En 2021 le groupe TraAM1 de l’académie de Nancy-Metz s’est questionné sur la place du professeur-documentaliste dans l’apprentissage de l’oral. Nous avons identifié deux axes de travail : la lecture et la pratique de l’oral et la place de l’oral dans le cadre de l’enseignement de l’EMI. Nous avons choisi de développer dans nos réflexions une focalisation sur les élèves à besoin éducatifs particuliers, notamment issus des dispositifs ULIS et SEGPA, car nous étions plusieurs à travailler de manière régulière avec ces élèves. À partir des scénarios pédagogiques que nous avons menés et testés dans nos établissements, nous nous sommes intéressées aux « adaptations didactiques » à mettre en œuvre pour accompagner ces élèves. Lors de nos rencontres, nos échanges nous ont conduites à comparer et à analyser nos manières de travailler en collaboration dans nos établissements, à réfléchir aux situations d’apprentissage que nous avions produites et aux outils didactiques et pédagogiques que nous utilisons pour faire travailler les élèves. Nous avons fait le choix de mener une expérimentation à partir d’une méthode originale, celle de l’analyse chorale.
Pour chacun des dispositifs, les élèves sont inclus dans les classes pour certains cours. Deux modalités de travail sont mises en place avec le professeur-documentaliste : inclusion dans les projets info-documentaires interdisciplinaires co-construits avec l’enseignante spécialisée et inclusion sur les temps libres des élèves volontaires au CDI en autonomie.
1. Utiliser la méthode de l’analyse chorale pour développer l’intelligence collective avec les élèves
Qu’est-ce que l’analyse chorale ?
L’approche de l’analyse chorale utilise une démarche collective pour s’approprier une représentation théâtrale, tout en mettant l’accent sur la réception individuelle. Conçue par Yannick Mancel2, metteur en scène et dramaturge, cette méthode vise à dépasser les jugements simplistes du type « j’aime/je n’aime pas », et « cherche à rendre compte de manière argumentée et approfondie d’une analyse polyphonique d’un spectacle ».
L’objectif de cette approche est de susciter et partager la parole, d’encourager les spectateurs à exprimer leurs avis sans retenue, sans cadre spécifique, de dépasser les premières impressions pour découvrir des éléments du spectacle que l’on aurait a priori négligés, et d’élaborer collectivement une lecture bienveillante, précise, construite et argumentée de la représentation.
L’analyse chorale s’articule autour du principe de l’inventaire : les élèves réalisent une description fine des éléments observés (décors, costumes, jeu, son et lumière, texte…) pour aboutir ensemble à une description riche, détaillée et scrupuleuse du spectacle, sans pour autant exclure la subjectivité et la mémoire affective de chacun.
Le rôle de l’enseignant est crucial pour encourager la participation, lever les inhibitions, et veiller à ce que les rapporteurs restent objectifs. Si nécessaire, il peut apporter des éléments de contexte et des connaissances théoriques supplémentaires.
Cette lecture évolue ensuite en une compréhension critique de la représentation à élaborer collectivement : à partir des échanges, les élèves sont invités à formuler des hypothèses sur la mise en scène, le parti esthétique du metteur en scène, les axes de lecture possibles, le discours véhiculé par la pièce.
