La place de l’IA dans les bibliothèques

Introduction

La bibliothèque, définie par l’UNESCO comme « un centre d’information de proximité qui met à disposition de ses usagers toutes sortes de savoirs et d’informations » (IFLA-UNESCO, 2022)1 est un espace central dans l’accès à la connaissance dans nos sociétés contemporaines. Elle remplit une mission de service public en favorisant l’appropriation par tous du savoir. Toutefois, cette institution est confrontée à des antagonistes qui la mettent sous tension. Ainsi, le nombre d’ouvrages ne cesse de croître ; le périmètre des bibliothèques s’étend avec l’inclusion de nouveaux documents comme le dépôt légal du numérique2, alors que le nombre de personnels de ces institutions reste, au mieux, constant, voire, diminue ce qui a un impact sur leur capacité à offrir des services de qualité.
Pour gagner en productivité, les bibliothèques nationales investissent de plus en plus dans des solutions technologiques qui sont aujourd’hui regroupées sous le terme d’« intelligence artificielle ». Cette dernière est considérée comme une solution pour améliorer la gestion des données, la recherche et la formation.

Les promesses d’un accès simple à la connaissance via des outils comme ChatGPT (InterCDI, janvier-février 2024, n° 307) s’emparent du monde des bibliothèques où l’algorithme semble devenir une solution pour les aider à mener à bien leurs missions. Qu’en est-il réellement ? Est-ce une tendance aussi récente que cela ? Quels sont les usages qui sont explorés par les grandes bibliothèques en Europe ? Quels enjeux et défis doivent-elles surmonter ?

Pour répondre à ces questions, il est important de comprendre les enjeux et les défis auxquels sont confrontées les bibliothèques dans le contexte de l’évolution des technologies et du changement sociétal. Dans un premier temps, nous remettrons en perspective la nouveauté de l’IA, en lien avec les besoins des bibliothèques, avant de nous centrer plus précisément sur des initiatives récentes avec un focus particulier sur le cas de Gallica. Cela nous permettra d’élargir aux transformations en cours au sein des bibliothèques.

Des systèmes experts à l’IA

L’actualité technologique remet au premier plan des thèmes déjà présents il y a plus de trente ans. À l’époque, si le terme d’intelligence artificielle est présent, c’est plus le concept de système expert que les articles scientifiques traitent. Ces derniers visent à reproduire des mécanismes cognitifs d’experts d’un domaine particulier. Le système se compose d’une base de données, d’une base de règles et d’un moteur d’inférence. Dans les années 1980-90, nous observons déjà un intérêt dans les articles scientifiques pour la classification automatique, l’indexation, mais aussi le traitement des images. Les systèmes experts n’ayant pas donné satisfaction, le terme d’IA a pris le relais ces dernières années avec l’arrivée de l’apprentissage profond (deep learning). La figure 13 illustre le glissement qui s’est progressivement opéré.
Nous avons réalisé une recherche sur le nombre d’articles présents sur la base de données Web of Science. Nous avons utilisé les requêtes « expert systems AND libraries » et « artificial intelligence AND libraries » avec une recherche dans le titre des articles indexés.

Figure 1 : Évolution de l’usage des termes système expert et IA dans le contexte d’articles scientifiques concernant les bibliothèques

Les résultats mettent en évidence une décroissance nette des systèmes experts à partir du début des années 2000 et un intérêt grandissant pour l’IA à partir de 2019. Les thématiques associées – notamment l’amélioration de la recherche, l’indexation et le catalogage automatiques et, plus généralement, la transformation de la bibliothèque – restent toutefois les mêmes.

Sous l’appellation IA règne un flou artistique comme nous le verrons dans notre tour d’horizon des projets au sein des bibliothèques nationales en Europe. Dans les projets étudiés, nous retrouvons régulièrement l’usage de la reconnaissance optique de caractères (ROC ou Optical Caracter Recognition – OCR- en anglais), la reconnaissance de textes manuscrits (Handwritten Text Recognition ou HTR), la fouille de données ou d’images, mais aussi la génération de métadonnées ou l’aide au catalogage/indexation.

Tour d’horizon des projets d’IA

Dans cet article, nous nous appuyons sur le projet LibrarIn4 en cours (2022-2025), pour appréhender la ou les manière(s) dont les bibliothèques nationales déploient actuellement des solutions dites d’intelligence artificielle pour répondre à leurs besoins. LibrarIn se concentre sur la co-création de valeur entre usagers et bibliothèques, par l’intermédiaire notamment des services proposés. Trois dimensions de la valeur sont analysées dans ce cadre : sa nature et ses caractéristiques, ses modes d’organisation et d’implémentation et ses impacts.
Au sein du consortium de recherche, une tâche spécifique s’intéresse à la transformation numérique des bibliothèques. Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons identifié les bibliothèques et les expérimentations suivantes (organisées par date de lancement) :

Tableau 1 : Présentation des terrains étudiés dans le cadre de LibrarIn

Pour chaque bibliothèque, une étude de cas est en cours avec des entretiens qualitatifs et une analyse documentaire. Ainsi, 70 entretiens ont été réalisés en 2024. Nous avons pu échanger aussi bien avec les chefs de projets qu’avec des acteurs plus politiques, mais aussi des représentants d’usagers. Nous nous sommes intéressés à l’impact de la transformation numérique, en particulier à la vague dite d’intelligence artificielle, le tout dans une perspective de co-création entre l’établissement public et ses usagers. Notre objectif étant de mettre en lumière les processus à l’œuvre et ses effets sur les services rendus.
Il est intéressant de noter que la BnF ou la bibliothèque nationale de Finlande ont lancé depuis de nombreuses années des expérimentations. Elles sont alors en mesure de diffuser le résultat de leurs travaux de recherche et développement (R&D) qui répondent à des besoins spécifiques. C’est dans cette logique que la BnF pilote le groupe de travail sur l’IA en bibliothèque au sein de la Conference of European National Librarians (CENL)5. Consciente des enjeux, la BnF a d’ailleurs déployé une feuille de route de l’IA qui couvre la période 2021 à 20266. Au sein de celle-ci, nous retrouvons les mêmes besoins (aide au catalogage et signalement ; gestion des collections ; exploration, analyse des collections et amélioration de l’accès ; médiation, valorisation et éditorialisation des collections et aide à la décision et au pilotage) que ceux auxquels les autres bibliothèques souhaitent répondre :

Figure 2 : Feuille de route IA de la BnF, pour en savoir plus, vous pouvez contacter ia@bnf.fr

Ces cinq grands domaines se retrouvent dans le tableau 1. Les projets présentés soulignent les besoins des bibliothèques pour mener à bien des missions relatives à :
• L’accessibilité des collections. Pour cela, elles mettent en place des dispositifs visant à rendre accessibles des documents non exploitables informatiquement préalablement (en particulier des fichiers numérisés dans un format image) ou des documents manuscrits qui sont difficiles à traiter par ordinateur.
• L’évolution des processus internes, en particulier des solutions sont déployées à la fois pour mettre en place de la maintenance prédictive (l’objectif étant de savoir quel ouvrage a besoin d’être entretenu/réparé pour assurer sa préservation) ou pour aider à optimiser le rangement et l’organisation des magasins.
La feuille de route évoque à plusieurs reprises Gallica sur lequel nous allons nous attarder plus précisément.

Le cas de Gallica à la BnF

Fer de lance de la BnF pour les questions de l’IA, la bibliothèque numérique Gallica, lancée en 1997 a pour mission de rendre accessibles les ressources patrimoniales de la BnF. Les défis technologiques ont fait prendre à Gallica une importance croissante et en font un terrain d’expérimentation. Ainsi, Jean-Philippe Moreux, expert IA à la BnF, a schématisé de la façon suivante l’évolution de Gallica :

Figure 3 : Historique du projet Gallica, J.P. Moreux (2022)

Nous pouvons observer l’importance des collaborations avec des acteurs externes, en particulier dans des contextes de projets européens. Ces échanges sont cruciaux pour la BnF, à la fois pour bénéficier de fonds nécessaires à ses travaux de R&D, mais aussi pour obtenir les compétences clés afin de les mettre en œuvre. Dans son schéma, Jean-Philippe Moreux distingue les projets : ceux centrés sur l’analyse/fouille d’images et ceux consacrés à l’enrichissement des documents (pour favoriser la fouille de données). Les innovations sont progressives même si une difficulté majeure reste l’intégration des prototypes développés (comme GallicaPix) dans le système opérationnel (ici Gallica) et la gestion de la mise à l’échelle de l’outil7. L’objectif de toutes ces expérimentations est de renforcer l’accessibilité des collections nationales et les usages associés.

En parallèle, un travail conjoint est réalisé avec des bibliothèques partenaires qui coopèrent avec la BnF pour mettre en ligne leurs collections à la fois dans leurs espaces et dans Gallica. Ce sont quasiment 300 bibliothèques qui utilisent Gallica en marque blanche à l’image de la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU) de Strasbourg qui propose un accès à une bibliothèque numérique Numistral8 basée sur Gallica.

Transformations en cours, quel(s) avenir(s) pour l’IA dans les bibliothèques ?

Les bibliothèques font face à de nombreux défis dans ce contexte. Si l’usage de ces technologies est de plus en plus accepté en interne, les besoins en compétences de pointe explosent. Pour y répondre, ces institutions qui, certes, accueillent de nouveaux métiers en se dotant de structures (comme le dataLab9 de la BnF) en leur sein, reposent principalement sur des partenariats avec des laboratoires de recherche (l’INRIA par exemple) ou des contrats de prestations auprès de sociétés de services ou de conseils.
Dans un contexte de restriction budgétaire, les projets relatifs à l’IA en bibliothèque demandent d’importants financements pour être menés à bien. Si des institutions, comme la BnF, arrivent encore à mobiliser des budgets propres pour certaines expérimentations, pour les industrialiser, les bibliothèques répondent de plus en plus à des appels à projets (notamment européens) ou à des partenariats avec des acteurs privés. Une difficulté rencontrée est celle de l’évaluation des projets d’IA. Peu d’entre elles mettent en œuvre une évaluation des impacts de leurs projets et donc sont capables de justifier les retombées concrètes associées.

Les bibliothèques, dont les missions fondamentales sont de plus en plus concurrencées par des acteurs privés s’inscrivant dans une logique d’extraction de la connaissance et d’accessibilité à celle-ci sont dans le même temps une source précieuse pour les acteurs du numérique. Nous pouvons noter un appétit croissant des géants du numérique pour les données structurées qu’elles produisent10. Leurs grandes quantités de données font de celles-ci une source intéressante pour un acteur qui souhaite entraîner un modèle informatique aussi bien sur du texte que sur des images. Elles sont alors de plus en plus sollicitées – parfois prédatées de manière sauvage lors de la phase d’entraînement des algorithmes11– par des entreprises pour mettre à disposition leurs collections pour l’entraînement d’algorithmes.

Avec la pression croissante des grandes entreprises du numérique, des États, mais aussi des contextes budgétaires contraints, se pose in fine la question de la place des bibliothèques et de leur positionnement dans le monde qui se dessine. De nouveaux espaces se construisent, ainsi la CENL permet à ses membres d’échanger dans un contexte européen. Une série de webinaires est actuellement proposée par l’organisation afin de diffuser le plus largement possible leurs avancées12. En parallèle, des collectifs se construisent comme AI4LAM (intelligence artificielle pour les bibliothèques, archives et musées) qui visent à mettre en relation les acteurs du secteur et à partager les bonnes pratiques, les projets en cours et toutes les questions que peuvent se poser les parties prenantes.
Nous pouvons noter aussi de plus en plus de ressources partagées par les bibliothèques pour s’aider mutuellement dans cet environnement mouvant. Ainsi, par rapport à un enjeu de taille qu’est l’évaluation de la sécurité du dispositif mis en place, la Library of Congress met à disposition sa grille d’évaluation des projets.

Pour résumer, à travers cet article, nous avons pu souligner des usages de technologies « intelligentes » que ce soit par la mise en place d’outils pour de la reconnaissance de caractères, dactylographiés ou manuscrits, de l’aide à l’indexation ou au catalogage, ou plus largement à l’accessibilité des collections. Des utilisations moins visibles sont aussi présentes, comme la maintenance prédictive, pour anticiper quel ouvrage restaurer, mais aussi pour optimiser l’organisation ou le stockage des collections. Ces usages croissants sont favorisés par les injonctions des tutelles politiques de réduire les coûts de fonctionnement de ces administrations publiques. Les bibliothèques se trouvent alors sur une ligne de crête où elles doivent trouver un équilibre entre leur mission fondamentale et les besoins des utilisateurs tout en tenant compte des logiques inhérentes à l’activité commerciale de certains partenaires privés.
Il nous semble alors que les réponses qui sont en train de se construire auront des conséquences importantes pour l’ensemble de l’écosystème (que ce soit les bibliothèques municipales ou associatives, ou encore les CDI) aussi bien en termes de financement qu’en termes de compétences tant pour les professionnels que pour les usagers. En effet, les nouveaux usages qui se développent s’accompagnent d’un besoin de formation et surtout du renforcement d’une littératie informationnelle afin d’avoir une réflexion sur les outils dits d’intelligence artificielle et sur leurs usages.

