Ce changement nécessaire vers une dénomination nouvelle souligne notre héritage commun sans remettre en question les différents axes de mission des professeurs documentalistes. Les orientations de l’association professionnelle pour 2016 sont d’ailleurs claires dans la prise en charge de dossiers qui couvrent l’ensemble de nos axes de mission3. Mais c’est aussi rappeler, avec conviction, que le professeur documentaliste est professeur certifié en Documentation, avec des apprentissages dont il a la responsabilité, pour les savoirs de l’information-documentation notamment lorsqu’ils se réfèrent à la « culture de l’information et des médias ».
Cet intérêt pour la réflexion sur les savoirs de l’information-documentation a motivé une activité importante pour l’association professionnelle dans le contexte spécifique de la réforme du collège, depuis 2013. Au-delà des difficultés rencontrées dans le positionnement peu explicite de l’institution pour aider à la mise en œuvre de ces apprentissages, nous proposons ici de faire le point sur les propositions de l’A.P.D.E.N., en nous appuyant sur les conclusions tirées du Congrès 2015 de Limoges qui portait sur « enseigner-apprendre l’information-documentation ». Cela nous permettra de présenter nos perspectives pour 2016, en relation avec la diversité du métier.
2013-2015 : des pistes concrètes pour l’École de demain
Après le Congrès 2012, un nouveau chantier majeur s’est présenté à l’association professionnelle : la refondation de l’école de la République, pour laquelle la loi d’orientation et de programmation du 8 juillet 2013 a donné de grandes lignes, dont l’intégration d’une éducation aux médias et à l’information au collège4. Dans le respect de l’histoire et de l’évolution de la profession, l’A.P.D.E.N. a poursuivi ses réflexions dans ce contexte particulier en vue d’apporter des propositions concrètes auprès des interlocuteurs institutionnels, notamment la DGESCO et l’IGEN-EVS, mais aussi auprès du Conseil supérieur des programmes (CSP).
Amorcée en 2003, à la faveur de l’évolution des pratiques pédagogiques des professeurs documentalistes et de l’intérêt de la recherche en Sciences de l’information et de la communication et en Sciences de l’éducation, l’idée du curriculum, défendue devant le CSP, bénéficie aujourd’hui d’une assise théorique forte, doublée d’une attente réelle des praticiens. Approfondie entre 2007 et 2010 par le GRCDI, groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information, cette idée de curriculum appliqué à l’information-documentation s’est vue enrichie d’une publication essentielle, le rapport « Culture informationnelle et didactique de l’information », comprenant douze propositions pour l’élaboration d’un curriculum en information-documentation5. Dès 2007, ce travail s’est accompagné d’une plateforme, le Wikinotions Info-Doc, permettant de formaliser la didactisation de notions considérées comme spécifiques à l’information-documentation. En 2013, après un changement de plateforme, le travail a été poursuivi avec l’outil MediaWiki. Dans un premier temps, nous avons augmenté le nombre de notions essentielles, passant de 64 jusqu’à 100 en 2015, considérant en particulier les enjeux nouveaux relatifs au développement de l’information numérique, de la documentation sur Internet, avec l’apparition de la documentation de soi qui se fait jour à travers les notions d’identité numérique ou de trace numérique par exemple. Ainsi, au-delà de ce qui faisait le corpus info-documentaire, inscrit dans le Web à la fin des années 2000, plusieurs notions sont venues, à notre sens, augmenter cet ensemble, et en conséquence notre travail didactique et pédagogique, au sujet de la présence de l’individu en ligne, des nouvelles formes de publication, des techniques numériques de documentation. Afin d’accompagner cette évolution, le Wikinotions Info-Doc s’est vu agrémenté de liens vers des séquences pédagogiques en ligne ainsi que d’une sélection de références bibliographiques et webographiques, dont le but est de soutenir la formation des collègues.
