L’EMI au cycle 3 : un objet de paradoxes

Les travaux académiques mutualisés ont pour but de produire de la réflexion sur le numérique en lien avec le cadre de référence des compétences numériques (CRCN) et participent au développement d’une culture numérique1. En privilégiant les partenariats interacadémiques, il s’agit de travailler de manière approfondie en rapport avec un sujet disciplinaire et d’expérimenter une séquence pédagogique. Le fruit de ce travail d’équipe fera l’objet d’une fiche synthétique publiée sur le site national Edubase2 qui regroupe les pratiques pédagogiques en lien avec le numérique.

Dans le cadre des TraAM 2020/2021, dont la thématique en documentation est Continuum de formation et compétences informationnelles : quelle place le professeur documentaliste occupe-t-il dans le processus d’acquisition de la culture informationnelle ? nous voulions travailler, dans l’académie de Bordeaux, sur la notion même d’Éducation aux médias et à l’information (EMI) et sur sa définition qui nous semblait être au cœur du métier d’enseignant documentaliste. La thématique de l’année des TraAM nous a orientée sur la liaison École-Collège.
Afin d’élargir notre recherche, nous avons pris contact avec d’autres enseignantes documentalistes qui participaient aux TraAM dans d’autres académies, ce qui nous permis de réaliser une recherche inter académique sur l’Éducation aux médias et à l’information au cycle 3 dans le premier degré3.
Notre objectif était d’étudier la mise en œuvre de l’EMI dans les classes de CM1 et CM2. De plus, nous voulions modéliser une culture de l’information spécifique au Cycle 3 dans le premier degré, c’est-à-dire dessiner les contours théoriques se dégageant des représentations et des pratiques déclarées des professeurs des écoles. D’autres collègues ont travaillé sur des objectifs plus concrets tels qu’un travail sur les compétences engagées ou des outils nécessaires aux professeurs des écoles. Tout ceci avait pour but de mieux adapter la pédagogie documentaire à l’entrée en 6e 4.

Point théorique sur l’EMI au Cycle 3

Avant de débuter notre travail de recherche, nous nous sommes intéressées tant aux directives ministérielles et aux recommandations pédagogiques qu’aux représentations du numérique des enseignants.
Selon le ministère de l’Éducation nationale, « [l’EMI] doit être intégrée à tous les enseignements. À l’heure des médias de masse et des réseaux numériques, garantir à tous les élèves la maîtrise de ces compétences contribue à la réduction des inégalités culturelles et sociales. C’est donc une nouvelle responsabilité qui s’impose à l’École » (MEN, 2018)5. Cependant, les recommandations pour la mise en œuvre de l’EMI demeurent, selon les enseignants, complexes et pauvres et entrent souvent en conflit avec le rapport au numérique des enseignants qui regrettent le manque de formation et de moyens (Pascau, 2021). Ainsi, la question de l’EMI dans l’Éducation nationale est loin d’être tranchée. Trouver un consensus semble difficile tant pour une définition des contenus à transmettre que pour un déploiement dans les établissements scolaires (Frau-Meigs, Loicq & Boutin, 2014). C’est la raison pour laquelle nous avons voulu approfondir ce sujet. Dans cet article, nous proposons une modélisation de l’EMI au cycle 3 en nous appuyant sur les verbatims des enseignants. Nous expliciterons tout d’abord notre méthode de recherche puis nous détaillerons nos résultats de recherche.

Contextualisation de la recherche et méthodologie

Nous avons choisi, pour mener notre réflexion par le biais d’une recherche scientifique, une méthodologie empirique en deux temps, quantitative et qualitative, avec un questionnaire en ligne et des entretiens qualitatifs à destination des enseignants ayant en charge des classes de CM1 ou de CM2. Notre corpus de recherche avec soixante-neuf réponses au questionnaire et dix entretiens nous permet d’avoir un échantillonnage riche et hétérogène qui se répartit sur quatre académies : Guyane, Lille, Nantes et Bordeaux. Nous en avons extrait des statistiques et des discours représentatifs et explicatifs sur l’EMI. Nous précisons entre parenthèses la question à laquelle correspond le verbatim ou les données chiffrées auxquels nous faisons référence.
Le questionnaire réalisé sur Google Forms et diffusé via un lien par mail comportait vingt-neuf questions réparties en quatre thématiques (annexe 1) : le positionnement théorique des répondants par rapport à l’EMI ; la réalité de la mise en œuvre de cette éducation dans les établissements (difficultés notamment) ; les compétences relatives à l’EMI et leur évaluation ; la liaison école-collège et les rapports entretenus avec l’enseignant documentaliste à travers le prisme de l’EMI.
Le graphique ci-dessous montre la répartition des réponses par département.

Figure 1 – Répartition des réponses au questionnaire par département

Pour le volet qualitatif, nous avons procédé à des entretiens semi-directifs et compréhensifs ; le corpus de verbatims recueillis lors des entretiens sert à illustrer les données chiffrées et à expliciter les tendances extraites du questionnaire. L’entretien compréhensif, à partir d’une grille indicative de questions, donne une certaine souplesse permettant de questionner le sujet en tenant compte de ses réponses, sous la forme d’une discussion entre pairs ou d’un partage d’expériences et souvent sur le ton de la confidence. Les dix entretiens se répartissent de manière homogène dans les trois académies, sur une période de quatre mois. Ils ont été menés soit en présentiel, soit en distanciel.

Le tableau ci-dessous montre la répartition chronologique des entretiens au sein des académies. Le codage employé (Établissement Scolaire + Numéro de département + Numéro d’entretien dans le département) permet de citer les répondants en respectant leur anonymat.

Tableau 1 – Répartition des entretiens

Les verbatims récoltés nous ont permis d’avoir un corpus de recherche riche sur lequel nous nous sommes appuyées pour dessiner les contours théoriques de l’EMI. D’une durée moyenne d’une trentaine de minutes, les entretiens visent à connaitre la définition de l’EMI et ses caractéristiques, la réalité de l’implémentation de l’EMI dans les classes (difficultés rencontrées, pratiques évaluatives, part du numérique dans l’EMI). (Guide d’entretien, Annexe 2.)

Limites et biais de la recherche

Nous avons rencontré des difficultés quant à la diffusion du questionnaire pour communiquer directement avec les professeurs des écoles. Nos différentes tentatives pour transmettre notre lien ont souvent échoué et nous avons eu besoin de relancer régulièrement nos contacts.
Cependant, notre échantillonnage de soixante-neuf réponses s’avère intéressant car hétérogène : en effet, nous sommes parvenues à réunir des réponses réparties sur onze départements de cinq académies différentes.
Nous regrettons le peu d’entretiens qu’il nous a été possible de mener mais il a été difficile pour nous de convaincre les répondants au questionnaire en ligne de participer à un entretien d’approfondissement. Les professeurs des écoles ayant répondu favorablement sont souvent des personnes de notre entourage professionnel direct ou avec qui nous avons développé des relations professionnelles privilégiées. Cependant, nous avons veillé à préserver notre objectivité.

À partir des réponses aux questionnaires et de l’analyse discursive des entretiens, nous allons exposer quelques caractéristiques de l’EMI telles que nous les avons analysées. L’EMI s’est imposée à la lumière de nos résultats comme un objet de paradoxes ce que nous allons tenter de démontrer.

Un objet d’étude entre réflexion et procédure

Les réponses à la question « Q 4 – Donnez 3 mots clés relatifs selon vous à l’Éducation aux Médias et l’Information (EMI) » ont permis de recueillir les représentations que les répondants ont de l’EMI. Trois axes se dégagent, à savoir les médias, la recherche d’information et l’esprit critique. Il en émerge une notion dichotomique avec une double préoccupation : procédurale et réflexive.

Les définitions données en entretien « E2 – Quelle définition donnez-vous à l’EMI ? » confirment ce premier aspect paradoxal et rejoignent les représentations observées à travers le nuage de mots. Toutefois, elles demeurent floues et partielles ; L’EMI sert à “comprendre le monde mais en le décortiquant” (ES33-2). Pour d’autres enseignantes, l’EMI, “c’est savoir rechercher des informations pour mieux s’éduquer, si on peut dire” (ES 973-01) ou c’est “apprendre à se servir de… apprendre aux enfants ce qu’est une information, quels sont les supports d’information, comment on fait le tri entre des informations avérées ou pas, les sources du coup les différents médias” (ES33-1). Dans la définition suivante, nous remarquons que l’EMI est définie comme comportant deux volets : “c’est deux versants, le versant comment on s’en sert – je ne sais pas…- pour rechercher, pour trouver des informations, et de l’autre côté le versant justement avoir un regard critique aussi sur tout ce qu’on trouve sur internet, sur ce qu’on peut faire, pas faire” (ES 973-2).

L’EMI : Kesako ? Une notion inconnue mais indispensable

Tout au long des entretiens, nous avons remarqué que l’EMI n’était pas une notion évidente pour les professeurs des écoles rencontrés : l’EMI semble relever du second degré. Lorsque nous leur avons présenté la thématique de l’EMI, nous avons dû expliciter quasi systématiquement le sigle. Certains (ES973-2) voient vaguement de quoi il retourne : Si, si, cela doit apparaître, alors moi je… il faudrait que je regarde plus précisément dans les programmes (Réponse à une relance à la question « E2 – Cela apparaît dans vos programmes ou tu ne vois pas du tout de correspondance ? »). Cela s’explique par la méconnaissance des recommandations institutionnelles de la part des enseignants alors qu’il existe un texte officiel sur les Orientations pour l’éducation aux médias et à l’information (EMI) Cycles 2 et 3 émanant du ministère de l’Éducation nationale (MEN 2018).
Même si cela peut sembler une évidence, nous pouvons souligner qu’il n’y a pas d’enseignant documentaliste dans le premier degré, ce qui peut expliquer le manque de sensibilisation des professeurs des écoles à l’EMI.
Cependant, nous notons un consensus de la part des enquêtés sur la nécessité absolue de l’EMI à l’école sans savoir la définir précisément : ils ne sont qu’une minorité à la réfuter (moins de 3 %). En réponse à la question « Q5 – Pensez-vous qu’aborder l’EMI soit indispensable pour les élèves ? Plusieurs réponses possibles », ils sont 80 % à dire que l’EMI forme à des pratiques d’information raisonnées, 60 % à choisir la culture générale et 40 % à déclarer que l’EMI est utile pour la continuité de la scolarité.
Enfin, en réponse à la question « Q7 – Mettez-vous en œuvre l’EMI dans votre établissement pour le cycle 3 ? », 71 % des répondants affirment déployer l’EMI en classe. Un tiers des enseignants du premier degré interrogés ne fait donc pas d’EMI alors que la quasi-majorité l’estime indispensable.
Quelles conclusions en tirer ? Les professeurs des écoles semblent faire de l’EMI sans le formaliser. Complexe et difficile à cerner pour les répondants, l’EMI est une notion encore mal connue dans le primaire, sans doute parce qu’elle est insuffisamment théorisée, et qu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une réflexion didactique adaptée aux élèves de ces cycles d’enseignement ; les enseignants, de ce fait, peuvent se sentir impréparés, et surtout mal armés quand il s’agit de la mettre en œuvre même s’ils la jugent indispensable. Les problématiques temporelles et techniques entrent sûrement également en jeu.

L’EMI entre émotions et esprit critique

Il ressort de cette étude que l’EMI est une réponse à des problématiques sociales actuelles qui relèvent de la société de l’information et qui interrogent la place et le rôle des médias dans la société. Les enseignants traitent des sujets relatifs à l’EMI quand ils sentent que les apprenants en ont besoin et selon ce à quoi ils sont confrontés dans leur vie de futur citoyen. Les séances pédagogiques mises en œuvre dans ce cadre prennent en compte leurs réactions affectives et émotionnelles en rapport avec l’information. Une enseignante nous confie s’adapter à ce que vivent ses élèves : “Nous, l’information c’est plutôt l’information sur la documentation, pas tellement sur des sujets d’actualité, sauf quand ça touche l’école, quand ça touche les valeurs de la république ou des fois on la traite parce qu’ils en ont besoin et qu’on le sent » (ES 33-2). (« E4 – Comment travaillez-vous en EMI en classe de CM1-CM2 ? »)

Nous pouvons souligner la posture de médiateur des enseignants entre l’élève et l’information dans la mise en œuvre de l’EMI notamment pour aborder les médias et l’information d’actualité, dans une forme de régulation et d’explicitation en partant de leur vécu et de leurs expériences.

L’EMI moins importante que les mathématiques ?

Bien que considérée par tous comme indispensable, l’EMI est ainsi très loin d’être systématiquement mise en place dans les établissements scolaires. Les raisons invoquées sont liées à des problèmes d’ordre matériel ou temporel. Il est souvent question d’un manque d’ordinateurs, ou de connexion internet défectueuse dans la classe pour expliquer l’impossibilité de travailler en EMI. Parfois, les disciplines telles que le français ou les mathématiques prennent le pas sur l’éducation à l’information : Néanmoins, je ne réalise pas de progression EMI en tant que telle et je trouve peu le temps d’en faire (« E4 – Comment travaillez-vous en EMI en classe de CM1-CM2 ? ») nous confie une enseignante (ES62-1). Le manque de connaissances des ressources explique aussi cette situation : les formations sur le thème de l’EMI sont assez rares d’après les répondants. Une enseignante (ES973-2) regrette le manque de programme et d’organisation de l’EMI : Du tout, parce qu’on n’a pas de formation, on n’a pas d’outils non plus. On nous donne ça comme ça.
Les modalités de formation diffèrent suivant les écoles : pour 50 % des professeurs des écoles interrogés, l’approche de l’EMI est transversale, alors que 34 % l’abordent dans le cadre de projets spécifiques (« Q9 – Comment abordez-vous l’EMI ? »). L’évaluation (« Q17 – Comment évaluez-vous les élèves en EMI ? ») est, quant à elle, inexistante pour la moitié des répondants. Quand elle a lieu, il s’agit de validation de compétences prédéfinies en amont ou de réinvestissement pour d’autres activités d’apprentissage.
Nous pouvons parler d’un saupoudrage avec une adaptation pédagogique hétérogène spécifique à chaque enseignant et à chaque établissement, la priorité allant à des contenus disciplinaires considérés comme essentiels.

