Nous dédions ce numéro d’InterCDI à Annette Béguin-Verbrugge, compagne de route fidèle de la revue, décédée le 13 décembre dernier.
Professeure en SIC à l’Université Lille 3, chercheure au sein du Laboratoire GERiiCO, Annette s’est beaucoup investie dans la vie de la revue : membre assidue du comité de rédaction, force de proposition attentive à préserver les liens terrain-recherche, élément moteur de l’aventure éphémère InterBCD et auteure régulière, partageant volontiers les résultats de ses recherches, en dialogue avec d’autres chercheurs pionniers de l’information-documentation, ce dont témoigne notamment le numéro anniversaire des 50 ans de la revue paru en décembre dernier.
Parions qu’Annette apprécierait ce nouveau numéro dans lequel plusieurs articles entrent en résonance avec ses centres d’intérêt, présentant des expériences originales, donnant à voir le dynamisme des réflexions en cours, autour de problématiques qui agitent tant la profession que le monde de la recherche aujourd’hui.
Ainsi en est-il de l’article sur l’arpentage littéraire, signé Jérôme Grondin et Béatrice Robert. La pratique de l’arpentage, issue de la culture ouvrière de la fin du XIXe siècle, diffusée ensuite par les associations d’éducation populaire, a pour but de s’approprier une œuvre « pour se construire une culture commune ». La méthode de lecture est dynamique et « augmentée » : le livre est découpé/déchiré en autant de parties que de lecteurs et lu collectivement. La lisibilité des documents s’y trouve interrogée, dans la ligne des nombreux écrits d’Annette sur la lecture, en lien avec les régimes de matérialité (documentaire, graphique, textuelle…) et la manière dont ces matérialités sont prises en compte dans les apprentissages à l’école (Béguin, 2006, 2010).
Autre article stimulant, celui de Jessica Tillard qui fait écho à des publications d’Annette sur l’espace bibliothèque et ses reconfigurations, interrogeant le rapport au savoir et son devenir dans un monde en mutation. L’article reprend les résultats d’une recherche initiée par l’auteure dans le cadre de son mémoire de Master MEEF. Il croise étude de dessins représentant le CDI et le professeur documentaliste, vus par des élèves de 6e nouvellement arrivés dans l’établissement, et réflexion plus générale sur la notion d’espace, notamment l’espace-bibliothèque en tant qu’espace de savoir avec ses objets, ses pratiques, ses acteurs. L’auteure esquisse quelques pistes pour des investigations futures, invitant à poursuivre le questionnement sur le devenir de la bibliothèque/CDI, et l’évolution de la médiation pédagogique en période d’incertitude institutionnelle. « La bibliothèque est le reflet de la manière dont le savoir est ré-envisagé dans nos sociétés ; comment à travers les institutions que sont les bibliothèques, il s’imprime et s’exprime.» (Béguin, 2018).
Autre article, à l’initiative de Kaltoum Mahmoudi, dont les travaux s’inscrivent dans la mouvance de l’École de Lille (Annette a dirigé son mémoire de master), un article sur la plateforme Adage, en dialogue avec Silvana Bonura, référente culture du bassin de Lille centre. La présentation de la plateforme, de sa logique, des valeurs qu’elle promeut (visibilité, partage, mutualisation, équité) et des compétences nécessaires à sa maîtrise est l’occasion pour les auteures d’interroger le processus même de plateformisation : un processus qui n’est pas neutre, mais porteur des idéaux ancrés dans l’imaginaire de l’institution, transmetteur de messages idéologiques via le design des dispositifs, valorisant l’instrumentation technique au détriment des médiations, humaine et pédagogique.
Ces constats soulèvent, de manière toujours plus accrue, la problématique d’un continuum de savoirs, d’un « curriculum info-documentaire », gage de la construction, pour chaque élève, d’une culture informationnelle (Béguin & Kovacs, 2011). Un sujet cher à Annette, notre collègue et amie.
Merci Annette de nous avoir fait le cadeau d’une pensée féconde, stimulante, toujours en mouvement. Sincèrement.