de la lecture et des échanges.
– Les élèves redevenaient elles-mêmes : nous avions les verbo-factuelles, celles qui avaient besoin de se déplacer (de prendre en note les informations propices à l’avancée de l’enquête) et pour terminer, nous avions celles qui essayaient de chapeauter la prise de parole. Cela a été pour nous l’occasion de valoriser les points forts des élèves mais aussi de leur apprendre à limiter l’impact de leurs points faibles.
– Ensuite, quant aux élèves ultra-connectées, il s’est avéré que certaines d’entre elles ont délaissé leur télé­phone portable pour privilégier la lecture : geste inespéré !
– Lire en musique ne les a pas perturbées, bien au contraire.
– Enfin l’arpentage nous a convaincus qu’il pouvait permettre aux élèves de lutter contre leurs difficultés.
En effet, lors des dernières séances, une élève plus en difficulté dans la lecture venait plus tôt à l’atelier pour nous demander s’il était possible de commencer à lire avant les autres. Cette attitude a montré qu’elle prenait pleinement conscience de sa lenteur de lecture sans que cela freine pour autant son implication dans le projet.

© B. Robert, mars 2022 – Lycée Bel Orme, CDI.
© B. Robert, mars 2022 – Lycée Bel Orme, CDI.
© B. Robert, mars 2022 – Lycée Bel Orme, CDI.

Séance 7 : valorisation de l’œuvre

Au final, nous avons proposé au groupe de créer une affiche du roman afin de promouvoir ce dernier au sein de l’établissement. Cette proposition, unanimement acceptée, a permis de faire ressortir les atouts des élèves :
– de plus grandes facilités à reformuler et à synthétiser des idées ;
– une capacité à s’adresser à un auditoire ;
– une plus grande aisance dans l’utilisation d’outils numériques ;
– un meilleur traitement et une meilleure valorisation de l’information pertinente ;
– une très bonne aptitude au travail collectif et collaboratif.
En moins de 50 minutes, les élèves ont su finaliser une affiche ! Le point positif de cette affiche était le souci de s’éloigner de la couverture sombre du livre (choisie plus par l’éditeur que par l’auteur) pour proposer leur propre vision de l’œuvre.

Séances 8 et 9 : préparation de la venue de Maud Mayeras au sein de l’établissement

Nous avons appris lors des dernières semaines d’atelier que l’auteur des Monstres allait venir nous rencontrer. Cette nouvelle a enthousiasmé, mais a aussi un peu effrayé, l’ensemble du groupe. Cette venue permettait de clore l’atelier sur l’arpentage par un véritable échange entre auteur et lecteurs et ainsi de casser la barrière de l’écrivain souvent perçu comme un vieux grabataire ou un défunt ! Une chance pour nous, Maud Mayeras est une jeune femme charmante, dynamique, prolixe et très accessible…
La séance 8 a donc été l’occasion de dresser un bilan de l’atelier mais aussi de faire le point sur les interrogations des élèves vis-à-vis du roman et de l’auteur. Cette séance s’est déroulée en deux temps : une préparation de questions et une réflexion sur celles que l’on peut ou non poser, et ce, quel que soit l’interlocuteur.

La séance 9 avec la venue de Maud Mayeras a donc clôturé l’atelier sur l’arpentage littéraire. Pour l’occasion nous avons pris notre temps avec elle et avons gardé les élèves plus longtemps afin de favoriser un véritable échange et d’accentuer l’humanité de cette rencontre.

Initialement, nous avons pris un temps avec l’auteur pour échanger sur notre séquence d’arpentage concernant le roman, présenter les élèves et leurs difficultés afin de mettre en place un cadre bienveillant entre l’auteur et le groupe. Dès le début Maud Mayeras a su mettre à l’aise les élèves en n’étant pas dans l’attente de questions mais au contraire en prenant la parole pour les interroger sur l’arpentage qu’elles avaient mené avec nous. Cela permettait de libérer la parole. Très rapidement un « jeu de questions-réponses » s’est installé.

Les questions ont permis aux élèves de comprendre comment l’auteur peut être amenée à construire un roman et d’échanger sur leurs pratiques respectives de lecture. Ce temps a été fort car l’auteur a su individualiser sa prise de parole et montrer que lire, voire écrire, sont des actes passionnants tant ils permettent d’exorciser des « trop pleins » émotionnels. Cet avis a, bien sûr, parlé aux élèves de Santé-Social. Comme Maud Mayeras aime à le dire « les auteurs vivants ne sont pas morts », sous-entendu le monde de la littérature ne peut se cantonner à la découverte de romans dit « classiques ». Bien au contraire, il est un monde en mouvement, ancré dans la réalité et ses vicissitudes et tous peuvent trouver LE roman qui les fera adhérer à la lecture.

© B. Robert, mars 2022 – Lycée Bel Orme, CDI.

BILAN DE L’EXPERIENCE

Les différents ressentis

Des enseignants

Le premier élément que nous retiendrons est qu’il s’est agi d’une belle aventure. Nous avons avancé avec les élèves en nous adaptant constamment et en nous émerveillant au fil des séances. Cet aspect est essentiel car les élèves le ressentaient et cela a constitué un des leviers pour maintenir leur intérêt.

Le deuxième élément à retenir est que l’arrachage de pages d’un livre n’est ni facile ni évident.