Une notion commune qui ne sert pas de passerelle entre l’école et le collège

Enfin, la liaison école/collège concerne très peu l’EMI et, selon les résultats du questionnaire, l’enseignant documentaliste n’est pas un partenaire « naturel » de cette liaison. 7 % des projets seulement concernent l’EMI et seuls 8 % des professeurs des écoles travaillent avec un enseignant documentaliste (« Q23 – Faites-vous des actions EMI dans le cadre de la liaison école/collège (projets en EMI intégrant le collège) ? » ; et « Q24 – Travaillez-vous en collaboration avec les enseignants du collège de secteur (pour l’EMI ou autre) ? »).
Une enseignante (ES33-2) le déplore : On a fait beaucoup de projets, ça fait des années qu’on fait des projets avec le collège mais pas vraiment sur cette thématique là, sur d’autres mais c’est vrai que ça serait peut-être à proposer. Une autre (ES62-2) souligne les contraintes bloquant le développement de partenariats : J’aimerais bien avoir des documents d’ailleurs de ta part pour mettre en œuvre l’EMI, en connaissant ta progression 6e. Maintenant, pour ce qui est du numérique, la chose serait compliquée en CM2… Je serais partante pour remettre en place ce genre de chose en EMI… mais sans ordinateur (« E6 – Pensez-vous qu’il peut exister une continuité de l’EMI entre l’école et le collège ? »).
Il nous semblait intéressant d’approfondir les missions de l’enseignant documentaliste en tant qu’enseignant et personne-ressource, et partenaire potentiel du premier degré : en effet, 90 % des enseignants sont favorables à des actions de sensibilisation ponctuelles dans leur classe dans le cadre de la liaison école/collège (« Q28 – Seriez-vous favorable à l’intervention d’un enseignant documentaliste référent en EMI pour des actions de sensibilisation ponctuelles dans votre classe dans le cadre de la liaison école-collège ? »).

Ainsi selon les enseignants enquêtés, alors que l’EMI représente une thématique transversale essentielle qui se poursuit dans le second degré, la liaison école-collège est loin d’être systématique et mériterait d’être davantage développée.

Perspectives

L’EMI apparaît bien comme un objet de paradoxes : cependant, selon nous, cela fait aussi sa spécificité et sa richesse. Les contours théoriques ébauchés, entre transversalité et citoyenneté, en passant par un essaimage optimisé, nourriront les pratiques pédagogiques.

Figure 2 – Modélisation EMI au cycle 3

Notre recherche dans le cadre des TraAM ne se limite pas à ce travail réflexif autour de l’EMI ; nous avons travaillé également sur les compétences en EMI au cycle 3 et avons voulu les mettre en rapport avec les apprentissages au collège. Nous avons aussi souhaité créer des ressources et des outils pour aider à l’intégration de l’EMI dans le premier degré mais aussi à la transition école/collège, que nous avons mis en ligne sur Internet et qui feront sûrement l’objet d’une publication ultérieure. Nous avons esquissé l’idée que les enseignants documentalistes pourraient devenir des personnes ressources pour les enseignants du premier degré tant pour les accompagner dans la pédagogie en EMI que pour la mise à disposition de ressources.

Afin de poursuivre notre réflexion, nous aimerions suivre le développement de l’EMI sur une année dans une ou deux classes au cycle 3 afin de pouvoir cerner les contenus abordés sur le long terme : ce sera sûrement l’objet de notre travail pour l’année 2021-2022.

 

Annexe 1 – Questionnaire en ligne

Q1 – Vous êtes actuellement enseignant…
Une seule réponse possible.
En CM1
En CM2
En double niveau CM1/CM2
En CM1+Secondaire (enseignant spécialisé)
En CM2+Secondaire (enseignant spécialisé)
En double niveau CM1/CM2 + Secondaire (enseignant spécialisé)

Q2 – Dans quel département (numéro de département) exercez-vous ?

Q3 – Quelle est la taille de l’école primaire dans laquelle
vous exercez ?
Une seule réponse possible.
Moins de 100 élèves
Entre 100 et 200 élèves
Entre 200 et 300 élèves
Plus de 300 élèves

Q4 – Donnez 3 mots clés relatifs selon vous à l’Éducation
aux Médias et à l’Information (EMI)

Q5 – Pensez-vous qu’aborder l’EMI soit indispensable
pour les élèves ?
Plusieurs réponses possibles.
Oui, pour la suite de la scolarité
(pour que les élèves ne soient pas perdus au collège)
Oui, pour la culture générale de l’élève
Oui, pour le développement de « bonnes pratiques d’information »
Non
Autre

Q6 – Si non, pourquoi ?

Q7 – Mettez-vous en œuvre l’EMI dans votre établissement pour le cycle 3 ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q8 – Si non, pourquoi ?

Q9 – Comment abordez-vous l’EMI ?
Plusieurs réponses possibles.
Vous abordez explicitement l’« EMI » en dehors des apprentissages disciplinaires quotidiens
Vous l’abordez de façon transversale entre les disciplines
Vous l’abordez dans le cadre de projets spécifiques
Vous ne faites rien de spécial ; c’est implicite
Autre. Précisez

Q10 – Comment vous organisez-vous dans les temps
de cours ?
Une seule réponse possible.
Vous proposez des temps dédiés « EMI » supplémentaires dans l’emploi du temps des élèves
Vous intégrez transversalement l’EMI dans l’emploi du temps des élèves, au sein des disciplines
Vous ne faites pas d’EMI

Q11 – Quelles compétences en EMI abordez-vous en classe ?
Plusieurs réponses possibles.
Rechercher, identifier et organiser l’information
Écrire, créer, publier, réaliser une production collective
Découvrir ses droits et ses responsabilités dans l’usage des médias
Découvrir et s’approprier un espace informationnel et un environnement de travail
Découvrir les médias sous leurs différentes formes
Aucune

Q12 – Dans le cadre de la mise en œuvre de l’EMI, abordez-vous de façon différenciée les médias papiers et numériques avec les élèves ?
Une seule réponse possible.
Oui, vous expliquez aux élèves la/les différence.s entre ces deux types de médias
Non, vous abordez ces deux types de médias sans vous attarder sur leur.s différence.s
Vous n’abordez que les médias papiers
Vous n’abordez que les médias numériques
Vous n’abordez ni les médias papiers, ni les médias numériques

Q13 – Avez-vous des difficultés matérielles à la mise en œuvre de l’EMI ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q14 – Si oui, lesquelles ?

Q15 – Avez-vous des difficultés personnelles ou organisationnelles à la mise en œuvre de l’EMI (manque
de temps et/ou de compétences) ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q16 – Si oui, lesquelles ?

Q17 – Comment évaluez-vous les élèves en EMI ?
Une seule réponse possible.
Aucune évaluation
Validation de compétences prédéfinies en amont
Réinvestissement pour d’autres activités
Autre. Précisez

Q18 – Avez-vous déjà entendu parler de PIX ?
Une seule réponse possible.
Oui, vous savez précisément de quoi il s’agit
Oui, vous connaissez le sigle mais vous auriez des difficultés à expliquer ce que c’est en détails
Non

Q19 – Avez-vous discuté avec les élèves de la certification numérique qu’ils passeront au cycle 4 ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q20 – Cliquez ci-dessous sur les repères que vous seriez susceptible d’aborder avec vos élèves ou que vous abordez déjà avec les élèves
Plusieurs réponses possibles.
Mener une recherche simple
Mettre en relation des informations
Sauvegarder des fichiers
Publier des contenus en ligne
Signaler des contenus en ligne
Protéger sa vie privée
Utiliser un outil d’écriture collaborative
Créer un traitement de texte simple
Mettre en page simplement le contenu d’un traitement
de texte
Numériser une image ou un son
Réaliser du codage simple
Savoir ce qu’est une donnée à caractère personnel
Comprendre qu’une utilisation non réfléchie du numérique peut avoir un impact sur sa santé
Savoir de quoi est composé matériellement un espace
de travail informatique (exemple : souris, clavier)
Savoir se connecter à un ENT
Aucun

Q21 – Faites-vous des actions pour la liaison école/collège
(en-dehors de l’EMI) ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q22 – Si oui, lesquelles ?

Q23 – Faites-vous des actions EMI dans le cadre de la liaison école/collège (projets en EMI intégrant le collège) ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q24 – Travaillez-vous en collaboration avec les enseignants
du collège de secteur (pour l’EMI ou autre) ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q25 – Travaillez-vous en collaboration avec l’enseignant-documentaliste du collège de secteur (pour l’EMI ou autre) ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q26 – Avez-vous bénéficié d’une sensibilisation à l’EMI (formation) ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q27 – Quels supports utilisez-vous pour mettre en œuvre l’EMI (personnels, institutionnels) ?

Q28 – Seriez-vous favorable à l’intervention d’un enseignant documentaliste référent en EMI pour des actions de sensibilisation ponctuelles dans votre classe dans le cadre
de la liaison école-collège ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

Q29 – Seriez-vous favorable à l’intervention d’un professionnel de l’EMI autre qu’un enseignant documentaliste pour des actions de sensibilisation ponctuelles dans votre classe dans
le cadre de la liaison école-collège ?
Une seule réponse possible.
Oui Non

 

Annexe 2 – Grille d’entretien

E1 – Trois mots-clés qui se rapportent à l’EMI

E2 – Quelle définition donnez-vous à l’EMI ?

E3 – Considérez-vous l’EMI comme indispensable au cycle 3 ? Expliquez

E4 – Comment travaillez-vous en EMI en classe de CM1-CM2 ?

E5 – Quelles compétences en EMI attendez-vous des élèves ?

E6 – Pensez-vous qu’il peut exister une continuité de l’EMI entre l’école et le collège ?

E7 – Comment envisagez-vous la continuité de l’EMI entre l’école et le collège ?

E8 – Quelle(s) compétence(s) EMI vous semble(nt) indispensable(s) mais s’avèrent dans les faits difficiles
à mettre en œuvre dans votre établissement ?

E9 – Quelles seraient selon vous les limites potentielles
à la mise en œuvre de l’EMI dans votre école ?

E10 – Quelles seraient selon vous les facteurs favorisant
la mise en œuvre de l’EMI dans votre école ?

E11 – Quels intervenants pensez-vous pouvoir contacter pour des interventions EMI dans votre établissement ? En dehors de votre établissement ?

E12 – À quel(s) type(s) d’intervenant(s) aimeriez-vous pouvoir faire appel ?

E13 – À quelle(s) ressource(s) numérique(s) avez-vous accès dans votre établissement ?

E14 – Quelle(s) ressource(s) numérique(s) supplémentaire(s) serai(en)t selon vous utiles pour la mise en œuvre de l’EMI dans votre établissement ?

 

 

Globe Reporters Environnement : EDD & EMI

« C’est votre avenir qui est en jeu. Les décisions doivent être prises maintenant pour s’assurer d’un avenir commun sur notre planète, qui est la plus belle des planètes que nous connaissons à ce jour. Mobilisez-vous, vous, vos parents, vos amis, etc. Faites passer le message pour créer cette dynamique vers une autre société qui nous assure un avenir à tous », interpelle l’eurodéputé Damien Carême en concluant une interview sur la transition énergétique réalisée dans le cadre de Globe Reporters Environnement. Un entretien mené par des élèves du collège François Rabelais à Hénin-Beaumont (62) et une éco-déléguée du lycée Jules Mousseron à Denain (59).

Globe Reporters, une synergie entre enseignants et journalistes

Depuis 2007 l’association Le retour de Zalumée développe le projet Globe Reporters qui propose à des enseignants, des élèves et des journalistes de coréaliser des reportages. C’est un écosystème collaboratif qui :
– mobilise les jeunes dans leurs apprentissages,
– accompagne les enseignants dans leur mission d’éducation aux médias et à l’information,
– implique des journalistes,
– contribue aux réflexions de la société dans son ensemble.

Sa philosophie singulière s’inspire des réalités du monde des médias et transforme les salles de classe en salles de rédaction dont les envoyés spéciaux sont des journalistes qui enquêtent et interviewent selon les demandes formulées par les élèves devenus pour l’occasion leurs rédacteurs en chef. À l’échelle locale ou à l’autre bout du monde, les professionnels des médias mettent au service de la curiosité des jeunes leurs compétences pour collecter les informations aux meilleures sources. Ces ressources numériques et multimédias transitent via le site internet www.globereporters.org, sont mutualisées, téléchargeables et facilement exploitables. Élèves et enseignants s’emparent de ces ressources brutes pour produire leurs propres réalisations médiatiques : journal, blog, émission de radio, etc.

Au fil des enquêtes, les élèves, non seulement appréhendent le travail des journalistes et décryptent la fabrique de l’information, mais sont aussi mobilisés dans leurs apprentissages. Plusieurs matières sont investies de manière transversale : histoire-géographie, français, SVT, éducation au développement durable, à la citoyenneté, etc. Les enseignants, de leur côté, disposent de contenus pédagogiques multimédias actualisés.

L’association porteuse du projet regroupe au sein de son conseil d’administration des journalistes, des enseignants et des acteurs du numérique. Sa mission est d’accélérer la coopération entre professionnels qui se connaissent mal et collaborent peu afin de relever le défi de former cette génération et les prochaines à notre monde fortement médiatisé. Enseignants, professeurs documentalistes, éducateurs, journalistes, bibliothécaires, spécialistes du numérique, etc., tous acteurs de l’EMI, sont encouragés à coconstruire des actions afin que chacun soit conscient de la malinformation qui nous entoure.

