Quelle est la part dans le budget des établissements consacrée au fonctionnement du CDI ? Cette question, en apparence simple, ne l’est pas tant que cela dès qu’il s’agit de la quantifier de manière claire, par exemple en euros par élève, sachant que cette valeur ne recouvre ni les mêmes achats, ni les mêmes types ou tailles d’établissements, ni les mêmes réalités géographiques. Pour les uns, ce budget comprend tout : livres, abonnements, logiciels, papeterie, expositions ; pour les autres, il s’agit uniquement des commandes de livres excluant par exemple tout manuel ou série. Dans telle académie la moyenne est de tant alors que dans telle autre, elle est nettement différente.
Bref, un chiffre simple qui reflète également une politique documentaire.
Mais d’abord quel est ce budget ? Comment obtenir son montant ? Que peut-on en déduire ?
Le plus simple n’est-il pas de demander aux principaux intéressés, les professeurs documentalistes ?
C’est ce qui a été fait fin 2023.
Que pouvons-nous extraire des données de l’enquête1 ? Que disent-elles et que ne disent-elles pas ? Comment le passage au mode graphique peut-il mettre en lumière de nouvelles informations ?
Voici quelques éléments pour initier, très modestement, une réflexion à partir de diverses datavisualisations.
Objectifs
La fourchette par élève est connue. Selon les enquêtes2, la valeur moyenne du budget par élève varie grosso modo entre 4 et 7 €.
Peut-on aller plus loin ? Y a-t-il des éléments plus précis que l’on pourrait déterminer ? Que signifie cette moyenne ? Et d’ailleurs que recouvre exactement ce budget et à quoi le comparer ?
C’est ici que la datavisualisation peut peut-être nous aider.
Il s’agira donc moins de classer, quantifier, représenter visuellement les informations sous forme de tableaux ou de graphiques que de tenter d’en extraire de nouvelles informations.
Méthodes de l’enquête
Les données budgétaires sont fournies directement par les professeurs documentalistes. Ils ont été invités à les transmettre une première fois pour une enquête générale sur le CDI type en 2022 (voir https://emi.re/moncdi.html) puis plus spécifiquement sur le budget en décembre 2023. L’enquête a été lancée via la liste e-docs3.
Je profite de cette page pour remercier toutes celles et ceux qui y ont répondu pour leur esprit de coopération et de mise en commun qui rend ce type d’enquête possible. Elle a permis à d’autres moments de savoir combien nous étions4, nous, professeurs documentalistes, avant même d’avoir les chiffres officiels ou de tenter de déterminer une semaine type.
Les graphiques interactifs sans commentaire sont visibles à cette adresse : https://emi.re/datas-budget.html
API, UX et Datas…
Comment mettre en œuvre cette enquête ? Le questionnaire classique était exclu d’emblée. Trop «classique».
L’objectif était de rendre les résultats immédiatement visibles en ligne.
Évidemment, le corollaire de ce dépouillement en direct est le contrôle des valeurs. Et cela via diverses méthodes.
Pour saisir les données, un seul champ au départ, celui qui permet de renseigner l’UAI (ex RNE) de son établissement et de s’engager à fournir des données fiables.
Cette première saisie va afficher une fiche établissement préremplie. Les données sont issues de l’agrégation de nombreuses données ouvertes proposées par le MEN sur data.education.gouv.fr/.
Sur la page spécifique pour le budget, ne sont proposées que certaines informations, si elles sont connues, dont un plan de géolocalisation, diverses données administratives et l’effectif de l’établissement.
Il s’agit ici de simplifier au maximum la saisie. Un champ libre permet également de corriger ou compléter certaines données.
Ces données, sauf si elles sont trop manifestement aberrantes et mises de côté automatiquement via quelques algorithmes de contrôles, sont ensuite ajoutées à la base de données et un message alerte de la nouvelle saisie pour une nouvelle vérification.
La page https://emi.re/moncdi.html agrège ensuite les données qui sont actualisées à l’affichage (sauf pour certaines qui ont été consolidées).