Par ailleurs, en plein désherbage du fonds documentaire, cette activité d’arpentage a été l’occasion, pour le professeur documentaliste, de réfléchir à cette activité : l’arpentage ne pourrait-il pas être l’occasion de pouvoir redonner une deuxième vie à des ouvrages destinés à disparaître des rayonnages. Il permettrait donc à la fois de désacraliser le livre en offrant la possibilité aux élèves de comprendre la chaîne du livre et aussi, comme nous avons pu l’observer tout au long de cette séquence, de les encourager à ne plus percevoir le CDI comme un sanctuaire, mais bien au contraire comme un espace ouvert et vivant.

Enfin, gardons en mémoire que travailler collectivement à la compréhension du texte sous la forme d’une enquête policière avec une mise en scène, des échanges et une musique d’ambiance, par exemple, a été très prolifique et a passionné les lectrices.

La venue de Maud Mayeras nous est apparue comme une consécration de l’atelier et une récompense pour les élèves qui ne s’imaginaient pas pouvoir converser ouvertement et échanger avec un auteur. En effet, ils ont tendance à associer l’auteur à une image d’autorité, très lointaine de leur univers et de leurs préoccupations. Or, cette rencontre a été l’occasion de prouver le contraire. Cela a également permis de dédramatiser la lecture pour celles qui ne sont pas à l’aise avec cette activité et se culpabilisent.

Des élèves (Commentaires des élèves : M. D., L. C., L. B. et R. N-B.)

Nous avons décidé de leur donner la parole et de les faire collaborer à cet article qui leur appartient tout autant qu’à nous !

« Découvrir l’histoire petite partie par petite partie et dans le désordre a été assez particulier et déstabilisant mais j’ai beaucoup aimé les moments où nous nous partagions ce que nous venions de lire, comme nos émotions, nos ressentis (…). Je n’avais jamais arraché les pages d’un livre et j’avoue que cela me dérangeait au début. Je me demandais ce qu’en penserait l’auteure, serait-elle contente de voir son livre en mille morceaux ? D’après son intervention je pense que l’idée est loin de lui avoir déplu mais en toute honnêteté cela n’avait plus d’importance car j’ai fini par déchirer le livre avec aucune pitié puisque je voulais vraiment découvrir le fin mot de l’histoire. »

« J’étais réticente au début pour arracher les pages car pour moi c’est irrespectueux vis-à-vis du livre. Mais à la fin, j’ai trouvé le concept cool. La façon de lire le livre est nouvelle, sympa (…). Découvrir un livre de cette manière est encore plus intrigant. Et donne encore plus envie d’approfondir la lecture. Le plus plaisant est de découvrir au fur et à mesure l’histoire, de l’assembler comme un puzzle. C’est comme si on devenait maître du livre en plus d’être simple lecteur. »

« Au premier abord, l’idée de cet atelier m’a paru ‘étrange’ même si le principe de retracer l’histoire telle une aventure policière m’a beaucoup intriguée. Lorsque nous avons arraché les pages j’ai tout de suite compris que le principe en lui-même allait me plaire du fait que tout le monde se soit rendu utile à travers des informations lues. Cet atelier m’a également permis de plus oser prendre la parole afin de donner les éléments que j’avais lus sur mes pages et je me suis d’ailleurs aperçue qu’après plusieurs séances, mon contact avec le livre avait totalement changé. Je ne le voyais plus comme un livre mais comme un élément de recherche qu’il fallait exploiter un maximum afin de ne passer à côté de rien. »

« Par la suite, nous avons fait un arpentage littéraire qui m’a, pour ma part, paru ‘étrange’ au début parce que je ne comprenais pas si je devais réellement déchirer les pages mais au final cela m’a assez plu. Puis quand j’ai appris qu’il fallait lire les pages j’avoue ne pas avoir eu envie de continuer mais de le lire en décalé, un passage de l’histoire chacun, et d’en parler tous après, m’a fait entrer dans l’histoire et il me tardait de lire la suite. »

Du rapport au livre et au geste de lire : quelles conclusions ?

Force est de constater que le geste d’arrachage n’est pas passé inaperçu : surprise, déstabilisation, peur d’être sanctionné ou encore transgression de règles tacitement élaborées par l’éducation parentale ou scolaire ; arracher une page est vécu comme un sacrilège et c’est à ce premier sens que les élèves ont associé le geste. Il nous paraît donc essentiel de nous intéresser à ce geste d’un point de vue anthropologique et de relever quelques pistes à explorer :
– certains auront une vision très matérialiste de dégradation d’un objet et de sa valeur financière et s’offusqueront de maltraiter un objet ;
– d’autres s’offusqueront de la violence du geste vis-à-vis de l’objet. Dans ce cas particulier la dimension glisse subrepticement du livre-objet au livre-être vivant ;
– arracher les pages d’un livre est également perçu de manière métonymique comme le meurtre de son auteur. Là encore, c’est une manière de donner vie à l’œuvre.

Le livre est donc un objet hautement symbolique, et s’attaquer à son ossature apparaît comme une forme de dégradation de ce qu’il représente : l’accès aux connaissances et aux savoirs, l’accès à la Connaissance. Dans sa conférence Le livre comme forme symbolique, Michel Melot souligne que « la question de la matérialité du livre, de sa forme, de son anatomie et de sa morphologie est depuis quelques temps à la mode ». Il rappelle aussi que le livre « est un objet organique. Il ne faut pas sous-estimer cette particularité dans le rapport physique que l’on peut avoir au livre, rapport intime et vite corporel voire passionnel » (Melot, 2004).