2. Adaptations didactiques de l’analyse chorale à nos projets et nos contextes établissements
Émergence d’une idée : croiser analyse chorale et information-documentation
Dans cet article, nous reprenons les réflexions et les échanges menés lors des trois journées de travail en groupe TraAM que nous avons consignés sous la forme de notes et de compte-rendu. Lors de ces réunions, nous avons très vite partagé le même constat autour du travail de l’oral : les élèves foncent tête baissée dans la présentation power point mais ne se posent pas suffisamment la question de la méthode, du contenu, de ce qu’ils vont dire à l’oral. Nous avons donc choisi de concevoir des séances pédagogiques qui permettraient de donner aux élèves une méthodologie croisée entre travail sur le contenu et travail de l’oralité. Nous nous sommes aussi demandé quelles adaptations étaient nécessaires pour les élèves d’ULIS et de SEGPA qui passent aussi des examens à l’oral. Nous avons trouvé intéressant d’utiliser la méthode de l’analyse chorale avec les élèves de SEGPA et d’ULIS car elle valorise l’expression orale libre. Nous avons choisi de l’élargir à d’autres domaines artistiques, des œuvres picturales en particulier, qui correspondaient à nos besoins de travail avec les élèves. L’idée nous a été apportée par Julie :
En tant que référente culture de mon établissement, j’ai également la mission de coordonner la section sportive scolaire danse. En plus de la partie pratique en collaboration avec le conservatoire, j’ai voulu apporter une dimension culturelle au dispositif en créant un cours d’histoire de la danse pour nos élèves. C’est en ce sens qu’est née cette problématique : comment préparer nos élèves à la rencontre avec une œuvre dans le cadre du PEAC, quelle que soit sa nature ? J’ai participé il y a plusieurs années à une formation professionnelle sur l’analyse chorale dispensée par l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale) au Carreau, scène nationale de Forbach en Moselle. Il s’agissait de pratiquer la méthode de l’analyse chorale sur une pièce de théâtre (George Dandin de Molière, mise en scène de Jacques Osinski). J’ai beaucoup utilisé cette technique par la suite, notamment pour l’exploitation de spectacles avec les élèves. Je la trouve complémentaire aux recherches documentaires que nous pouvons mener ainsi qu’aux différentes grilles d’exploitation de spectacles construites.
La mise en œuvre de la méthode chorale, du point de vue de l’information-documentation, articule expression orale, organisation et structuration des idées (pratique de classification et savoir structural), pratique de capitalisation des connaissances et intelligence collective.
Présentation des scénarios réalisés dans les différents collèges
L’expérience de Julie avec des élèves du dispositif SEGPA
Dans le cadre de la préparation des élèves de troisième SEGPA à l’épreuve orale du DNB professionnel, j’ai souhaité adapter la méthode d’analyse chorale à l’étude d’une œuvre picturale. Avec ma collègue professeure spécialisée de SEPGA, Anne Otto, nous avons retenu Les Joueurs de Skat d’Otto Dix. L’objectif général de cette séquence pédagogique était d’amener les élèves à être acteurs de la préparation de leur exposé et de ne pas leur donner un document « clé en main » avec la description et l’analyse déjà rédigées à apprendre par cœur. Dans cette situation d’apprentissage, l’analyse chorale permet la construction commune d’une description objective de l’œuvre. Cela impulse une dynamique de groupe et ouvre la parole par le partage de l’observation, ce qui est intéressant pour des élèves qui souvent ont peu de références culturelles. Chaque élève est invité à apporter «sa pierre à l’édifice» dans cette description collective. Les différents éléments qui émergent à l’oral sont récoltés et notés au TBI3. À l’issue de la description, le groupe est invité à regrouper ces éléments sous forme de carte mentale et à trouver un mot-clé qui caractérise chaque bulle, pratique de classement et d’organisation des idées. Le titre de l’œuvre et l’artiste sont dévoilés à la fin de la séance et sont ajoutés au centre de la carte mentale. Cette première phase de travail permet de poser des bases solides et de faire émerger un questionnement sous la forme de mots-clés pour les recherches documentaires à venir sur l’œuvre (cartel, courte biographie de l’artiste, courant artistique et contexte historique). Enfin l’analyse chorale permet aussi de faire émerger les éléments qui serviront à la formulation de la problématique et du plan pour l’exposé oral.
L’expérience de Laureline avec des élèves du dispositif ULIS
J’ai souhaité utiliser la méthode de l’analyse chorale pour amener les élèves du dispositif ULIS à s’approprier une exposition monographique d’œuvres d’art de l’artiste Marie-Pierre Gantzer installée au LAC (Lieu d’Art et de Culture) du CDI du collège de Baccarat en Meurthe-et-Moselle. La méthode étant initialement destinée à l’analyse d’une représentation théâtrale, il a fallu repenser les contenus avec ma collègue Amélie Mazelin, enseignante spécialisée et coordinatrice ULIS, pour l’adapter à une exposition de tableaux abstraits, afin que les élèves puissent appréhender la technique de l’artiste (frottages et accentuations via différents médiums et matériaux), son inspiration (la nature, la forêt, la trace) et la réception de ses œuvres (émotions, sensations, ressentis). Il a également fallu imaginer des adaptations pour le public spécifique du dispositif ULIS. En effet, ces élèves se retrouvent face à des obstacles qu’il faut prendre en considération : le passage à l’écrit, les difficultés de lecture, les difficultés d’explicitation dans les échanges oraux. De manière générale, il faut trouver des vecteurs de motivation pour le travail scolaire et travailler ensemble, de manière collective, leur demande un réel effort. Décrire et analyser un objet d’étude sans plonger dans une cascade d’associations d’idées personnelles ayant peu de rapports avec l’objet d’étude est donc un objectif que nous nous sommes fixées.