Les technologies employées sont très classiquement des tables MySQL, PHP, JavaScript, HTML et css. Les données ont été consolidées début mai 2024 pour la rédaction de cet article.
Biais et imprécisions
Quels sont les biais ou imprécisions de ce type d’enquête ? Tout d’abord, la diffusion aux seuls abonnés de e-docs, qui ne constituent pas la totalité des professeurs documentalistes, n’est pas forcément représentative de l’ensemble de la profession. La confiance, ensuite, dans la précision et la véracité des saisies, les motivations de saisies ou de non saisies, le nombre de réponses…
Autant de modulations possibles et dont il faut bien évidemment tenir compte. D’autres biais, notamment liés aux insuffisances du nombre de données, ne permettent tout simplement pas de donner une information. Par exemple, une moyenne académique à partir de quelques valeurs.
Le nombre d’élèves par établissement est fluctuant et a souvent été corrigé à la marge par les professeurs documentalistes. Les établissements de moins de 80 élèves n’ont pas été retenus. Il existe également des CDI sans budget, ou avec des budgets extrêmement faibles. Ils n’ont pas été retenus.
Mais quelle est la part de ces CDI sans aucun budget ? Comment faudrait-il l’intégrer dans une moyenne ?
Une partie de ces imprécisions sont traitées via des indicateurs de type écart à la moyenne trop important ou irréalistes, et la non prise en compte de chiffres non signifiants. D’autres sont lissées du fait même des méthodes de calculs.
D’autres biais, enfin, ne peuvent tout simplement pas être pris en compte.
Au total il s’agit de tenter de trouver des résultats approchants et d’éliminer ceux intrinsèquement faux.
Mais toutes ces données ne restent évidemment qu’indicatives et doivent être prises pour telles. Il s’agira donc de ne pas surinterpréter les résultats et surtout de considérer les tendances, de comparer les établissements et les géographies.
Les réponses
Les données de la première enquête de 2022, plus de mille réponses, sont corrélées avec celles plus spécifiques sur le budget : 356 réponses dont 344 sont retenues pour le budget, 327 pour la partie abonnements et 95 pour la partie numérique. Selon les types de graphiques, certaines données peuvent être écartées.
Répartition des réponses par académie
Hormis la Guadeloupe, la Martinique, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis et Futuna, toutes les régions académiques ont répondu.
Nombre, type d’établissements
Ce sont essentiellement les collèges qui ont répondu, pour plus des deux tiers des réponses, suivis des lycées généraux et polyvalents pour terminer par les lycées professionnels et technologiques. En pourcentage le nombre des réponses est quasi celui de la répartition source MEN, 67 % contre 66 %, un peu inférieur pour les LEGT, 19 % contre 23 % et supérieur en LP 14 % contre 11 %.
Moyennes, écarts types, médianes…
Les moyennes de l’enquête sont de 5,01 € par élève, 4,51 € en collège, 5,63 € en LEGT et 5,78 € en LP.
Mais cette moyenne reste fortement caractérisée par les valeurs extrêmes et des résultats très hétérogènes comme le montrent écarts-types et coefficients de variation.
L’écart-type est assez élevé, 3.45, plus particulièrement marqué en LP (4,76), un peu moins en LEGT (3,56) et encore moins en collège (2,90).
L’écart-type est une mesure de dispersion des données autour de la moyenne. Plus il est grand, plus les données sont éloignées de la moyenne. Inversement, plus l’écart-type est petit, plus les données sont concentrées autour de la moyenne. Autrement dit, il montre une forte disparité des valeurs.
Cette dispersion est d’ailleurs confirmée à la fois par le coefficient de variation5 de 69 % et les valeurs de mini / maxi.
La médiane, valeur qui sépare la moitié de la distribution pour l’ensemble des données est de 4,75 € par élève,
4,33 € en collège, 5,91 € en LEGT et 5,63 € en LP. Autrement dit, 50 % des valeurs sont supérieures à ce chiffre, 50 % sont inférieures.
