Qu’est-ce que la dyslexie ?
La dyslexie a été pour la première fois décrite par l’ophtalmologiste allemand Oswald Berkhan en 1881. Cependant, ce n’est qu’en 1991 que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) reconnaît la spécificité de ce trouble du développement des acquisitions scolaires et le classe parmi les handicaps. Selon l’OMS, la dyslexie est donc un trouble spécifique de la lecture ; il s’agit également d’un trouble persistant de l’acquisition du langage écrit. Ainsi, la dyslexie se traduit par une grande difficulté à lire, à écrire et à assimiler l’orthographe, pour les enfants et adolescents (8 – 15 ans). La dyslexie se manifeste aussi régulièrement par :
- un retard évident dans l’apprentissage de la lecture et l’écriture,
- un trouble de l’attention, de la concentration et de la compréhension,
- une difficulté à faire la différence entre des mots graphiquement proches,
- une difficulté à faire la différence entre des lettres graphiquement proches,
- une difficulté à épeler des mots inconnus ainsi que des mots trop longs,
- une difficulté à apprendre et à assimiler des langues étrangères,
- des problèmes de motricité, de mémoire et de coordination.
La dyslexie est souvent diagnostiquée deux ans après le début de l’apprentissage de la lecture, c’est-à-dire en classe de CE2 ; un bilan orthophonique est alors préconisé pour confirmer le diagnostic. Ce trouble toucherait aujourd’hui entre 8 et 10 % des enfants (mais 3 fois plus les garçons que les filles), selon l’OMS, et concernerait tous les milieux socioculturels.
La dyslexie a des répercussions sur la scolarité d’un enfant : mauvaise tenue des cahiers scolaires (incomplets, illisibles, incompréhensibles), difficultés d’apprentissage dans de nombreuses matières, problèmes de compréhension, résultats scolaires en dessous des efforts fournis… Mais ce trouble a également des conséquences psychologiques telles que la difficulté à gérer des situations où il est nécessaire de lire ou écrire, et une baisse de l’estime de soi.
Dyslexie et lecture
Du fait de ces difficultés, lire est souvent vécu comme un acte éprouvant et fatiguant pour un dyslexique. En effet, sa lecture est souvent fausse, hachurée et lente. À titre comparatif, alors qu’un enfant de CM2 non dyslexique lit 120 à 130 mots par minute, un enfant dyslexique ne lira lui que 40 à 60 mots par minute. L’enfant dyslexique peut alors finir par renoncer, et opter pour des stratégies d’évitements dès lors qu’il est confronté à une situation dans laquelle il doit lire.
De la même manière, les adultes, et en particulier les enseignants, peuvent parfois être tentés, pour ne pas mettre l’élève dyslexique en difficulté, de ne pas le faire lire en classe ou, pour les parents, à la maison. Un choix que les spécialistes de la question n’encouragent pas, d’autant plus qu’il existe aujourd’hui de nombreuses techniques et astuces pour aider un enfant dyslexique à lire plus facilement et à y trouver du plaisir : s’aider d’une règle pour suivre le texte, jouer sur les couleurs pour distinguer les syllabes, adapter la taille et le choix de la police de caractère, ne pas souligner les erreurs de manière insistante, ne pas bousculer l’enfant, être positif…
Les éditeurs et la dyslexie
De façon presque unanime les parents, enseignants, libraires, bibliothécaires, orthophonistes… constataient il y a encore peu de temps un manque criant de livres adaptés aux dyslexiques. Il fallait faire avec les moyens du bord en privilégiant parfois des lectures plus courtes (parfois plus enfantines aussi) ou des livres audio. Il existait bien quelques titres adaptés aux dyslexiques chez certains éditeurs (La Plume de l’Argilète ou Delie les mots), malheureusement peu nombreux et largement méconnus du grand public.
Cependant, depuis deux ans, une petite révolution s’opère dans le paysage éditorial de la littérature jeunesse française. Constatant un réel besoin, quelques éditeurs plus connus ont vu dans le créneau des livres pour dyslexiques un nouveau marché. Depuis fin 2015, plusieurs collections sont nées : Dys chez Castelmore, Colibri chez Belin, Dyscool chez Nathan et Flash Fiction chez Rageot.
Interrogés sur les motivations qui les ont poussés à se lancer sur le créneau, les éditeurs revendiquent tous le désir de faire découvrir la « lecture plaisir » à tous les enfants. Ainsi Jennifer Bentini, présidente de La Plume de l’Argilète (association de professionnels de la santé, spécialisée en édition adaptée) explique : « Nous avons fait en 2013 le constat d’un vide dans les livres adaptés aux lecteurs dyslexiques. Alors qu’on trouve profusion de nouvelles publications chaque année pour le grand public, on a tendance à oublier les lecteurs qui ne peuvent pas découvrir aussi facilement que les autres les attraits de la lecture. Créer une collection pour les DYS, c’est permettre à des personnes pour qui la lecture est souvent une épreuve de lire pour le plaisir. »
Si on ne peut nier le but économique lié à l’émergence de ces nouvelles collections (qui concerneraient potentiellement 8 à 10 % des jeunes lecteurs), on se réjouit tout de même de ce réveil éditorial. Ainsi, alors que les enfants dyslexiques n’avaient encore accès il y a peu qu’à un choix très restreint de titres, l’émergence de ces nouvelles collections devrait rapidement étoffer le catalogue.