 

 

Le design des bibliothèques publiques, volume 1. Le merchandising en bibliothèque de Nicolas Beudon

50 fiches thématiques pour rendre votre bibliothèque plus inspirante

Après avoir été conservateur des bibliothèques pendant une dizaine d’années, Nicolas Beudon exerce désormais une activité de consultant. Le merchandising en bibliothèque est le premier volume d’une trilogie consacrée au design des espaces documentaires1. Mais qu’entend donc Nicolas Beudon par merchandising ? Selon lui, les commerces et les services documentaires2 présentent des similitudes : ce sont majoritairement des espaces en libre accès dans lesquels des individus ne maîtrisant pas les codes de ces espaces et/ou ne cherchant pas à les comprendre sont en quête d’une offre qui leur corresponde. Le merchandising se présente comme un ensemble de techniques développées depuis le XIXe siècle et répondant à la question : « Comment présenter au mieux une offre en libre accès pour répondre à cette demande ? ». Nicolas Beudon propose au lecteur un manuel organisé en cinq parties et composé d’une cinquantaine de fiches thématiques. Si le premier chapitre consacré aux principes du merchandising n’est pas dénué d’intérêt, ce sont surtout les trois chapitres suivants qui intéresseront les professeurs documentalistes et dont nous allons présenter quelques éléments.

Le premier chapitre s’attarde sur la valorisation des collections. Nicolas Beudon rappelle utilement son importance, avec quelques données chiffrées à l’appui : en 2016, 47 % des usagers des bibliothèques territoriales déclaraient avoir emprunté au moins un livre ; ils étaient beaucoup moins nombreux à avoir participé à une autre activité proposée par la bibliothèque. Par conséquent, le travail de promotion des collections ne doit pas être négligé, surtout lorsque ce travail semble augmenter significativement l’usage des collections comme le montrent les exemples donnés. Par quels moyens les établissements documentaires dynamisent-ils donc cet usage ? Tout simplement par une présentation importante des ouvrages « de face », en utilisant au maximum le potentiel de séduction des premières de couverture, par des sélections documentaires fréquentes et sur tous les sujets, un fonds désherbé, etc. La plus-value du livre est de documenter les techniques de promotion, a priori bien banales, afin d’offrir au lecteur un guide des bonnes pratiques. Le consultant interroge les gestes professionnels les plus intuitifs (saviez-vous qu’un ouvrage ouvert, exposé sur un lutrin, décourage sa consultation et/ou son emprunt car il est comme muséifié ?) ou impensés (combien de temps un document est-il « nouveau » ? Quelles sont les règles de mise en scène d’une sélection documentaire ?). Enfin il insiste sur l’exigence qu’impose ce travail de valorisation.

Dans la partie suivante consacrée à l’information et à la communication sur les collections, l’auteur interroge également les gestes professionnels, ou parfois leur absence. Il souligne notamment l’importance de communiquer systématiquement sur les acquisitions. Cette communication est d’autant plus utile qu’un certain nombre d’usagers des services documentaires semble penser que les professionnels n’acquièrent pas de nouveautés…
Élément central dans les espaces en libre accès, la signalétique présente des limites qu’il faut connaître pour s’assurer de son efficacité. On apprend ainsi que la signalétique la plus consultée par les usagers d’un service documentaire n’est pas la plus visible, mais la plus discrète, celle qui est située sur les tablettes des rayonnages. Or, ce n’est pas celle qui est l’objet de la plus grande attention… Pour finir, Nicolas Beudon revient sur l’importance du travail de communication, et sur l’intérêt de lui consacrer un temps de réflexion régulier.

Le dernier chapitre, consacré à l’aménagement des espaces, apporte des éléments utiles pour améliorer l’accessibilité des collections. L’entrée de la bibliothèque fait l’objet de la première fiche. Nicolas Beudon recommande de ne pas y installer de document car la nature même de cet espace, un lieu de passage, limite l’intérêt des usagers à consulter les documents qui s’y trouvent. Un simple message de bienvenue et les horaires d’ouverture suffiront. Il rapporte l’existence dans certains services documentaires de zones dédiées à la valorisation des collections parfois nommées marketplaces, situées près de l’entrée. Ces espaces regroupent le plus souvent des nouveautés et/ou des livres populaires destinés à attirer l’attention et dont le taux de rotation est élevé. Mais une fois l’entrée franchie et cet espace dépassé, comment faciliter l’orientation des publics dans les collections ? Pour répondre au mieux, Nicolas Beudon consacre plusieurs fiches aux rayonnages. Il remarque, par exemple, qu’en disposant les rayonnages en épi ou en grille, les services documentaires n’optimisent pas forcément l’usage des documents. Il conseille plutôt de privilégier une implantation en alcôves ou en forum – c’est-à-dire contre les murs – quitte à diminuer le nombre de documents offerts accessibles. Une fois les rayonnages montés, Nicolas Beudon s’intéresse à l’inévitable casse-tête du classement. Regrouper les collections par pôles thématiques, simplifier la Dewey, voire adopter une classification tout autre pour les livres documentaires et pour les fictions sont quelques-unes de ses propositions. Et pour désamorcer toute opposition, il rappelle le principe d’une approche merchandising et les questions qui doivent la guider : est-ce utile pour les publics de la bibliothèque ? quel effet positif attendu sur l’usage des collections ?

Les dernières fiches présentent des retours d’expérience, majoritairement états-uniens, hollandais et danois. Dans un post-scriptum, l’auteur explique la prépondérance de ces exemples étrangers : d’abord par une faible propension des professionnels français à publier leurs expériences ; ensuite par une certaine défiance de leur part envers les idées et les pratiques du monde de l’entreprise.

Nicolas Beudon facilite la tâche du lecteur pressé en proposant quatre parcours de lecture de 10 fiches (« Le merchandising m’intrigue et je voudrais comprendre les idées essentielles » ; « Je travaille dans une petite bibliothèque que je souhaite rendre inspirante à bas coût » ; « Je travaille sur un projet de bibliothèque, je veux imaginer des espaces inspirants » ; « Je travaille en BU, je ne suis pas sûr que le merchandising soit fait pour moi »).

Si les ressources permettant de remplir au mieux la mission d’enseignement ne manquent pas, celles permettant d’organiser et mettre à disposition les ressources documentaires de façon optimale sont plus rares, et ceci malgré l’injonction permanente à « faire lire les élèves ». À titre personnel, la gestion des collections n’a pas fait l’objet de cours spécifiques lors de ma formation initiale de professeur documentaliste, il y a de cela quatre ans. De même, le PAF – plan académique de formation – (aujourd’hui EAFC, école académique de la formation continue) ne proposait pas, tel qu’il existait alors, de formations destinées à favoriser l’usage des collections ou, pour reprendre les mots de Nicolas Beudon, « à rendre sa bibliothèque plus inspirante ». En outre, à ma connaissance, il n’existe pas de publication spécialement consacrée à la gestion des collections – contrairement à l’éducation aux médias et à l’information.

Ce manuel comble un vide et devrait figurer dans toutes les bibliographies de préparation au métier de professeur documentaliste. Les fiches proposées formalisent un guide de bonnes pratiques directement appropriables et applicables. Bien entendu, la mise en application de ces conseils nécessite du temps dans un emploi du temps déjà contraint, mais suivre les conseils de Nicolas Beudon devrait permettre une meilleure consultation des collections (j’en ai fait l’expérience dans mon établissement) et la présentation à notre hiérarchie d’un nombre de prêts en augmentation, éléments essentiels pour négocier un budget exposé aux coups de rabot en ces temps d’inflation.

 

Beudon, Nicolas. Le design des bibliothèques publiques, volume 1. Le merchandising en bibliothèque : 50 fiches thématiques pour rendre votre bibliothèque plus inspirante. Bois-Guillaume : Klog Éditions, janvier 2022. 201 p. (Coll. En pratique). 29,50 € ISBN : 9791092272406

 

Bibliothèques et bibliothécaires¹

Pour Michel Melot, dans La sagesse du bibliothécaire, à l’instar du marin qui aime se perdre dans l’immensité des océans, le bibliothécaire rechercherait l’ivresse de vivre parmi des milliers de livres, partagé entre l’orgueil de l’expertise de son conseil pour en avoir lu beaucoup et la modestie de savoir qu’il ne pourra jamais lire tous les livres. Pensez donc, on peut estimer que chaque année plus d’un million de nouveaux livres sont publiés !
Vous l’avez compris, pour ce numéro anniversaire, nous vous proposons la mise en abyme des bibliothèques dans les livres de nos bibliothèques. Or les bibliothèques ne se ressemblent pas à travers le monde : alors qu’en France elles se distinguent par leur politique d’animation culturelle, elles proposent dans les pays anglo-saxons de multiples services palliant l’insuffisance de nombreuses administrations, en particulier dans le social. Démocratiques, les bibliothèques sont tolérantes en se refusant au maximum à la censure, c’est pourquoi elles ne survivent pas aux dictatures… Aussi nous interrogerons-nous sur les multiples représentations du bibliothécaire et des bibliothèques qui sont données en littérature.

 

Une vision peu attrayante du métier

Hélas, au premier abord, force est de constater que la profession reste peu évoquée, car réputée peu sexy. Ainsi, dans les scènes se déroulant à la bibliothèque dans Les yeux de Leïla, avec le catalogue papier de l’époque, Tito campe un personnage cliché de la bibliothécaire à lunettes d’un certain âge. De même, notre collègue Pauline Delabroy-Allard, autrice du roman Ça s’appelle Sarah, choisit de ne pas mentionner le métier méconnu et embarrassant de sa protagoniste, pourtant à l’évidence le nôtre. Autre exemple en proie aux désordres amoureux, silhouette fragile mais d’une volonté à toute épreuve, vêtue de couleurs fades, la bibliothécaire est représentée, dans le roman Le mec de la tombe d’à côté de Katarina Mazetti2, comme sortant d’études universitaires avec un salaire bas proportionnellement, dotée d’une vaste culture générale et débordant de projets pour ses usagers et la ville. Or ce n’est pas à la bibliothèque mais au cimetière que Désirée fait la connaissance de Benny, agriculteur célibataire, en se recueillant sur la tombe de son mari.
La gent masculine n’est pas en reste dans Le Grand amour du bibliothécaire… Drôle de bibliothécaire en effet que celui du village de Tire-la-Chevillette : Fulbert est tellement maniaque qu’il préfère épousseter des étagères vides, et garder enchaîné, pour être consulté sur place, le seul livre dont il a fait l’acquisition, pour ne pas avoir à en racheter un s’il venait à être volé ! Aussi entasse-t-il les billets que lui donne le maire, sans en dépenser un seul, ce qui ne laisse pas d’intéresser trois brigands. Seul l’amour pour une jolie lectrice va faire sauter les verrous de ce célibataire névrosé. Un court récit hilarant ! À l’opposé, dans son Etrange Bibliothèque, Haruki Murakami imagine un inquiétant bibliothécaire qui emprisonne un jeune lecteur dans une geôle située tout au fond d’un labyrinthe…
Enfin, choisir de devenir bibliothécaire, ne serait-ce pas embrasser une carrière par défaut, celle d’un écrivain qui n’a jamais su passer à l’acte ? C’est à cette vocation manquée que Gudule associe sa bibliothécaire dans son roman jeunesse éponyme : le narrateur y fait la connaissance d’une jeune voisine dont il tombe amoureux, qui n’est autre que le personnage autobiographique d’une bibliothécaire qui aura consacré sa vie à chercher le livre lui permettant de devenir écrivain. Il aide la jeune fille dans cette quête, et, ce faisant, ils entrent réellement dans les histoires des livres qu’ils consultent.

Des bibliothèques labyrinthes qui s’avèrent des refuges

Ce concept est plus ou moins repris dans La Bibliothèque de minuit de Matt Haig, où la narratrice entre dans la vie que lui offre chacun des livres qu’elle choisit. En effet, quand Norah Seeds se suicide, elle se retrouve à son grand étonnement dans une bibliothèque où elle se réfugiait plus jeune. La bibliothécaire, qui semble être l’alliée qu’elle avait eue au collège, lui apprend que chacun de ces livres, aux couvertures identiques, lui permet, dès qu’elle en entame la lecture, d’essayer l’une des vies qu’elle aurait eue si elle avait fait un choix différent à un moment donné de sa vie. Mais si les décisions peuvent sembler meilleures, elles entraînent aussi d’autres conséquences qui lui échappent complètement, comme la mort de sa meilleure amie, de sa mère, etc. Parmi toutes les vies possibles qui s’ouvrent ou se sont fermées suivant ses choix, quelle est celle qui la rendra la plus heureuse ?
Toute une carrière n’a pas suffi à la bibliothécaire de Gudule pour trouver le livre qui lui aurait ouvert la voie de l’écriture, toute une para-existence dans une bibliothèque-purgatoire ne suffirait pas non plus à Norah pour expérimenter chacune de ses vies possibles, et cela pour une bonne raison, selon Jorge Luis Borges, c’est que la littérature n’est autre qu’une forêt en perpétuelle croissance, ou mieux, une sorte de labyrinthe vivant. Labyrinthes donc, mais surtout refuges pour de nombreux lecteurs et lectrices qui viennent y trouver un peu de sérénité et de réconfort, loin du tumulte de la vie et des autres.
Dans Kafka sur le rivage de Haruki Murakami, le jeune Kafka Tamura fugue à cause de la terrible prédiction de son père, et trouve refuge dans une belle bibliothèque privée. Un roman hypnotique, absolument étrange et fabuleux, aux bibliothèques conçues comme des havres de paix, mais dont les bibliothécaires semblent n’avoir pour fonction que d’ouvrir et de fermer les portes…
Après avoir été dans un premier temps un refuge contre le harcèlement, la bibliothèque devient le théâtre de la transformation de Eliott qui parvient à affronter son bourreau dans le truculent roman jeunesse Eliott et la bibliothèque fabuleuse de Pascaline Nolot. Eliott, en effet, court à perdre haleine pour échapper à la terrible Charlie de l’école et à ses deux sbires jumeaux. Il s’endort dans une salle, à l’abri des regards, et, à son réveil, un chat donne l’alerte en parlant, des rats mécaniques le capturent et le bibliothécaire tatoué, musclé et rocker le plus cool de l’univers se révèle être le directeur de la Brigade des Rats de la Bibliothèque. Accusé d’espionnage, Eliott est alors condamné à remplir plusieurs missions spéciales extrêmement dangereuses. Et si l’accomplissement de ces missions donnait à Eliott suffisamment confiance en lui pour ne plus être victime de harcèlement ? Quelques bonnes trouvailles, comme l’armée des rats mécaniques poussant des chariots de livres abîmés, font de ce court roman un agréable moment de lecture, drôle et original.

