Sécheresse1, Déluge2, Mers mortes3, Le dernier hiver4… sont autant de titres évocateurs d’une littérature manifestant un intérêt pour les problèmes liés aux dérèglements climatiques. En effet, les fictions d’anticipation reflétant nos angoisses à ce sujet se sont développées de façon exponentielle ces cinq dernières années, notamment aux États-Unis en réaction à Donald Trump et aux climato-sceptiques. La « fiction climatique », également appelée Cli-fi (pour climate fiction), un terme dont l’écrivain et blogueur Dan Bloom est à l’origine (2008), dénonce les dérives de notre société qui mettent à mal notre planète en causant pollution, disparition des abeilles, pénurie d’eau… Cette sous-branche de la science-fiction apocalyptique dans laquelle la destruction du monde est provoquée par des dérèglements climatiques croît en France alors que la littérature de notre pays, contrairement à la littérature américaine, s’est longtemps passionnée pour la ville. Et même l’armée française s’y intéresse et prend très au sérieux les auteurs de SF en constituant sa Red Team. La ministre des armées, Florence Parly, avait dévoilé en décembre dernier les noms des 10 écrivains retenus pour cette mission : anticiper les menaces futures (dont le réchauffement climatique) à travers l’écriture de scénarios à venir.
Il est à noter aussi que depuis 2018, le Prix du roman d’écologie récompense chaque année un roman francophone dont l’intrigue consacre une part importante aux questions liées au climat.
La littérature dédiée aux adolescents n’est pas en reste dans ce domaine. Les dangers liés à une surexploitation de la nature se retrouvent en effet souvent au cœur de nombreux romans d’anticipation. Et afin de préparer le lecteur au pire et pour le motiver à des changements de comportement dans le présent, la dystopie est un moyen auquel les auteurs ont fréquemment recours. Contre-utopie, elle présente l’idée d’un futur peu encourageant, dont les causes sont souvent à chercher dans les dérives de notre société. Critiques de notre système de vie contemporain, ces ouvrages présentent les luttes de protagonistes contre l’oppresseur que nous aurons peut-être nous-mêmes à mener si nos efforts ne suffisent pas ces prochaines années pour endiguer le réchauffement climatique et contrôler la gestion de nos ressources. Ils dénoncent ainsi des sociétés grisées par les progrès technologiques et scientifiques, par le contrôle de la nature. Et certaines histoires virent parfois au cauchemar…
Une planète Terre mise à mal…
Hélène Montardre, dans sa série Océania, et Jean-Michel Payet, dans le premier volet de sa série 2065 : La ville engloutie, emmènent le lecteur dans un futur proche, dans un monde où la montée des mers et des océans a bien eu lieu, jusqu’à la disparition de certaines parties du globe. Dans Océania : la Prophétie des oiseaux, nous accompagnons Flavia, qui vit avec son grand-père, guetteur. Ce dernier, avec ses collègues et certains chercheurs scientifiques, avait bien alerté sur des changements climatiques annoncés par le comportement des oiseaux. Mais ignorée des pouvoirs publics, la fonte des glaces a inéluctablement eu lieu et les habitants des côtes se retrouvent à devoir se déplacer. Pour sauver sa petite-fille, le grand-père va confier Flavia à un navigateur qui s’apprête à rejoindre l’Amérique et tenter de passer la gigantesque digue qui protège la ville de New York du déferlement des vagues et de l’arrivée massive de milliers de personnes du monde entier qui cherchent refuge. Le lecteur se retrouve alors plongé dans une société sous haute surveillance, privée de liberté et de tout contact avec les autres pays.
C’est dans un style différent que, dans le roman de Jean-Michel Payet, nous suivons les aventures d’Émile, récemment piqué par la remarque d’une camarade qui le traite de gros naze. En visite chez son grand-père, il découvre alors que ce dernier, via un trou dans la maison, se rend régulièrement dans le passé. Il décide d’emprunter lui aussi ce passage temporel, mais pour se projeter dans le futur, afin de vérifier s’il deviendra bien ce que la fille qu’il admire lui a dit. Mais difficile pour lui de retrouver sa ville, engloutie par les eaux, en proie à de fréquents tsunamis.