L’expérience de Nathalie avec des élèves du dispositif ULIS
Je me suis particulièrement intéressée au projet de Julie, qui pouvait répondre à un besoin de travail pour les élèves de mon collège. J’ai donc choisi de tester cette démarche afin de préparer un exposé oral adapté autour d’une œuvre majeure La Joconde de Léonard de Vinci, avec ma collègue Sabine Mathieu, enseignante spécialisée et coordinatrice du dispositif ULIS. La séquence s’est organisée en trois temps importants. D’abord la présentation du projet et la définition du vocabulaire spécifique à l’analyse de l’œuvre à partir d’un exemple proposé par les enseignantes. Ensuite, nous avons réalisé une séance de recherche documentaire focalisée sur trois éléments : le cartel de l’œuvre, la biographie de l’artiste, la description de l’œuvre afin d’en cerner des éléments théoriques. L’enseignante coordonnatrice a réparti les élèves par groupe en fonction de leurs aptitudes et de leur niveau, (les élèves ne sont pas issus des mêmes classes : 6e-4e-3e) pour travailler l’un de ces trois éléments. Nous avons procédé à l’analyse chorale dans un troisième temps. Cette partie a été réalisée collectivement. Les élèves ont travaillé à décrire ce qu’ils voient de l’œuvre : couleur, personnage, regard, émotion et à expliquer ce qu’elle leur suggérait. À la suite de ces étapes, ils ont dû réaliser une carte mentale regroupant le travail de recherche et l’analyse de l’œuvre. En classe avec l’enseignante, ils ont rédigé leur texte de présentation orale, puis lors de la dernière séance, ils ont présenté individuellement leur travail. Je dois souligner la participation active des élèves à l’oral lors de la séance consacrée à l’analyse chorale. La motivation et l’expression de tous les élèves a permis des interactions riches et documentées.
Développer une « didactique adaptée »…
Construire une « didactique adaptée » (Frisch, Paragot, 2016), c’est développer des formes d’accompagnement en travaillant de concert entre professeurs-documentalistes et professeurs spécialisés pour « instaurer un espace propice, favorable au travail d’accompagnement, éducatif, de socialisation et d’apprentissage », un espace sécurisé dans lequel les élèves trouvent leurs voix. C’est aussi réfléchir aux contenus, aux outils utilisés pour donner aux élèves les moyens d’appréhender les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être travaillés. Dans les choix effectués, cette méthode met en avant l’expression personnelle et libre pour aller vers la complexité avec un vocabulaire plus construit. Adapter ce n’est pas simplifier les savoirs. C’est décomposer les étapes, prendre le temps de construire, puis de reconstruire en superposant le travail des élèves pour aboutir à une production collégiale.
Adapter l’immersion dans le sujet, les formes de médiations au savoir
Laureline Dans notre travail, les œuvres proposées n’étaient pas d’un abord facile car elles étaient abstraites. De façon générale, l’abstraction nécessite un apprentissage (Barth, 1987), les élèves ont besoin de se figurer une réalité proche d’eux, de leurs connaissances préalables. J’ai donc inauguré la séquence avec une mise en pratique artistique pour rendre le travail de l’artiste plus concret : l’objectif pour les élèves était d’essayer de refaire le même type d’œuvres que l’artiste, avec tout ce qui était à disposition sur la table (énormément de matériel et médiums différents) pour s’approprier sa démarche de façon sensible et technique. Cette démarche d’expérimentation concrète, pratique, « palpable », s’est avérée primordiale pour se rapprocher de l’œuvre, se l’approprier, mais aussi la décomplexifier.