Des bibliothécaires médiateurs du livre

Même si les bibliothèques sont souvent perçues comme des refuges éventuels par nos lecteurs et les auteurs, elles sont heureusement animées dans quelques livres par le professionnalisme de bibliothécaires ou des professeurs documentalistes passeurs de lecture.
Ainsi, même s’il n’est qu’un personnage secondaire dans le roman Scintillation de John Burnside, le bibliothécaire fou du nom de John, lecteur maladivement frénétique et fumeur de joints, joue un rôle de mentor auprès du narrateur Léonard.
Le Vampire du CDI de Susie Morgenstern, l’un des rares à nous mettre à l’honneur, reste incontournable. Jean-Charles Victor, jeune lauréat du CAPES de documentation, arrive à sa première affectation, dans un collège alsacien. C’est drôle et léger, et tellement réaliste malgré l’exagération de certains aspects que l’on s’y reconnaît sans peine : le principal qui ne connaît pas notre fonction, qu’il juge superflue – il y en a ! – versus le professeur documentaliste, cette personne un peu farfelue qui rivalise d’idées pour faire lire les élèves.
Le maître des livres d’Umiharu Shinohara séduira des lycéens fans de mangas et de littérature. Honteux de ne pas réussir aussi bien que son père, Myamoto s’abrutit au travail pour ne pas avoir à rendre visite à ses parents. Un soir, déjà passablement ivre après avoir fêté la fin d’année avec ses collègues, il découvre par hasard une bibliothèque pour enfants encore ouverte, « La rose trémière ». Le bibliothécaire, Mikoshiba, qui n’a pas la langue dans sa poche, l’accueille vertement avant de lui demander de l’aider à ranger les livres. Myamoto tombe alors sur le conte La montre musicale de Nankichi Niimi, qui le renvoie à la montre que son père lui a donnée et qu’il estime ne pas mériter. Étonné de la coïncidence avec sa propre vie, il interroge Mikoshiba qui lui répond : « Ce n’est pas toi qui choisis les livres mais les livres qui te choisissent ». Dès lors, Myamoto devient un habitué de la bibliothèque où il fait la connaissance des autres bibliothécaires et des usagers. Le Maître des livres invite à considérer la lecture comme vecteur de transformation d’autrui. Il permet de redécouvrir les classiques de la littérature internationale. Les débats entre les protagonistes nous offrent une belle vision des métiers du livre, qui fait chaud au cœur. On a parfois envie d’afficher ces passages en les agrandissant sur nos murs ! Une série très atypique, qui nous montre l’exemple d’une bibliothèque privée au Japon ouverte au public.

La bibliothèque, enjeu politique, et des bibliothécaires censeurs

La lecture comme vecteur d’émancipation, d’éveil au sens critique… Voilà qui n’est pas du goût des dictateurs, aussi les bibliothèques ont-elles longtemps été et sont-elles toujours des enjeux de pouvoir. Et la vision poussiéreuse d’un bibliothécaire gardien des livres va de pair avec une vision politique de l’accès aux livres, et donc au savoir. Les bibliothécaires s’érigent alors en censeurs et cherchent à maintenir les autres dans l’ignorance, en leur imposant de fausses vérités.
Umberto Eco en a fait le sujet du Nom de la rose, un roman policier médiéval se déroulant en 1327, dans une abbaye bénédictine : ancien inquisiteur, le franciscain Guillaume de Baskerville, secondé par le narrateur Adso de Melk, enquête sur les assassinats de moines en rapport avec une bibliothèque dont l’accès leur est interdit, et dont les salles octogonales, construites dans un véritable labyrinthe parsemé de leurres et de pièges, rappellent la Bibliothèque de Babel imaginée par Borgès. Sa méthode de classement qui correspond à l’ordre chronologique d’arrivée des manuscrits dans l’inventaire, est donc connue du seul bibliothécaire.
On retrouve l’idée de cette soif de connaissances des bibliothécaires, allant jusqu’à son contrôle, dans la série jeunesse en quatre tomes Alcatraz contre les effroyables bibliothécaires de Brandon Sanderson. Alcatraz Smedry ne cesse de changer de parents adoptifs. À ses treize ans, il reçoit un curieux colis à son nom contenant un sac de sable, et la visite de son grand-père jusqu’alors inconnu. Ce dernier lui apprend que le fait de casser tout ce qu’il touche depuis sa naissance est un talent propre à sa famille et qu’il doit sauver le monde des infâmes bibliothécaires aux lunettes en écaille ! Là encore, les bibliothécaires détiennent le pouvoir, car ils possèdent l’information, le savoir, et ce sont même eux qui créent des fake news !
Hélas, plus sérieusement, Didier Daeninckx, dans son polar Ethique en toc, évoque l’infiltration dans les bibliothèques universitaires de personnes d’extrême droite : « Celui qui dit l’histoire contrôle le présent et agit sur l’avenir » (p. 83). Il lie les spécialités scabreuses d’hommes de pouvoir avec la montée en puissance de thèses négationnistes. Ici deux volontés s’opposent : celle d’une marée humaine qui tente de sauver des flammes, puis de l’eau, les livres de la Bibliothèque et partant, tout un pan de l’Histoire, et d’autre part celle d’hommes de l’ombre qui cherchent, ce faisant, à gommer des faits historiques pour réécrire l’Histoire.
Les bibliothèques, un enjeu de pouvoir aussi vieux qu’elles… Dans Livres en feu, Lucien X. Polastron dresse l’historique des bibliothèques incendiées, dévastées parce que enjeux de pouvoir, à commencer par celle d’Alexandrie. Un incendie qui rappelle l’incipit de Fahrenheit 451, ce roman-phare de Ray Bradbury, datant de 1953, une dystopie qui nous projette dans une société qui a condamné la lecture et les livres. Les résistants forment à eux tous une bibliothèque, chacun ayant mémorisé un livre ou une partie de livre : un espoir demeure, faisant songer au proverbe africain « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »

Une vision militante

Heureusement, les bibliothèques peuvent aussi renaître de leurs cendres par la seule volonté d’une poignée de personnes. On retrouve cette vision militante de livres rares à conserver coûte que coûte dans La Bibliomule de Cordoue, la dernière bande dessinée de Wilfrid Lupano, avec Léonard Chemineau au dessin. À Cordoue, le bibliothécaire Tarid et la copiste Lubna, tous les deux esclaves, risquent leur vie pour sauver de l’autodafé les livres de la deuxième plus importante bibliothèque du monde. Ils dérobent la mule d’un ancien disciple de Tarid, voleur d’un livre de valeur venu se racheter une conduite, qu’ils assomment. Le lendemain, Lubna sauve Marwann de la noyade infligée par les gardes du vizir et ils rattrapent Tarid parti avec la mule récalcitrante, croulant sous le poids des livres… Le scénariste imagine ici, à partir d’un probable autodafé des livres de la prestigieuse bibliothèque de Cordoue, au moment du retour à l’obscurantisme religieux, deux esclaves et un voleur risquant leur vie pour sauver des livres originaux des flammes. Un chouette coup de cœur.
Sauver les livres papier, non pas du feu, mais du tout numérique, c’est la mission d’Argus dans le roman jeunesse de science-fiction La guerre des livres d’Alain Grousset. Nommé maître-conservateur par l’Empereur, Argus a entrepris la conservation de milliards de documents, menacés par l’hypertechnologie, le tout numérique. Il accueille sur sa planète-livres, Libel, un réfugié ennemi, Shadi, jeune pilote de la Sécession, lequel comprend peu à peu la passion qui anime les bouquinistes, relieurs, traducteurs, imprimeurs à l’ancienne… Dans cet agréable récit d’aventures space opera, l’auteur rappelle combien le toucher, la matérialité physique des livres papier restent importants dans une civilisation technologique qui aurait tendance à vouloir les faire totalement disparaître au profit de « l’hyperéseau » et des seuls livres numériques.
Sauver les livres de la censure constitue le combat mené dans la série manga Library wars de Kiiro Yumi : dans un futur alternatif, le gouvernement japonais juge néfastes certaines lectures et décide de les censurer au moyen d’un comité d’amélioration des médias. Mais les bibliothécaires défendent parfois au prix de leur vie leurs livres, revues et journaux : ils finissent par faire voter la loi de sauvegarde des bibliothèques, et créent, pour assurer leur protection, un corps paramilitaire…
Sauver les livres, c’est aussi sauver notre part d’humanité sous la dictature, en pleine guerre ou dans un univers carcéral, nous élever à une meilleure conscience de soi, des autres et du monde. C’est la leçon que nous donnent des résistants syriens. Delphine Minoui nous en apporte le témoignage dans un essai captivant, Les passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie. À l’âge de 21 ans, Ahmad, en ouvrant un ouvrage de psychologie en langue anglaise trouvé dans une maison, a le sentiment d’ouvrir la porte du savoir et de s’échapper de la routine du conflit. Il est parcouru du même frisson de liberté que lors de sa première manifestation contre Bachar-al-Assad. Commence alors une collecte dans les maisons abandonnées, une véritable chasse aux livres. Un projet de bibliothèque publique voit le jour, alors que sous Assad, Daraya n’en a jamais eue. Cet ouvrage passionnant retrace une foi inébranlable dans les livres, « ces armes d’instruction massive qui font trembler les tyrans ».
C’est également la leçon que nous donne Edita Adlerova dans La Bibliothécaire d’Auschwitz d’Antonio Iturbe, un roman tiré de la véritable histoire de cette tchèque courageuse âgée de 14 ans, recrutée par monsieur Fredy Hirsch pour une mission bien particulière au bloc 31 du camp d’Auschwitz : devenir la bibliothécaire clandestine attitrée du quartier des enfants.
Terminons par la série manga en cours Magus of the library de Izumi Mitsu, chez Ki-oon, qui dès l’incipit annonce : « Protéger les livres c’est tout simplement protéger le monde ! ». Foin du cliché de la vieille bibliothécaire au chignon et aux lunettes, tant au contraire ces belles filles intelligentes, les Kahunas, y sont admirées comme des super-héroïnes, en particulier par Shio. Grand lecteur et bibliophile, ce garçon métis aux « vilaines » oreilles pointues se réfugie dans la lecture clandestine face au harcèlement raciste des garçons de son âge et à l’interdiction du directeur faite aux « pauvres » de fréquenter la bibliothèque du village, par peur du vol. Quand des Kahunas sont envoyées par la bibliothèque centrale d’Afshak dans son village et lui laissent un livre, la vie de Shio Fumis bascule : il veut passer le très exigeant concours de bibliothécaire, souvent réservé à une élite intellectuelle féminine, pour, comme elle, avoir pour mission suprême de protéger et réparer les livres. Sept ans plus tard, Shio part pour la capitale des livres, rencontre d’autres postulants passionnés, et passe les épreuves. Les meilleurs pourront choisir leur affectation… Magus of the Library est un bel hommage rendu au métier de bibliothécaire vu comme une espèce de mage, tout en distillant dans ces aventures une histoire du patrimoine écrit, des réalités de terrain et des détails de conservation. Un manga coup de cœur, évoquant la vocation de bibliothécaire, l’amour des livres, et la volonté de démocratiser la lecture et la culture pour les ouvrir à tous.
Parions que, dans cette lancée, une meilleure représentation sera faite de notre belle profession. Et « comme la plupart des amours, l’amour des bibliothèques s’apprend » phrase de l’érudit Alberto Manguel, extraite de La Bibliothèque la nuit (Avant-propos, p.17.) dont on ne saurait que trop conseiller la lecture et qui explore de manière érudite, en partant de la sienne, les problématiques inhérentes aux bibliothèques.

 

 

 

 

Les bibliothèques et le changement climatique

Si l’intérêt des bibliothèques est donc visible, peut-on aujourd’hui véritablement parler d’un engagement des bibliothèques en matière de changement global ? Comme le rappelle Johanna Ouazzani-Touhami2, la notion d’engagement peut être abordée d’un point de vue économique, sociologique ou philosophique, ce qui invite à penser l’engagement comme un processus en trois temps interconnectés. Il s’agit d’abord de définir un cadre d’action qui dresse les axes de la responsabilité assumée par la personne ou l’institution engagée, puis de mettre en œuvre cet engagement à travers des actions concrètes et enfin d’évaluer cet engagement avec des indicateurs permettant de voir aussi bien l’aspect éthique et intègre de l’engagement que ses effets et impacts.
Ce sont ces trois aspects que nous avons cherché à observer à travers une enquête menée entre septembre et décembre 2020 auprès de bibliothécaires français déjà engagés dans des actions liées au changement climatique et repérés par leur participation à la mobilisation du 25 septembre 2019. Nous leur avons adressé un questionnaire3 de 46 questions, avons reçu 96 réponses, dont 49 de bibliothèques territoriales. Cet article traite des réponses de ces dernières, à travers lesquelles nous allons observer que si les actions sont foisonnantes et emblématiques du rôle que la bibliothèque veut donner à l’information dans la transformation de la société, l’absence de mention de cet engagement envers le changement climatique dans les textes stratégiques des bibliothèques répondantes et le manque d’évaluation de ces actions limitent de fait la réflexion prospective des bibliothèques envers leur impact sur la société et par rebond la reconnaissance de ce rôle par les élus.