Ici, cela montre une répartition marquée par les valeurs basses et, en LEGT, avec une médiane supérieure à la moyenne tirée par quelques valeurs très élevées.
Répartitions, écarts à la moyenne
D’autres indicateurs nous permettent de mesurer la granularité et la répartition des données, notamment les droites de régression.
Les budgets augmentent-ils en fonction de la taille des établissements ? Cela semble évident, intuitivement : encore fallait-il le vérifier.
Plus le nombre d’élèves est important, plus le budget l’est. Ce truisme est confirmé par les droites de régression6. La droite de régression fournit une idée schématique de la relation entre les deux variables, ici la taille de l’établissement et la valeur du budget.
Mais, et en même temps, le budget par élève, lui, diminue, surtout en LEGT.
Et ce paradoxe apparent est aussi très prévisible.
Les budgets augmentent par taille d’établissement et permettent donc plus d’achats. Un élève d’un établissement plus grand dispose donc de plus de documents mais d’un budget par élève moins important.
Cela se retrouve d’ailleurs sur le terrain7. Les fonds des LEGT sont généralement les plus fournis.
Autrement dit, la valeur moyenne n’est pas suffisante en tant que telle, il faut également la corréler ou la pondérer avec la taille de l’établissement.
Le budget augmente avec la taille de l’établissement mais proportionnellement moins par élève qu’en valeur absolue. Pour comparer les valeurs par élève, il faut donc aussi comparer les tailles d’établissement.
Régions académiques
En plus de la forte variabilité entre les types d’établissements, une autre dispersion assez forte est celle que l’on constate dans les régions académiques. Que ce soient les médianes ou les moyennes, les budgets ne sont pas les mêmes selon les académies. Il faut toutefois pondérer les résultats du fait du faible nombre de réponses par région académique pour certaines d’entre elles (voir la rubrique réponses).
Abonnements
La dispersion des valeurs des budgets abonnements est encore plus forte que pour les livres, notamment en LEGT et LP.
Ressources numériques
Là encore une médiane (517 € / élève) très inférieure à la moyenne (901 €) avec quelques valeurs qui la «tirent» vers le haut. Une moyenne de 901 € par élève et toujours une plage de mini/maxi très élargie.
Comparaison vaut raison… ou pas
Que recouvrent ces valeurs ?
La première chose à noter c’est qu’un budget CDI n’est que rarement déterminé par une seule ligne du budget d’un établissement scolaire. Les abonnements peuvent être imputés sur des budgets disciplinaires, voire de sections, les petites fournitures intégrées ou à part, les logiciels imputés ou non.
Quelquefois, il n’existe pas de ligne spécifique pour le CDI, ce qui peut paraître avantageux ici, parce que cela évite les dépenses des disciplines par peur de baisse de budget, mais regrettable là, parce qu’un enseignant plus influent obtiendra par exemple la prise en charge de coûteux livrets pédagogiques non réutilisables en nombre.
Cinq euros par élève, ce n’est donc pas ce qui est consacré aux achats de ressources documentaires mais simplement une moyenne.
Cette moyenne, on l’a vu, permet de comparer les budgets entre établissements de taille identique et dans une même académie. Que ce soit en dehors de ces critères ou même de façon plus générale, la disparité des moyens est forte et tient bien plus à une politique et/ou à une négociation locale qu’à des consignes ou indications nationales, qui n’existent d’ailleurs pas.
En tout état de cause, un écart important à la moyenne reste un indicateur de gestion et de négociation.
Car, au final, il s’agit avant tout de négociations.
À quoi les comparer ?
Cette moyenne de 5 € est-elle importante en soi ? Certes non. Elle n’a de valeur que comparée à la moyenne ou la médiane mais aussi en la relativisant par rapport à d’autres dépenses.
Par exemple les bibliothèques publiques8.