Si nous sommes captivés par les aventures de ces deux protagonistes, c’est que la montée des mers et des océans est un processus déjà bien enclenché et que nous ne pouvons que nous identifier à un monde où les images d’ours polaires à la dérive sur une banquise émiettée ou d’îles qui disparaissent sous les eaux sont montrées depuis déjà quelques temps par les médias.
C’est aussi contre les forces d’une nature détraquée que Reda, dans Terre de tempêtes (Johan Heliot), également chez son grand-père, va devoir se battre face à un cyclone d’une puissance inouïe. Là encore, dans un futur proche (2060), le climat en Europe a bien changé : le Nord est devenu une zone marécageuse, tandis que le Sud subit la sécheresse. Une erreur dans une exploitation expérimentale a provoqué un rot de méthane, consécutif à un accident sismique, qui a libéré dans l’Atlantique nord une poche de gaz, vingt fois plus nocif que le dioxyde de carbone. L’effet de serre atteint alors le seuil de 27°C, température idéale pour la formation de cyclones. Si le sujet paraît complexe, c’est en toute simplicité que l’auteur dénonce dans ce livre la course à l’exploitation d’énergies de substitution due à l’accroissement de la consommation, souvent au détriment de la population.
Une des autres conséquences dramatiques des changements climatiques est la disparition d’espèces animales et végétales. C’est ce thème de l’effondrement qu’a choisi Maja Lunde dans son magnifique roman Une histoire des abeilles qui, par sa structure originale, nous plonge dans trois époques et univers différents. D’un chapitre à l’autre, le lecteur suit William en Angleterre en 1851, George en Ohio en 2007 et Tao en Chine en 2098. À travers ces personnages, le lecteur est amené à comprendre, via une histoire des abeilles et de l’apiculture, les prémices et les conséquences effroyables de la disparition de ces insectes, on le sait, indispensables à la pollinisation.
Comme un cri d’alerte là encore, les auteurs du recueil Nouvelles vertes nous mettent face à nos responsabilités en nous faisant prendre conscience (ou un peu plus conscience) de la fragilité de la Terre. La faune marine en danger ou la surexploitation des forêts tropicales sont deux exemples des conséquences désastreuses des actes des habitants de notre planète parfois loin de penser qu’un sac plastique lâché dans la nature peut être mangé par un dauphin (qui le prend pour un calamar), cette ingestion pouvant conduire à la mort de l’animal.
Enfin, les particules en suspension, le dioxyde de soufre, les composés organiques volatiles et autres gaz modifient la qualité de l’air que l’on respire et ont des effets significatifs sur la santé et l’environnement. Dans des scénarios poussés à l’extrême, Carina Rozenfeld (dans Les clefs de Babel) et Thimotée de Fombelle (dans Céleste, ma planète, Prix du Festival du livre jeunesse d’Annemasse), plongent le lecteur dans des mondes futurs où l’air est devenu irrespirable. Dans le premier ouvrage, récompensé par le Prix des Incorruptibles niveau 5e-4e en 2011, le Grand Nuage (immense nuage toxique qui détruit toute vie sur Terre) a empoisonné la planète à la suite des explosions massives d’usines chimiques et de centrales nucléaires. Les hommes se sont réfugiés dans une immense tour nommée Babel.
Cette image de tour, cette fois-ci à la façade de verre ou de briques, se retrouve dans Céleste, ma planète, planète de fumée sur laquelle les hommes ont dû, là encore, construire des immeubles toujours plus hauts, à la recherche d’un air plus respirable, au-dessus des nuages de pollution. Avec, dans les deux ouvrages, une répartition inégalitaire des habitants en classes dans une société qui protège les plus aisés de la pollution atmosphérique. Ces derniers occupent les étages les plus élevés de la tour dans Les clefs de Babel tandis que les plus faibles vivent en bas, rejetés, là où l’air est le plus pollué et où les conditions de vie s’avèrent sordides : humidité, logements sombres et exigus.
… Sur laquelle les hommes doivent survivre
Dans la plupart des ouvrages d’anticipation illustrant les conséquences des changements climatiques, c’est donc à un contexte bien souvent postapocalyptique que les protagonistes doivent s’adapter tant bien que mal, à un monde où les populations encore épargnées tentent de survivre.