Visibilité de l’engagement

L’engagement des bibliothèques envers le changement climatique n’apparaît pas comme une mission dans les documents cadres des bibliothèques, tels que le Manifeste de l’Unesco pour les bibliothèques publiques4 ou le code d’éthique de l’IFLA5, tous deux rédigés avant l’Agenda 2030. L’Agenda 21 de l’ONU, pourtant rédigé en 1992 et donc avant ces deux textes bibliothéconomiques, offrait une belle place à l’information, mais aucune des six occurrences ne faisait référence à la bibliothèque ou même à l’école. L’IFLA ne commencera à s’intéresser au développement durable qu’au milieu des années 2000, quand des bibliothécaires proposent de créer un groupe d’intérêt spécial, appelé ENSULIB (Environment, Sustainability and Libraries). En 2014, l’IFLA s’engage plus encore en publiant La Déclaration de Lyon6 qui vise à influencer l’ONU à l’heure de la rédaction d’un nouvel agenda de développement durable. Si l’Agenda 2030 mentionne effectivement à plusieurs reprises l’information, les bibliothèques n’y figurent toujours pas. En France, la mobilisation exceptionnelle du 25 septembre 2019 aura permis de faire bouger les lignes et les bibliothèques sont aujourd’hui mentionnées officiellement dans la feuille de route de la France comme des « relais mobilisables dans tous les territoires » pour la mise en œuvre du développement durable7. Ce rôle étant enfin posé, il reste à savoir s’il est tout autant reconnu au niveau municipal ou intercommunal par les élus et assumé par les bibliothécaires eux-mêmes dans leurs propres documents stratégiques.
Pour cela, nous avons posé deux séries de questions. La première série prend place dans la partie du questionnaire relative à l’engagement effectif des bibliothèques interrogées et la seconde dans la partie du questionnaire relative aux représentations sur le rôle des bibliothèques en général. Les résultats montrent que quand l’engagement de leur municipalité est notable pour les bibliothécaires, c’est en général sur des thématiques non culturelles, telles que l’habitat ou la mobilité. Ces réponses manifestent l’absence de la bibliothèque dans les documents stratégiques environnementaux des municipalités. Or ceci n’est pas chose nouvelle et un véritable plaidoyer est à mener pour que les bibliothèques soient considérées comme des actrices utiles sur le champ du développement durable local. Il conviendra peut-être de le commencer au niveau des associations et des défenseurs des bibliothèques, puisque le code de déontologie des bibliothèques françaises8 revu en 2020 comme la proposition de loi pour les bibliothèques9 déposée en 2021 ne mentionnent pas les questions d’écologie, d’environnement ou de climat. Si deux réponses font état d’une prise en compte directe de la bibliothèque dans ces politiques engagées pour le développement durable au niveau local, nous n’assistons pas à une vague d’injonction des municipalités10 à ce que les bibliothèques mettent en place des actions sur le climat. Au contraire, les bibliothèques sont souvent à l’initiative des actions menées et décrites dans le questionnaire (82 %), alors que la tutelle n’est à l’initiative que de 3 % des actions menées (Q.3.3.1). Cependant les dernières élections municipales, qui ont vu plusieurs municipalités être remportées par les écologistes, vont peut-être changer la donne. Il conviendra de suivre dans les années à venir l’évolution à la fois de l’engagement des municipalités et les injonctions faites aux bibliothèques.
Cette prise en compte de la bibliothèque ne peut certainement se développer qu’à condition que la bibliothèque soit en mesure de convaincre de son rôle dans ce champ d’action. Au-delà du travail de plaidoyer qui peut ou doit être mené, la question de l’affirmation de l’engagement de la bibliothèque par la bibliothèque elle-même se pose. À la question « L’engagement de votre bibliothèque envers le développement durable et/ou le changement climatique est-il rendu public ? Est-il écrit dans un document cadre (politique documentaire, projet culturel et scientifique, charte, etc.) ? Est-il manifesté par une action ou un événement d’ampleur ? Est-il manifesté par l’investissement dans un groupe de travail ? » (Q. 2.2), 45 % des bibliothèques confirment la publicisation de leur engagement. Cependant, cette mise en public se manifeste principalement à travers leur programme culturel et scientifique (59 %). En d’autres termes, les bibliothèques proposent des événements sur le climat, proposition qui fait l’objet d’une communication, mais dont on sait qu’elle a davantage pour fonction de trouver des publics pour ces événements, que de mettre en avant l’engagement de la bibliothèque sur le climat. La publicisation de l’engagement sur le climat se fait aussi à travers la participation officielle à un groupe de travail dédié (32 %) ou à travers l’inscription dans un document cadre diffusé publiquement (27 %), mais les statistiques montrent que cette publicisation reste faible. Par exemple, la Médiathèque entre Dore et Allier, précédemment citée, a créé un groupe de travail « Local Challenge » avec d’autres médiathèques et acteurs de la communauté de commune, groupe dont les ambitions participent de la publicisation de l’engagement de la bibliothèque. Ces exemples restent rares et pour un tiers des répondants, l’engagement, s’il existe, n’est pas rendu public et ne fait pas l’objet d’une exposition. Il faut mettre cette question en regard avec le faible taux de rédaction de documents stratégiques dans les bibliothèques, ce que les encouragements à rédiger des PCSES devraient faire évoluer dans les années à venir. L’Agenda 203011, qui fait une place à la valeur de l’information, et la Feuille de route de la France12, qui reconnaît le rôle des bibliothèques, sont deux outils utiles pour dresser les contours de l’engagement des bibliothèques.
Pour autant, ce défaut d’exposition n’est pas lié à une position attentiste des bibliothèques. Au contraire, celles-ci reconnaissent et assument la responsabilité qu’elles jouent en matière de lutte contre le changement climatique. À cette question de la responsabilité de l’institution : « Pensez-vous que la bibliothèque joue un rôle dans la lutte contre le changement climatique ? » (Q. 5.4), « Pour vous, peut-on parler de responsabilité de la bibliothèque ? » (Q. 5.5), quasi-unanimement, les répondants pensent que la bibliothèque joue un rôle dans la lutte contre le changement climatique. Les 4 % ayant répondu négativement à cette question précisent leur réponse en indiquant que l’impact de leur bibliothèque et de ses actions reste trop faible au regard de l’urgence de la situation. Il s’agit dès lors de voir dans quelle mesure ces engagements et ces intentions sont reflétés dans des ensembles d’action. C’est dans l’agir, dans la mise en acte, que la bibliothèque peut devenir véritablement actrice, au sens théâtral de la politique, comme le montrait Etienne Tassin13, et afficher sur la place publique son engagement.

Mise en œuvre de l’engagement

Étudier l’engagement des bibliothèques envers le changement climatique nécessite donc d’observer les actions elles-mêmes afin de voir ce qu’elles disent de cet engagement. La grande majorité des bibliothèques répondantes (73 %) ont mené des actions autour du développement durable et/ou du changement climatique en 2019 ou 2020. Pour faciliter l’étude des actions décrites, et comprendre ce qu’elles visent et permettent, nous nous sommes appuyés sur la description des actions des bibliothèques, telles que définies par David Lankes, un professeur de bibliothéconomie américain, qui a écrit l’Atlas de la nouvelle bibliothéconomie14. Pour Lankes, le rôle de la bibliothèque est d’améliorer la société par six axes de travail :

● En fournissant des connaissances, qui permettent aux individus de se construire une vision du monde.

● En invitant des conversations à se tenir au sein de la bibliothèque, soit entre les documents mis à disposition, soit entre les individus qui les empruntent, soit entre les invités de la bibliothèque et ses visiteurs dans les actions de programmation scientifique et culturelle ou dans les actions de médiation.

● En facilitant l’accès à ces connaissances du point de vue des compétences, en d’autres termes, la formation aux différentes littératies nécessaires pour entrer en conversation autour des connaissances mises à disposition.

● En incitant tout le monde à prendre part à la création/circulation de connaissances, via des mécanismes d’inclusion, via des animations participatives, via des actions hors les murs, etc.

● En affichant l’engagement actif de la bibliothèque, dans ses documents cadres, auprès des médias, auprès des publics, etc. Cet aspect a été vu dans la partie précédente.

● En développant des compétences adaptées pour l’équipe de la bibliothèque. Cette partie sera vue dans la partie 3 de cet article sur l’évaluation.

Ces six axes présentent une carte nous permettant d’identifier les types d’actions proposées et permettent ainsi de brosser le portrait d’une bibliothèque en train de participer à l’amélioration de la société par son action sur le changement climatique. Pour cela, nous avons d’abord cherché à identifier le type d’actions menées à travers une question sur l’objet de l’action (Q. 3.2). On voit dans le graphique ci-dessous que les actions relèvent principalement de la mise à disposition de ressources et de l’organisation d’événements.

Figure 1 : Répartition des actions menées par objet. Q3.3 et Q3.4 [réponse à une question à choix multiples]

Ces résultats ne sont pas étonnants, compte tenu de la spécificité de la bibliothèque : fournir de l’information et assurer une médiation de celle-ci. De même, les réponses à la question (Q. 3.3.3/3.4.3) sur l’objectif visé de l’action décrite, à savoir informer, susciter le partage ou montrer l’exemple, accentuent ces résultats en pointant l’importance de la transmission d’information (73 %) et du partage de solutions (72 %) au détriment de la transformation de la bibliothèque pouvant se présenter alors comme exemple ou modèle (36 %). Les actions de la bibliothèque de Morne à l’Eau illustrent parfaitement ce rôle de diffusion d’information : « La ville de Morne à L’Eau, meilleure petite ville pour la biodiversité 2018, poursuit ses actions en matière de partage et d’acquisition de connaissances sur la richesse de son environnement. L’action propose aux jeunes publics des activités de « vulgarisation scientifique », à travers des ateliers jeux/découvertes pour les sensibiliser à la connaissance et à la préservation de leur territoire. À long terme le projet est d’enrichir le fonds documentaire numérique de la bibliothèque par la mise à disposition de travaux de recherches universitaires soutenus par la ville et traitant de la biodiversité » (Réponse au questionnaire, Q. 3.3).
Cependant, à la question Q. 5.4, sur le rôle de la bibliothèque face au changement climatique, les bibliothécaires considèrent que l’information transmise vise d’abord à développer un esprit critique sur la question du changement climatique, plutôt qu’à transformer les pratiques directement (voir la figure 2). Semble se dégager de cela le dessin bien connu d’un engagement naturel de la bibliothèque envers l’émancipation, une bibliothèque qui fournit de l’information pour que chacun et chacune puisse comprendre et analyser l’évolution de la société. La question de la transformation des pratiques ne serait finalement que secondaire, la bibliothèque ne s’engageant pas pour une pratique ou une autre, mais s’engageant pour que les citoyens déterminent leurs meilleures conditions d’existence dans cette société. Cette position fait écho à la notion de littératie environnementale telle que proposée par Kathryn Miller. À ce sujet, Manon Leguennec écrit : « En convoquant le concept d’environmental literacy, qu’elle définit comme la « capacité à identifier un choix durable et à faire ce choix », [Kathryn Miller] affirme qu’aujourd’hui au XXIe siècle, les bibliothèques publiques ont le rôle d’enseigner la conscience environnementale à travers la programmation et les services de la bibliothèque. L’éducation à l’environnement est une autre manière pour la bibliothèque d’aider sa communauté à faire un pas de plus vers le progrès sociétal »15. Le développement d’une conscience environnementale peut alors se faire à travers ces actions de sensibilisation au développement durable, qui visent aussi bien à comprendre les enjeux qu’à développer son esprit critique sur cette notion.

Figure 2 : Répartition des rôles de la bibliothèque dans la lutte contre le changement climatique. Q 5.4 [réponse à une question à choix multiple]

Pourtant, l’étude des actions menées et décrites par les bibliothécaires dans le questionnaire montre qu’en parallèle de cet effort de conscientisation des publics, les bibliothécaires travaillent à une autre littératie, qui repose sur la pratique d’une éthique environnementale et qui appelle à un changement rapide de pratiques. De fait, si de la question des actions menées en général (voir figure 1), il ressort que les bibliothèques mènent davantage d’actions de sensibilisation que d’actions visant le changement de pratiques, l’appel à la description d’actions fait ressortir l’intérêt des bibliothèques pour cette deuxième catégorie d’actions. Ainsi, les actions décrites sont à 29 % des actions de sensibilisation (collections, conférences, projections, expositions) et à 60 % des actions de changement de pratique (atelier, bonne pratique). On ne prend pas ici en compte les événements, qui rassemblent plusieurs types d’actions, certaines de sensibilisation et d’autres de changement de pratiques.