La moyenne des dépenses documentaires par habitant s’élève à 2,09 €, selon un rapport élaboré par le ministère de la Culture Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles – Service du Livre et de la Lecture Observatoire de la Lecture Publique.9
S’agissant d’une moyenne par habitant, 67.993.000 à la date de l’enquête pour 6.187.588 usagers inscrits dans les bibliothèques publiques, la moyenne par usager est de 23 € environ. Autrement dit, une valeur très nettement supérieure à celle des CDI.
Une autre valeur pour le coup bien plus comparable est celle des manuels scolaires. Pour l’académie de La Réunion cela représente 85 € par élève10 de lycée dans le secondaire pour les manuels numériques. Notons ici que les établissements font le plus souvent des achats de licences individuelles, ensuite activées, ou pas, mais dans tous les cas payées.
85 €, comparés aux 5 € pour le CDI, cela relativise la part consacrée à la culture et à la documentation.
En ce qui concerne les dépenses culturelles moyennes par ménage en 2017, elle était de 117 € pour les livres11.
Plus généralement, la dépense en fournitures scolaires s’élève en moyenne à 150 €, soit 20 % de la dépense des ménages. Moins importante dans le premier degré (entre 30 et 110 €) que dans le second (entre 200 et 390 €), elle est particulièrement élevée pour un élève de lycée professionnel en raison de la nécessité d’acheter des vêtements de travail et des matériels professionnels spécifiques.
Bref, au total, la part consacrée au fonds documentaire reste très faible, voire très très faible par rapport aux autres dépenses, notamment liés aux manuels scolaires et plus généralement à la lecture.
Micro vadémécum de la négociation du budget
Les différents tableaux de cette enquête peuvent servir d’argumentation et de base de négociation lorsque votre situation est clairement hors cadre. Quel est votre budget, comparé aux établissements de même type et de même taille de votre environnement ?
Que couvre ce budget ? Y a-t-il des achats qui relèvent clairement d’autres lignes budgétaires ? Le budget global souvent invoqué n’est intéressant que s’il vous permet de réaliser toutes vos commandes en fonction de votre politique. Toutes les dépenses n’ont pas vocation à être dans le compte 6186 – Bibliothèque des élèves…12
Par exemple, les fournitures scolaires, les achats de petits matériels, les logiciels documentaires n’ont rien à faire dans le budget livres pédagogiques13.
Le compte 618 « divers » correspond aux dépenses concernant la documentation et aux frais pour l’organisation de colloques, séminaires et conférences. Pour les EPLE, il comporte seulement deux subdivisions : le compte 6181 enregistre les dépenses de documentation générale et administrative (abonnement, ouvrages, ouvrages électroniques) ; et le compte 6186 « bibliothèque des élèves » enregistre les factures de documentation à destination des élèves et plus particulièrement celle du CDI, quelle que soit sa forme14.
Ensuite, il pourra être intéressant de séparer le budget en autant de parties et donc de lignes budgétaires que nécessaires : livres, périodiques, fournitures, numérique, autres frais, etc.
Enfin, il ne faut pas négliger le projet de politique documentaire du CDI, notamment dans son volet gestion/achats par exemple en le présentant au CA pour demander un budget CDI précis et fléché.
Que conclure ?
En l’absence de consignes nationales ou académiques, les budgets des CDI sont caractérisés par une grande disparité autour d’une moyenne de 5 € par élève environ. Ils sont le plus souvent tributaires de négociations ou de politiques documentaires locales. Il existe même des CDI sans budget. Les moyennes par élève dépendent donc à la fois des types d’établissements, de leur taille et de leur implantation géographique.
Comparés à d’autres dépenses (lecture publique, manuels scolaires), ils restent particulièrement bas et souvent noyés dans d’autres lignes budgétaires, et ce, pas toujours au bénéfice de la lecture. Les dépenses elles-mêmes couvrent, souvent, des achats très divers. Au total, outre la disparité, c’est l’écart entre le budget manuels scolaires et livres documentaires qui est particulièrement notable.