Dans le fascinant roman réaliste de Jean Hegland, Dans la forêt, les habitants ont quitté la ville, fuyant des virus et le manque de ressources, une crise économique… (impossible de ne pas établir de parallèle avec la période de pandémie que nous traversons). Une famille isolée au milieu de la forêt décide de rester dans cet écrin de verdure et se retrouve à vivre en autarcie. La relation des deux sœurs, leurs passions (la danse pour l’une, la littérature pour l’autre) et leur force de vivre contre la rudesse du quotidien ramènent le lecteur à une certaine humilité et à une réflexion croissante sur le rapport entre l’homme et la nature.
La forêt, Samaa, elle, ne sait pas ce que c’est. Les arbres, elle ne les voit que sous forme de troncs quand un groupe de chasseurs en rapporte pour vendre le bois. Car dans Et le désert disparaîtra, de Marie Pavlenko, la vie a presque disparu. Plus d’animaux ; partout, le désert. Et c’est toujours plus loin que la tribu nomade doit partir traquer ce matériau devenu si rare et si convoité tandis que les femmes et les enfants attendent le retour des hommes, se nourrissant de barres protéinées et d’eau gélifiée.
C’est ce thème de la sécheresse et de la pénurie d’eau qui sera au cœur du roman à suspens Dry (Lauréat du prix Young Adult 2018 du Salon du Livre de Marseille et dans la sélection du Prix des Incorruptibles 2020-2021, niveau 3e-lycée), de Neal et Jarrod Shusterman. Le manque d’eau en Californie va vite mener les habitants à une guerre du chacun pour soi jusqu’à transformer certains d’entre eux en zombies assoiffés prêts à tout pour une gorgée du précieux liquide. Les auteurs y dépeignent également, parmi les héros, une famille survivaliste qui s’était préparée à une éventuelle catastrophe, mais qui ne sera pas épargnée pour autant par les difficultés dans cette course effrénée contre le temps où chaque heure passée sans boire peut coûter la vie.
On retrouve l’évocation de ce mode de vie dans la palpitante série Ciel, de Johan Heliot, via le personnage du grand-père qui a pour volonté de rassembler sa famille pour les fêtes de Noël chez lui, dans les Vosges. Mais cette réunion familiale ne pourra pas avoir lieu. CIEL, intelligence artificielle toute puissante qui a remplacé Internet, a pris possession de toutes les machines afin de maîtriser les humains et ainsi sauvegarder la planète en stoppant toute pollution et autres gestes mettant la Terre en péril. Cette famille, éclatée aux quatre coins de l’Europe, se retrouve alors sous l’emprise dictatoriale des robots. Chacun des membres tente tant bien que mal de survivre, isolés à Berlin, Paris, en Italie ou encore dans le Vercors.
Dans les deux bandes dessinées The End, de Zep et Après le monde, de Timothée Leman, la nature a repris le dessus et seuls quelques survivants sur Terre ont été épargnés par l’apocalypse. Dans le premier ouvrage, l’auteur pose la question d’une nouvelle chance pour l’espèce humaine. Une équipe de chercheurs, en Suède, travaille sur la communication des arbres entre eux et avec les hommes. Ils tentent de démontrer que ces végétaux détiennent les secrets de la Terre à travers leur ADN, leur codex. C’est en recoupant leurs génomes avec la mort mystérieuse de promeneurs en forêt espagnole, le comportement inhabituel des animaux sauvages et la présence de champignons toxiques que le professeur comprendra que ces événements sonnent l’alerte d’un drame planétaire immédiat qui n’épargnera que Théodore, le stagiaire du groupe, et quelques autres. Le lecteur en conclut alors qu’ils devront, ensemble, se réorganiser pour construire une nouvelle société.
Dans Après le monde, Héli et Selen sont les deux derniers survivants. Tous les autres ont été aspirés, pensent-ils, par une tour de lumière blanche. Ensemble, ils vont partir et tenter de découvrir l’origine de cette catastrophe. Contenant très peu de texte, cette BD est servie par un graphisme original et onirique. Dans un autre style, les pages de l’œuvre de Zep sont également très belles et surprenantes, en couleurs monochromes.
Et pour terminer cette série de livres dans lesquels les hommes ne peuvent plus habiter la Terre comme avant, on en arrive aux sous-genres planet et space opera.