Figure 3 : Répartition des actions décrites par type

Les actions décrites par les répondants, si elles prennent encore souvent la forme d’une sensibilisation documentaire à travers la mise à disposition de tables documentaires thématiques ou de fonds documentaires thématiques, s’ouvrent aussi à des réflexions sur les pratiques et à des encouragements au changement de pratique avec la mise à disposition d’un autocollant Zéro Déchet pour les commerçants, l’organisation d’ateliers zéro déchet ou fabrique de lessive, l’installation d’une grainothèque ou encore la participation à l’opération Le Jour de la Nuit sur la pollution lumineuse. Certains projets sont clairement des exhortations au changement des comportements quotidiens. Ainsi, la bibliothèque de Gilly sur Isère « accompagne un groupe d’habitat partagé pour le démarrage de leur projet : temps de rencontre, projections destinées à tous les publics hors le groupe, sur des thématiques comme : la gouvernance partagée, l’autonomie alimentaire, etc. » (Réponse au questionnaire, Question 3.3). Ou encore le réseau des bibliothèques de Rouen qui propose à son public des « fiches « défis zéro déchet « . Chacun pourra « emprunter » une fiche pour environ 1 mois, et tenter de réussir le défi proposé. Chaque fiche renvoie à un ouvrage présent dans les collections et empruntable pour approfondir la question abordée. À la fin du défi, un baromètre des réussites est présenté. Les gens peuvent ainsi voir quels gestes semblent les plus faciles pour se lancer. » (Réponse au questionnaire, Question 3.3). Quant aux actions proposées uniquement pour la jeunesse (7 %), elles sont bien plus délibérément tournées vers les pratiques : ateliers jeux/découvertes pour sensibiliser à la connaissance et à la préservation de son territoire, nettoyage de la nature, plantation d’arbres dans le jardin de la bibliothèque, ateliers et jeu autour du tri, etc.
En cela, la bibliothèque s’inscrit résolument dans la définition de l’éducation au développement durable telle que proposée par l’Unesco : « L’éducation est un élément essentiel de la réponse mondiale au changement climatique. Elle aide les gens à comprendre et à faire face aux effets du réchauffement climatique, augmente les connaissances sur le climat parmi les jeunes, encourage des changements dans leurs attitudes et leurs comportements, et les aide à s’adapter aux tendances liées aux changements climatiques »16. On retrouve là également trois des modes de médiation au changement climatique, tels que décrits par Marine Soichot dans son étude des actions des musées17 : le mode informatif (« Donner des informations claires et objectives sur toutes les dimensions du problème »), le mode interventionniste pour un changement de comportements (« Favoriser l’adoption de comportement écologiquement vertueux ») et le mode critique (« Interroger la définition dominante du problème climatique et la notion de développement durable »). Ce sont donc à deux types de littératies environnementales que les bibliothécaires se livrent en parallèle : éveiller les consciences sur la situation et faire amorcer des changements de pratiques, dessinant ainsi une bibliothèque dont l’engagement reflète la capacité à se saisir de l’urgence à agir. Reste à savoir si ces actions sont porteuses et ont un effet réel sur les consciences et les pratiques.

L’évaluation de l’engagement

Car si agir permet que l’engagement ne soit pas juste un effet d’annonce, il convient de s’assurer également que l’engagement ait un effet pour qu’il ne soit pas action vaine. Les bibliothèques se sont emparées de la question de l’évaluation de l’impact depuis une dizaine d’années. Après les enquêtes menées en Espagne par exemple18, les recherches d’Aabo19 ou encore le rapport The Weight They Worth20, les bibliothèques françaises ont lancé au milieu des années 2010 un groupe d’advocacy au sein de l’ABF, qui avait pour mission de mener une grande enquête d’impact. Ce projet, mené avec la Bpi et le ministère de la Culture, a pour l’instant fait l’objet d’un rapport sur la mesure des effets des bibliothèques21 (Le Quéau et Zerbib) et les résultats de l’enquête elle-même devraient être rendus publics en 2021. S’il a fallu autant de temps, et c’est tout à fait clair dans le rapport de Le Quéau et Zerbib, c’est que la tâche est ardue à mener. Et si elle l’est au niveau national, on peut imaginer qu’elle le soit encore plus au niveau local, quand les moyens et les expertises en enquêtes sociologiques ne sont pas aussi disponibles. Il convient donc d’approcher la question de l’évaluation de l’action et de l’engagement avec des indicateurs qui seraient les plus accessibles aux bibliothèques.
Dans le cas de l’engagement pour le développement durable, nous pouvons définir trois manières d’aborder la question de l’évaluation. La première reviendrait à réussir à traduire les indicateurs de l’Agenda 2030 en indicateurs bibliothéconomiques. Il s’agirait alors de pouvoir montrer que les bibliothèques participent de la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Malheureusement, ces indicateurs sont trop spécifiques pour être traduits convenablement pour le secteur bibliothéconomique. Ce travail de traduction des indicateurs n’a donc pas encore abouti, mais reste toutefois un objet en cours de réflexion pour des associations telles que EBLIDA et son groupe de travail ELSIA-EG22.
Une autre approche serait tout simplement d’évaluer chaque action liée au changement climatique ou au développement durable de la même manière que leurs autres actions. Il s’agirait alors d’utiliser des indicateurs permettant de s’assurer que l’action a atteint ses objectifs et qui permettent, le cas échéant, de repenser et rectifier l’action menée. Il convient pour cela d’avoir à la fois des indicateurs de résultats et des indicateurs d’un impact direct sur les bénéficiaires. Pour voir si de tels indicateurs sont utilisés, nous avons demandé aux participants : « Quels indicateurs avez-vous choisi pour évaluer cette action ? » (Q. 3.3.6). Aucun indicateur n’est utilisé dans 8 % des cas. Quand un indicateur est utilisé, il s’agit d’indicateurs qui ne sont pas spécifiques au développement durable, comme le taux de fréquentation (54 %) et le taux de rotation des documents ou des ressources (22 %). Des indicateurs relatifs à l’impact sont également utilisés : indicateurs liés aux retours d’expériences (19 %), à l’impact de l’action à court, moyen et long terme (17 %) et à la satisfaction des participants (15 %). À titre d’exemple d’impacts, on peut citer « la création d’un réseau de citoyens actifs » à la Médiathèque municipale Vélizy-Villacoublay, le « nombre d’observations d’oiseaux » suite à l’installation de nichoirs à la Médiathèque Antoine de Saint-Exupéry, ou la pesée systématique de chaque objet réparé « afin qu’à la fin de chaque saison, on connaisse le poids de l’ensemble des objets qui ne sont pas partis à la poubelle » à la Médiathèque Philéas Fogg de St-Aubin du Pavail23. Enfin, une série d’indicateurs relatifs à la réception des actions sont utilisés, tels que la diversité des publics (4 %), l’implication des participants (7 %), l’implication des partenaires (4 %), l’intérêt suscité (8 %), le relais de l’événement par les médias, les partenaires, les réseaux sociaux (7 %). Les indicateurs relatifs au fonctionnement interne sont étonnamment peut-être les moins utilisés : coût financier (1 %), respect des délais (1 %), temps d’investissement des équipes (3 %), pérennité de l’action (4 %), et implication de la tutelle (3 %). L’existence de ces indicateurs et leur connaissance par les bibliothèques, laissent voir la possibilité pour les bibliothèques de mener à bien une politique d’évaluation de leurs actions en matière de développement durable, à la condition qu’elles développent une politique interne d’évaluation de leurs actions en général, ce qui n’est peut-être pas encore assez le cas.
Enfin, une dernière approche de l’évaluation consisterait à identifier des indicateurs afin de s’assurer que la bibliothèque a bien mis en œuvre tout ce qui lui était possible pour agir. Il convient pour cela d’avoir des indicateurs de fonctionnement (personnels mobilisés, coût, délais, etc.) et des indicateurs d’intention (formation du personnel, budget prévisionnel). Les indicateurs de fonctionnement sont particulièrement sous-utilisés (voir ci-dessus) et les indicateurs d’intention n’ont pas été mentionnés dans les réponses à la question précédente, ou à la question suivante : « Quels indicateurs avez-vous prévu de mesurer pour évaluer la mise en œuvre de votre engagement ? » (Q. 2.3). D’une manière générale, les bibliothèques reconnaissent ne pas être en mesure d’évaluer la mise en œuvre de leur engagement (94 % des réponses). Cependant quelques rares bibliothèques font état d’une volonté de mise en place d’un dispositif ayant pour objectif de définir de tels indicateurs ou d’utiliser des indicateurs de l’Agenda 2030, ce qui est d’ailleurs un des usages de cet outil comme 23 % des 81 % de répondants qui l’utilisent l’ont confirmé. Peut-être faut-il travailler aujourd’hui à développer des outils qui permettraient aux bibliothèques de faire des auto-diagnostics de leur engagement ODD par ODD24. Sur le modèle de l’audit d’inclusion sociale du CULC25, il s’agirait de définir des niveaux attendus d’engagement, mesurables par des indicateurs de fonctionnement, d’intention, d’impact et de réceptivité. Ce travail, qui reste à faire, est en germe dans nos recherches et nous espérons pouvoir établir un tel outil qui faciliterait à la fois la définition de l’engagement des bibliothèques, les modalités des actions à mener et la promotion de leur rôle vis-à-vis des tutelles.

« 
L’engagement pour la lutte contre le changement climatique ne coûte pas plus que les autres actions menées par les bibliothèques.
»

Conclusion

À la question relative aux freins rencontrés pour mettre en œuvre des actions liées au changement climatique, 81 % des répondants déclarent rencontrer des difficultés en termes de compétences, de motivation, de budget ou d’intérêt de la tutelle et des publics. En revanche, pour 19 % d’entre eux, et c’est la réponse la plus représentée, aucune difficulté n’a fait obstacle à la mise en œuvre de l’action. Peut-être faut-il arrêter cet article sur cette donnée et rappeler que l’engagement pour la lutte contre le changement climatique ne coûte pas plus que les autres actions menées par les bibliothèques. Certes, il faudrait l’accompagner d’une stratégie officielle et d’une évaluation solide, mais cela est vrai de toutes les politiques publiques. Il ne reste donc plus qu’à se lancer et participer à notre niveau à ces transformations sociales nécessaires aujourd’hui.

 

 

La Bibliothèque, la nuit

Dans cet essai érudit et foisonnant, le collectionneur passionné de livres qu’est Alberto Manguel interroge les représentations collectives, culturelles, mais aussi celles de sa propre subjectivité à l’aune de sa bibliothèque personnelle, de ces lieux de connaissance que sont les bibliothèques. Traducteur, éditeur, critique littéraire et essayiste dont la problématique principale est centrée sur les livres et la lecture, cet écrivain d’origine argentine a été dans sa jeunesse lecteur pour Borges. Il a voyagé dans de multiples pays, a pris la nationalité canadienne, puis a vécu en France près de Poitiers où il avait installé sa bibliothèque riche de quelques 30 000 livres1 avant de devoir tout récemment déménager. Si sa quête au cœur des livres le conduit à se questionner sur le monde lui-même, c’est qu’il invoque à chaque page nombre de références littéraires, artistiques, et historiques en un perpétuel va-et-vient entre son expérience de lecteur et ses rencontres avec des bibliothèques réelles, mythiques ou imaginaires.

L’ordonnancement du monde

« La bibliothèque est un espace clos, un univers autonome dont les règles prétendent remplacer ou traduire celles de l’univers informe du dehors ». Détentrice d’une masse de connaissances, la bibliothèque se pose comme un lieu d’ordre qui entend donner du sens au désordre du monde en proposant une organisation particulière du savoir. « Pendant la journée, la bibliothèque est un royaume d’ordre. (…) La structure du lieu est visible : un labyrinthe de lignes droites, où l’on n’est pas censé se perdre mais trouver ; une pièce divisée en suivant un ordre apparemment logique de classification ; une géographie qui obéit à une table des matières prédéterminée et à une hiérarchie mémorable d’alphabets et de nombres. »
On voit ici le paradoxe de la métaphore du labyrinthe, image fréquemment utilisée pour évoquer les bibliothèques, l’enjeu pour les professeurs documentalistes, comme pour les bibliothécaires, étant de faire de cette impression labyrinthique un lieu simple et intuitif où chacun peut trouver l’information dont il a besoin. Si cet ordonnancement du monde est évident en journée, Manguel lui oppose une vision quasi fantasmagorique de sa bibliothèque personnelle la nuit. Il s’y libère des contraintes quotidiennes, de la logique et de la classification. C’est le royaume du butinage, de la sérendipité : un livre en appelle un autre, par association d’idées. « Si le matin, la bibliothèque suggère un reflet de l’ordre sévère et raisonnablement délibéré du monde, la bibliothèque la nuit, semble se réjouir de son désordre fondamental et joyeux ». Manguel rapproche ces expériences différentes des deux profils de lecteurs évoqués par Virginia Woolf : celui qui aime s’instruire et celui qui aime lire. Pour Manguel, le jour est propice à la concentration et à l’étude, la nuit à la lecture plaisir et à l’imagination.

La volonté d’une bibliothèque de rassembler en un même lieu toute « notre expérience indirecte du monde », d’harmoniser nos connaissances et notre imagination, et de grouper l’information, est incarnée par les deux mythes suivants : la Tour de Babel et la Bibliothèque d’Alexandrie. Arrêtons-nous un moment sur cette dernière, image mythique et hautement symbolique s’il en est, de toute bibliothèque.
La bibliothèque d’Alexandrie est la première à avoir pour ambition de rassembler de façon exhaustive tous les livres du monde (sous forme de rouleaux de papyrus). Ce « rêve d’un ordre universel », repris aujourd’hui par la volonté d’infini du Web, entend donner une place à chaque rouleau et enregistrer de façon systématique toutes les informations selon le classement thématique inventé par les bibliothécaires alexandrins. Chaque rouleau qui arrive est copié et c’est cette copie qui est conservée dans la bibliothèque. Si la postérité a gardé la mémoire des raisons d’être de la bibliothèque, elle n’a en revanche quasiment rien conservé de l’apparence et de l’agencement des lieux. On sait que la salle principale baptisée Museion (« maison des Muses ») ornée de l’inscription « le lieu du traitement de l’âme », comporte des étagères (bibliothekai, étymologie du mot bibliothèque) avec des casiers pour ranger les rouleaux. Il y existe également des salles de travail et une salle de repas pour les savants. « La Bibliothèque qui se voulait dépositaire de la mémoire du monde n’a pas pu sauvegarder pour nous son propre souvenir. »
Une des raisons d’être de la Bibliothèque d’Alexandrie est la quête d’immortalité des Égyptiens : par la conservation des histoires qui prouvent et donnent du sens à leurs existences, ils s’assurent un présent continuel. Ce sont en effet les lecteurs qui donnent une nouvelle vie à des livres appartenant pourtant au passé : « La lecture est un rituel de renaissance ».
La deuxième injonction liée à la Bibliothèque d’Alexandrie est, comme on l’a dit, l’enregistrement exhaustif du savoir. Toute une communauté de savants (à l’instar d’Euclide ou Archimède) est logée à proximité de la Bibliothèque pour rédiger des œuvres critiques, des gloses, des commentaires sur les rouleaux qui y sont conservés, selon la règle édictée au IIe s. av. J.-C. : « Le texte le plus récent remplace tous les précédents puisqu’il est censé les contenir. » Le principe du palimpseste littéraire joue ici à plein.
Enfin, elle constitue un lieu de mémoire et en cela, représente une volonté politique : rassembler des œuvres grecques permet de prouver la supériorité de la culture égyptienne, en démontrant l’influence de l’Égypte sur la culture grecque. Alexandrie résonne pour finir comme un avertissement sur la fragilité et le caractère éphémère de cette conservation des traces : tout peut un jour être détruit…
Par opposition à cette volonté d’ordonnancement du monde, le mythe de la Tour de Babel témoigne quant à lui de la fin de l’unicité de la société, la dispersion des langues et la perte de sens qui en découle. C’est bien tout le contraire qui se joue à Alexandrie, symbole d’une quête universelle : la mise en commun et la conservation exhaustive des connaissances en un même lieu.