Nadia, éco-déléguée au lycée Jules Mousseron à Denain (59), interroge Davy, membre d’un groupe local des Jeunes Écologistes © Globe Reporters

La malinformation

Nous entendons par malinformation, non seulement ce qui relève des infox ou théories conspirationnistes, mais aussi toutes les informations incomplètes relayées sans souci de malveillance, mais avec un fort impact sur les consciences. Quand en juillet 2019, la rumeur court à Paris que l’eau du robinet est empoisonnée à la suite d’une contamination radioactive, le premier réflexe d’une personne lambda est de prévenir ses proches et de relayer l’information sur les réseaux sociaux. Alors qu’un internaute averti, en 30 secondes et 3 clics, débusque la désinformation et ne la partage pas.

Internet est un formidable espace de liberté et de diffusion de savoirs. Les jeunes (et moins jeunes) sont massivement sur le web et les réseaux sociaux, tant pour la consultation que pour la production d’information. Pour autant, la maîtrise de ces nouvelles pratiques informationnelles n’est pas innée. Nous sommes tous surinformés, mais à l’image de la malbouffe qui est un danger pour la santé publique, la malinformation dont abuse des personnages comme Donald Trump met en péril l’équilibre de nos démocraties.

Par ailleurs, les jeunes, notamment, sont confrontés à diverses problématiques : cyberharcèlement, e-réputation dégradée, violation du droit à l’image, usurpation d’identité, etc. Utiliser internet sereinement demande donc un apprentissage. Pour qu’ils deviennent des citoyens autonomes et responsables, il faut leur donner les moyens de relever les défis de notre environnement numérisé, qu’ils acquièrent les bons réflexes en ligne et puissent avoir un usage approprié des médias.

Pour attirer la jeunesse vers de l’information de qualité, il faut susciter le goût de l’Info. Former à s’informer et à informer, apprendre à analyser et à critiquer l’information, sans pour autant aboutir à une défiance généralisée vis-à-vis de la presse, passe en premier lieu par nos systèmes éducatifs. En lien étroit avec les enseignants, le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) ne peut assumer seul cette mission. Les associations engagées dans des dispositifs EMI peuvent être des partenaires intéressants.

Globe Reporters Environnement

Dès sa fondation, Globe Reporters participe à une prise de conscience des enjeux écologiques. Le développement durable et équitable dans ses aspects environnementaux, économiques, sociaux et culturels constitue un axe principal des reportages coréalisés. La gestion de l’eau en zone aride comme dans le sud de la Tunisie, le retour d’espèces sauvages comme le loup en Belgique ou la crise des déchets au Liban passionnent nos journalistes en herbe. Au Vietnam, au Burkina Faso, au Québec, en Roumanie, etc., les globe-reporters enquêtent sur les problèmes de biodiversité, d’accès à l’eau, de gestion des environnements et des ressources, de pollution, d’évolution des paysages, etc.

En France, depuis 2019, nous accentuons cet engagement avec le programme Globe Reporters Environnement qui a pris racine dans les Hauts-de-France. Cette année-là, 130 élèves et 7 enseignants de 5 classes de collèges et lycées ont travaillé avec 3 journalistes et interviewé 37 spécialistes dans leur région. Guidés par des professionnels qui transmettent leur expérience du reportage, les élèves développent des aptitudes critiques et créatives. Ils apprennent à décrypter la fabrique de l’information, à interpréter et à former des jugements éclairés en tant que consommateur de médias, mais aussi à devenir eux-mêmes producteurs de messages médiatiques. Ils se préparent à devenir des « cyber citoyens » de demain, éclairés et responsables.

Globe Reporters Environnement sensibilise également au journalisme de solutions, ainsi qu’au journalisme scientifique. Cette démarche constructive encourage les élèves à s’intéresser aux initiatives locales et aux acteurs qui travaillent à résoudre les problèmes. Les élèves abordent l’actualité de manière plus positive qu’en se cantonnant aux constats. Constats qui, en termes d’environnement peuvent s’avérer angoissants. Le journalisme scientifique leur permet de découvrir le monde de la recherche, d’interviewer des chercheurs, et de se familiariser avec la méthodologie et les discours scientifiques.

En 2021, ce dispositif inclut des établissements de Paris, d’Île-de-France et de Bretagne. Les classes mènent leurs enquêtes sur leurs territoires respectifs en partenariat avec des journalistes locaux. La mutualisation des ressources journalistiques sur le site internet offre aux classes-rédactions des points de vue régionaux divers. Sur certaines thématiques comme la montée des océans, la disparition de la biodiversité ou encore les initiatives pour favoriser une consommation respectueuse de l’environnement, il est alors possible de comparer ce qui se passe dans différentes régions de France.

Marche pour le climat à Lille, le 29 novembre 2019 © Globe
Reporters

Le rôle central du CDI

Paraskevi Foulon est professeure documentaliste au collège Paul Verlaine, à Paris, un établissement qui participe depuis plusieurs années à Globe Reporters : « Le professeur-documentaliste est un enseignant à part, sans classe, sans programme officiel, exerçant dans un espace différent, le CDI, mais par son expertise dans le champ des Sciences de l’information et de la Communication, il est en charge des enseignements et dispositifs permettant l’acquisition d’une culture et d’une maîtrise de l’information par tous les élèves ».

C’est le plus souvent une équipe pédagogique qui travaille autour d’une « campagne » Globe Reporters dont la charnière est le CDI. Nous partons de l’idée que l’ÉMI est une éducation et non un enseignement. L’ÉMI est transversale et interdisciplinaire par essence, abordable dans des séquences disciplinaires intégrées à l’emploi du temps des élèves.

Paraskevi Foulon ajoute : « La collaboration avec un journaliste est bénéfique et enrichissante, car elle permet aux enseignants d’exploiter pédagogiquement la part concrète du travail sur le terrain par des professionnels de l’information et des médias. C’est une ouverture et une accroche sur la réalité complexe du monde médiatique, méconnue par une partie des enseignants des disciplines. »

Post Instagram lors d’un reportage par la journaliste envoyée spéciale des classes © Globe Reporters

Une philosophie, des déclinaisons

À l’ère numérique, développer des savoirs et des compétences, c’est faire participer les bénéficiaires à leur élaboration, apporter une dimension multimédia, accepter le dialogue et actualiser régulièrement les pratiques. Globe Reporters est pensé dès son origine pour être au service d’une éducation aux médias et à l’information adaptée au contexte numérique.

La démarche participative, la plateforme web, l’utilisation de ressources en ligne, l’accès à des professionnels et des experts, permettent aux enseignants et à leurs élèves de développer des compétences informationnelles. Quand, dans une classe de collège à Hénin-Beaumont, lors d’une conférence de rédaction, l’idée émerge de mieux comprendre la transition énergétique, la première décision à prendre est qui interroger ? Ceci fait, et le choix se portant sur une figure locale comme Damien Carême, récemment élu au Parlement européen, le travail se poursuit par l’élaboration d’un questionnaire construit après des recherches documentaires.

Le relais est ensuite pris par la journaliste, envoyée spéciale de la classe. Elle se démène pour parvenir à prendre contact avec l’eurodéputé, lui explique la démarche, le convainc d’accepter de la recevoir pour lui poser les questions des élèves. Les réponses sont enregistrées et publiées en version brute. Elles sont accompagnées de photos et de commentaires de la journaliste qui explicitent les coulisses du reportage. De la sorte, les classes découvrent le travail caché derrière chaque enquête et la valeur du travail journalistique. Élèves et enseignants construisent un processus pour se repérer dans la masse des sources informatives et pour trouver celles qui apportent une information de qualité, autant de réflexes indispensables pour se diriger vers et dans la vie active.

Paraskevi Foulon explique : « Pour donner un exemple concret, quand nos élèves adoptent la posture de rédacteurs en chef, dans leur collège à Paris avec un vrai journaliste grand reporter au Burkina Faso qui attend leurs sujets de reportage, ils sont obligés de se poser des questions : quelle information, pour quel public, sur quelle forme et de se partager le travail. Plus qu’un simple questionnement Quintilien, c’est une réflexion personnelle qui se met en place, car l’élève devient acteur de son projet. Il doit choisir son sujet et la manière dont il veut le traiter et en même temps c’est un projet d’équipe donc fédérateur où chaque élève peut trouver sa place ».

Les compétences des enseignants et celles des reporters sont complémentaires. Cette synergie permet des collaborations hybrides et l’émergence d’un modèle de coopération durable qui favorise également selon les objectifs :
– une éducation à la citoyenneté et aux enjeux sociétaux,
– une initiation à la solidarité internationale,
– une ouverture culturelle sur la Francophonie,
– un apprentissage de la construction européenne,
– la lutte contre la xénophobie, la fracture numérique, etc.

Hana, du lycée Cousteau à Wasquehal (59), accompagne la journaliste Sidonie HADOUX lors du reportage dans un Centre de Valorisation Énergétique © Globe Reporters

Une banque de ressources pédagogiques en libre accès

Au fil des années, des interventions plus ciblées ont vu le jour. Une équipe travaille sur la citoyenneté européenne et des campagnes se réalisent entre établissements de plusieurs pays.
En 2020, 4 « campagnes » Globe Reporters ont été réalisées et le projet a fédéré 150 enseignants, 100 classes, 31 journalistes, 2 800 élèves du secondaire et de l’élémentaire. Le nombre de classes pouvant participer à une correspondance à une campagne n’est pas illimité. Mais les ressources journalistiques collectées chaque année constituent une mine d’or accessible en libre accès. Se connecter sur le site et lancer une recherche permet de découvrir de multiples interviews brutes et originales, de les télécharger et de les exploiter pour des séquences ÉMI.

Pour Paraskevi Foulon, Globe Reporters se distingue d’autres projets ÉMI : « L’expérience Globe Reporters est très enrichissante pour les enseignants et les élèves. En tant que professeur-documentaliste cela nous permet d’affirmer notre posture pédagogique à travers un travail collaboratif, coconstruire et mettre en place des séquences pédagogiques interdisciplinaires et à la fin faire des productions diverses et ambitieuses (journal, blog, émission radio, webTV) avec le rayonnement de l’établissement que cela peut produire. Plus que cela, la rencontre avec le monde journalistique nous permet de se conforter aux représentations professionnelles du métier d’autrui : repérer les points de convergence (outils, démarches, objectifs) et les limites de chacun. »

 

Post Instagram d’une interview réalisée par des lycéennes accompagnées de la journaliste Sidonie HADOUX © Globe Reporters

 

Agir pour la transition écologique depuis le CDI

« Affirmation du rôle fondamental et continu de l’éducation au développement durable, du primaire jusqu’au lycée », « Élargissement des missions du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté au développement durable »1… Ainsi formulés, les titres des deux premiers articles du projet de loi climat et résilience confirment la centralité de l’éducation au développement durable (EDD) dans les préoccupations écologiques nationales. Plusieurs mois avant la remise des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, la circulaire de rentrée du 28 août 2019 réaffirmait déjà la volonté du ministère de l’Éducation nationale de renforcer la place de l’EDD, quinze ans après son apparition en 2004 dans les textes officiels. Soulignée dans les programmes et adossée aux Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, la place du développement durable s’y voit aussi renforcée dans les attendus liés aux compétences des élèves. La commande d’une élection d’éco-délégués dans chaque établissement par notre ministère de tutelle est la mesure phare de ces dispositifs.
En parallèle de ce cadre national, des initiatives locales fleurissent dans de nombreuses écoles, collèges et lycées depuis plusieurs années, même si les situations restent très inégales selon les territoires, les équipes et les spécificités de chaque établissement. Dans les projets de ces EPLE, il est fréquent qu’une dynamique plus horizontale s’instaure, entre équipes éducatives, associations et divers acteurs des collectivités territoriales. En quête d’une plus grande sobriété à l’échelle locale, plusieurs de ces initiatives s’inscrivent en cela dans une dynamique dite « de transition », en référence au concept des « transition towns » développé par Rob Hopkins2.
Attendue par l’institution, visible sur le terrain, le renforcement de l’EDD semble tout indiqué pour que l’écologie se taille une place de choix dans des CDI verts annoncés par ce numéro d’InterCDI, tant pour la pédagogie que la gestion du fonds. Nous n’aborderons que peu cette dernière mais il est important de souligner que depuis bientôt dix ans, l’« écolije » connaît une progression exponentielle3. Malgré ces conditions favorables, comme pour nos collègues de discipline, l’enchaînement des confinements et l’adaptation de nos pratiques pédagogiques au distanciel mais aussi plus spécifiquement la nécessité de repenser la gestion des CDI en termes sanitaires sont particulièrement sollicitants. En parallèle, l’importance de réaffirmer nos missions en ÉMI au sein des équipes, conjugué au manque de formation spécifique sur la question complexe du climat rend bien légitime le sentiment pour certains collègues de ne pouvoir s’emparer pleinement du sujet.
Face à ce constat et à l’urgence d’accompagner au mieux nos élèves sur le chemin de la transition, une position intermédiaire existe. Elle consiste à observer à quel point nos missions rejoignent les attendus de l’EDD et d’un accompagnement au changement climatique, et dans quelle mesure nos positionnements professionnels nous facilitent la tâche en tant qu’enseignants-documentalistes pour passer à l’action en termes de transition écologique dans les EPLE. Ce faisant, nous espérons montrer que la diversité de nos occupations comme la capacité d’adaptation requise par notre profession sont autant d’atouts face au défi que constitue la préparation de nos élèves aux changements de tous ordres qui se profilent.
Que ce soit – comme nous allons le voir – au sujet de l’ÉMI, de notre posture professionnelle ou de l’autonomie de nos élèves, nos missions sont traditionnellement à la croisée entre gestion, ouverture culturelle et pédagogie. C’est surtout ce dernier point que nous approfondirons ici. Les trois aspects de notre profession restant en constante corrélation, des liens vers ce que pourrait être un fonds « en transition » et des exemples de partenaires compétents sur la question seront régulièrement tissés.
Enfin, les lignes qui suivent émanent principalement d’expériences menées en partenariat avec mes collègues professeurs documentalistes. En premier lieu avec les élèves du lycée Paul Éluard de Saint-Denis (93) entre 2015 et 2019 et Jorge Pardo (SVT). Et, depuis, avec ceux du lycée Renaudeau de Cholet (49) et mes collègues de SVT et d’histoire-géographie. Ces remarques se fondent également sur des observations plus transversales réalisées lors de formations ou d’accompagnements d’établissements en démarche de développement durable (E3D) depuis 2016, avec le groupe académique « Jardins de Créteil » et le programme « lycée éco-responsable » de la région Île-de-France, ainsi qu’à l’INSPÉ de Nantes depuis 2017.