Nathalie Dans notre projet, le travail sur l’œuvre artistique a nécessité un travail préalable sur le vocabulaire pour qu’ils puissent aborder l’activité. Il nous a paru important de bien cerner les connaissances préalables car nous nous éloignons du réel des élèves avec l’art. Nous sommes dans le symbolisme et l’interprétation, ce qui peut paraître difficile pour certains élèves qui voient des choses élémentaires. Nous avons donc démarré le travail en posant des bases théoriques à partir d’exemples concrets : le cartel de l’œuvre, (qu’est-ce c’est, à quoi ça sert ?), la biographie de l’artiste, avant d’arriver à la description collective de l’œuvre.
Travailler l’explicitation
Nathalie et Laureline C’est aussi une étape importante et double : expliciter clairement les attendus, mais aussi amener les élèves à expliciter eux-mêmes ce qu’ils voient. Nous avons procédé à un découpage fin et très progressif des étapes de la verbalisation en formalisant des consignes très précises pour les amener à décrire de manière significative l’œuvre : les expressions, le vocabulaire et la longueur des phrases ont été travaillées. Le travail de description s’est effectué par couches successives : une fois la description sommaire réalisée, les élèves ont procédé à un travail de reprise pour préciser et développer encore une fois un vocabulaire plus riche, plus étayé. On réalise un tissage entre les réponses des élèves. Du côté de l’enseignant, cela requiert d’être très à l’écoute, de capter tous les mots qui sont exprimés, de les recenser, et de reprendre plusieurs fois pour encourager l’expression de formulations différentes. Cela peut paraître rébarbatif, mais tous ont des choses à dire. Nous avons fait attention aussi à ne pas annoncer trop à l’avance les activités à venir. À ne pas utiliser d’expressions métaphoriques ou abstraites, à ne pas trop parler. À chaque étape, nous prenons le temps de nous assurer de l’attention et de la compréhension de chacun de façon plus systématique et plus poussée qu’en classe ordinaire.
Adapter les outils ergonomie, lisibilité, utilisation
Laureline Le CDI n’est pas un lieu habituel pour certains élèves qui peuvent être déstabilisés et en perte de repères. Avec l’enseignante spécialisée, nous avons donc cherché à conserver des jalons déjà établis dans le dispositif ULIS. Par exemple, nous avons créé le diaporama avec la même présentation et les mêmes polices de caractère que celle utilisées en ULIS et nous avons intégré dans la séquence des outils régulièrement utilisés dans le dispositif (ardoises et cartes des émotions). Nous avons été amenées à créer des outils spécifiques pour certaines activités, comme une fiche d’inventaire à cocher pour la partie descriptive des tableaux. Cet outil a été particulièrement pertinent, tant pour la tâche d’observation que pour le support de restitution orale (la forme contraint les élèves à formuler leurs propres phrases pour présenter les éléments présents).
Nathalie Nous avons aussi adapté les outils de travail en les créant afin de guider les élèves dans la compréhension. Ils ont appréhendé du vocabulaire et des connaissances générales sur l’art à partir d’un document construit pour eux, qui est lisible, adapté et fiable. L’objectif de cette première séance de travail est d’acquérir un vocabulaire spécifique et d’apprendre à l’employer pour l’analyse. Il ne s’agit donc pas de multiplier les supports d’informations. Je leur propose aussi de petits exercices sous la forme de jeu que j’intègre dans le document. Cela leur permet de tester leurs connaissances. J’utilise aussi des vidéos courtes comme « les petites énigmes de l’art » pour varier les supports.
Julie Le CDI est un lieu propice à la découverte d’une œuvre d’art grâce aux différentes ressources documentaires qu’il propose. L’expertise du professeur-documentaliste et l’apprentissage des compétences info-documentaires permettent aux élèves de s’inscrire dans une démarche active de découverte d’une œuvre. En plus de proposer un climat différent de la salle de classe, ce qui est souvent important pour des élèves à besoins éducatifs particuliers, la disposition de la grande table face à la projection facilite la prise de parole et les échanges lors de l’analyse chorale.