D’autre part, l’organisation interne d’une bibliothèque représente un ordre, un système de classement2, quel qu’il soit. Celui-ci peut être plus ou moins fantaisiste, à l’instar des 12 modes de classement édictés par Georges Pérec dans Penser / Classer. On peut en effet imaginer pour sa bibliothèque personnelle un classement purement esthétique, par taille, pour que les dos des livres soient parfaitement alignés en hauteur. Ou encore un classement purement pragmatique, regroupant les livres les plus utilisés, les plus lus, à l’image de la bibliothèque de Pline Le Jeune. Mais une bibliothèque publique, en s’adressant au plus grand monde, doit établir un code compris de tous et prédéterminé, qui conditionne son agencement global. Or, si « l’ordre engendre l’ordre », on peut aussi plonger dans des catégories et des sous-catégories multiples, dans une arborescence fractale infinie, comme nous le dit si bien Alberto Manguel :
« Sitôt établie, une catégorie en suggère ou en impose d’autres, si bien qu’aucune méthode de catalogage, sur étagères ou sur papier, n’est jamais close. Si je décide d’un certain nombre de sujets, chacun de ceux-ci exigera une classification à l’intérieur de sa classification. À un certain degré de rangement, par fatigue, ennui ou découragement, j’arrêterai la progression géométrique. Mais la possibilité de continuer est toujours là. Il n’existe pas de catégories ultimes dans une bibliothèque. »
On voit bien, par exemple avec l’arborescence de la classification Dewey, qu’il est possible d’ajouter sans fin des sous-catégories, d’affiner les thèmes au plus précis possible. La dérive serait qu’il y ait des cotes tellement précises qu’elles seraient uniques pour chaque livre…
Le revers de tout classement est qu’il est forcément arbitraire. S’il permet de « délimiter l’illimité » des connaissances, il propose toujours une certaine vision du monde. C’est une des principales critiques qui est adressée à la Dewey, mais cette objection est valable pour toutes les classifications. Manguel en donne plusieurs exemples : le fait de classer une œuvre dans la catégorie « Roman policier » oriente d’emblée le lecteur en lui donnant des clés de lecture particulières. Le classement utilisé dans la bibliothèque impériale de Chine, divisé en quatre grandes catégories (Histoire – Philosophie – Littérature – Textes canoniques) était ensuite rangé en fonction de la rime du dernier mot du titre, ce qui créait des centaines de combinaisons. On peut également trouver dans les bibliothèques chinoises médiévales une structure pyramidale, qui représente la hiérarchie sociale, les écrits de l’Empereur étant placés en premier.
Ces différents classements ne sont donc jamais neutres, même lorsqu’ils utilisent l’ordre alphabétique, puisque ce dernier génère des juxtapositions et des associations d’idées entre des livres fort dissemblables qui sont tout aussi arbitraires que les autres classements.
Le premier à utiliser le classement alphabétique est le bibliothécaire d’Alexandrie, Callimaque. Il établit un catalogue en 120 volumes des principaux auteurs grecs de la bibliothèque, en les classant selon des pinakes (ou « tables ») qui mélangent genres et thèmes : épopée, poésie lyrique, tragédie, comédie, philosophie, médecine, rhétorique, droit, et une dernière catégorie Divers qui est un vaste fourre-tout ! À l’intérieur de ces catégories, les auteurs sont ensuite classés par ordre alphabétique avec des notes biographiques et une bibliographie réalisées par Callimaque. Ce système de classement alphabétique se retrouve plus tard dans les bibliothèques du monde arabe, mais il n’y a en revanche aucune uniformité au Moyen Âge pour mettre de l’ordre dans l’œuvre d’un même auteur : par titre, par ordre chronologique, par sujet, selon les bibliothèques.
« Si une bibliothèque est un miroir de l’Univers, alors le catalogue est le miroir de ce miroir. » Les premières formes de classements thématiques apparaissent à l’époque médiévale, selon le témoignage d’Avicenne qui se rend dans la bibliothèque du Sultan de Boukhara. « Chaque pièce y était consacrée à une science en particulier » où le bibliothécaire est « le gardien de la mémoire vivante des livres ». Ainsi, Avicenne peut y consulter les livres et « reconnaître la position de chacun d’eux dans la catégorie scientifique appropriée ». Les divisions thématiques s’associent donc au classement alphabétique dans le Moyen-Âge arabo-musulman.
Mais « une bibliothèque est une entité en perpétuel accroissement » et si une catégorie contient trop de livres, elle devient inutile. L’idée est donc venue d’utiliser « l’univers illimité des nombres » plutôt que celui, fini et restreint des lettres de l’alphabet. C’est ainsi que l’américain Melvil Dewey, en 1873, conçoit le principe d’utiliser des décimales « pour numéroter une classification de toute la connaissance humaine imprimée ». Chaque division peut ainsi se rediviser en sous-thèmes à l’infini, en arborescence. Les dix grandes classes du savoir proposées par Dewey, selon un classement par sujet en fonction du contenu des livres, correspondent bien entendu à un contexte politique et culturel particulier. L’idéologie sous-jacente y est celle d’une supériorité de la « race » anglo-saxonne, d’une culture américaine dominante. On est là bien loin d’une forme d’universalité dans la grille de lecture et de compréhension du monde qui est proposée, et c’est pourtant cette classification qui sera adoptée partout dans le monde grâce à sa simplicité et son côté pratique. « À tout ce que l’on peut concevoir, on peut attribuer un nombre, et l’on peut donc contenir dans l’infinie combinaison de dix chiffres l’infinité de l’univers. »

Inversement, « pour Umberto Eco, une bibliothèque doit avoir le côté imprévisible d’un marché aux puces. » Elle peut être le royaume du hasard, malgré l’ordre qui y règne. En effet, tout classement entraîne des rassemblements de livres farfelus, mystérieux, étonnants, tissant ainsi des similitudes secrètes, des liens mentaux et des paysages imaginaires que les vagabondages des lecteurs dans les rayons dessinent, au gré de leurs envies et de leur subjectivité. La succession des lectures, selon les choix et la chronologie dans lesquelles elles sont effectuées, colore tel ou tel livre de souvenirs et des réminiscences des précédentes lectures. « Chacun des livres est un kaléidoscope qui se modifie sans cesse : chaque nouvelle lecture lui apporte un nouveau tour, un nouveau schéma ».
Dans le cas d’une collection privée, c’est aussi bien entendu un reflet de la personnalité de son propriétaire. « Toute bibliothèque est une autobiographie » Mais comment lier un principe d’organisation logique et rationnelle et la combinaison aléatoire et personnelle issue des expériences de lecture ? C’est ce dilemme qu’a tenté de résoudre le critique d’art et écrivain Aby Warburg dans sa bibliothèque personnelle dès 1909. La « Bibliothèque Warburg de Science de la culture » dédiée à la déesse grecque de la mémoire Mnémosyne, est constituée de rayonnages elliptiques, puisque chaque livre renvoie forcément à un autre titre dans cette vision cyclique de la bibliothèque. Elle est selon le philosophe Cassirer « un catalogue de problèmes ». En effet, les sujets sont juxtaposés selon des associations d’idées libres, comme la philosophie mêlée à l’astrologie, l’Art regroupé avec la Religion et la littérature, la théologie, la poésie associées à l’histoire de l’Art… Warburg cherche aussi à y appliquer la « règle du bon voisin » : le livre que l’on connaît bien côtoie peut-être sans qu’on le sache un livre inconnu au titre un peu obscur mais qui renferme exactement l’information dont on a besoin. Les livres ainsi regroupés sont l’expression de « la pensée de l’humanité sous tous ses aspects, constants et changeants ». Il reprend donc en permanence le classement, y change l’ordre des livres sans cesse, au gré des liens qui se tissent dans son esprit. C’est là toute la limite de la bibliothèque de Warburg qui donne une représentation de la complexité de sa pensée mais est incompréhensible de l’extérieur pour tout autre que lui-même. Manguel, en visitant sa reconstitution au Warburg Institute à Londres, est pris de vertige et de stupeur face au labyrinthe des rayonnages et à l’absence totale de repères dans cette bibliothèque complexe et infiniment personnalisée.

Un lieu fini qui entend contenir l’infini

Si l’utopie qui sous-tend les grandes bibliothèques est de rassembler tous les livres du monde au même endroit, le lieu bibliothèque en lui-même n’est pas infini dans sa spatialité et présente des contraintes matérielles bien réelles. L’emplacement d’un livre, son inscription dans un certain espace de la bibliothèque lui donne déjà et a priori une certaine définition, un sens, si arbitraire soit-il, en fonction du mode de classement choisi. L’ordre adopté peut également être en partie conditionné par l’agencement de l’espace et les contraintes du lieu. Manguel multiplie ainsi les exemples d’architectures et de dispositifs permettant de contenir le plus de livres possible dans une bibliothèque : étagères suspendues, échelles immenses, rayons rotatifs à 4 côtés etc. Il dit pourtant aussi en préambule que la disposition la plus optimale des livres dans un rayon serait de les disposer à hauteur de bras et d’œil, donc jamais au ras du sol ni trop en hauteur, pour en faciliter l’accès, chose qui arrive très peu souvent en raison du gaspillage de place.
L’éternel problème est bien entendu ici la conservation des documents et leur stockage. Si la numérisation peut être une solution pour gagner de la place, elle s’avère problématique sur le long terme en raison de la difficile pérennité des formats informatiques. Le papier se conserve finalement beaucoup mieux et plus longtemps qu’un support numérique trop dépendant des évolutions technologiques. Manguel soutient donc la double conservation imprimée et numérique dans une bibliothèque, dans une complémentarité des supports.
Il déploie ensuite à travers plusieurs références historiques l’image de la bibliothèque en perpétuel agrandissement, ce qui pose nécessairement problème dans un lieu qui n’est lui pas infini. Ainsi, Gabriel Naudé, en 1627, dans son « Advis pour dresser une bibliothèque », montre bien que l’intérêt d’une bibliothèque est d’y trouver ce que l’on cherche. Or, étant une collection forcément incomplète et en perpétuel renouvellement, c’est là tâche impossible que de contenir tous les documents nécessaires à tous.
C’est le même objectif qui régit l’Encyclopédie de Diderot : les volumes représentent en quelque sorte à eux seuls l’équivalent du contenu d’une bibliothèque entière. L’idée est bien de « rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre », de créer une « encyclopédie sanctuaire » qui se suffit à elle-même (article « Encyclopédie » dans l’Encyclopédie). Diderot déclare également que « cet ouvrage pourrait tenir lieu de bibliothèque dans tous les genres à un homme du monde ; et dans tous les genres excepté le sien, à un savant de profession ». Le classement interne à L’Encyclopédie est alphabétique, mais les liaisons entre les sujets sont visibles par des renvois en fin d’article. Ces liens qui tissent un arbre de la connaissance humaine sont d’ailleurs souvent étonnants et révélateurs du contexte historique et philosophique des Lumières. Par exemple, en fin d’article sur l’anthropophagie, on trouve un renvoi vers « Eucharistie – Communion – Autel » !
L’utopie qui est au cœur de l’Encyclopédie de Diderot devrait permettre de clore l’expansion infinie des bibliothèques. C’est également l’idée qui sous-tend le Web et sa volonté d’exhaustivité. À l’instar des deux personnages de Flaubert, Bouvard et Pécuchet qui se sont donné pour mission de lire tous les livres du monde, les bibliothèques ne font que « se déployer et enfler jusqu’au jour inconcevable où elles contiendront tous les volumes jamais écrits sur tous les sujets imaginables ». C’est également la métaphore présente dans la bibliothèque de Babel de Borges, celle d’une bibliothèque illimitée contenant tous les livres possibles, où le personnage se rend compte que sa quête est redondante et impossible. En effet, « l’encyclopédie mondiale, la bibliothèque universelle existe, et c’est le monde même. »
Par ailleurs, l’agencement des livres dans une pièce détermine l’univers mental, l’atmosphère et la relation qui se créent entre le lecteur et les ouvrages. Michel Melot, alors directeur de la BPI, le dit fort bien : « Tout bibliothécaire est toujours un peu architecte. Il bâtit sa collection comme un ensemble à travers lequel le lecteur doit circuler, se reconnaître, vivre ». La perception du lieu ne sera pas la même dans une bibliothèque compartimentée en sections, avec une hiérarchisation des sujets, ou dans une salle ronde, à l’agencement circulaire, où chaque livre peut être vu comme le premier. Si notre bibliothèque personnelle correspond à nos habitudes de lecture individuelles, le plan d’une bibliothèque publique reflète un certain mode de classement et la tentative de résolution du dilemme entre liberté de circuler et espace de concentration. Ainsi, que ce soit dans la salle Labrouste de la BNF ou dans la salle de lecture de la British Library, on retrouve cette volonté d’allier intimité et volume, grandeur et isolement. De même, la bibliothèque Laurentienne de Florence, dessinée par Michel-Ange, rappelle au lecteur la relation entre le monde et le livre avec des espaces qui évoquent la forme des pages. Le nombre d’or, symbole de la perfection et de l’idéal du beau, y est utilisé dans les proportions de la salle de lecture, illustrant par là même l’ordonnancement des connaissances, alors que l’escalier d’accès à la salle, dynamique, à trois chemins incurvés, semble dire quant à lui qu’aucun ordre ne peut réellement contenir et englober la connaissance humaine. C’est bien ce double paradoxe qui est perpétuellement au cœur de l’architecture de toute bibliothèque.