Éduquer aux médias et à l’information environnementale. EMI et EDD, partenaires dans la formation de l’esprit critique : le cas du climato-scepticisme

Agir pour le climat avec les collègues de sciences : l’opportunité des nouveaux programmes

Depuis l’attaque de la rédaction de Charlie Hebdo, une très forte attente sociétale porte sur l’ÉMI. Peu après, l’élection du Président Trump et le recours très médiatisé de son gouvernement aux fake news ont alerté sur l’importance de la formation de l’esprit critique des citoyens, notamment chez les adolescents. Dans ce contexte, la place du professeur documentaliste est en perpétuelle redéfinition. Poser la problématique climatique comme sujet d’ÉMI n’est pas totalement inédit4. Les opportunités qu’elle propose, comme nous allons le voir, lui permettre d’affirmer sa position de spécialiste de l’information et des médias et d’améliorer son traitement dans nos établissements.
Parmi les fausses nouvelles relayées par la Maison Blanche sous le mandat de Donald Trump, on compte plusieurs déclarations en lien avec l’enjeu climatique et la négation du changement en cours. De façon générale, les grands principes du climato-scepticisme sont parsemés de fausses nouvelles relativement accessibles pour nos élèves. Ils permettent d’aborder également la notion de complot avec laquelle ils partagent de nombreux aspects tels que l’angoisse et la déresponsabilisation de ceux qui y adhèrent, ainsi qu’une simplification extrême de sujets très complexes. Le traitement du climato-scepticisme comme objet d’ÉMI permet également de s’inscrire dans les nouveaux programmes. Après s’être longtemps cantonnée aux progressions de SVT et de géographie, la question climatique a vu sa place se renforcer lors de la réforme du lycée. Elle concerne dorénavant tous les élèves de terminale générale dans le cadre de l’Enseignement scientifique (ES). Le thème 1 « Science, climat et société » offre une porte d’entrée idéale pour participer à la formation à l’esprit critique de nos élèves. Parmi de nombreuses pistes d’exploitation, une progression mêlant recherche documentaire, argumentation et apports scientifiques. C’est le sens du projet « Climato-scepticisme » mené à quatre voix cette année au Lycée Renaudeau avec deux enseignantes de SVT et ma collègue professeur documentaliste. Pour concevoir la production attendue – une vidéo de trois minutes argumentée déconstruisant un argument climato-sceptique – une séquence de six cours nous a amenées à travailler les principes de fiabilité de l’information et de construction de l’argumentation en plus des apports scientifiques.

Éduquer aux QSV : outils et ressources pour une éducation à l’information environnementale

Lors de ces séances dédiées au climato-scepticisme, nous avons abordé le thème des « questions socialement vives » (QSV) à plusieurs reprises. Et pour cause, puisque cette catégorie regroupe les objets de débat ou d’incertitudes n’ayant pas de solution univoque et qui implique de nombreux acteurs (recherche, médias, société, éducation). Malgré les différents rapports du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les modalités du changement climatique sont fréquemment remises en cause et cette question compte donc bien parmi les QSV, comme les discussions autour du brevetage du vivant ou plus récemment de la nécessité des confinements par exemple. Pour aborder ces objets de débat très complexes, la Cartographie de controverses, développée par le sociologue Bruno Latour a fait ses preuves5. Elle consiste à dresser un état des lieux des différents avis des protagonistes à l’origine d’une controverse ainsi que de leurs relations. Cette méthode est très fructueuse pédagogiquement. L’élève peut grâce à elle se placer en observateur éclairé et exercer son esprit critique en questionnant l’idée d’expertise, sans toutefois avoir à trancher. Utilisée par plusieurs collègues à l’époque des TPE, présentée au PAF de l’académie de Créteil, la Cartographie des controverses est plus que jamais d’actualité pour traiter des nouveaux programmes du lycée. Elle est très efficace pour rendre compte de la complexité des questions environnementales dans les enseignements. Le travail documentaire particulièrement fin à réaliser par l’élève nécessite l’expertise du professeur documentaliste en ÉMI pendant toute la phase de recherche, ainsi qu’au moment de l’évaluation. Ainsi déroulée, la question des enjeux climatiques dans le programme d’Enseignement Scientifique constitue par ailleurs une belle entrée vers le Grand Oral (GO). Pour le choix du sujet tout d’abord, puisque la controverse donne à la question un angle particulièrement adapté à l’exercice du GO mais aussi pour la performance en elle-même. En effet, pour présenter leur cartographie, les élèves peuvent par exemple s’entraîner à rejouer les acteurs des controverses, chacun travaillant, par ce rôle, non pas sa propre opinion, mais les aspects rhétoriques de l’argumentation.
L’étude des QSV environnementales constitue donc un levier important de formation de l’esprit critique des élèves. Elle est aussi un parfait cas d’école d’ÉMI, où plusieurs de nos missions peuvent être exploitées en partenariat avec les collègues de sciences et d’histoire-géographie. Les sujets étudiés faisant, par définition, l’objet de controverses, les élèves peuvent être confrontés à des images choquantes ou à des sites affichant un prosélytisme avancé. Aussi une pré-sélection des sources représente une solution prudente engageant fortement le professeur documentaliste à tenir une activité de veille sur la question. Plus qu’aucun autre, le changement climatique et les processus de transition sont un sujet pluridisciplinaire. En parallèle, ceci induit qu’aucun enseignant de discipline n’est spécialiste de la totalité des questions environnementales et qu’elles mettent en lumière les bienfaits de la co-intervention, comme nous le reverrons plus loin. Ce chemin à accomplir vers la compréhension des mécanismes du changement climatique présente un autre avantage. Il nous remet peu ou prou dans la posture de l’apprenant, ce qui est toujours intéressant au sujet des QSV pour la relation pédagogique.
Plus concrètement, vers qui se diriger en premier lieu et quelles lectures conseiller à nos élèves et acquérir pour notre fonds ? Les rapports du GIEC restent, s’ils sont la somme absolue sur la question climatique, très difficiles d’accès pour le non-spécialiste. Il est toutefois très intéressant de faire survoler ces documents aux élèves pour attester de l’existence de ces études, dont le bien-fondé est décrié par les climato-sceptiques. Pour des lectures plus faciles d’abord, on se tournera vers les publications de Jean Jouzel (Le climat de la France au XXIes., Quel climat pour demain ?) et Valérie Masson-Delmotte, deux auteurs incontournables en termes de vulgarisation climatique. Sur les réseaux, certaines vidéos tournées par Jean-Marc Jancovici et son organe de diffusion, le Shift Project sont accessibles pour des lycéens, tout comme celle de l’excellent YouTubeur Léo Grasset, auteur de la chaîne DirtyBiology, qui pourra servir pour de très nombreuses études de QSV scientifiques. Nécessaire à l’étude de controverses, la recherche de sources désapprouvant la réalité climatique est plus ardue de prime abord. On trouvera assez vite de quoi alimenter la séquence en réalisant une recherche avec les termes « réchauffiste », « église de climatologie » ou malheureusement « Greta Thunberg » puisque la jeune femme continue de faire l’objet d’un « Greta-bashing » de la part de ses détracteurs. Enfin, les diverses publications de lobbys agricoles qui arrivent – parfois en plusieurs exemplaires – dans nos CDI peuvent être utilisées dans ce cadre. Elles sont des sources précieuses pour les études de QSV liées aux questions de transition écologique et de très beaux cas d’école rhétoriques à propos de l’alimentation biologique, de la question des semences libres ou de l’usage des pesticides.
Éduquer à la complexité, créer des séquences où la qualité des sources est au centre des apprentissages, accompagner les élèves dans la formation de leur esprit critique face à ces dernières sont autant de missions qui rejoignent celle de l’ÉMI, comme nous venons de le voir. Pour avancer efficacement en équipe sur ces sujets complexes, le pan « ouverture culturel » de nos missions peut aussi être sollicité. L’association « La Fresque du Climat », fondée par des proches de Jean-Marc Jancovici, spécialistes de ces questions, intervient dans les établissements scolaires. L’animation consiste en un vaste jeu de cartes à remettre en place pour dessiner les causes et les conséquences du changement climatique. Elle est assurée par des membres de l’association, qui peuvent expliquer le contenu des cartes et les phénomènes physiques et humains en cause. D’abord assez technique, la Fresque officielle s’adresse aux étudiants et aux lycéens mais une version simplifiée existe pour les élèves les plus jeunes, dès la primaire. Point important, chaque séance est clôturée par un moment de « météo intérieure », où les participants expliquent leur ressenti face à ce qu’ils viennent de comprendre. Un temps que nous n’avons souvent pas l’occasion de prendre lors des séances d’ÉMI sur des sujets plus classiques mais qui a un rôle-clef dans la vision d’un CDI comme point de repère pour les élèves souffrant de l’angoisse suscitée par ces questions, comme nous allons le détailler.

Accompagner le changement de posture : le CDI comme lieu d’action climatique

Après cette présentation de certains des contenus pédagogiques possibles pour un CDI « en transition » où l’ÉMI et l’EDD se rencontrent, nous souhaitons nous concentrer sur une seconde catégorie d’actions. Elles concernent la façon de contribuer à accompagner nos collègues et nos élèves vers le changement de posture que nécessite l’adaptation aux modifications du climat, en cultivant des compétences transversales bien connues de notre profession.

Accompagner l’EPLE : le CDI, lieu de convergence pour l’environnement

La première de ces actions vise à encourager la communication au sein des équipes. Parfois débordante ou au contraire complexe, voire inexistante pour des raisons propres à chaque établissement, la qualité des échanges entre les disciplines est un point-clef de toute action d’envergure dans un EPLE. La question de la transition n’y déroge pas et il est donc tout à fait possible de s’inscrire dans le cadre d’une politique de l’EDD à l’échelle de l’établissement comme nous avons l’habitude de le faire pour l’ÉMI, l’ouverture culturelle ou la prise en charge des élèves en difficulté. Ainsi, il est aisé de proposer des expositions dans le CDI grâce à de nombreuses structures ressources (AFD, LPO, ONF, agences régionales de la biodiversité, associations locales …) dont certaines mises à disposition par les ateliers Canopé. Les mêmes acteurs peuvent être de sérieuses ressources quant à l’enrichissement de nos fonds. L’entraide entre professeurs documentalistes est également à favoriser, la transition étant un cas d’école de pluridisciplinarité, et peut grandement bénéficier de la richesse de nos profils. Pour ce faire, l’usage d’outils collaboratifs et libres de droit semble une solution cohérente pour rester en phase avec le sujet (voir par exemple la « Bioblio » : https://framacalc.org/bioblioeedd).
Pour passer à l’échelle supérieure, l’organisation de journées ou de semaines liées aux problématiques dites « de transition » constitue un bon moyen de fédérer les équipes. Plusieurs rendez-vous annuels concernant le climat, les déchets, la biodiversité existent et sont répertoriés dans le précieux agenda de Docs pour docs (http://www.docpourdocs.fr/spip.php?article520). Sur une journée, une projection suivie d’un débat avec différents collègues de discipline peut s’avérer une solution intéressante. Nous sommes nombreux à avoir projeté le documentaire Demain en nous appuyant sur le riche dossier pédagogique conçu par l’équipe du film. Depuis, ce format de documentaire encourageant le changement a fait recette. Parmi les sorties récentes, on peut recommander le film Douce France dont l’équipe propose des projections et des débats avec les élèves. Si le choix d’une semaine complète est possible, une Semaine de la Transition telle qu’organisée au Lycée Renaudeau fournit un exemple, faisant intervenir des partenaires locaux (CPIE Loire Anjou, Association Zéro Waste Cholet, etc.) et des personnalités liées de près ou de loin au lycée et à sa région (dessinateur de bande-dessinée, naturaliste ou une intervenante de l’association Point de M.I.R – spécialisée en pollution numérique – originaire de la région.). Pour ce faire, les démarches sont les mêmes que pour n’importe quel événement récurrent dans les CDI. À la différence près que la question de la sécurité des élèves risque d’être plus régulièrement soulevée, lorsqu’il est question d’alimentation, de manipulation de végétaux ou de bricolage. Le recours à des acteurs agrémentés par le Ministère est un bon moyen de contourner cette difficulté. Avec l’appui non négligeable de grands acteurs de l’animation nature qu’il est possible de découvrir très facilement via le réseau FRENE (jusqu’à il y a peu REN) et celui des GRAINE régionaux qui regroupent les différents intervenants de chaque territoire, proposent des formations de terrain, etc.
La participation aux rendez-vous de l’établissement en termes d’EDD, importante pour faire du CDI un lieu ressource, peut par ailleurs permettre d’obtenir un label du Rectorat ou de la région (label « lycée éco-responsable » de la région Île-de-France par exemple). L’implication d’un grand nombre d’acteurs de l’établissement est l’un des critères d’évaluation dans les dossiers de labellisation et celle du CDI est attendue par les jurys. Sans octroyer plus de moyens matériels ou humains aux équipes pour le label académique (ceux des collectivités fonctionnent différemment), ces certifications permettent de valoriser le travail des équipes et des élèves. Ainsi que de monter des dossiers de financement pour des projets plus facilement auprès d’autres partenaires. La nouvelle labellisation de territoire, elle, implique que le lycée ou le collège travaille avec d’autres établissements de son secteur sur la thématique EDD. Elle encourage à travailler les liaisons inter-degrés. On connaît l’implication des professeurs documentalistes dans ce domaine, que ce soit du point de vue de l’accueil des CM2, des séances de préparation aux attentes de recherche du supérieur ou, et ce n’est pas le moins, de l’orientation. Dans ce cadre, les thématiques liées à la transition écologique peuvent aussi être un fil rouge – ou vert ! – pour accueillir les nouveaux élèves, sensibilisés dès le premier degré pour le collège, ou au collège pour le lycée, faisant du CDI un lieu repère et sécurisant sur cette question.