Bref, cet arrachage de pages, quoi que puissent en dire certains, même s’il apparaît comme une désacralisation de l’objet au sens symbolique du terme, se transforme en une véritable conquête de la lecture. Il n’est plus question de possession du livre-objet et par extension du savoir mais d’une plantation à long terme où l’élève participe à l’arborescence du savoir, fait partie intégrante d’un processus de ramifications. Par touches et par retouches au stylo, en coupant les feuilles, il fait pousser son savoir en prenant lui-même place dans le monde vivant de la lecture : la création d’un véritable Arbre de la connaissance dont il restera des cernes. Dans cette époque de dématérialisation, observons bien que « Le Livre est mort. Vive le Livre ! »

À l’issue de cette expérience pédagogique, les avantages de l’arpentage nous paraissent évidents : désacralisation de l’objet-livre, meilleure appropriation du récit, travail en collaboration, prise de parole plus affirmée, développement de l’imagination et meilleure capacité à synthétiser et à reformuler. De manière globale, nous pouvons dire avoir levé un frein quant à la lecture pour ce public scolaire. Forts des avis des élèves et du succès de cet atelier, nous projetons, l’année prochaine, de l’étendre à nos classes de deux manières différentes :
– dans le cadre d’une lecture cursive obligatoire sur l’année de première. Nous souhaiterions leur faire prendre conscience du gain de temps mais aussi des bénéfices à travailler ensemble ;
– dans le cadre du concours ALCA, cela permettrait à l’ensemble des élèves de participer à un projet commun et d’étendre leur culture afin de se forger un meilleur esprit critique.
Un autre avantage de cette activité est aussi de permettre au professeur documentaliste de donner une seconde vie au livre à l’issue du désherbage.

En conclusion et pour reprendre les mots de Catherine Henri, nous voudrions que les « élèves trouvent ce bonheur-là : jouer, interpréter, apprendre, ne pas comprendre, se perdre, rire, déchiffrer, entrer et sortir du labyrinthe » (Henri, 2003, p. 80).

 

Femmes engagées au cinéma : actrices, réalisatrices, scénaristes, productrices

En 2017, le mouvement #MeeToo explose, révélant au monde entier le profond machisme du milieu cinématographique ; Harvey Weinstein, producteur hollywoodien tout puissant, est accusé de harcèlement sexuel par des dizaines d’actrices. Dans un univers gangrené par le sexisme, dès les origines, dans lequel les femmes ont très souvent été cantonnées à des rôles de ravissantes idiotes – Marilyn Monroe en a témoigné en son temps -, comment trouver sa place et comment imposer une présence féminine qui ne soit pas un simple faire-valoir du rôle des hommes ? Longtemps invisibilisées et sous-estimées, les femmes, actrices, réalisatrices, productrices, scénaristes, n’ont eu de cesse de batailler contre cette vision sexiste de leurs compétences, ce qui a conduit à des avancées notables. Aujourd’hui, on redécouvre Alice Guy, Heddy Lamarr, entre autres ; de nombreuses femmes sont reconnues pour leurs qualités intellectuelles, artistiques, leur engagement en faveur de causes, lequel prend sa source dans le mouvement féministe et un profond désir d’égalité, mais ne s’y limite pas. Les femmes s’emparent de tous les sujets, en explorent de nouveaux et ouvrent la voie à une multiplicité de points de vue qui enrichissent le débat public autour de questions essentielles : réchauffement climatique, écologie, racisme, inégalités sociales, homosexualité, frontières du genre, notamment. En 2021, Audrey Diwan remporte le Lion d’or à Venise pour son adaptation radicale du roman d’Annie Ernaux sur l’avortement, L’évènement ; Julia Ducournau, la Palme d’or au festival de Cannes pour son film percutant et inclusif, Titane.
Bien que l’histoire, trop souvent écrite par des hommes, nous ait laissé penser le contraire, de nombreuses femmes engagées peuplent l’univers du cinéma, hier comme aujourd’hui ; en voici un aperçu.

MINISTÈRES, ORGANISMES

Ministère chargé de l’égalité femmes-hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances Place des femmes dans les médias, la culture, le sport, 2022.
https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/place-des-femmes-dans-les-medias-la-culture-le-sport

Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), étude sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle, mars 2019.
https://www.cnc.fr/documents/36995/927212/La+place+des+femmes+dans+l%27industrie+cin%C3%A9matographique+et+audiovisuelle.pdf/80d9741a-dbbf-c8b6-5fb6-545272bcc393?t=1551952559207

UPOPI (Université populaire des images), Rollet, Brigitte, Histoire du cinéma au féminin, Ciclic Centre-Val de Loire, 2019.
Une histoire extrêmement complète du cinéma du monde entier à travers ses grandes réalisatrices, scénaristes, productrices, actrices depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours.
https://upopi.ciclic.fr/apprendre/l-histoire-des-images/histoire-du-cinema-au-feminin

Site Genrimages créé par le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir. Ressource pédagogique qui permet de travailler sur les stéréotypes sexués dans l’image fixe ou animée. Il propose notamment des ateliers d’analyse de documents audiovisuels.
http://www.genrimages.org/plateforme/?q=genrimages/accueil

Le Centre Hubertine Auclert propose de nombreuses ressources sur les femmes et le cinéma en entrant le mot clé « cinéma ».
https://www.centre-hubertine-auclert.fr/

Centre pour l’étude des femmes à la télévision et au cinéma. Université de San Diego (Californie) : il étudie la présence des personnages féminins à travers cent films en tête du box-office américain et publie un rapport chaque année. (Site en anglais.)
https://womenintvfilm.sdsu.edu/

CONCOURS, FESTIVALS

Le site éducatif Matilda, coordonné par l’association V-idéaux, et le concours vidéo destiné aux jeunes « Buzzons contre le sexisme » du 1er septembre 2022 au 15 mars 2023, Toulouse.
https://matilda.education/mod/page/view.php?id=1191