Des collections élaborées avec des spécialistes du langage
Publier des romans adaptés aux dyslexiques ne s’improvise pas. Les éditeurs ont tous fait appel à des spécialistes du langage pour établir les spécificités de ces nouvelles collections. Ainsi la collection Dys chez Castelmore est née d’une collaboration avec l’association La Plume de l’Argilète, comme le raconte Jennifer Bentini : « Nous nous sommes rencontrés sur le salon du livre de Bruxelles en 2015. L’entente et l’intérêt commun autour de l’adaptation DYS ont été immédiats. Deux mois plus tard, le partenariat se nouait, Castelmore choisissant de nous faire confiance pour l’adaptation de certains de ses ouvrages. »
Les éditions Belin ont sollicité l’aide des chercheurs de l’Université Toulouse-Jean Jaurès, spécialistes des sciences du langage ; une petite équipe de quatre personnes s’est ainsi formée autour de ce projet lancé par Marie Mazas, directrice de collections aux éditions Belin. Ensemble, ils ont élaboré deux outils à destination des auteurs : une Charte de « contribution scientifique et pédagogique à la collection Colibri, l’amie des dys » et une boîte de mots.
Chez Rageot, c’est une orthophoniste au centre Paris Santé Réussite, également professeure à l’Université de Médecine Pierre et Marie Curie, Monique Touzin, qui a été sollicitée par Hélène Daveau, la directrice de la collection Flash Fiction : « Elle est majoritairement intervenue au moment du travail sur le manuscrit, notamment concernant les questions de lexique et d’implicites. À certaines étapes, elle testait le manuscrit avec un de ses patients […]. Nous l’avons aussi consultée sur la définition de la tranche d’âge des textes, l’élaboration de la maquette, de la teinte du papier… etc. ».
Quant à Nathan et sa collection Dyscool, elle repose sur un partenariat noué avec MOBiDYS, une jeune start-up nantaise créée par deux femmes : Nathalie Chappey (orthophoniste) et Marion Bertaut (spécialiste du numérique).
Quelles spécificités ?
La collaboration avec des spécialistes du langage et de la dyslexie a permis aux éditeurs de faire émerger les spécificités de leur future collection. Du fait des difficultés rencontrées par les dyslexiques, il fallait nécessairement que les textes, tout comme leur mise en page, soient adaptés. Chaque éditeur s’est alors distingué par le choix de ses titres, de la collaboration nouée avec les auteurs, de la structuration et de la composition des ouvrages.
Le choix des titres et la collaboration avec les auteurs
Selon les collections, les éditeurs ont fait le choix de publier pour certains des romans inédits et spécifiquement conçus pour les dyslexiques, comme Belin et Rageot, tandis que d’autres, comme Castelmore et Nathan, ont privilégié le positionnement inverse : adapter leurs romans « best-seller » dans une version DYS. « Les romans de la collection n’ont pas été spécialement écrits pour la collection, nous souhaitons au contraire proposer aux lecteurs qui ont des difficultés de lecture les mêmes auteurs, les mêmes univers, les mêmes livres que ceux proposés à leurs amis ayant plus de facilités » explique ainsi Bleuenn Jaffres des éditions Castelmore. Un choix également revendiqué par Mathilde Bonte-Joseph pour la collection Dyscool : « Notre démarche est inclusive : il n’est pas question de leur proposer uniquement des textes spécifiquement créés pour eux. Notre ambition est de rendre nos meilleurs textes accessibles au plus grand nombre, quelles que soient leurs difficultés. »
Le rôle des auteurs dans la construction de ces nouvelles collections est dès lors très différent. Belin a sans doute été le plus encadrant avec sa charte d’écriture et sa boîte de mots remises à chaque auteur. Ces derniers ont rédigé leurs textes en fonction, avant d’être corrigés par les chercheurs du projet. Hélène Daveau, éditrice chez Rageot, revendique aussi une collaboration étroite avec les auteurs : « Nous nous sommes d’abord mis d’accord sur la base du texte : l’histoire racontée, la structure, les héros […]. Ensuite a commencé un travail de plus longue haleine : nous avons relu les textes plusieurs fois avec à l’esprit les potentielles difficultés de déchiffrage ou de compréhension qu’ils pouvaient poser […] Les auteurs se sont prêtés à cet exercice avec beaucoup d’envie et de disponibilité. »
Pour Castelmore et Nathan, le positionnement était dès l’origine différent. Les modifications opérées semblent moins conséquentes, même si chez Castelmore on explique que l’adaptation DYS a nécessité quelques réécritures, simplifications et redécoupages du texte.