Selon cette même logique, dans la continuité des travaux antérieurs, l’A.P.D.E.N. a entrepris en 2013 la conception d’un curriculum en information-documentation, pour lequel la réflexion et la conception se sont appuyées sur les publications du GRCDI en 20106. Ce sont onze chapitres répartis dans trois parties. La première intéresse le cadre théorique selon lequel a été pensée la construction du curriculum. Elle s’appuie sur l’apport croisé des contextes politique et scientifique, des ressources disponibles, en supposant une inscription nécessaire dans les travaux relatifs à la translittératie et dans ceux liés à l’évolution psychologique de l’enfant, en regard des notions info-documentaires à leur transmettre. La deuxième partie consiste en l’analyse de l’existant dans les programmes scolaires, encore applicables en 2015, à savoir les programmes de 2008, non seulement pour améliorer les contenus des textes, mais aussi pour envisager les possibilités de collaborations, essentielles pour les professeurs documentalistes. La troisième partie présente des perspectives concrètes, réalistes, avec des propositions de programmes, en collège et en lycée, ainsi que des réflexions sur l’évaluation des apprentissages info-documentaires et sur l’organisation de cet enseignement.
Publiée en mai 2015, l’enquête diagnostique des connaissances en information-documentation des élèves du secondaire en France est venue conforter le principe d’apprentissages systématiques en information-documentation, pour les élèves7. À partir d’une mesure fine des connaissances des élèves à différentes étapes de leur scolarité, les auteurs proposent des pistes pédagogiques intéressantes et enrichissantes pour la profession. Ces pistes, ainsi que les propositions de programmes, mises à jour, dans le cadre du curriculum, ont été publiées en décembre 2015 dans le no 15 de Médiadoc8, revue professionnelle éditée par l’A.P.D.E.N.
Octobre 2015 : le 10e Congrès des professeurs documentalistes et ses leçons
Le 10e congrès des professeurs documentalistes, qui s’est tenu en octobre 2015 à Limoges, fut l’occasion de prolonger, dans un esprit de partage, les réflexions sur les contenus de l’information-documentation en lien avec l’éducation aux médias et à l’information. Organisé par l’A.P.D.E.N., ce congrès, qui donnait voix aux chercheurs et aux professionnels, dans les CDI, a été riche d’enseignements et nous conforte dans la poursuite d’une prospective didactique et pédagogique9.
Les communications ont rappelé, une nouvelle fois, les nombreuses possibilités de créer des liens entre théorie et pratique, entre chercheurs en Sciences de l’information et de la communication, formateurs en ESPE, formateurs auprès des instances académiques et professeurs documentalistes. Le congrès fut l’occasion de rencontres multiples, sans autre événement de ce type au niveau national. Dans les amphithéâtres et dans les grands espaces de la faculté de Droit de Limoges, auprès de nombreux partenaires qui ont permis la tenue de ce congrès, l’association professionnelle du Limousin et le Bureau national ne peuvent être qu’heureux de ces remarquables échanges.
Le congrès doit être, avec des apports aussi riches, une assise pour continuer de formuler des propositions, pour les collègues et nos interlocuteurs institutionnels. Au cours de ces trois jours, plusieurs pistes de réflexion et d’action sont ressorties :
• Mieux considérer la spécificité des notions de l’information-documentation et les liens avec les autres domaines d’enseignement.
• Garder de la distance avec des expressions nouvelles dont la définition n’est pas claire et les contenus non fermement établis, ainsi autour de l’éducation aux médias et à l’information (EMI), afin de pérenniser les apports théoriques et pratiques en information-documentation.
• Questionner les liens entre l’information-documentation et l’éducation aux médias et à l’information (EMI).
• Insister sur les modes pédagogiques variés, pour la transmission de savoirs en information-documentation, et sur l’intérêt de pédagogies actives, d’investigation, etc.
• Ne pas perdre de vue, dans la société contemporaine, l’intérêt de la notion de documentation autour de la documentation de soi en particulier.
• Donner un élan supplémentaire pour que l’ensemble des notions associées au numérique, autour de l’information et de la documentation, soient effectivement considérées comme des notions relevant de l’information-documentation à travers des formations initiales et continues spécifiques.
• Prendre la mesure d’un intérêt, dans les apprentissages, de la culture informationnelle des élèves en tant qu’enfants à travers leurs pratiques et leur développement personnel.
• Insister sur la nécessité d’une progression des apprentissages info-documentaires et de leur évolution : ne pas maintenir le principe d’apprentissages seulement présentés à l’entrée du collège ou du lycée, ne pas s’en tenir à la recherche documentaire.