Le concours ZéroCliché, destiné aux scolaires et créé à l’initiative du Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI).
https://www.clemi.fr/fr/zero-cliche/inscriptions-edition-2023.html

Et pourtant elles tournent… Concours de courts-métrages documentaires à destination des réalisatrices résidant en France et en Allemagne, organisé par Arte, en partenariat avec la Scam, depuis 2020.
https://etpourtantellestournent.arte.tv/

L’association Femmes et cinéma organise le concours de films « Séquences Femmes » (septembre 2022 à mai 2023).
https://femmesetcinema.com/inscription-au-projet-sequences-femmes
Femmes et cinéma a été créée par Sandrine Pillon et Stéphanie Douet, productrices de cinéma en 2014. Elle propose le dispositif « Regards de femmes » destiné aux lycéens qui vise à éduquer à l’image et à réfléchir à la place des femmes dans le cinéma.
https://femmesetcinema.com/

Le Prix Alice Guy, créé en 2018 par Véronique Le Bris, journaliste, récompense une réalisatrice contemporaine particulièrement talentueuse. à consulter également le web-magazine sur le cinéma : cine-woman.fr
https://www.prixaliceguy.com/le-prix-alice-guy/

Le Festival international des très courts métrages et sa sélection de films « Paroles de femmes » (avec un Prix Droits des femmes), porté par l’association Tout en très court.
https://trescourt.com/fr/paroles-de-femmes

Le Festival international de réalisatrices « Et pourtant elles tournent ! », première édition en juin 2019 par l’association Femmes Cinéma Égalité. http://www.etpourtantellestournent.org/
L’objectif de cette association lyonnaise est d’informer sur tous les métiers du cinéma exercés par des femmes et de sensibiliser aux discriminations dont elles sont victimes pour les combattre.
https://www.femmes-cinema-egalite.fr/page/1291187-presentation

Le Prix « Femme de cinéma Sisley/Les Arcs » a pour objectif de sensibiliser aux « talents de femmes de cinéma d’exception ». Il est organisé par l’association parisienne Le Lab Femmes de cinéma.
https://lesarcs-filmfest.com/fr/program­mation/femme-de-cinema
Cette association vise à faire évoluer la place des femmes au cinéma par différents moyens : communications, débats, conférences, mises en avant de femmes travaillant dans le cinéma, publications d’études, etc.
https://femmesdecinema.org/

MUSÉES, EXPOSITIONS

Les femmes s’emparent du cinéma, l’exposition. Du 11 au 31 mai 2021, Hôtel de Ville de Paris.
https://www.afcinema.com/Les-femmes-s-emparent-du-cinema-l-exposition.html

Filmmak-Her : une exposition qui met à l’honneur les femmes au cinéma en rapprochant illustration et septième art. Association 24FPS, Parme (Italie), 2022.
https://www.floornature.eu/design-trends/filmmak-her-une-exposition-qui-met-lahonneur-les-femmes-au-c-17411/

DANS LES PROGRAMMES

Trois textes de référence sur l’égalité filles-garçons. Eduscol, 2021.
https://eduscol.education.fr/1655/textes-de-reference-sur-l-egalite-filles-garcons
Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, 2019-2024 : https://eduscol.education.fr/document/22321/download
Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000027677984
Code de l’éducation : Article L121-1 : « Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur […] contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’orientation. »

Labellisation Égalité filles-garçons des établissements du second degré. Bulletin officiel n° 11 du 17 mars 2022 :
https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo11/MENE2207942C.htm

Enseignement optionnel d’arts : cinéma-audiovisuel
BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019.
https://eduscol.education.fr/2392/cinema-et-audiovisuel
https://eduscol.education.fr/1679/programmes-et-ressources-en-cinema-audiovisuel-voie-gt

PISTES PÉDAGOGIQUES

Dans le cadre du club ciné, diffuser les films des autrices puis initier un débat : en quoi ces films sont-ils représentatifs de l’engagement de la réalisatrice, scénariste, productrice ?

Organiser une séance sur le test de Bechtel wallace avec un professeur de mathématiques pour réaliser des statistiques concernant la présence des femmes dans les films et, notamment, le rôle qui leur est dévolu.

Recherches documentaires sur les femmes actrices, réalisatrices, productrices, scénaristes puis réalisation de portraits publiés sur E-sidoc, affiches d’exposition, articles dans le journal de l’établissement ou blog, infographies avec Genially ou Canva.

Participation à un des ateliers d’analyse d’images sur les stéréotypes sexués dans les films proposés par le centre Simone de Beauvoir.

Participer à un des concours de réalisation de vidéos, exemples : « Buzzons contre le sexisme » ou le concours de courts métrages “Et pourtant elles tournent”.

Lors d’un festival, rencontrer des autrices, scénaristes, productrices. Au préalable, entraînement à l’expression orale en préparant les élèves à la réalisation d’une interview enregistrée et à la rédaction de questions de type journalistique. Le jour J, certains élèves sont sur scène en tant que modérateur et journalistes ; les autres, dans le public, posent également des questions.

Escape game sur les femmes dans le cinéma à travers les films, les bandes dessinées et les romans du CDI, puis lecture ou visionnage et critique des œuvres.

Dans le cadre du dispositif, Lycéens, collégiens au cinéma, choisir les films réalisés par des femmes, faire intervenir une professionnelle du cinéma.

