Gamification, ludification, ludicisation, nombreux sont les mots qui rendent compte, à partir des années 1980, du mouvement d’expansion des pratiques ludiques dans la société et de la place prise par le jeu comme outil et/ou support d’apprentissage.
La question n’est pas nouvelle. Dès l’Antiquité, les cartes sont utilisées pour faire découvrir des connaissances sur les planètes, les vertus cardinales, les muses… À la Renaissance, la journée type d’une éducation humaniste fait une place au jeu pour apprendre les mathématiques. Reconnu pour son potentiel éducatif, le jeu irrigue peu à peu la société. Au cours du XVIIe siècle, la notion de plaisir y est associée, même si la visée est instructive plus qu’éducative : mythologie, jeux généalogiques, jeu de l’oie à finalité morale… Mais c’est au XIXe siècle que le jeu s’installe comme une activité éducative sérieuse : jeux scientifiques, jeux pour les filles, et surtout jeux de lecture se développent dans une période d’alphabétisation de masse. La notion de travail-jeu visant une production apparaît, dans la mouvance de l’éducation nouvelle.
Si l’opposition jeu-travail reste un marqueur de la représentation du jeu dans la société, depuis les années 1980, avec l’arrivée des jeux vidéo, puis le développement du ludo-éducatif et des serious games, le jeu n’est plus considéré comme une activité ponctuelle ou non sérieuse : il est pensé comme un vecteur d’apprentissage. L’enseignement, les bibliothèques, les musées s’inscrivent dans un même mouvement. Dans un rapport à Mme la ministre de la Culture et de la Communication en février 2015, Françoise Legendre, Inspectrice Générale des Bibliothèques plaide « pour une conjugaison fertile » entre « Jeu et bibliothèque » par la construction d’une politique concernant les jeux, en cohérence avec le projet documentaire de la bibliothèque.
Qu’en est-il aujourd’hui du côté des CDI et des professeurs documentalistes ? Le présent dossier articule réflexions théoriques et retours d’expérience pour questionner les pratiques ludiques dans leur rapport à l’apprentissage. La première partie « Comprendre » interroge de manière réflexive la relation Jeu/Apprentissage, deux facettes complémentaires qui rejoignent un même objectif, et propose des éléments pour inscrire le jeu, en tant qu’objet documentaire, dans un cadre formel : via la mise en œuvre d’une politique ludique, dans une démarche d’établissement ; puis, selon une approche sensible, en partant des représentations des élèves ; l’aménagement de l’espace et du temps sont essentiels à la réussite d’un tel projet.
Les deux volets suivants font état d’expériences vécues, à partir de projets initiés au quotidien dans les CDI, avec leurs réussites et leurs limites, questionnant à l’occasion la posture du professeur documentaliste : tout d’abord en se plaçant du côté des « usages du jeu », dans un CDI où, si tout est culture, tout peut être pédagogie ; puis, du côté de la « conception de jeux », conjuguant esprit de création, plaisir de collaborer, et valorisation-communication, vers un public élargi.
Jeu de l’oie, ouverture culturelle, fiches pratiques, viennent enrichir et ponctuer ce dossier, montrant que professeurs documentalistes et CDI sont pleinement inscrits dans ce mouvement. L’opposition jeu-travail ne semble plus être un marqueur de la représentation du jeu en bibliothèque/CDI.
Merci à toutes et à tous d’avoir bien voulu partager vos expériences et/ou vos réflexions qui font la richesse de ce numéro de rentrée. Bonne lecture !