Grainothèque

Accompagner les élèves : de l’éco-anxiété aux éco-délégués

Car c’est ici sans doute l’enjeu le plus important de cette action du professeur documentaliste. Celui de contribuer à créer un espace refuge pour accueillir les questionnements et les angoisses de nos élèves sur ces sujets. En plus de mon expérience avec mes propres élèves, j’ai eu la chance de participer à plusieurs réunions, aux niveaux régional et académique, où des élèves étaient invités à parler de leur sentiment vis-à-vis du changement climatique. Si chaque expérience est unique, on peut tout de même classer ces témoignages en deux grandes catégories, indépendantes du niveau d’étude ou du contexte où ces opinions s’expriment. La première englobe les adolescents ressentant des sentiments allant de l’inquiétude à la terreur face à ces questions. La seconde, ceux qui vont du ras-le-bol face à ce qu’ils estiment être trop abordé dans leur cours au déni pur et simple, que l’on pourrait qualifier de climato-sceptique. Dans les deux cas, les discours de ces élèves sont le fruit d’une même émotion : la peur mêlée d’incompréhension. En effet, beaucoup d’élèves ne reçoivent pas d’accompagnement au changement climatique dans leur famille, par manque de ressources conceptuelles, leurs parents ayant peu étudié le sujet à l’école, ou craignant de trop les inquiéter. Sans surprise, la réaction des élèves témoigne du mouvement inverse et l’« éco-anxiété » s’installe.
Pour pallier cette situation très dommageable pour le développement psychique de nos élèves (ainsi, une étude américaine publiée dans le magazine américain Strife montre que des 10-12 ans souffraient déjà d’éco-anxiété en 2012), le recueil de la parole des jeunes est primordial et peut se faire de nombreuses façons au CDI. Comme sur d’autres sujets les impliquant émotionnellement – le harcèlement scolaire ou le deuil par exemple – on peut demander aux élèves de produire des avis sur des fictions ou des documentaires abordant ces questions. En parallèle, la réalisation de revues de presse à échéance plus ou moins régulière, qui permettent de découvrir des médias concernés (Reporterre pour la presse numérique, S!lence ou Les 4 saisons du jardin bio par exemple en presse papier) et d’exploiter notre fonds de périodiques sous l’angle écologique. En plus des revues naturalistes, les magazines Science et vie Junior, Okapi ou Causette, parmi de nombreux exemples, proposent des rubriques dédiées. La participation, voire l’accueil de certains clubs s’ils existent dans l’établissement (club nature, club climat, ateliers zéro-déchet) peut constituer un autre levier d’implication pour le professeur documentaliste. Là encore, la co-intervention, à laquelle nous sommes très certainement les personnels enseignants les plus habitués, est de mise pour offrir des interlocuteurs différents aux élèves qui souhaitent en discuter.
Intervenir à plusieurs auprès des élèves est très utile pour le chantier le plus récent sur ces questions : l’accueil des éco-délégués. Mis en place à la rentrée 2019, ce dispositif a fait l’objet d’une très forte incitation ministérielle et académique et des milliers d’éco-délégués ont été élus un peu partout en France. Le manque de directives explicites pour leur formation est, comme pour l’ÉMI à ses débuts, à la fois un facteur limitant et un moteur. Sans que des heures soient libérées pour cela, et que l’offre de formation des enseignants reste encore assez faible (à noter, un parcours Magistère existe depuis la rentrée 2020), ce dispositif est une opportunité pour fédérer autour de la question climatique et libérer la parole des élèves. Lors des premiers ateliers organisés en co-intervention avec un collègue d’histoire dans un établissement rural, les séances hebdomadaires commençaient toujours par un tour de table en réponse à la question « qu’ai-je entendu à propos du climat et des problèmes environnementaux cette semaine ? », puis un second tour consacré à « qu’ai-je ressenti face à ces nouvelles ?».
Livrer des émotions aussi difficiles à avouer que l’angoisse ou la peur ne peut se faire que dans un contexte et un lieu considéré comme bienveillant. Ceci nous a amenés en 2019-2020 à choisir le CDI où en anticipation dès la rentrée, une part de mon bureau était réservée aux dépôts d’objets ou de végétaux. Glanés dans les environs, ces éléments contribuaient à une « éducation à l’environnement par l’approche sensible », selon les mots d’Édith Planche, et étaient destinés à initier un dialogue léger et rassurant sur la nature. Dans un lieu apprécié, accompagnée par deux enseignants considérés comme bienveillants, la parole s’est libérée tout au long de l’année, jusqu’au confinement. Au retour des élèves, il a ensuite été bien plus aisé de remettre en place un espace de parole pour aborder les sentiments ressentis pendant ces huit semaines. Les liens entre la pandémie et la destruction des écosystèmes sont très rapidement arrivés dans ces conversations, à l’initiative des éco-délégués. Ils sont revenus dans le débat lors de séances de « déconfinement » conçues avec l’infirmière scolaire après le 11 mai, ancrant nos élèves dans le réel de ce qu’ils vivaient.

Agir au CDI en faveur de la reconnexion à la nature. Vers de nouvelles missions pour le professeur documentaliste ?

Les lignes qui précèdent se sont attachées à décrire deux actions à mener pour un CDI vert. La première concernait les contenus en ÉMI et il est ressorti que l’étude des controverses climatiques et celle des complots avaient beaucoup en commun et que nous détenions donc une expertise à mettre à disposition des élèves et des équipes. Nous aurions pu y ajouter la lutte contre le greenwashing qui rejoint celle que nous menons contre la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux6. La seconde action coïncide avec le pan d’ouverture culturelle de nos missions en exploitant les représentations positives du CDI pour en faire un pôle d’écoute et d’échanges autour de la question climatique et de l’éco-anxiété. Elle rejoint plus généralement le concept du care, à savoir le soin que nous portons à tout ce qui nous entoure pour tenter de maintenir et de « réparer » notre monde7. Ces propositions sont loin d’être d’exhaustives mais présentent l’avantage de reposer sur des compétences professionnelles que nous déployons déjà dans notre profession.
Au titre de cette ouverture, il me reste une troisième catégorie d’action à présenter, en apparence plus éloignée de notre quotidien de professeur documentaliste. Elle entre dans le contexte de la « classe dehors ». Ce dispositif vise à enseigner en extérieur de façon régulière, ce qui le différencie des traditionnelles sorties scolaires. Très populaire dans de nombreux pays (Belgique, Écosse, Scandinavie, Québec etc.) depuis bien longtemps, elle a été popularisée en France par la pédagogie Freinet, avant d’être cantonnée aux écoles privées sous contrats. Elle est revenue sur le devant de la scène à l’occasion de la parution de plusieurs ouvrages sur la question8 et, surtout, à la lumière du premier déconfinement. Ainsi peut-on lire à la page 3 du protocole sanitaire du 14 juin 2020 « l’organisation de la classe à l’air libre est donc encouragée ». Si les collègues du primaire sont les premiers à s’être emparés du sujet, nous sommes de plus en plus nombreux dans le secondaire à faire classe dans la cour ou les espaces verts alentours. Véritable « pédagogie du détour » – au même titre que la ludification des apprentissages – l’enseignement en extérieur permet des situations de différenciation pédagogiques très intéressantes. Mais surtout, ces temps passés dehors contribuent à une reconnexion avec ce que les chercheurs nomment « expérience de nature » et que nos élèves – et nous-mêmes ! – avons si souvent perdue et qui nous empêche de prendre toute la mesure des dégâts que nous causons à notre environnement9.
En plus du contenu disciplinaire, on travaille dehors des compétences transversales telles que la prise de parole, l’autonomie ou encore l’attention. Quelle peut être la place du professeur documentaliste dans des dispositifs ? Précisons avant tout que nos collègues de lycée agricole, très habitués à ce type de situations pédagogiques, sont d’excellentes personnes ressources sur ces questions et mériteraient d’être plus souvent consultés, comme dans la récente tribune du média en ligne Reporterre10. Ensuite, proposer un CDI hors les murs, à partir d’une sélection du fonds est un premier pas, si l’on dispose d’un peu d’aide afin que l’opération ne requiert pas trop de manutention. Pour  donner raison à Cicéron qui écrivait dans sa correspondance « si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut », la participation à l’entretien d’un jardin pédagogique donnera lieu à de belles progressions en info-doc, du recueil de l’information scientifique sur le terrain à sa mise en forme. Notre contribution aux réflexions autour des usages de la cour d’école, très à la mode en ce moment, en tant qu’experts au sujet des lieux aux usages transversaux et des communs environnementaux peut aussi s’avérer très pertinente et mériterait un article à part entière. Enfin, l’enseignement en extérieur constitue autant de moments passés sans support numérique, une respiration essentielle à la suite des confinements successifs. Les retours des expériences de temps de déconnexion là où elles ont lieu sont très encourageants, notamment sur l’attention. Cette capacité à se projeter à l’extérieur est aussi un argument de plus pour que nos missions ne se confondent pas avec l’outil numérique.

Il n’y a pas de schéma tout tracé pour accompagner nos élèves sur le chemin, compliqué, de la transition. Tout au plus existe-t-il des sources d’inspiration pour cultiver le changement de nos modes de vie, nécessaire à une limitation du réchauffement planétaire et de l’extinction des espèces en cours. Cette capacité d’adaptation dont nous savons faire preuve tous les jours et qu’il est souhaitable de cultiver chez nos élèves permettra de nous atteler à relever les défis posés à l’école du XXIe siècle.

 

Le CDI sur l’herbe. Lectures et débats en extérieur avec des élèves de 6e au début du premier déconfinement. 18 mai 2020

Photographies : Laure Pillot

Éducation critique aux médias et à l’information en contexte numérique

La première partie intitulée « éduquer à l’information, décoder les infomédiaires » introduit le sujet par les pratiques des acteurs et regroupe trois contributions qui abordent l’ÉMI comme un cadre propice à la compréhension de l’environnement informationnel. Comprendre « la crise de l’information » à travers les relations entre les médias et les jeunes est l’ambition de Sophie Jehel qui signe la plus longue contribution du recueil (ch8). Sa recherche scientifique menée sur plusieurs années (2015-2017) portant sur la réception d’images violentes, sexuelles et haineuses par les adolescents rend compte des facteurs de cette crise qui ébranle d’une part le monde journalistique français depuis la fin des années 1980 et alimente d’autre part une défiance croissante et protéiforme des jeunes, notamment des milieux populaires, à l’égard des discours officiels et médiatiques. À partir d’un entretien mené avec un professionnel de la production de contenus pédagogiques, Léo Jannot-Sperry constate que le phénomène de la désinformation déstabilise à la fois les États sommés de se doter de lois, les journalistes amenés à développer des outils de fact-checking, et les médias numériques usant dans certains cas de la censure (ch9). La crise de l’information est aussi une crise de confiance politique dans les démocraties occidentales selon Romain Badouard (ch1). Pour lutter contre la désinformation, le complotisme et les infox, cet auteur préconise alors de promouvoir une éducation critique reposant sur l’acquisition de « nouvelles » connaissances et compétences (p. 28) portant sur l’information et sa valeur ainsi que sur des compétences économiques et sociotechniques pour comprendre les modèles sur lesquels reposent le marché de l’information et les infrastructures informationnelles (captation de l’attention et injonction à la participation entre autres). Ces trois auteurs s’accordent par conséquent sur une approche de l’ÉMI par « le faire » stimulant l’apprentissage. Une ÉMI qui en tant qu’éducation au débat offre un espace d’écoute et de considération de la parole des jeunes afin de développer leur pouvoir d’action dans la création de contenus numériques.
Quelles marges de libertés les objets techniques laissent-ils en effet aux individus ? Dans le domaine de la sociologie, la contribution de Serge Proulx, orientée autour de ce questionnement fédérateur, réunit deux contributions soutenant une ÉMI centrée sur l’acquisition de postures critiques de dévoilement et de dénonciation des modèles économiques sur lesquels reposent les plateformes du numérique. L’avènement de ce que Proulx nomme « la société de la surveillance » par le contrôle quasi invisible et continu des activités humaines (géolocalisation, invisibilité des techniques de captation et de capitalisation des traces) rend nécessaire une culture numérique fondée sur la connaissance et la maîtrise du code informatique afin que les internautes citoyens retrouvent une capacité d’agir « dans le sens d’un développement humain durable » (p. 57, ch3). Car « sous les ronrons » de Google et de son apparente simplicité d’utilisation, se trouvent en effet des « machinistes et leur machination » selon le titre éloquent de la contribution de Guillaume Sire (ch7). En dévoilant le fonctionnement de l’algorithme PageRank et les modèles économiques de l’entreprise, l’auteur livre sa réflexion sur l’absence de neutralité des outils numériques et les visions du monde que leurs concepteurs imposent. Dévoiler pour dénoncer et résister. Une résistance qui s’organise entre les actions des hackers et des lanceurs d’alerte et s’incarne à travers des pratiques créatives de bidouillage nommées Hackability par Sébastien Broca. Une résistance protéiforme comme celle qui émerge à l’intérieur même du numérique dans la première moitié des années 1980 aux États-Unis à travers le mouvement des logiciels libres lequel est décrit par l’auteur comme favorable à l’exercice du droit fondamental « d’exécuter, copier, modifier » (ch4).
La technique n’est pas neutre. Trois auteurs décident alors de l’appréhender comme constitutive des manières de penser et d’agir. À partir des usages des technologies mobilisées dans le cadre de la participation citoyenne (civic technology), Clément Mabi questionne les nouvelles formes de citoyenneté numérique plus réflexive et critique que les affordances démocratiques2 du numérique dessinent (ch5). Considérer les affordances pour déconstruire les stratégies affectives du web est le pari scientifique posé par Camille Alloing et Julien Pierre (ch6). L’instrumentalisation des émotions et des affects par les plateformes numériques engage ces auteurs à défendre une ÉMI fondée sur des travaux d’écriture, de lecture de récits expérientiels et d’analyse du design (interfaces, émoticônes et émojis) faisant des « sociabilités numériques », un levier d’action. L’environnement numérique est assurément le lieu de la « sociabilité digitale adolescente » pour Sigolène Couchot-Schiex (sciences de l’éducation) et Gabrielle Richard (sociologie) (ch2, p. 39). Centrée sur des témoignages et entretiens en milieu scolaire, leur étude propose une lecture genrée de cas de cyber-violence à caractère sexiste et sexuel. La nature interdisciplinaire et transversale de l’ÉMI offrant dès lors un champ d’action pour l’éducation à l’égalité des sexes en faveur de la lutte contre les stéréotypes de genre et le sexisme. Perçue comme un langage commun, comme un projet transversal d’unification des sciences humaines et sociales, la méthodologie du Genre autorise enfin l’individu à s’extraire d’une vision dichotomique homme/femme par la déconstruction des rapports sociaux de sexes, de pouvoir et de domination selon Marlène Coulomb-Gully dont la contribution ouvre la seconde partie du recueil (ch10).