Travailler en intelligence collective
Laureline Pour amener progressivement les élèves à collaborer, nous avons pensé la séquence comme une succession d’activités courtes (tâches simples) en individuel, puis en binôme, puis en groupe-classe avec synthèse systématique en groupe-classe à chaque fois. Nous avons également été attentives à ce que les productions des élèves soient complémentaires et à faciliter les confrontations des avis différents pour amener à une vision globale et plus complexe de l’exposition. Il a été nécessaire d’anticiper des modalités qui permettent à tous de s’exprimer et aussi d’anticiper les différenciations/individualisations/personnalisations souhaitables dans cette séquence en fonction de chaque élève du dispositif. La connaissance experte des élèves par l’enseignante spécialisée est aussi un point d’orgue de l’adaptation. Elle conduit à placer chaque élève en situation de réussite en mettant en avant les points forts de chacun afin qu’ils puissent contribuer au projet collectif.
Julie L’analyse chorale facilite réellement la collaboration entre les pairs et les enseignants. Dans cette pratique pédagogique, l’intelligence collective est un réel moteur pour faire avancer le projet et mettre les élèves en situation de réussite.
Valoriser l’expression orale mais garder une trace
Laureline L’oral est central dans la séquence. Différentes modalités d’expression orale sont mises en œuvre. Elles sont plus ou moins formelles, plus ou moins collectives, les contenus sont plus ou moins complexes à expliciter (lecture, description, hypothèse, opinion, argument…). Pour démarrer, les élèves réalisent un brainstorming devant l’affiche de l’exposition. Puis, ils réalisent des oraux de travail en binôme et en groupe-classe, des oraux de restitution individuelle ou par groupe, et des discussions argumentées. Les enseignantes prennent le rôle de «secrétaires» pour noter au TBI tout ce que les élèves disent afin de montrer la richesse des réflexions mises en commun et d’en garder la trace. Mais, les élèves aussi ont réclamé une tâche écrite pour l’une des activités, ils ont souhaité eux-mêmes construire une trace.
Nathalie Nous mélangeons phases orales et phases écrites de travail. L’écrit permet de garder une trace des échanges oraux, il fixe les choses. Nous avons donc choisi la carte mentale pour formaliser l’information à l’écrit. Ce choix nous a permis de conserver aussi une trace entre les séances et a servi aux élèves pour rédiger la trace finale avant la présentation orale.
L’impact de l’analyse chorale sur les élèves
Laureline La méthode de l’analyse chorale a permis une belle appropriation de l’exposition par les élèves, tous ont pris la parole et ont exprimé leurs arguments et ressentis. La qualité des formulations orales a évolué au fur et à mesure de la séquence. Leurs réflexions finales sur la démarche et l’intention de l’artiste ont été nombreuses, complexes et très riches : les élèves sont allés plus loin dans l’interprétation que ce que nous avions projeté, ils ont fait preuve d’originalité et d’initiative. C’est aussi l’intérêt de travailler sur des supports artistiques : avec l’art, la réflexion peut être très ouverte et aller vers plein de sens différents.
Julie La méthode de l’analyse chorale est réellement un atout lors de l’étude d’une œuvre picturale. Elle invite tous les élèves à la construction de l’analyse de l’œuvre et les place de ce fait dans une démarche active. Ils ne sont plus spectateurs, mais acteurs de leur apprentissage.
Une méthode résolument inclusive qui met en œuvre l’intelligence collective
La méthode de l’analyse chorale peut être adaptée à différentes situations d’apprentissage. Ce qui est très intéressant pour le travail en information-documentation, c’est que le principe de la méthode conduit celui qui analyse à s’interdire un jugement de valeur a priori pour s’attacher plutôt à décrire avec objectivité en recherchant l’exhaustivité, et ensuite à chercher à comprendre avec les autres ce que chacun a perçu. L’analyse chorale offre une méthode de réception et d’appropriation transférable à tout type d’œuvre d’art (et, peut-être, tout type de document). L’autre intérêt de cette méthode est qu’elle est égalitaire vis-à-vis du bagage culturel de chacun : nul n’a besoin de connaissances en amont pour réaliser cette analyse. Des éléments de contexte peuvent être apportés par l’enseignant et les autres élèves, mais une analyse très riche peut être réalisée sans, grâce à l’inventaire minutieux. De ce point de vue la méthode est manifestement inclusive. Elle peut fonctionner avec un groupe très hétérogène.