La suite : un curriculum à conforter, à mettre en pratique
La mise en valeur du rôle pédagogique des professeurs documentalistes – apprentissages menés de manière autonome, collaborations pluridisciplinaires, progression proposée selon des modalités et des méthodes pédagogiques variées et mises en pratique accompagnées au CDI dans des projets construits ensemble avec les autres enseignants – se nourrit de ces réflexions sur les contenus pédagogiques, bien entendu. Face à la mise en place par le Ministère de l’Éducation Nationale d’un référentiel en éducation aux médias et à l’information (EMI) qui s’avère non opératoire tant il suppose la dispersion, l’absence d’identification de notions et l’absence de progression, nous sommes amenés à développer une voie parallèle, afin d’œuvrer pour l’acquisition de ces savoirs par nos élèves. Déjà, certains collègues ont développé leur propre curriculum, parfois inspiré des travaux de l’A.P.D.E.N., comme on l’observe dans l’enquête de 2016 relative aux obligations réglementaires de service, enquête dans laquelle plusieurs items portaient sur la question essentielle de l’évaluation10.
C’est dans ce sens que la publication Vers un curriculum en information-documentation, a été mise à jour dans le cadre d’une deuxième édition en décembre 2015. Cette édition permet de prendre en considération l’évolution du contexte politique, mais aussi scientifique. Un travail de correction, pour une meilleure lisibilité, a été effectué autour des chapitres 8 et 9, à la fois au niveau des savoirs, mais aussi et surtout au niveau des observations et propositions relatives à l’application pédagogique. Cette nouvelle édition prend ainsi en considération les propositions de l’enquête diagnostique sur les connaissances des élèves en information-documentation, les propos développés lors du Congrès de Limoges, mais aussi les travaux développés en 2015, en particulier dans l’académie de Toulouse avec le développement d’une matrice EMI qui comprend une partie spécifique à l’information-documentation11. En 2016, le travail porte autour de la mise en valeur des modalités et pistes pédagogiques, mais aussi de l’évaluation. Dans cette optique, le curriculum et le Wikinotions Info-Doc sont à exploiter en tant qu’ outils tutoriels dont la finalité est d’aider les collègues à prendre en main ces publications dans l’optique de construire des séquences pédagogiques originales12.
Par ailleurs, la plateforme collaborative Wikinotions Info-Doc continue d’être alimentée et corrigée13. Elle compte 102 articles qui traitent de 102 notions essentielles en information-documentation. Pour chaque notion, on en présente les caractéristiques, des formulations de définitions réfléchies selon le niveau de l’élève, pour l’élève, puis des exemples et contre-exemples afin d’aider à la construction de la notion. Enfin, des pistes pédagogiques et références sont présentées en fin d’article. Ce sont, en tout, plus de 70 séquences pédagogiques qui ont été sélectionnées et rendues disponibles sur différents sites web, accessibles par niveau et par notion. Un recensement de près de 280 références, de plus de 160 auteurs différents autour de l’information-documentation a également été mis à disposition, références classées par auteur (avec une notice biographique) et par thème, puis distribuées dans chaque notion correspondante. Le travail en 2016 porte autour de l’organisation des notions, de la recension continuelle de séquences pédagogiques en ligne, selon les propositions publiées sur les blogs de professionnels ou sur les sites institutionnels comme Eduscol.
Conscients que les temps d’intervention pédagogique du professeur documentaliste peuvent être remis en question, en collège, par certains des textes qui encadrent la mise en œuvre des enseignements, nous restons convaincus de la nécessité de développer les réflexions et propositions concrètes qui soutiennent notre légitimité et notre action quotidienne pour les élèves. Il ne s’agit pas de limiter l’activité du professeur documentaliste à des séances pédagogiques, mais de préciser ses qualifications et de faire en sorte qu’il puisse les développer tout au long de sa carrière en bénéficiant de formations continues évolutives et plurielles. L’enjeu est ici de garantir une progression en information-documentation pour l’ensemble des élèves, fondée sur une responsabilité collective alors que 85 à 90 % des professeurs documentalistes qui exercent en collège ou en lycée général et technologique proposent au moins quatre heures de séances par semaine14.