Filmographie

Documentaires

Imbert, Claudia. L’image de la femme sous domination masculine. Square Idée, ARTE GEIE / Zadig Productions, 2019. 26 min.
Série féministe de 24 films courts, écrits par 24 autrices et jouée par 24 actrices engagées contre les discriminations à l’égard des femmes dans tous les domaines. Cet épisode est consacré aux stars féminines d’Hollywood.

Maïga, Aïssa ; Simeoni, Isabelle. Regard noir. 2020, 74 mn.
Le cinéma français est-il raciste ? Le regard d’Aïssa Maïga. Le journal Afrique : TV5MONDE, 24 avril 2021, 8 mn 39. Entretien avec l’actrice, Aïssa Maïga et la réalisatrice Isabelle Simeoni, autrices du documentaire, Regard noir.
https://information.tv5monde.com/video/le-cinema-francais-est-il-raciste-le-regard-d-aissa-maiga

Masduraud, Nathalie ; Urréa, Valérie ; Bocquet, José-Louis. Alice Guy – L’inconnue du 7e art. ARTE France / 10.7 Productions, 2021. 53 min.

Varda, Agnès. Varda par Agnès. Arte, 2019. Agnès Varda raconte son parcours et ses engagements en tant que réalisatrice.

Watson, Emma. Brut. 2018, 3 min 18 s. Portrait de l’actrice britannique féministe et engagée dans la lutte contre le harcèlement sexuel.
https://youtu.be/fnGutzryjUg

Fictions

Quelques exemples de films engagés réalisés par des femmes.

Al-Mansour, Haifaa. Wadjda. Highlook Communications Group, 2013, 97 mn.

Diwan, Audrey. L’événement. Rectangle Productions, 2021, 1 h 40 min.

DuVernay, Ava. Selma. Harpo films, 2014, 2 h 08 mn.
Productrice, réalisatrice engagée dans la défense des droits des Afro-Américains.

Nair, Mira. Salaam Bombay. Éditions Montparnasse,1988, 1 h 49 mn.
Productrice engagée, notamment sur la condition des femmes indiennes, les enfants des rues en Inde, le racisme, le déracinement et les migrations.

Schrader, Maria. She said. Universal pictures, 2022, 2 h 09 mn. Sur les agressions sexuelles dans le milieu du cinéma hollywoodien, notamment l’affaire Weinstein.

Sciamma, Céline. Portrait de la jeune fille en feu. Pyramide films, 2019, 1 h 59 mn.

Varda, Agnès. Sans toit ni loi. Ciné-Tamaris,1985, 105 mn. Avec Sandrine Bonnaire.

Winocour, Alice. Proxima. Pathé, 2019, 1 h 47 mn.

ARTICLES

Bouchez, Renaud. TITANE : quelques questions brûlantes à Julia Ducournau, entretien. SoFilm, 2021. (Réalisatrice engagée sur la question du genre, le cinéma inclusif, notamment.)
https://sofilm.fr/titane-ducournau-trois-questions/

Cauhapé, Véronique ; Carpentier, Laurent. L’esquisse d’un amour. Le Monde n° 23127, 21/05/2019, p. 18. Sur le film Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma et l’actrice Noémie Merlant.

Chen, Minjiang ; Ledroit, Valentin. L’égalité femmes-hommes dans le cinéma en Europe (infographie). Touteleurope, 16 mai 2022.
https://www.touteleurope.eu/societe/infographie-l-egalite-femmes-hommes-dans-le-cinema-en-europe

Da Rocha, Alexandra. Abus sexuels : que dénonce Adèle Haenel ? Le monde des ados n° 440, 20/11/2019, p. 8.

Diop, Alice ; Legros, Claire. Un train d’avance. 5/6, « Filmer le RER est une façon d’explorer des trajectoires sociales ». Le Monde n° 23807, 24/07/2021, p. 26.

Fabre, Clarisse. Les pionnières retrouvées du cinéma muet. Le Monde n° 22902, 30/08/2018, p. 15.

Lequeux, Emmanuelle. Femmes artistes oubliées. 1/6, Alice Guy, près de mille films et cent ans d’oubli. Le Monde n° 23199, 13/08/2019, p. 19.

Lesnes, Corine. Les six vies de Jane Fonda. Jane Fonda, féministe à l’œuvre. Le Monde n° 24137, 13/08/2022, p.18-19.

Maïga, Aïssa ; Pluyaud, Louise. Aïssa Maïga. Le monde des ados n° 484, 17/11/2021, p. 32-33. Actrice et réalisatrice engagée contre le réchauffement climatique et la place des femmes noires au cinéma.

Leprince, Chloé ; Laude, Olivier. Shonda Rhimes. Topo n° 036, 07/2022, p. 36-37. Productrice américaine engagée sur la question des minorités ethniques et sexuelles.

Megia, Carlos. La sororidad de mujeres latinas que está cambiando Hollywood. Vocable (Espagnol) n° 798, 14/11/2019, p. 12-13.

Motrot, Isabelle. Olivia de Haviland, l’ingénue qui fit plier Hollywood. Causette n° 22 HS, 12/2022, 26-29 p.

Mourgere, Isabelle ; Terriennes ; AFP. Sacheen Littlefeather, celle qui a défié les Oscars, est morte. TV5MONDE, 04 octobre 2022. (Actrice, militante pour les droits des indiens d’Amérique.)
https://information.tv5monde.com/terriennes/sacheen-littlefeather-celle-qui-defie-les-oscars-est-morte-473608

Ovidie ; Raybaud, Alice. «J’ai dérangé, la société me l’a fait payer». Le Monde n° 23965, 25/01/2022, p. 10 du Cahier Campus.