Dans tous les cas, les auteurs peuvent se féliciter, à travers ces collections, de toucher ainsi un nouveau lectorat.
Une mise en page particulière
Modifier le fond, oui, mais aussi la forme. Les collections pour enfants dyslexiques se caractérisent aussi par une mise en page très différente des ouvrages habituels, afin que que le confort de lecture soit maximum. Là encore, ce sont les spécialistes du langage et de la dyslexie qui ont aidé les éditeurs à élaborer leurs chartes graphiques qui ont toutes des constantes : un papier dans des tons plus « beige » (pour limiter les contrastes et le stress visuel), une typographie sans empattement (Verdana, Dyslexie…), de gros caractères, un interlignage et un espacement des mots importants, et enfin des paragraphes et phrases plus courts pour respecter la durée de concentration des dyslexiques. « Nous avons essayé de travailler tous ces facteurs, de manière à ce que l’expérience de lecture soit la plus confortable possible » commente ainsi Hélène Daveau (Rageot).
Les romans sont aussi souvent accompagnés d’illustrations. Là encore, il a fallu réfléchir à leur place (bien séparée du texte) et à leur rôle. Ainsi, chez Rageot, les illustrations ne sont pas seulement un plus, elles viennent aussi éclairer le texte.
Avec Dyscool, Nathan propose une offre différente puisque les ouvrages ont tous été conçus d’abord pour un format numérique. Aux spécificités développées pour une impression papier, l’éditeur a donc pu intégrer des fonctionnalités 100 % numériques, comme une aide visuelle ou audio sur demande, une définition des mots accessible en ligne, la colorisation des phonèmes ou des syllabes, une fenêtre de lecture dynamique, un marque ligne et un réglage du contraste adaptable à tous.
Contraintes de longueur
Au-delà de l’adaptation de la forme et du fond, les éditeurs expliquent aussi qu’ils sont tout de même obligés de proposer des textes plus courts : « À tranche d’âge équivalente, ils sont plus courts que la majorité des ouvrages que l’on trouve en librairie », explique Hélène Daveau, dont la collection Flash Fiction qui se destine au 8-12 ans ne comporte pas de titres dépassant les 100 pages. La raison ? Les difficultés des dyslexiques à cet âge les empêchent de lire des romans plus longs.
Chez Castelmore aussi on évoque ce souci, même s’il est plus pragmatique : « on évite les livres trop longs en version classique, car la version en DYS est encore plus longue et le livre plus épais. Cela pourrait décourager les lecteurs et donnerait un prix de vente trop élevé ».
Premiers bilans et perspectives d’évolution
Si les professionnels du livre, les enseignants, les orthophonistes et les parents saluent unanimement l’émergence de ces nouvelles collections, il est encore trop tôt pour faire un bilan du réel impact de ces lectures adaptées sur les troubles des enfants DYS. Chez Nathan, Nathalie Chappey est la seule à noter déjà quelques résultats : « Les enfants arrivent à se concentrer sur le sens de l’histoire. En quelques séances de travail, ils progressent et montrent leur désir de continuer à lire. Ils lisent avec un meilleur rythme. Le nombre d’erreurs baisse sensiblement. Et surtout, ils finissent le livre sans contrainte ». Un constat à relativiser et qui ne pourra finalement se faire qu’avec le temps et le développement de nouveaux titres. Et cela semble bien parti car, pour l’heure, les éditeurs semblent plutôt satisfaits des résultats économiques de ces collections et envisagent de développer leur catalogue.
Et le professeur documentaliste ?
Acheter et promouvoir
L’une des missions du professeur documentaliste est d’acquérir un fonds qui soit en adéquation avec les besoins des élèves et de l’équipe pédagogique. Dès lors, ces nouvelles collections semblent avoir toute leur place au sein des CDI. Si les romans de la collection Colibri semblent plutôt destinés à un niveau primaire (tant par la taille des ouvrages que par leurs thèmes), quelques titres pourront être sélectionnés dans la collection Flash Fiction, pour des élèves de 6e notamment. Les romans DYS de Castelmore sont eux clairement à destination des ados. Quant à Dyscool chez Nathan, les premiers titres au format papier viennent de sortir ; ainsi, si le CDI ne possède pas de tablettes numériques, cela offre une bonne alternative.
Une fois ces livres achetés, on pourra informer l’équipe enseignante et notamment les professeurs de français, très demandeurs, des spécificités de ces collections. Nul doute que les ouvrages devraient recevoir un bon accueil de leur part, mais aussi de la part des élèves DYS qui auront plaisir à avoir entre les mains un livre adapté à leurs besoins !