Lieux à la fois ouverts et clos, les bibliothèques, tout comme les CDI, doivent répondre à des injonctions contradictoires : comment favoriser le travail et la concentration dans un espace où la libre circulation est prioritaire pour trouver le bon document ? C’est la différence que pointe Manguel entre bibliothèque et cabinet de travail. Ce dernier est comme une tanière, où il trouve les livres qui lui sont les plus nécessaires, des « extensions de lui-même », de « vieilles connaissances ». « Si ma bibliothèque raconte l’histoire de ma vie, c’est mon cabinet de travail qui témoigne de mon identité ». Cet espace intime peut être englobé par la bibliothèque, mais doit dans tous les cas être propice « à l’introspection et à la réflexion, être un lieu où penser ».
On y recherche ce que Sénèque appelle l’Euthymia (tranquillitas en latin), c’est-à-dire le « bien-être de l’âme », un lieu qui favorise la mémoire, le travail dans un isolement sans distraction. Comment procurer à nos élèves cette euthymia que Manguel appelle de ses vœux dans son cabinet de travail ? L’informatique peut dans certains cas recréer une forme de bulle d’isolement, mais être également un vecteur infini de déconcentration… Salles de travail, box, tables isolées, îlots etc., sont autant de possibilités d’agencement pour combiner concentration et ouverture dans un espace restreint.

Un symbole politique, culturel et mémoriel

En tant qu’espace regroupant savoir et écrit, la bibliothèque se place au centre des enjeux de pouvoirs, tant politique que culturel. Le livre, associé à un certain prestige social, assure une forme de légitimité du savoir, conservé dans les bibliothèques. Ce n’est évidemment pas anodin si nombre de personnages politiques, monarques, dirigeants, se font représenter avec une bibliothèque en arrière-plan. L’écrit est aussi une manière de laisser une trace, il assure une forme d’immortalité. Si des mécènes financent des bibliothèques, c’est pour associer leurs noms à des lieux de culture et en obtenir un certain rayonnement. Manguel cite ici l’exemple d’Andrew Carnegie, riche industriel américain, qui au XIXe siècle, a permis l’ouverture d’un réseau de 2500 bibliothèques publiques partout aux États-Unis. Vues par ses détracteurs comme une forme de contrôle social, ces bibliothèques ont néanmoins permis au plus grand nombre d’accéder aux livres et à la lecture gratuitement.
Le fonds documentaire d’une bibliothèque peut par ailleurs, être analysé en creux, en fonction de tous les livres qui n’y sont pas. Tout choix implique des renoncements, des exclusions, des oubliés, des absents. Les livres sont révélateurs et signifiants par leur seule présence ou absence. La censure, selon le régime politique et le contexte historique, peut jouer à plein dans une bibliothèque : les écrits peuvent être éminemment subversifs et jugés scandaleux, « dégénérés » pour les Nazis, « bourgeois » pour les Staliniens, etc. Détruire les livres d’un peuple est un moyen de détruire son identité, sa culture et sa mémoire. Dans toute guerre nous dit Manguel, l’envahisseur commence par brûler la bibliothèque du peuple conquis pour imposer son autorité.
Dans des circonstances moins dramatiques et de façon plus pragmatique, la constitution d’un fonds documentaire répond à une ligne directrice et à des orientations particulières. Ainsi, « toute bibliothèque évoque son double interdit ou oublié : une bibliothèque invisible mais impressionnante, composée de livres qui, pour des raisons conventionnelles de qualité, de sujets ou même de volume, ont été jugés indignes de survivre sous ce toit en particulier. »
Les titres rassemblés dans une bibliothèque peuvent être un moyen collectif de définir l’identité d’une société, d’un pays, d’une culture. En ce sens, il semble logique que la constitution d’une bibliothèque relève de l’État. C’est Pétrarque le premier qui envisage la dimension publique et étatique de la bibliothèque, en 1362. L’Italie est d’ailleurs dotée de 6 bibliothèques nationales. En Angleterre, en revanche, le processus prend beaucoup plus de temps et ce n’est qu’au XVIIIe siècle que naît la British Library, associée au British Museum. En parallèle du Copyright Act de 1842, qui permet à la bibliothèque de recevoir le dépôt légal de tous les livres imprimés dans le pays, une politique volontariste est mise en place, chapeautée par le bibliothécaire Antonio Panizzi. Ce « tissu de livres » doit être « la place forte de l’identité politique et culturelle britannique ». La bibliothèque devient « le portrait de l’âme nationale », une « vitrine de la Nation ». Elle doit représenter tous les aspects de la pensée et de la vie quotidienne au Royaume-Uni.
Manguel donne également comme exemple la restauration et la reconstruction de la bibliothèque nationale du Liban, qui fait figure de projet unificateur entre une mosaïque de cultures, de religions et de langues. « Il se peut que, de par sa nature kaléidoscopique, n’importe quelle bibliothèque, si personnelle soit-elle, offre à qui l’explore un reflet de ce qu’il cherche, une fascinante lueur d’intuition de ce que nous sommes en tant que lecteur. » Elle permet de donner « une compréhension de la façon dont un pays pense et s’organise, comment il divise et catalogue le monde. » La bibliothèque devient ainsi « un miroir au défi vertigineux des multiples identités du pays et des temps. »
D’autre part, l’écrit dont les bibliothèques sont les détentrices a bien sûr valeur de trace, de mémoire d’une culture et d’une civilisation. Si les étudiants de mai 68 criaient entre autres, « ici on ne cite pas », pour revendiquer une pensée originale et inédite, « citer » c’est en réalité utiliser la bibliothèque ; c’est se référer au passé pour écrire le présent ; c’est s’inscrire dans la longue chaîne de l’histoire de la pensée. La bibliothèque a une mission de mémoire, mémoire de la connaissance accumulée, mais aussi mémoire des victimes, des injustices, des horreurs commises dans le passé en tant que lieu de conservation des témoignages. Par opposition, la bibliothèque du vainqueur ne gardera trace que de l’histoire officielle, celle du pouvoir en place. Même lorsque des livres ont été détruits ou ont disparu, il paraît important, nous dit Manguel, de documenter leur absence, de relater l’histoire de la bibliothèque, avec ses pertes, ses manques, pour garder paradoxalement, une mémoire de l’oubli.
Que l’on considère le livre comme un objet familier qui nous fait nous sentir un peu chez nous, ou au contraire comme l’incarnation même de l’altérité, comme une terre étrangère, la bibliothèque peut dans les deux cas, être vue comme ce qui « renferme une vérité plus vaste que celle du temps et du lieu où l’on vit ». Elle rassemble ce qui est dispersé dans l’espace et dans le temps. « Le passé est une étagère remplie de livres ouverte à tous », source infinie d’inspiration et de réappropriation affirme Sir Thomas Browne. L’esprit humain s’incarne à travers les livres et assure ainsi la continuité de l’histoire de la pensée au fil des siècles. Le passé peut ainsi être considéré comme une bibliothèque infinie : « en lui gît notre espoir d’un futur supportable » conclut Manguel.

En 2018 à Beyrouth, réouverture de la Bibliothèque nationale du Liban, 42 ans après sa fermeture, au cœur de la guerre civile © D. R.

En conclusion de ce passionnant essai, Manguel, citant en exergue Chalamov, nous dit : « Les livres sont ce que nous possédons de meilleur dans la vie, ils sont notre immortalité ». Là encore, l’idée de mémoire et de postérité est au centre des enjeux de conservation de la pensée et de la connaissance humaine assurée par les bibliothèques, qu’elles soient imprimées ou numériques. Manguel compare la bibliothèque d’Alexandrie, ce symbole mythique de l’omniscience, avec la Toile et son ambition d’omniprésence. La « tangible intangibilité » du Web propose une nouvelle vision de l’infini. Mais que l’on parcoure une bibliothèque publique, sa propre collection de livres, ou les dédales des bibliothèques numérisées, le désir de remise en ordre du monde y est factice. L’ordonnancement proposé par le classement des informations dans un fonds documentaire quel qu’il soit entend mettre du sens dans le hasard et le désordre du monde, mais ne peut au final qu’offrir « une image négociable du monde réel ». Les bibliothèques représentent donc bien autant de tentatives de créer une identité culturelle, de conserver la mémoire et l’histoire d’un peuple, de classer les savoirs en catégories pensables et compréhensibles de tous, de perpétuer et d’assouvir les besoins de fiction et d’imaginaire des lecteurs. Pour Manguel, citant Pénélope Fitzgerald dans La Fleur bleue, « si un roman commence par une découverte, il doit se terminer par une recherche ». Ici, l’histoire de la bibliothèque de Manguel se clôt sur la recherche d’une consolation…

 

À José Francès

 

 

Les Bibliothèques

Histoire, représentations, utopies

Qu’elles soient nichées au cœur d’un monument historique, construites dans une architecture futuriste et grandiose, ou cachées dans l’intimité d’un salon privé, les bibliothèques sont les lieux où règnent l’écrit et la connaissance, quels que soient leurs supports, imprimés ou virtuels. à ce titre, elles peuvent fasciner autant qu’effrayer, subjuguer autant qu’horripiler. Labyrinthiques et infinies, ou lugubres décors de crimes ou de sortilèges, elles peuplent la littérature et le cinéma et nourrissent folles utopies et imaginaires foisonnants. Panorama subjectif des représentations des bibliothèques et des ressources liées à leur histoire.

Incroyables bibliothèques

Tour d’horizon de quelques bibliothèques remarquables à visiter. Les sites de chacune de ces bibliothèques sont pourvus d’une rubrique qui en retrace l’histoire, l’évolution architecturale, et met en lumière les manuscrits, incunables et œuvres patrimoniales qui y sont conservés.

En France :

BNF site François Mitterrand et site Richelieu, Paris  www.bnf.fr/fr/la_bnf/histoire_de_la_bnf.html

Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris  www.bsg.univ-paris3.fr/iguana/www.main.cls

Bibliothèque Mazarine, Paris  www.bibliotheque-mazarine.fr/fr/

En Europe :

Trinity College, Dublin  www.tcd.ie/library/about/history.php

Abbaye bénédictine d’Admont, Autriche  www.stiftadmont.at/en/library

Bibliothèque de l’Abbaye bénédictine d’Admont

Bibliothèque abbatiale St Gall, Suisse  www.stiftsbezirk.ch/fr/container/stiftsbibliothek/

Bibliothèque Nationale de Prague, République Tchèque  www.en.nkp.cz/about-us/about-nl/national-library-s-history

Bibliothèque Nationale de Prague

Abbaye bénédictine de Metten, Allemagne  www.kloster-metten.de/?page_id=23&layout_id=1

Openbare Bibliotheek Amsterdam (OBA), Pays-Bas  www.oba.nl/

Openbare Bibliotheek Amsterdam

Bibliothèque Laurentienne, monastère de San Lorenzo, Florence (Italie) www.bmlonline.it/

Ailleurs dans le monde :

Bibliothèque du Congrès, Washington D.C., USA   www.loc.gov/

Bibliothèque du Congrès, Washington D C

Bibliotheca Alexandrina, Le Caire (Égypte)  www.bibalex.org/fr/Default

Bibliothèque de Tianjin (Chine) www.francetvinfo.fr/monde/chine/chine-la-bibliotheque-de-tianjin-une-architecture-impressionnante_2627424.html

Bibliothèque de Tianjin

Bibliotheca Vasconselos, Mexico www.bibliotecavasconcelos.gob.mx/

Cette galerie photos explore l’architecture des grandes bibliothèques partout dans le monde, qu’elles soient très anciennes ou contemporaines  www.tuxboard.com/les-plus-belles-bibliotheques-dans-le-monde/

Le Mundaneum à Mons (Belgique) : créé par les Belges Paul Otlet (1868-1944), père de la documentation, et Henri La Fontaine (1854-1943), Prix Nobel de la paix en 1913. On y trouve les meubles-tiroirs qui renfermaient les fiches du Répertoire Bibliographique universel, ancêtre du Web, ce « Google de papier » qui entendait recenser à travers leurs références bibliographiques, toutes les parutions mondiales. Aujourd’hui le Mundaneum est un lieu d’exposition, et un centre d’archives dont le fonds documentaire se compose des ouvrages personnels des fondateurs, d’affiches, de cartes postales, de plaques de verre, du Répertoire Bibliographique Universel, du Musée International de la Presse et de fonds d’archives relatifs à trois thématiques principales : le pacifisme, l’anarchisme et le féminisme  www.mundaneum.org/