« 
une ÉMI invitant aux initiatives créatives
et à l’exercice de la pensée divergente
»

Intitulée « approches réflexives et créatives des médias » cette seconde partie relate des expériences créatives dont la finalité est l’acquisition d’une culture fondée sur des connaissances et compétences en littératies informationnelle, numérique et médiatique ainsi que sur l’adoption de postures critiques de distanciation et de réflexivité. Qu’est-ce que la créativité ? Quel rapport l’école entretient-elle avec les pratiques créatives ? La contribution-plaidoyer de Laurence Corroy retrace l’historique de la notion et révèle son imbrication avec l’éducation aux médias et la pensée critique fondamentalement divergente (ch13). L’auteure défend par conséquent une ÉMI invitant aux initiatives créatives et à l’exercice de la pensée divergente excluant le conformisme comme gages d’autonomie, de responsabilisation et de droit à la différence vers le développement « d’une logique de l’agir efficace et créative » (p. 192). Acquérir une capacité d’agir s’incarne dans le rite de passage du statut d’agent à celui d’acteur selon Anne Cordier (ch16). Ses cheminements théoriques et méthodologiques et son approche socio-critique de l’ÉMI s’expriment d’une part à travers une conception de l’acteur dans sa complexité plurielle, l’« être-au-monde-informationnel » (p. 233 ; Baltz, 2011)3 et d’autre part, par la déconstruction des mythes et discours portant sur les pratiques informationnelles numériques des adolescents perçus comme digital natives. L’ÉMI questionne alors la transmission d’une culture de l’information qui dans la lignée de Baltz4 est entendue par la chercheure comme une culture de l’interprétation et du sens. Une culture qui questionne enfin la culture technique des professionnels de l’information selon Céline Ferjoux dont la contribution s’appuie sur un entretien avec une professeure documentaliste (ch17).
Deux contributions plongent ensuite le lecteur dans l’univers de la sémiotique. L’atelier « textualités augmentées » à destination d’étudiants décrit par Nolween Tréhondart propose une réflexion sur l’approche co-créative enseignant-élève ainsi que sur l’enseignement des techniques de création et d’édition d’un objet hybride : le livre numérique enrichi (ch12). L’acquisition de postures réflexives et critiques à l’égard du design et des contenus numériques lesquels sont dotés selon Nicole Pignier d’une force énonciative, s’acquiert dans le cadre d’une éducation critique orientée vers l’analyse sémiotique des processus médiatiques. La chercheure en sémiotique postule en effet à travers l’usage du néologisme « technesthésies » que les technologies numériques préfigurent les perceptions et médiations info-communicationnelles (ch11, p. 167).
Trois contributions décrivent enfin les tentatives de détournements des prescriptions d’usages des réseaux sociaux par le biais de pratiques artistiques témoignant du déploiement d’une praxis5 critique par le biais d’expériences vécues de l’intérieur. Interroger les pratiques numériques par le medium théâtre est le défi posé par l’artiste-doctorant et ingénieur de recherche Fardin Mortazavi dont l’entretien riche et documenté jalonné de références théoriques nombreuses est mené par Sophie Jehel en conclusion du recueil (ch18). À la fois scène d’expression de la pensée et espace de distanciation et de débat sur le rapport qui lie les jeunes au monde numérique, le théâtre ouvre selon lui la voie à l’adoption d’une posture de résistance à l’égard de toute forme d’influence et d’emprise. En recourant à la sémio-pragmatique, l’économie politique de la communication et la sociologie des usages, Alexandra Saemmer montre la place grandissante occupée par les réseaux sociaux dans les pratiques info-communicationnelles en France. Les expériences de détournement des réseaux passent également selon elle par la création d’identités fictives en tant qu’expériences littéraires offrant à l’individu la possibilité d’expérimenter différentes formes et images de soi (ch14). Inscrivant la littérature numérique dans une relation de pouvoir (Foucault), l’auteure interroge ce que « peut la littérature face aux techno-pouvoirs numériques ? » (p. 197). Dans le domaine de la sociologie, l’expérience créative des identités fictives offre à Francis Jauréguiberry l’occasion d’une réflexion sur le rapport des adolescents connectés au temps, à l’espace et à l’identité (l’image de soi) (ch15). Alors que les postulats accompagnant les discours sur les technologies valorisent l’immédiateté, l’ubiquité et l’évasion, à contrario la création, la réflexion et la méditation invitent à suspendre le temps. Cette dualité temporelle soulève un questionnement conclusif et fédérateur à l’ensemble des contributions du recueil : « À quels arts de faire et de vivre avec les technologies, l’ÉMI souhaite-elle former les jeunes citoyens ? » (p. 23).

Huit ans après l’institutionnalisation de l’ÉMI, on ne peut qu’accueillir avec enthousiasme et intérêt la parution d’un tel ouvrage. Si nous déplorons toutefois la faiblesse des questionnements portant sur l’opérationnalisation et les marges de manœuvre réelles de l’ÉMI sur le terrain (à l’exception des ch11 et 13), cet ouvrage a néanmoins le mérite de poser une réflexion théorique orientée vers une éducation critique aux médias et à l’information (ÉCMI) à travers une multitude d’approches critiques et une diversité de thématiques6 pouvant constituer autant d’objets d’enseignement. Un ouvrage riche et pluriel qui soulève simultanément les enjeux politiques, pédagogiques et sociétaux dévolus à l’ÉMI et met implicitement sur le devant de la scène la question cruciale des plans de formation forgeant ainsi la culture informationnelle7 des enseignants.
Ce large éventail de thématiques comporte cependant l’écueil de présenter l’ÉCMI comme un « fourre-tout d’éducations à… » sans contours, ni limites à laquelle chacun assignerait la définition qu’il entend, contribuant ainsi à renforcer le flou théorique de cette éducation. On ne peut que regretter à ce sujet l’absence d’une définition explicite et d’une théorisation scientifique du concept d’éducation critique alors que le titre même du recueil le laissait espérer. Par ailleurs quels sont les savoirs, compétences et savoir-être constitutifs d’une culture critique de l’information et des médias ? Au regard du contexte informationnel actuel, la problématique de la transmission aux élèves de cette culture critique aurait mérité d’être soulevée. Sur ce dernier point, chaque lecteur se résignera à se faire sa propre idée…

 

 

« Les défis de l’éducation aux médias et à l’information » selon le CESE

À la différence du rapport Studer2 (Assemblée nationale, octobre 2018) et de la note du Cnesco3 (février 2019), tous deux centrés sur le rôle et la place de l’EMI à l’école, l’avis du CESE entend insister sur le rôle de tous les acteurs de l’EMI (État, collectivités locales, associations, familles…). Voté à l’unanimité, il est en lien avec deux avis précédents, énoncés respectivement en 2017 et en 2019, intitulés : « Réseaux sociaux numériques : comment renforcer l’engagement citoyen ? » et « L’éducation populaire, une exigence du 21ème siècle » lequel évoquait déjà l’investissement de l’éducation populaire dans le champ de l’éducation aux médias et à l’information.
Le CESE énonce ainsi 19 préconisations qui s’articulent autour de trois défis :
– faire de l’EMI une « grande cause nationale » élargie à tous les publics (étudiants, parents, personnes âgées…) ;
– renforcer la formation des acteurs intervenant dans le champ de l’EMI ;
– soutenir l’évaluation et la recherche dans ce champ, notamment autour de la thématique de la réception de l’information. La création d’un fonds financier dédié à l’EMI et abondé par les recettes de la taxe Gafa est envisagée.
Toutes ces perspectives ne peuvent en première lecture que nous enthousiasmer. Pour autant, l’analyse attentive de l’avis et de la synthèse du CESE ainsi que celle des 13 vidéos des auditionnés en entretien public (soit une heure d’audition environ) nous interrogent à plusieurs niveaux.
Notre proposition de lecture critique s’articulera ainsi autour des deux questionnements suivants : quelle est la place des enseignants du secondaire dans l’approche de l’EMI développée par le CESE ? Quelles visions de l’EMI nous sont-elles données à voir à travers le choix et les discours des auditionnés ?

1. Éduquer aux médias et à l’information : où sont les enseignants du secondaire ?

1.1. Une EMI qui échapperait à l’Éducation nationale et à ses acteurs ?

« D’ailleurs comme le souligne le baromètre 2018 sur la confiance des Français dans les médias, 71 % des personnes interrogées estiment que c’est «tout à fait» ou «plutôt» le rôle de l’Éducation nationale d’organiser un enseignement d’EMI à tous les élèves. » (Avis du CESE, p. 31.)

Quelle est l’opinion du CESE sur le rôle de l’Éducation nationale dans l’EMI ? La vidéo introductive de Marie-Pierre Gariel (rapporteure) souligne la multiplicité des actions et des acteurs intervenant dans le champ de l’EMI. La rapporteure insiste également sur le manque de coordination et d’efficacité entre les Ministères. L’analyse lexicale de ses propos relève des références aux acteurs issus de différents secteurs : l’éducation populaire (citée 4 fois), le milieu associatif (cité 4 fois), les journalistes (cités 3 fois). La vidéo introductive comporte enfin des images des membres de l’association d’éducation populaire Jets d’encre participant aux échanges et aux discussions du CESE. Sont nommés d’autres acteurs intervenant dans le champ de l’EMI comme les entreprises du numérique, la Caisse d’allocations familiales (Caf) et l’Union nationale des associations familiales (Unaf) entre autres. Le mot « enseignant » et les actions menées par les enseignants du secondaire sont étonnamment absents du discours de la rapporteure4.
Retour sur l’avis du CESE. Un certain nombre d’éléments sont développés dans la partie intitulée « L’action du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse » (avis, p. 31), notamment la nécessité de former les enseignants, la place de l’EMI dans les programmes disciplinaires ainsi que celle du professeur documentaliste sur laquelle nous reviendrons dans la sous-partie suivante. Qu’en est-il alors des actions de terrain menées par les enseignants du secondaire après sept années de mise en œuvre de l’EMI ? Qu’en est-il aussi des nouvelles « tendances » d’éducation aux médias et à l’information observées sur le terrain et menées par les enseignants du secondaire telles que les classes média, la réalisation de Booktrailers, de Webradio ou de WebTv par exemple5 ? De tout cela pas un mot, alors que les actions de l’association Jets d’encre, du Bondy Blog (vidéo) et du Labo 148 (avis du CESE, p. 17) ou encore celles du CLEMI qualifié « d’acteur majeur » (avis, p. 37) font l’objet de développements et d’explicitations. Ce constat est, de surcroît, d’autant plus étonnant que l’institutionnalisation de l’EMI dans les programmes des cycles 2, 3 et 4 permet de former plusieurs classes d’âges et que l’avis mentionne d’une part qu’il appartient à l’Éducation nationale « d’organiser un enseignement d’EMI à tous les élèves » (avis, p. 31) et fait référence d’autre part au rapport de l’Unesco6 (2011) qui considère les « enseignants comme des acteurs incontournables pour la promotion de l’EMI » (avis, p. 45). Or, parmi les auditionnés, seule une maîtresse de conférences en SIC7 exprime clairement « le rôle central de l’éducation nationale ». La liste des auditionnés par le CESE (en entretiens publics et privés) atteste par ailleurs d’une sous-représentation des enseignants du secondaire, puisque sur 34 auditionnés : 10 sont issus du milieu associatif dont celui de l’éducation populaire (Jets d’encre, la Zep, le Bondy Blog, Ceméa, l’@gence, Acrimed), 8 sont issus de l’enseignement supérieur (7 enseignants chercheurs, 1 conseillère auprès de la DGESIP), 6 sont issus du secteur de l’audiovisuel et du journalisme (ESJ de Lille, CSA, AFP), 4 représentent les syndicats (SNJ-CGT, CFDT-F3C, CFDT), 2 représentent le CLEMI, 1 auditionné est issu de l’enseignement secondaire (Proviseur de lycée) et 2 auditionnés, enfin, représentent respectivement les Ministères de l’agriculture et de la culture. Mais où sont les enseignants du secondaire ?
Il s’ensuit que le rôle des enseignants du secondaire apparaît seulement en filigrane, à travers l’apport du CLEMI, les partenariats engagés avec le milieu associatif ou à travers la formation. À titre d’exemple, une action d’EMI est évoquée par la rapporteure à travers la Semaine de la presse et des médias. Événement important, certes, mais aussi ponctuel, puisqu’il est limité à une semaine chaque année. Nombre de professeurs n’attendent donc pas cet événement pour mettre en place leurs actions d’EMI sur l’année en fonction des programmes scolaires et des opportunités qui s’offriront à eux. Et lorsqu’il est question enfin de favoriser une EMI active, ce n’est pas non plus dans le champ de l’Éducation nationale que les références sont prises, puisqu’il s’agit de développer « une pédagogie de l’apprentissage par le «faire» qui utilise notamment les méthodes actives de l’éducation populaire » (avis, p. 49). Alors que le CESE développe une approche de l’EMI sous l’angle de la citoyenneté, de l’éducation critique et de la préservation de la démocratie, comment élargir l’EMI à tous les publics tout au long de la vie en occultant à ce point l’engagement et le travail mené par les enseignants du secondaire ?