Plusieurs points d’attention ont été identifiés dans les expériences menées.
D’abord, en ce qui concerne la réussite du travail, elle a souvent été dépendante de la composition et de la régulation du groupe. En effet, l’ambiance et le climat de la classe participent à la réussite et contribuent à la motivation. Dans les groupes, nous avons constaté que la régulation de la parole par l’enseignant a fortement contribué à développer la qualité de l’analyse. L’enseignant doit accompagner la prise de parole et la distribuer pour que certaines personnalités ne monopolisent pas la discussion. Si la parole est donnée de manière trop importante à une personne, les autres décrochent de l’activité et ont du mal à se remobiliser dans la tâche.
Par ailleurs, l’activité ne doit pas se restreindre exclusivement à une description sous la forme d’un inventaire ou d’une collection de mots. Il est aussi nécessaire de travailler le passage de l’inventaire à l’interprétation, c’est à dire de réorganiser l’inventaire collectif et lui donner une forme organisée, structurée, par exemple une carte mentale.
L’analyse chorale est une méthode qui met en œuvre l’intelligence collective, et qui la facilite car on a besoin des productions des autres à tous les moments de l’activité pour avancer dans le travail et pour avoir une vision d’ensemble. C’est l’analyse collective qui fait sens, comme l’explique Laureline « l’intérêt du «travailler ensemble» est vraiment visible je trouve, car la complexité de l’analyse grâce aux apports de tous ressort vraiment dans la version finale. Cela permet aussi à chacun de se rendre compte de l’évolution du cheminement : entre ce qu’il a pensé tout seul au début, et jusqu’où on arrive ensemble à la fin… ».
L’autre intérêt de l’analyse chorale pour la collaboration, c’est qu’elle maintient la confiance en soi au sein de la classe qui est nécessaire pour s’impliquer vraiment dans un groupe.
Laureline Comme on va progressivement d’une tâche simple pour aller vers la tâche plus difficile (de la description jusqu’à l’analyse critique), on peut mettre les élèves en situation de réussite. De plus, on commence par l’objectivité avant de parler de ses opinions : on glisse vers le subjectif sans s’en apercevoir, sans injonction explicite à exprimer son avis, son ressenti ou ses hypothèses. Ce sont des choses qui engagent la personne elle-même face au groupe, c’est difficile, c’est stressant pour les élèves. Or l’analyse chorale les amène à les exprimer plus naturellement, plus progressivement. Cela limite les jugements entre pairs, et/ou la peur de ce jugement.
Conclusion
Le professeur-documentaliste « est un partenaire, un acteur clé de l’inclusion. À la fois par son rayonnement au cœur des enseignements disciplinaires, mais aussi grâce à sa place stratégique dans l’établissement, il participe à l’inclusion et doit pour cela procéder à des accentuations dans sa pratique professionnelle d’enseignant ». (Baur, Pfeffer-Meyer, 2018).
Le travail d’inclusion nécessite de réfléchir à mettre en place une « didactique adaptée » qui doit être appliquée à l’information-documentation, et peut être aussi à développer des situations d’apprentissage de référence qui intègrent une démarche collective méta et interdisciplinaire. La méthode chorale permet de centrer l’apprentissage sur la pratique du questionnement, savoir d’interrogation spécifique à la didactique de l’information-documentation (Frisch, 2012 ; Pfeffer-Meyer 2023). La prise en compte des connaissances et des réflexions de chaque élève est primordiale. Les enseignants adaptent l’apprentissage, les outils, les consignes, les méthodes, mais aussi, à certains moments, mettent en creux les savoirs disciplinaires pour accompagner les élèves dans la construction et l’expression d’un savoir à partir leurs propres pensées. Il s’agit de développer leur habileté à créer des passerelles entre leurs propres connaissances et des connaissances nouvelles. Le travail met en parallèle questionnement et construction documentaire impliquant recherche et travail de restitution sous la forme d’une trace.