Périllon, Thomas. Alice Winocour | Interview. Le Bleu du Miroir, 2019.
http://www.lebleudumiroir.fr/alice-winocour-interview-proxima/

Robert, Bleuenn. Les femmes scénaristes à l’honneur au marché du film de Cannes. Le Figaro, 25/05/2022.
https://www.lefigaro.fr/festival-de-cannes/les-femmes-scenaristes-a-l-honneur-au-marche-du-film-de-cannes-20220525

RADIO

Bastide, Lauren. La Poudre, Nouvelles Écoutes : https://nouvellesecoutes.fr/podcasts/.
Depuis 2016, Lauren Bastide reçoit dans cette émission des femmes militantes ; elle a notamment interviewé de nombreuses scénaristes, réalisatrices et productrices : Aïssa Maïga, Alice Diop, Amandine Gay, Céline Sallette, Déborah Lukumuena, Fanny Herrero, Helena Noguerra, Houda Benyamina, Inès Rau, Iris Brey, Julie Gayet, Katell Quillévéré, Laurence Lascary, Océan, Ovidie, Sonia Rolland.
L’épisode 1 était consacré à Rebecca Zlotowski.
https://podcasts-francais.fr/podcast/la-poudre/episode-1-rebecca-zlotowski

Céline Sciamma. France Inter, 20/07/2020, 1 h 45 mn.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-atelier/celine-sciamma-4846356

Osez le féminisme ! Épisode 12 : Les femmes au cinéma. Émission les Voies Féministes. Radio GMT et Radio Occitania, 2019.
https://www.mixcloud.com/Justine_13/les-voies-f%C3%A9ministes-episode-12-les-h%C3%A9ro%C3%AFnes-de-cin%C3%A9ma/

Petit, Pauline. Le test de Bechdel-Wallace, cinéma label féministe. Radiofrance, 14 septembre 2022, 7 mn.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-test-de-bechdel-wallace-cinema-label-feministe-1222203

 

 

Le carnet de voyage

Le carnet de voyage est une création polymorphe qui amène à découvrir un Ailleurs, l’Autre au travers du filtre de la culture de l’auteur. Exploration intime où les médiums se complètent et s’harmonisent au service des émotions, le carnet de voyage est un style littéraire et plastique à part entière. L’œuvre artistique est complète et l’expérience immersive totale pour le lecteur. Bien plus qu’un retour d’expérience touristique ou qu’une simple succession de paysages, l’artiste propose une alternative à des lecteurs en quête de découvertes. Pour Christine Gadrat-Ouerfelli1, de premières traces de carnets de voyage émergent dans les récits de pèlerinage dès la fin du Moyen Age, et on peut citer comme exemple le plus précoce le carnet du frère augustin Jacopo de Verona se rendant en Terre Sainte en 1335. Pour autant, comme l’indique Pascale Argod2, c’est bien plus tard, en pleine vogue de l’orientalisme au XIXe siècle, que le peintre Eugène Delacroix va structurer ce genre à partir de ses carnets de travail constitués au Maroc. Le carnet de voyage devient support d’étude anthropologique et ethnologique, cet apport influencera alors d’autres artistes comme Paul Gauguin pour ses travaux à Tahiti.
Offrons ainsi au carnet de voyage une place de choix dans nos CDI, où il peut mener autant vers les thématiques du voyage que de l’engagement. Il peut servir de support aux questions relatives au travail journalistique ou encore accompagner des travaux d’écriture ou de créations artistiques.

Le carnet de voyage offre au lecteur un temps de pause, une respiration dans un ailleurs, qui peut représenter une immersion dans un quotidien différent. Quand toute la subjectivité de l’auteur induite par l’exercice est acceptée, c’est alors pour le lecteur un saut dans l’inconnu qui l’amène à ne plus se satisfaire d’un simple défilement de paysages et l’encourage à voir la beauté du quotidien, de sentiments offerts par un texte, un dessin ou un collage.

Dès lors, le lecteur s’ouvre à cet ailleurs, prêt à s’attacher aux détails, tant qu’ils procurent des émotions, comme c’est le cas dans Voyage dans mon jardin où nous accompagnons, au fil des saisons, Nicolas Jolivot dans son jardin familial. Un ailleurs qui n’a rien d’exotique et qui, pourtant, va dérouler saison après saison son lot de révélations. Après trente années d’explorations, de découvertes aux quatre coins du monde, un besoin irrépressible émerge pour l’auteur de revenir à l’essentiel, de s’épancher sur la faune et la flore de ce simple bout de terre de trois cents mètres carrés. Au fil des pages, le carnet rend hommage aux herbiers d’autrefois où une place importante est faite aux descriptions de plantes à la manière des planches lithographiques. Les insectes et autres petits animaux ne sont pas en reste et les dessins s’attachent à les décrire au plus proche de la réalité. L’écriture simple des observations devient poétique et nostalgique, le lecteur s’attache petit à petit à la vie de ses habitants. C’est avec l’ensemble de ces éléments que l’auteur va donner une consistance à son carnet et créer une proximité avec le lecteur.

Avec cette même approche, Nicolas de Crécy dans Sur les routes, carnet en poche se penche sur son travail en reprenant certaines de ses illustrations réalisées ces vingt dernières années et propose de livrer les étapes d’élaboration de ces paysages croqués au détour d’une rue, d’une place de France ou du Brésil. Cette mise en perspective du contexte créatif éclaire alors l’œuvre, et l’œil du lecteur ne s’attarde plus sur les mêmes détails, ouvrant alors le champ d’observation.