Warburg Institute à Londres : centre de recherche, d’archives, lieu d’expositions et de conférences, l’institut Warburg renferme la bibliothèque d’Aby Warburg, critique d’art et essayiste, qui possède son propre système très personnel de classement, dans une pièce circulaire et en perpétuel changement  https://warburg.sas.ac.uk/

Expositions

La bibliothèque, la nuit : bibliothèques mythiques en réalité virtuelle (qui s’est déroulée à la BNF site François Mitterrand en 2017).
Cette exposition en partenariat avec les Archives nationales du Québec prend pour fil conducteur le livre d’Alberto Manguel, La bibliothèque, la nuit ; après une introduction consacrée à l’imaginaire des bibliothèques, à partir des collections de la BNF, le visiteur se retrouve plongé grâce à un casque de réalité virtuelle, dans une salle aux arbres-livres où il peut visiter dix bibliothèques mythiques, réelles ou imaginaires  www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/expositions/f.bibliotheque_la_nuit.html

Exposition La bibliothèque la nuit, BNF

Labrouste, architecte (1801-1875) : la structure mise en lumière, exposition qui s’est déroulée à la cité de l’architecture et du patrimoine, en 2012-2013  www.citedelarchitecture.fr/fr/exposition/labrouste-1801-1875-architecte-la-structure-mise-en-lumiere

Expositions virtuelles

BNF, Galerie d’histoire des représentations : Tous les savoirs du Monde. Exposition virtuelle sur l’encyclopédisme, les grands livres de l’histoire de la pensée, les tentatives de rassembler les connaissances au travers de l’histoire  http://expositions.bnf.fr/savoirs/index.htm
BNF, Galerie du Livre et de l’écrit :
L’aventure du livre  http://classes.bnf.fr/livre/index.htm
L’aventure des écritures  http://classes.bnf.fr/ecritures/index.htm
Choses lues, choses vues  http://expositions.bnf.fr/lecture/arret/01_1.htm

Cette dernière galerie virtuelle comprend entre autres un article sur l’histoire de la lecture rédigé par Roger Chartier, la retransmission filmée d’une conférence d’Alberto Manguel sur la lecture, des représentations sur les pratiques de lecture et de l’arbre des savoirs, une anthologie de textes sur la lecture, les bibliothèques, le classement des livres.

Dossiers thématiques

Cours en ligne de l’Université de Montpellier : histoire du livre et des bibliothèques, classée en deux principales parties, « L’objet » et « L’usage ». Dans cette dernière, les thèmes « Conservation / Utilisation / Circulation » permettent de revenir sur les grandes bibliothèques et leur histoire  http://meticebeta.univ-montp3.fr/lelivre/sommaire/index.html

Sur le site Remue.net, un dossier thématique garni d’anthologies sur le thème « Bibliothèques en Littérature », foisonnant de citations, références et documents pour alimenter les représentations imaginaires des bibliothèques.  http://remue.net/spip.php?rubrique169

La bibliothèque humaine « Human Library »  http://humanlibrary.org/
Le concept fondé par une association danoise est de proposer des « livres humains », à savoir des personnes qui viennent témoigner sur un sujet précis, lors de groupes de parole. L’idée est de reprendre la métaphore de la bibliothèque pour « emprunter » ces témoins pendant quelques minutes afin d’écouter leur histoire. L’association tourne partout en Europe et en France pour libérer la parole. À lire  www.lexpress.fr/actualite/societe/human-library-quand-les-auteurs-de-livres-racontent-leur-histoire_1887978.html

Temps forts

Nuit de la lecture : Organisée par le Ministère de la Culture, cet événement qui a eu lieu cette année le samedi 19 janvier, est l’occasion de mettre à l’honneur la lecture grâce à une ouverture en nocturne des bibliothèques publiques qui proposent animations, spectacles, jeux de pistes, sélections, contes etc. On peut facilement faire écho à cet événement dans les CDI en proposant en journée des animations similaires qui permettent la promotion de la lecture.
https://nuitdelalecture.culture.gouv.fr/
À noter, la rubrique « Piochez des idées » est une petite mine d’or d’activités à mettre en œuvre sur la lecture au CDI  https://nuitdelalecture.culture.gouv.fr/Participez/Piochez-des-idees-pour-organiser-un-evenement

Nuit des Bibliothèques : événement similaire à la Nuit de la Lecture, la Nuit des Bibliothèques s’est déroulée le samedi 13 octobre 2018 dans de nombreuses médiathèques. Animations, concerts, et ambiance festive lors de l’ouverture en nocturne des bibliothèques.  http://mediatheques.bordeaux-metropole.fr/zoom/la-nuit-des-bibliotheques-2

 

Bibliographie

Mangas

Shinohara / Umiharu. Le Maître des livres. Komikku editions, 2011-2017. Série en 15 tomes.

Yumi, Kiiro / Arikawa, Hiro. Library wars : love & war. Glénat, 2008-2015. Série en 15 tomes, adaptée des 4 light novels éponymes écrits en 2006-2007.

Gakuto Mikumo, Chako Abeno. The Mystic Archives of Dantalian, Soleil Manga, 2008-2011. Série en 8 tomes.

Bande dessinées

MATHIEU, Marc-Antoine, L’Ascension et autres récits. Delcourt, 2005.

MATHIEU, Marc-Antoine. Le Livre des livres. Delcourt, 2017.

SCHUITEN, François, PEETERS Benoît. Les Cités obscures, 3. L’Archiviste. Casterman, 2000.

SHIGA Jason. Bookhunter. Cambourakis, 2001.

Livre jeu

Gueidan, Clémence ; Natas, Guillaume ; Steiner, Florent. Une nuit à la bibliothèque. Mango, 2018 (livre jeu d’escape game, énigmes)

Romans jeunesse

BEN KEMMOUN Hubert. N’allez jamais à la bibliothèque pour plaire à la fille dont vous êtes amoureux. Pocket Jeunesse, 2005

BRISOU-PELLEN, Evelyne. Le Grand Amour du bibliothécaire. Casterman, 2005.

CHEE, Traci. La Lectrice ; éd. Robert Laffont, 2017.

COLFER, Eoin. Panique à la bibliothèque. Gallimard jeunesse, 2004.

GUDULE, La bibliothécaire, Hachette, Le livre de poche, 1995.

HASSAN ; RADENAC. La Fille qui n’aimait pas les fins. Syros, 2013

HASSAN, Yaël. Momo petit prince des Bleuets. Syros, 1998.

MAHY, Margaret. L’Enlèvement de la bibliothécaire. Gallimard Jeunesse, 2002

MORGENSTERN, Suzie. Le Vampire du CDI. L’école des Loisirs, 1997

SANVOISIN, Eric. Le Buveur d’encre. Nathan, 2005

THOMPSON, Colin. Le Livre disparu. Circonflexe, 1998.

ZUSAK, Markus. La Voleuse de livres. Oh éditions, 2007.

Littérature (liste subjective et non exhaustive)

On peut citer, avec Manguel, quelques-unes des représentations imaginaires des bibliothèques : celle qu’invente Rabelais dans Pantagruel, qui est une satire du monde savant et monastique ; celle de Charles Dickens chez lui, qui comporte une porte secrète dissimulée derrière une étagère composée de dos de livres imaginaires écrits par des auteurs fantaisistes ; ou encore les bibliothèques fictives peuplées de livres bien réels comme celles du capitaine Némo ou celle dans laquelle mène l’enquête Guillaume de Baskerville dans Le Nom de la Rose d’Eco.

BEINHART, Larry. Le Bibliothécaire. Gallimard, Folio policier, 2005.

BONGRAND, Caroline. Le Souligneur. Stock, 1993

BORGES, Jorge Luis. La Bibliothèque de Babel. Fictions Gallimard, Folio, 1986.

BRADBURY, Ray. Fahrenheit 451. Gallimard, Folio SF, 2005.

CHRISTIE, Agatha. Un cadavre dans la bibliothèque. LGF, 2001

DESALMAND, Paul. Le Pilon. Quidam éditeur, 2011.

DAMASIO, Alain. La Horde du contrevent. Gallimard, 2015.

DAOUD, Kamel. Zabor ou Les psaumes. Actes Sud, 2017

DIVRY, Sophie. La Cote 400, 10/18, 2013.

ECO, Umberto. Le Nom de la rose, Lgf, 1983.

FASMAN, Jon. La Bibliothèque du géographe, Seuil, 2005.

FINKEL, Irving. Au paradis des manuscrits refusés, 10/18, 2017.

FOENKINOS, David. Le Mystère Henri Pick. Gallimard, 2016.

GROSSMAN, Lev. Codex : le manuscrit oublié. LGF, 2004. HAUMONT, Thierry. Le Conservateur des ombres. Gallimard, 1985.

HUYSMANS, JK. A rebours. Gallimard, Folio, 1991.

LIBIS, Jean. La Bibliothèque. Ed. du Rocher, 2000.

MUSIL, Robert. L’Homme sans qualités. Seuil, 1982. À noter : on y trouve la méthode du personnage de bibliothécaire inventé par Robert Musil en 1930 pour retenir tous les titres des livres de sa bibliothèque : il n’en a lu aucun ! Cela lui permet, assure-t-il, d’en avoir une vue d’ensemble, sans se noyer dans les détails de leur contenu.

PADURA, Leonardo. Les Brumes du passé. Métailié, 2015. Découverte d’une bibliothèque privée intouchée depuis des années.

POSLANIEC, Christian. Les Fous de Scarron. Le Masque, 1990.

RABELAIS. Pantagruel. Seuil, 1996.

ROTHFUSS, Patrick. trilogie Chronique du tueur de roi. Bragelonne, 2009.

RUIZ Zafon, Carlos. L’Ombre du vent. Librairie générale française, 2005.

VERNE, Jules. Vingt mille lieues sous les mers. Lgf, 2001. Pour la bibliothèque du Capitaine Némo dans le Nautilus.

Essais / Livres documentaires

ANDRE, Marie-Odile ; DUCAS Sylvie (dir.) Écrire la bibliothèque aujourd’hui. Éd. du Cercle de la librairie, 2007.

BAEZ, Fernando ; LHERMILLIER, Nelly. Histoire universelle de la destruction des livres : des tablettes sumériennes à la guerre d’Irak. Fayard, 2008.

BAILLY, Jean-Christophe. Une nuit à la bibliothèque ; suivi de Fuochi sparsi. C. Bourgois, 2005

BARATIN, Marc ; JACOB, Christian. Le pouvoir des bibliothèques : la mémoire des livres en Occident. Albin Michel, 1996.

BENJAMIN, Walter. Je déballe ma bibliothèque, Rivages poche, 2015.

BERTRAND, Anne-Marie. Les Bibliothèques. La Découverte, 2011

BERTRAND, Anne-Marie ; KUPIEC, Anne.Ouvrages et volumes : architecture et bibliothèques. Cercle de la Librairie, 1997.

CHAINTREAU, Anne-Marie ; LEMAITRE, Renée. Drôles de bibliothèques : le thème de la bibliothèque dans la littérature et le cinéma. Cercle de la librairie, 1993.

CHARTIER, Roger. L’Ordre des livres : lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre le XIVe et le XVIIIe siècle. Alinéa, 1992.

DESMAZIERES, Erik ; ROLIN, Olivier. Voyage au centre de la bibliothèque. Catalogue d’exposition, BNF, Hazan, 2012.

ECO, Umberto. De Bibliotheca. L’Échoppe, 1986.

ECO, Umberto ; CARRIERE, Jean-Claude. N’espérez pas vous débarrasser des livres. Grasset, 2009.

EL ABADIE, Mostafa. Vie et destin de l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie. Unesco, PNUD, 1992.

FIGUIER, Richard. La Bibliothèque, miroir de l’âme, mémoire de l’âme. Autrement, 1991.

HOBSON, Anthony. Grandes bibliothèques. Stock, 1971.

JOLLY, Claude ; POULAIN, Martine ; VARRY, Dominique ; VERNET, André. Histoire des bibliothèques (4 vols). éd. Du Cercle de la Librairie, 1989-1992, rééd. 2008-2009.

LAUBIER, Guillaume (de) ; BOSSER, Jacques. Bibliothèques du monde. éd. De la Martinière, 2003

LEVIE, Françoise. L’Homme qui voulait classer le monde : Paul Otlet et le Mundaneum. Les impressions nouvelles, 2006.

MANGUEL, Alberto. La bibliothèque, la nuit. Actes Sud / Leméac, 2006.

MANGUEL, Alberto. Je remballe ma bibliothèque : une élégie et quelques digressions. Actes Sud, 2018.

MELOT, Michel. La Sagesse du bibliothécaire. L’œil neuf, 2004.

MINOUI, Delphine. Les Passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie. Seuil, 2017.

NAUDE, Gabriel. Advis pour dresser une bibliothèque. 1627, édition par Bernard Teyssandier, Klincksieck, 2008.

OLENDER, Maurice. Un fantôme dans la bibliothèque. Seuil, 2017.

ORSENNA, Erik. Voyage au pays des bibliothèques. Stock, 2018.

PEREC, Georges. Penser / Classer. Seuil, 2003.

PIVOT, Bernard ; BONCENNE, Pierre. La Bibliothèque idéale. Albin Michel, 1988.

PLAINE, Jacques. Souvenirs d’un libraire. Le Cherche Midi, 2002.

POLASTRON, Lucien Xavier. Livres en feu : histoire de la destruction sans fin des bibliothèques. Gallimard, 2009.

WOOLF, Virginia. Comment lire un livre. L’Arche, 2008.

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Le Rat de Bibliothèque Carl Spitzweg, 1850, huile sur toile, musée Georg-Schafer, Schweinfurt (Allemagne)
Bibliothèque Imaginaire du Nautilus