1.2. Focus sur le professeur documentaliste  : le rattachement de l’EMI aux SIC

« Je pense à l’existence de professeurs documentalistes qui sont formés aux SIC […] je pense à l’existence d’enseignants disciplinaires qui se dévouent à des projets […]. Peut- être faudrait-il permettre aux enseignants documentalistes d’être plus reconnus dans ce rôle central de développement de l’EMI… » Questions à Amandine Kervella (vidéo)8.

Poursuivons nos observations lexicologiques en nous centrant maintenant sur le rôle du professeur documentaliste dans le champ de l’EMI et en partant de l’extrait suivant, issu de l’avis : « Il revient plus particulièrement aux professeurs documentalistes de mettre en œuvre cette éducation soit en propre dans leur CDI, soit dans l’accompagnement de leurs collègues dans les différents champs disciplinaires pour leur permettre de développer des projets » (avis, p. 32). L’expression « en propre » fait référence à la possibilité de mener seul une action d’EMI. Les professeurs documentalistes sont également cités par le Ministère de l’enseignement agricole avec une référence précise à l’enseignement info-documentation à travers le champ disciplinaire de « technologie de l’information et du multimédia/information-documentation » (avis, p. 34). Nous constatons ensuite qu’un certain nombre de verbes sont mobilisés pour signifier le champ d’action de cet enseignant : « maître d’œuvre », « accompagnateur », « il participe aux côtés des enseignants », « il appuie les enseignants » (avis, p. 33 et 59), « il les [les élèves] forme à un usage raisonné et critique des ressources médiatiques numériques et physiques » (avis, p. 33). De l’accompagnateur au formateur en passant par le maître d’œuvre, il s’avère que l’utilisation d’une multiplicité de verbes pour qualifier les missions du professeur documentaliste accentue le manque de visibilité sur sa fonction pédagogique. L’avis évoque, pour preuve, l’implication du professeur documentaliste également en ces termes : « Mais ils et elles [professeurs documentalistes] ont aussi d’autres missions et parfois du mal à dégager du temps notamment pour monter des projets d’EMI en partenariat avec des acteurs extérieurs » (avis, p. 60). C’est ignorer la priorité accordée à la transmission d’une culture de l’information et des médias qui se manifeste sur le terrain à travers les nombreuses actions d’EMI menées seul ou en partenariat. Cette priorité accordée à l’expertise pédagogique du professeur documentaliste dans le champ l’EMI s’inscrit dans le premier axe de la circulaire de mission professionnelle de mars 2017, pourtant citée dans l’avis du CESE.
La préconisation n° 159 suggère un renforcement de la formation initiale et continue des enseignants du secondaire, des professeurs documentalistes, des chefs d’établissements et des personnels du secteur socio-culturel public ou associatif. Dans la même logique, l’avis insiste sur « la formation initiale et continue des enseignants à l’EMI c’est-à-dire a minima aux sciences de l’information et de la communication (SIC) » (avis, p. 60). Cet intérêt des SIC pour l’EMI est également évoqué par Ollivier-Yaniv10 : « l’EMI à la confluence de plusieurs disciplines est plus particulièrement étudiée par les Sic » (avis, p. 35). Alors que les préconisations n° 211 et 612 suggèrent d’une part le renforcement de la marge de manœuvre du CLEMI en tant qu’opérateur de l’EMI (par la création d’instances régionales et nationales pilotées par le CLEMI et réunissant les principaux acteurs de l’EMI), et d’autre part l’augmentation de ses moyens financiers et humains, on ne peut que s’étonner que l’augmentation du champ d’action pour les enseignants du secondaire, et surtout pour les professeurs documentalistes qui appartiennent aux champs des SIC, ne fasse pas l’objet d’une préconisation du CESE. L’avis énonce enfin que « dans les nouveaux programmes, la place des professeurs documentalistes est réaffirmée » (avis, p. 33). Il est fait référence ici aux nouveaux programmes de lycée où ce n’est pas la place du professeur documentaliste qui est réaffirmée mais celle des notions info-documentaires. Auparavant ces notions invisibles étaient diluées dans les programmes disciplinaires. La réforme du lycée 2019 marque en effet un recentrage de ces notions info-documentaires autour d’objets d’études abordés selon les épistémologies disciplinaires. En voici trois exemples : le premier concerne le thème 4 du programme d’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et de sciences politiques en classe de 1ère intitulé « s’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication » (25 h) ; le second exemple extrait du programme de français de la classe de 2nde bac professionnel concerne l’objet d’étude nommé « la construction de l’information : s’informer » qui s’articule autour des thématiques des circuits de l’information, des médias, de la source et du système de la désinformation ; enfin les objets d’études relatifs au programme de SNT (sciences numériques et technologie) de la classe de seconde ont trait à internet, au web (histoire, fonctionnement, moteur de recherche), aux données (définition, structure et enjeux), aux réseaux sociaux (définition, enjeux, cyberviolence…) entre autres.
Et nous pourrions aller plus loin dans l’analyse de ce qui constitue in fine des parties de « programme disciplinaire » en information-documentation-média. Ce « programme » se constitue progressivement face aux nouveaux enjeux sociétaux liés à la société de l’information, sur un mode transversal, et de manière éclatée. Ces évolutions ouvrent assurément de nouvelles perspectives pour le professeur documentaliste qui voit son champ d’action s’accroître en fonction de la réalité des terrains. Peut-on dire pour autant et de manière généralisée que « la place des professeurs documentalistes est réaffirmée » ? Un professeur documentaliste qui prendrait en charge le programme de SNT en classe de 2nde par exemple serait indubitablement confronté aux mêmes logiques contradictoires : accueil des élèves au CDI/enseignement selon un emploi du temps défini, notions info-documentaires abordées sous l’angle des disciplines/ notions info-documentaires abordées sous l’angle des SIC, pour ne prendre que ces deux exemples.

2. L’EMI et le développement d’un « agir responsable » face à l’information et aux médias

2.1. Le paradoxe de l’élargissement de l’EMI à tous les publics

« L’EMI doit permettre aux enfants, aux jeunes, aux adultes et aux personnes âgées, d’acquérir, sans pour autant devenir des professionnels, des connaissances et des compétences leur permettant de s’informer, d’émettre, de diffuser, d’analyser et de partager des informations de façon responsable. » (Synthèse du CESE, p. 1.)

Face aux nouveaux modes d’accès à l’information, la nécessité d’élargir l’EMI à tous les publics tout au long de la vie fait consensus. Le statut de l’EMI dans la sphère scolaire est rappelé par le CESE : enseignement transversal (et non discipline scolaire) qui repose sur une démarche active et sur une pédagogie de projets (avis, p. 32) qui tiennent compte des pratiques réelles des acteurs. La préconisation n° 413 évoque enfin la mise en œuvre d’un plan systématisant la création d’un média par établissement scolaire et propose la mise en place d’événements liés à l’EMI.
La volonté d’élargir l’EMI à tous les publics cible essentiellement les parents, les étudiants et les personnes âgées et prévoit l’élargissement du champ d’action de divers acteurs du milieu socio-culturel. La préconisation n° 6 prévoit par exemple une Semaine de la presse et des médias renommée en « semaine des médias et de l’information pour tous » avec un volet scolaire et un volet grand public. Alors que l’EMI est institutionnalisée dans les programmes des cycles 2 (CP, CE1, CE2), 3 (CM1 et CM2) et 4 (5e, 4e, et 3e), il est étonnant qu’une préconisation visant à élargir institutionnellement l’EMI au lycée ne soit pas formulée. Comment raisonnablement construire une EMI « tout au long de la vie » élargie à tous les publics sans une institutionnalisation de l’EMI à tous les niveaux scolaires ?
La citation ci-dessus rappelle la finalité de l’EMI dans la formation du citoyen responsable. L’analyse de l’avis du CESE atteste par ailleurs d’une insistance lexicale autour de la notion de « responsabilité » : « […] accéder à une autonomie responsable » (avis, p. 10), « être libres et responsables face à l’information en contribuant à un débat démocratique et éclairé » (avis, p. 11), « exercer sa citoyenneté de façon responsable et informée » (avis, p. 48). La responsabilité constitue une charge à assumer pour l’élève et sous-tend un certain nombre de capacités pour répondre de ses actes en tant que producteur et consommateur d’information. Le développement des techniques numériques impose en effet une responsabilité constitutive de l’action : vérifier les sources, analyser la véracité de l’information, diffuser une information fiable en tant que producteur par exemple. La responsabilité est constitutive enfin de la liberté, puisqu’être libre c’est être en mesure d’assumer ses responsabilités. Cette approche responsabilisante (avis, p. 13) qui selon Yolande Maury (2011) vise « à ce que l’élève soit en capacité d’assumer les changements, de gérer aléas et incertitudes, et résoudre lui-même les défis et/ou problèmes rencontrés »14 n’est-t-elle pas un moyen pour l’institution de se désengager de ses responsabilités en matière d’EMI ? Renvoyer aux responsabilités de chacun, c’est éviter de se confronter à la sienne.
Or, développer un agir responsable à l’égard de l’information et des médias induit pour l’élève la capacité de comprendre, d’analyser, de critiquer, de proposer et de décider dans l’environnement informationnel numérique. Pour les enseignants, éduquer à la responsabilité dans l’usage de l’information et des médias sous-tend la transmission d’un minimum vital informationnel, fondé sur des connaissances et des compétences info-documentaires autorisant le développement du sens de la responsabilité chez l’élève ; « une bible informationnelle » écrivait Claude Baltz15. Le développement d’un agir responsable va toutefois bien au-delà d’un volet de connaissances et de compétences à transmettre. Il sous-tend une façon de percevoir le monde informationnel à l’ère numérique, une manière d’être et d’agir sur ce monde. Claude Baltz l’affirmait déjà en 1998 : « pas de société de l’information sans culture informationnelle »16. L’agir responsable est au cœur de la transmission d’une culture informationnelle fondée sur une éthique de l’information et des médias, sans laquelle l’élève ne peut développer ses capacités dans la société d’aujourd’hui où le numérique prend une place majeure.
Le développement de cet agir responsable est-il toutefois possible sans la reconnaissance pleine et entière des actions d’EMI menées par les enseignants du secondaire ? Est-il possible sans une reconnaissance institutionnelle ferme et sans équivoque du mandat pédagogique du professeur documentaliste qui, fort de son expertise pédagogique dans le champ des SIC, a la charge de transmettre cette culture informationnelle, de la même manière qu’il appartient à un professeur de sciences de transmettre une culture scientifique, à un professeur de lettres de transmettre une culture littéraire ou à un professeur d’histoire-géographie de transmettre une culture humaniste ?

2.2. L’EMI, à la convergence de trois éducations à… (information, média, numérique) : l’information à l’épreuve du média

« Je parlerai surtout de l’information parce que lorsque l’on entend média, il y a aussi du divertissement […] l’important c’est l’information. […] ça nécessite de l’éducation à l’information plus que de l’éducation aux médias. » Questions à Patrick Eveno (vidéo)17.

Les 19 préconisations du CESE plaident « pour une EMI élargie qui accompagne les individus tout au long de leur vie dans l’acquisition d’une solide culture médiatique et numérique » (avis, p. 48). Lexicalement, les termes relatifs au champ médiatique sont sur-représentés par rapport au champ de l’information-documentation. Ce qui ne signifie pas pour autant que ce dernier soit inexistant, mais qu’il souffre plutôt d’un manque de visibilité. Deux exemples extraits de l’analyse lexicale des travaux du CESE autorisent ce constat. Le premier est issu de l’analyse des vidéos des auditionnés qui révèle plusieurs formulations de l’EMI : l’« éducation aux médias » est l’expression la plus utilisée (31 fois) par les auditionnés. C’est deux fois plus que l’expression pourtant « officielle » d’« éducation aux médias et à l’information » ou « EMI » formulée 15 fois par les auditionnés. L’expression « éducation à l’information » est quant à elle peu employée (3 fois) tout comme « éducation ou formation au numérique » (7 fois). L’analyse lexicale des discours des auditionnés révèle pourtant clairement la présence de notions relatives aux champs de l’information-documentation : 89 récurrences de termes issus du champ lexical des médias ont été relevées (média et médiatique essentiellement) et 81 sont relatives au champ lexical de l’information (informer, information, source, désinformation, infox, fake essentiellement).
Le même constat apparaît à travers l’analyse de l’avis du CESE. L’éducation aux médias (EAM) est évoquée à travers huit approches et en termes :
– d’évolutions, d’histoire et de bouleversements (mutation du monde des médias, crise des médias, confiance et méfiance vis-à-vis des médias, histoire des médias…) ;
– de modèle et de sphère économique propre (organisations professionnelles du secteur de la presse et des médias, concentration des médias, élargissement de l’offre médiatique, modèle économique des médias, condition de travail dans les médias…) ;
– de diversité (médias traditionnels, audiovisuels, média « pure player », média alternatif, médias associatifs) ;
– d’usage et d’appropriation (pratiques médiatiques, création de média, fabrication de contenu médiatique, décrypter les médias et l’information, décrypter les messages et les représentations médiatiques) ;
– de culture (une solide culture médiatique et numérique, culture des médias et du numérique).
La perte progressive du mot « information » dans l’expression « éducation aux médias et à l’information » formulée par les auditionnés et la faiblesse des occurrences liées à l’expression « éducation à l’information » n’empêchent pas une nette représentation de l’éducation à l’information (EAI) à travers six approches et en termes :
– d’évolutions, d’histoire et de bouleversements (fausses informations durant la grande guerre, diffusion et circulation de l’information, nouveaux vecteurs d’information, flux d’information désormais continu, instantané et planétaire, de nouveaux moyens de diffusion de l’information, changement dans la façon de produire et transmettre de l’info, histoire de l’information…) ;
– d’usage et d’appropriation surtout (décryptage et réception de l’information, émetteur et récepteur de l’information, s’informer, analyser et partager des informations, traitement de l’information, le rapport à l’information, crédibilité et pertinence d’une information, sources d’information, qualité de l’information, consommation d’information, comprendre l’information, ressources documentaires et informationnelles, appropriation de l’environnement informationnel, recherche d’information, évaluation de l’information, l’évolution de la société de l’information, nouveaux usages des jeunes en matière informationnelle, maitrise de l’info, accès à l’information, manipulation de l’information, exposition à une information…) ;
– de diversité (désinformation, multiplication des supports d’information, l’information d’actualité, sites d’information, informations peu fiables, mal-information…) ;
– de modèle et de sphère économique propre (dégradation des conditions de travail et précarisation des professionnels de l’information, technologies de l’information, associations de professionnels de l’information…) ;
– d’éthique (droit à l’information, libertés de l’information, esprit critique face à l’information, crédibilité de l’info, confiance dans les informations, pluralisme de l’information…).
L’indicible « éducation à l’information » diluée dans les expressions « éducation aux médias et au numérique » constitue bien par conséquent un champ spécifique, distinct, et possède un territoire propre, mais cette éducation à l’information souffre d’un manque de visibilité renforçant sans doute son caractère indicible.