Dans sa série en cinq cycles, Les mondes d’Aldébaran, Léo fait évoluer ses personnages sur des planètes étrangères et mystérieuses, des exoplanètes. Nous sommes au XXIIe siècle. Au siècle précédent, les conditions sur Terre se sont dégradées à la suite du réchauffement de la planète, avec une pollution toujours croissante et des guerres religieuses dévastatrices. Grâce à la technologie avancée et aux progrès dans la conquête de l’espace, de nouvelles planètes habitables sont découvertes. Les protagonistes de ces bandes dessinées sont donc les premiers colons d’Aldébaran. Privés de communication avec la Terre, ils explorent cet univers peuplé d’animaux fascinants et d’une flore étonnante. Cent ans après leur arrivée, d’étranges phénomènes surviennent.
Si le graphisme des personnages est parfois désuet, l’univers créé par l’auteur et l’intrigue tiennent le lecteur en haleine. Ces ouvrages restent destinés à un public de lycéens, certaines scènes se présentant comme sensuelles ou violentes.
L’étonnante novella de Liu Cixin, Terre errante, traduite du chinois et adaptée au cinéma en 2019, appartient quant à elle à la branche du space opera. L’intrigue se déroule dans l’espace. La Terre se meurt, le soleil se transforme progressivement en géante rouge. Pour éviter l’extinction de notre planète, les Nations imaginent un projet fou : transformer la Terre en un vaisseau spatial. En construisant d’immenses propulseurs plasma, ils arracheront cette dernière de son orbite et la mèneront vers le système de Proxima de Centaure.
Cette œuvre de qualité, qui laisse au lecteur des images fortes, entre tout à fait résonance dans le contexte actuel de la course à la conquête spatiale notamment avec l’exploration de Mars pour laquelle la Chine est devenue une superpuissance.
De nouveaux modèles d’éco-citoyenneté
Mais l’accès à d’autres planètes n’est pas le seul recours imaginé par les auteurs s’intéressant aux problèmes d’environnement.
Tout le récit de Christian Grenier, par exemple, repose sur la quête d’un monde utopique, d’un pays mystérieux : Écoland. À la recherche de cet idéal : Vitalin, souhaitant retrouver sa compagne, et Clovisse, en mission secrète pour le gouvernement. Leurs routes vont se croiser. Mais que vont-ils trouver ? Ce roman, édité en 2003, mais dont l’écriture aurait débuté bien auparavant, se voulait au départ une fiction d’anticipation. Mais aujourd’hui, l’ouvrage semble réaliste, offrant une réflexion sur l’écologie, la décroissance, la mutualisation de nos connaissances, les alternatives possibles à notre mode de vie, afin de sortir de la surconsommation responsable d’une pollution massive.
Jean-Luc Mercastel nous emmène quant à lui dans un monde beaucoup plus radical, Un monde pour Clara. Si les mouvements des jeunes citoyens pour un respect de l’environnement après divers accidents nucléaires représentaient au départ une lutte juste, la construction d’un nouveau modèle a plongé les habitants dans la terreur d’une dictature avec, à sa tête, Les enfants de Gaïa, une secte ultra puissante prête à tout au nom de l’écologie. L’auteur présente à travers cet ouvrage de science-fiction les dérives possibles d’un idéal vert et l’aveuglement des hommes dès leur accession au pouvoir.
Pour finir sur un ton plus léger, empreint d’humour, l’éditeur Thierry Magnier, dans Nouvelles re-vertes, toujours sur le principe du recueil de nouvelles, propose cette fois-ci des récits plus optimistes sur la Terre de demain.
Cette littérature de science-fiction ou d’anticipation axée sur les dérèglements climatiques trouve une place toute naturelle dans nos CDI. Le large éventail de titres édités (seule une petite sélection est mentionnée dans cet article) permet d’accompagner les élèves et d’enrichir leur réflexion, puisque l’on sait que l’éducation au développement durable se retrouve aujourd’hui dans les programmes de nombreuses disciplines et que des éco-délégués sont élus depuis quelques années dans les collèges et les lycées. Plaisantes à lire, ces fictions ne peuvent qu’aider les élèves à prendre conscience des enjeux de nos actes pour la planète et peut-être, les inciter à s’engager au quotidien en tant que citoyens. Les notes en fin d’ouvrages que les auteurs ou éditeurs proposent parfois sur le sujet sont un plus et confirment que le combat contre le réchauffement climatique est une préoccupation sociétale croissante.