Quand le trait et la couleur sont accompagnés, expliqués, argumentés, ils offrent ainsi plus de perspective à l’illustration. Nous retrouvons dans les carnets de voyage de Stéphanie Ledoux cet attachement à la technique au service de l’émotion, comme c’est le cas dans Trait pour trait. Ici, si les portraits servent à sublimer les différentes cultures rencontrées, la lecture nous amène surtout rapidement à être touché par la force des regards et donc à créer du lien.

On retrouve la même volonté dans Manabé Shima, où Florent Chavouet propose au lecteur de vivre au plus près son expérience d’un été sur une île japonaise. Cette proximité est créée par les choix techniques qui engagent le lecteur à entrer dans les illustrations, puisque textes et dessins ne font qu’un. Le foisonnement de détails, tant graphiques que textuels, ne laisse pas indifférent, il peut nous amener à chavirer, mais, après une respiration, on plonge à nouveau au plus près du quotidien des habitants de cette île. Nous suivons les aventures rocambolesques de l’auteur comme lors d’une journée de pêche, ou lors des fêtes traditionnelles, et rapidement nous nous attachons aux personnes rencontrées grâce aux portraits réalisés. Le jeu de perspectives utilisé pour la description des espaces happe le regard du lecteur et l’on s’attache à découvrir le moindre détail. L’auteur récidive avec les mêmes choix artistiques, crayons de couleur et pastels dans Touiller le Miso rendant toujours plus concrètes les ambiances du Japon quotidien, loin du tumulte moderne.

Une expression de l’imagination

Ce genre littéraire peut aussi servir à libérer l’imagination, ouvrir vers des aventures dans des contrées inconnues. Dans cette catégorie, on ne peut que s’émerveiller du travail de l’artiste Noah J. Stern, qui nous offre un ouvrage d’art, grand format, pour découvrir un nouveau continent dans Terra Ultima, où la nature prospère sans la présence humaine. Nous suivons ce biologiste dans son travail d’archiviste auprès de l’explorateur Raoul Deleo. Mission lui est donnée de rendre accessible au plus grand nombre les résultats des trois explorations qu’il a menées. Les notes de l’explorateur montrent comment celui-ci va être tout à la fois malmené par la nature aux paysages fabuleux, et émerveillé devant tant d’espèces hybrides rencontrées. Les planches descriptives de ces animaux sont somptueuses tant par les couleurs utilisées que par les détails apportés. On se prend alors à imaginer notre rencontre avec la Coccinellursus Hexapedus ou encore, le soir venu, à entendre le chant de la grenouille bleue à queue en éventail.

Nous pouvons retrouver ce même type de travail d’écriture et d’illustrations dans un ouvrage collectif, Alpha Bestiaire, Carnet rêvé d’André Thevet. Ici, la découverte d’un monde fictif est proposée sous la forme d’un Abécédaire. Une construction simple et homogène : une illustration centrale sur une page et la description sur la page suivante. Ce carnet est proposé par des artistes charentais regroupés dans le collectif Paon! fondé en 2008. Ils rendent hommage à André Thevet, angoumoisin né en 1516, moine cordelier puis explorateur et cosmographe du roi, qui rapporta de ses voyages de nombreux carnets et croquis. La proposition graphique, utilisant du noir et du jaune uniquement, donne une dynamique et une uniformité au carnet, alors que les illustrations sont graphiquement différentes car réalisées par 26 artistes. Le lecteur, sourire aux lèvres grâce au ton volontairement décalé, découvre une faune et une flore loufoques, des anecdotes effrayantes ou absurdes.

Une approche différente du carnet de voyage fictif est proposée par Emmanuel Lepage, dessinateur et scénariste de bandes dessinées. Il est l’instigateur avec Sophie Michel, scénariste, d’une série en trois tomes autour du thème central de la mer dont le premier volume, Les voyages d’Anna, embarque le lecteur dans la relation entre Jules Tulet, dessinateur-explorateur, à la fin du XIXe siècle, et «sa muse» Anna, une jeune vénitienne qui décide de tout quitter pour rencontrer le monde. C’est bien plus tard, entourée des carnets que Jules lui a donnés, qu’Anna, à l’aube de ses cent ans, lui confie ses sentiments dans une lettre. Sous la forme d’un roman épistolaire illustré et scénarisé, nous découvrons au fil des pages et du temps qui passe, les différents croquis, esquisses et tests de couleurs de l’artiste, pour aboutir à la réalisation d’une toile. Nous partons à la découverte d’un périple mené de 1885 à 1910 dans un monde incertain, inconnu et inaccessible. On ressent l’extraordinaire au travers des rencontres, des échanges et des liens créés. On touche toute la subjectivité de l’artiste pour rendre compte des paysages visités.
Si le second tome, Les voyages d’Ulysse, reprend les codes classiques de la bande dessinée, le dernier tome, Les voyages de Jules, quant à lui, est un roman épistolaire illustré entre le carnet de voyage et le carnet de notes dont le narrateur est Jules Tullet. On suit les échanges avec les deux autres personnages, Anna et Ammôn, rencontrés dans les précédents titres. Dans cette dernière rencontre, Jules couche sur papier l’origine de sa vocation de peintre et de sa fascination pour la mer.

Une trace journalistique

Si le carnet de voyage nous propose de partir à la rencontre des cultures, de nouveaux paysages réels ou fictifs, il peut devenir aussi la trace d’un journalisme d’investigation, témoignant d’un quotidien, informant le lecteur d’une situation donnée. Le carnet de voyage se veut alors la mémoire d’un événement, support d’un reportage ou d’un documentaire.

C’est avec cet objectif, que la glaciologue française Lydie Lescarmontier et le dessinateur Romain Garouste ont abordé l’écriture de l’ouvrage L’Empreinte des Glaces. Nous sommes invités à embarquer dans l’un des derniers voyages de l’Astrolabe, ce navire emblématique, qui, pendant 28 ans, voguant vers la Terre Adélie, a servi à ravitailler en vivres et en matériel, la base scientifique mise en œuvre par l’Institut polaire français Paul-Émile Victor. La lecture de ce carnet, en tant que mémoire de ce brise-glace, est emplie d’émotions. Au fil des chapitres, il nous dévoile des moments de vie sur et sous son ponton. Cette personnification donne toute son intensité à cette dernière traversée. Les différents documents et photos proposés accompagnent la mémoire, alors que les aquarelles bleues et les dessins au crayon gris révèlent toute la puissance de ces contrées lointaines et hostiles nécessaires à l’équilibre de la vie sur Terre. L’ensemble permet d’aborder la question du travail scientifique en Antarctique au regard du réchauffement climatique.

Avec pour même objectif, de sensibiliser aux travaux de recherche, on peut citer le travail du naturaliste A. Dan, que l’on accompagne dans Des gorilles et des hommes, Carnet de voyage naturaliste au Congo Brazzaville. Pendant 7 semaines, en 2014, intégré à une équipe de chercheurs primatologues du CNRS de Rennes, nous le suivons à la découverte des gorilles et grands singes. Le carnet débute dès les prémices du projet et l’on va suivre toute l’expédition de manière chronologique avec un équilibre entre les textes documentaires, les photos, les esquisses aux crayons et les dessins plus aboutis. L’ensemble est d’une grande richesse tout en restant accessible, avec pour objectif de nous sensibiliser aux conditions de vie et survie de ces animaux. Les portraits des gorilles sont d’une grande intensité, et l’on ne peut rester indifférent au soin apporté aux regards. L’auteur, marqué par cette expérience, poursuit son travail en proposant une adaptation en bande dessinée, quelques années plus tard, dans Le Oki d’Odzala.

Le carnet de voyage, sans dénaturer la réalité par le texte ou l’illustration, avec une forme de sobriété dans la transmission, peut amener le lecteur à réfléchir. Il provoque une mise en perspective de certains faits historiques, et s’il s’offre avec sincérité, permet une prise de conscience. C’est le cas pour le travail de Véronique Abadie et de Brigitte Maizy dans Vivre en terres contaminées : au cœur des territoires du Sud de la Biélorussie. Cette enquête, retranscrite sous forme de carnet de voyage, propose d’appréhender la situation des hommes et des femmes vivants sur des territoires contaminés à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. Les auteures abordent l’impact de cet accident nucléaire dans le quotidien actuel des habitants de ces territoires biélorusses. Sans jamais entrer dans le pathos, les auteures exposent les étapes de cette enquête, les difficultés rencontrées et les obstacles mis sur leur chemin. Les aquarelles minimalistes illustrent avec sobriété l’environnement traversé.

Avec un autre style, Pyongyang, Chroniques Birmanes et Chroniques de Jérusalem sont des bandes dessinées documentaires qui témoignent des conditions de vie dans des pays aux situations politiques complexes et conflictuelles. Avec humour et délicatesse, Guy Delisle se pose en témoin curieux et discret. Les illustrations, d’un trait minimaliste, noir et précis, se font vivantes et expressives, donnant du rythme à la lecture.

Dans cette même veine, on retrouve un traitement de l’information proche dans le travail de Fabien Toulmet qui aborde des événements de l’actualité mondiale. Ainsi, dans Les reflets du monde : en lutte, il se met en scène lui-même, expliquant la genèse de ce travail journalistique qui propose de partir à la rencontre de personnalités engagées dans leur pays. Comme il l’écrit : « Je vais donc rencontrer des gens qui vivent ces événements à l’intérieur pour qu’ils m’expliquent les choses et que je puisse vous les rapporter ».

Visuellement étonnant par la construction et la place du document, le travail de Solveig Josset cherche aussi à témoigner d’une forme de violence dans son ouvrage Georges : Le voyage sans retour. Dans ce carnet de route, l’auteur rend hommage à un trisaïeul, condamné à cinq ans de travaux forcés en Guyane au début du XXe siècle pour vol. Il aborde son travail d’écriture sans complaisance, mais rend compte de la noirceur du bagne. Par les choix de mise en forme du carnet, la fusion entre la littérature et les arts visuels rend la parole à cet homme que rien ne prédestinait à ce parcours de vie.

Enfin, on peut citer le travail de Gaspard Talmasse dans la bande dessinée Le grand Voyage d’Alice qui décrit la fuite d’une jeune Rwandaise obligée de quitter son pays en 1994 lors de la guerre civile. C’est à hauteur d’enfant et avec les mots de cette petite fille de 5 ans que l’auteur transmet un témoignage fort sur cette folie meurtrière. Alors que les dessins à l’aquarelle et la palette des couleurs subliment les paysages d’Afrique, les gros plans sur les personnages rendent visibles l’expression de la violence et de l’horreur de la guerre. Gaspard Talmasse a été lauréat pour cet ouvrage du Prix Médecins sans Frontières en 2021, attribué lors du Rendez-vous International du carnet de voyage.

Nous le voyons, le carnet de voyage offre la possibilité aux lecteurs d’une prise de conscience en racontant la vie ailleurs, avec pudeur et émotions, et constitue un moyen intéressant de rendre compte de l’actualité ou de faits de société dans un but informatif et documentaire. Il peut être vecteur d’engagement auprès des élèves en s’appuyant sur les dialogues interculturels.