Conclusion

« […] inscrire l’EMI dans un parcours et dans un temps long plutôt que dans la multiplication de séquences (ateliers ou interventions ponctuelles) dont les effets sur les bénéficiaires sont limités. » (Avis, p. 49.)

En touchant toute une classe d’âge par leurs actions pédagogiques, les enseignants restent les acteurs principaux de la mise en œuvre de l’EMI. Leur sous-représentation dans les travaux entrepris par le CESE est-elle révélatrice d’un aveu d’impuissance de l’école dans la mise en œuvre d’une EMI pour tous ? L’inscription de l’EMI dans un temps long comme l’énonce la citation ci-dessus extraite de l’avis du CESE est-elle compatible, par exemple, avec d’une part l’absence de reconnaissance institutionnelle de l’EMI à tous les niveaux de l’enseignement secondaire et d’autre part avec la « forme scolaire » ? Cette dernière expression employée par de nombreux chercheurs dont Jean-François Cerisier (2016) désigne cet espace où « on n’y apprend ni ce que l’on veut, ni à sa façon, et l’on ne choisit ni avec qui, ni où, ni quand » (Cerisier, 2016, p. 10)18. Dans cet ordre scolaire qui a son organisation temporelle propre (découpage en temps de cours) une EMI inscrite dans un temps long pourrait-elle trouver sa place ? N’y a-t-il pas ici une incompatibilité ? Beaucoup de questions sont formulées qui restent pour un temps sans réponse. Le travail mené par le CESE, certes, encourageant pour la profession, atteste en conclusion d’un manque de visibilité, voire d’une forme de méfiance vis-à-vis des actions d’EMI menées dans la sphère de l’enseignement secondaire. L’EMI vue par le CESE n’est pas l’EMI que les professeurs documentalistes mènent au quotidien, confrontés aux problèmes et aux questions info-communicationnelles des élèves.
Or, nous sommes l’institution scolaire : élèves, enseignants, parents… Par notre implication et nos intentions, nous contribuons à bâtir l’institution scolaire. Pour mener à bien leurs actions visant à développer chez l’élève un agir responsable à l’égard de l’information et des médias numériques, les professeurs documentalistes pourraient se focaliser essentiellement sur leur mission pédagogique. Mission prioritaire qui reviendrait dans certains contextes à accepter et à autoriser que d’autres personnels (enseignants, élèves…) puissent prendre en charge les missions de gestion et d’accueil du CDI. Dans un espace-temps bouleversé par le numérique et face à une information circulante, se délocaliser, quitter le CDI pour éduquer à l’information et aux médias et transmettre les fondements d’une culture informationnelle m’apparaissent comme une nécessité. Cette délocalisation, ce hors-lieu, garantirait l’avenir pédagogique des professeurs documentalistes qui ne se situe plus à l’intérieur du CDI mais dans chaque espace de l’établissement scolaire.

 

 

Pour repenser l’éducation aux médias et à l’information

Cependant, face à ce foisonnement de possibilités, il s’avère que sur le terrain des pratiques, et en particulier dans le cadre de l’École, l’EMI peine à s’installer dans des démarches pérennes, généralisées et denses comme le promet le projet lui-même. Bien sûr, de nombreux enseignants se sont saisis du domaine et ont trouvé des moyens efficaces et originaux de faire de l’éducation aux médias et à l’information. Mais ces cas-là ne se sont pas généralisés et restent marginaux alors même que l’EMI occupe maintenant une place dans les programmes scolaires dès le cycle 1. Ma position de formatrice de futurs enseignants du premier degré, mais aussi ponctuellement du second degré toutes disciplines confondues, me permet de constater à quel point l’EMI est encore un champ obscur pour ceux qui doivent l’appliquer.

À de très (trop) rares exceptions près, les enseignants en formation ne savent pas ce qu’est l’éducation aux médias et à l’information. Pour ceux et celles qui le savent, ils en ont une vision parfois caricaturale ou du moins limitée à des concepts flous à partir desquels il leur est bien difficile de construire des séquences pédagogiques solides. Loin de moi l’idée d’incriminer ici le corps enseignant. Au contraire, cette méconnaissance d’un champ pourtant officiellement inscrit aux programmes tient en grande partie à l’absence de formation concrète proposée aux étudiants. La formation à laquelle ils ont accès est assez représentative des mises en œuvre observées sur le terrain, c’est-à-dire des conceptions parcellaires d’un projet pourtant d’une extrême richesse. Les futurs professeurs documentalistes restent largement favorisés dans cette formation à l’EMI, et pour cause ils en sont « les maîtres d’œuvre » à l’École. Or de quoi est-il question derrière cette « culture de l’information et des médias » dont on leur demande d’assurer l’acquisition par tous les élèves ?
Ceux pour qui l’EMI n’est pas une totale découverte fortuite s’attellent à défendre l’idée selon laquelle elle a pour objectif d’inculquer un esprit critique, et cela, en particulier par l’apprentissage de la recherche d’information fiable. Il n’est évidemment pas question de revenir sur le bien-fondé de cette représentation, dont on sait qu’elle est structurante de toute démarche d’éducation à l’information. Mais est-elle suffisante pour penser une « culture de l’information et des médias » ? J’aimerais, dans cet article, m’attarder sur « les grands oubliés » de l’éducation aux médias et à l’information.
Pour cela, rappelons brièvement le mouvement ayant conduit à l’instauration d’une éducation aux médias et à l’information dans les programmes, ce qui devrait nous éclairer sur les choix thématiques qui se sont dès lors opérés. Ceci étant revu, intéressons-nous en quelques points aux démarches à mettre en place pour une éducation aux médias et à l’information qui peut traiter de tous les contenus et de tous les dispositifs médiatiques en veillant à laisser l’élève toujours au centre de ses apprentissages.

D’où vient l’EMI ?

Aujourd’hui, l’EMI conserve le caractère transversal qui caractérise les choix stratégiques faits pour l’éducation aux médias dès son apparition dans le paysage institutionnel français au début des années 1980. Elle est associée à la fois aux Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) issus de la réforme des collèges, aux Enseignements Moraux et Civiques (EMC) valorisés par le plan du parcours citoyen, et reste un élément à mettre en place au sein des disciplines par les enseignants, avec ou sans la collaboration des professeurs documentalistes. Depuis l’apparition de leurs fonctions dans les établissements scolaires, mais aussi dans les autres lieux éducatifs que sont les bibliothèques, les centres culturels, etc., les professeurs documentalistes et autres professionnels de la documentation travaillent cette information sur les différents supports qui la conditionnent. Initialement sur le document imprimé, les mutations numériques ont conduit chacun de ces professionnels à intégrer une réflexion plus large sur les médias. Aujourd’hui explicitement identifiés pour leur rôle en EMI, c’est bien dans une perspective globale qu’ils doivent appréhender l’information. Mais cela suffit-il à faire entrer les médias dans l’école, et suivant quels enjeux ?
Nous savons que l’institutionnalisation de l’EMI tient à un double mouvement : celui de la réforme de l’éducation allant vers le sens d’acquisition de compétences transversales et socialement inscrites, par notamment les « éducations à » ; et celui d’une réaction à une situation sociale et politique complexe autour d’événements tragiques conduisant à la réaffirmation du républicanisme éducatif, par le renforcement d’une éducation à la citoyenneté notamment. L’EMI s’est donc faite porteuse des ambitions citoyennes de l’éducation scolaire, tout comme l’était historiquement l’éducation aux médias depuis son apparition (Loicq, 2011 ; Bevort, Gonnet, 2001*). Les enjeux de cette EMI sont alors essentiellement portés sur les usages « raisonnés et raisonnables » des médias numériques, notamment les réseaux sociaux numériques. Elle propose à la fois d’accompagner à une pratique citoyenne active (dont les médias sont dits être garants) et protéger contre les dérives possibles par ces moyens de communication (dont ils sont accusés d’être la cause). L’objectif de cet article n’est pas de revenir sur les (in)fondés des postulats de ces orientations politiques, mais bien de souligner les éléments manquants pour une approche riche et complète de l’EMI à l’école.
À l’heure où les politiques éducatives françaises font la part belle à l’accompagnement éducatif des pratiques médiatiques des jeunes sous cette appellation d’EMI (qui n’est par ailleurs pas sans poser problème – Loicq, Serres, 2015), il semble toujours nécessaire de faire un petit détour historique pour en comprendre les enjeux. À la rencontre de deux champs historiquement distincts (éducation aux médias et éducation à l’information – Serres, 2010), l’EMI se présente comme champ homogène alors que ce rapprochement ne va pas de soi.
L’éducation aux médias est un mouvement apparu simultanément ou presque aux médias eux-mêmes. En effet, l’apparition de chaque forme médiatique (certains remonteraient même jusqu’à l’écriture – voir Platon, 427-347 av. J.-C.) fait naître de nombreuses préoccupations éducatives chez ceux en charge des accompagnements pédagogiques des jeunes. Ces préoccupations sont largement portées par trois fonctions des médias que sont :

• La possibilité via les dispositifs médiatiques et au sein même des contenus qu’ils produisent d’être en contact avec le monde extérieur étendu (plus loin dans le temps et l’espace). On parle ici d’un « élargissement de l’horizon expérientiel de l’individu » (Mattelart, 2008 : 20) invitant à savoir se repérer au sein de cet environnement (savoir se repérer dans le flot continu d’informations, connaître et comprendre les sources, catégoriser les types de contenus, etc.).
• Se repérer au sein de cet environnement médiatique (Rieffel, 2005) signifie également avoir conscience du caractère construit de tout contenu médiatique. Si les fictions audiovisuelles ne jouent pas sur l’ambiguïté de leur genre puisqu’elles sont explicitement des narrations construites, les informations d’actualité par exemple (sous leurs diverses formes écrites, radiophoniques ou audiovisuelles) sont plus équivoques alors même qu’elles empruntent les mêmes logiques narratives (Lochard, Boyer, 1998). Aussi, c’est bien autour de la question du sens, et plus précisément des façons de « faire sens » que se structure cet environnement médiatique.
• La construction d’un environnement communicationnel médiatique et médiatisé dictant les conditions de citoyenneté qui, par extension, questionnent la capacité des individus à s’émanciper et à participer pleinement à la vie des sociétés modernes (Granjon et al., 2011). Cette idée a pu être portée par l’idée d’empowerment (souvent traduit « capacitation »). Ces deux caractéristiques de l’environnement médiatique dans lequel nous sommes immergés sont à l’origine du mouvement prônant la nécessité de développer un esprit critique.
Parallèlement à cela, l’éducation à l’information connaît également une ascension importante dans les préoccupations éducatives, autour du document comme objet et outil majeur du rapport au savoir. Cette éducation à l’information est aussi forte d’une histoire propre (Juanals, 2003) et est de surcroît associée à des professions prenant également une place de plus en plus importante dans les cadres éducatifs. L’évolution d’une « pédagogie du document » vers une « culture informationnelle » (Cordier, Loicq, 2016 ; Lehmans, 2007) montre un détachement progressif de « l’objet » et de la démarche procédurale circonscrite à un lieu (de stockage et d’accès au dit document) vers une autonomie intellectuelle face à l’information dont on sait qu’elle déborde largement les lieux de culture pour s’inscrire dans les pratiques courantes.
En effet, si le document est fondateur de l’éducation à l’information, celui-ci prend de plus en plus place dans un système organisé par les industries médiatiques. Il change alors progressivement de forme, puis de nature et n’est plus seulement cet objet que l’on cherche, mais devient protéiforme et manipulable à souhait par ceux qui le produisent, bien sûr, mais aussi par ceux qui le consomment. L’information devient alors véritablement un objet social dont il est temps de se saisir et qu’il est indispensable de comprendre dans son environnement, dans cet écosystème informationnel conditionné dans un environnement médiatique. À l’heure du passage généralisé à des formats numériques, les frontières se complexifient entre les différents usagers de ces documents et entre les documents eux-mêmes qui mutent, changent de formats et de formes (Le Crosnier, 2010). Dès lors, il apparaît indispensable d’approcher ces documents dans l’environnement médiatique qui les structure, les hiérarchise, les évalue et leur donne sens. L’éducation à l’information ne peut alors faire l’économie d’une connaissance des médias. Le professionnel en charge d’accompagner cette « maîtrise de l’information » est finalement sommé de participer à une « culture de l’information » plus englobante et moins procédurale tant les pratiques médiatiques induisent une multitude d’accès, de traitement et de production de ces dits documents.

Où va l’EMI ?

L’éducation aux médias qui s’est développée autour des médias comme objets d’étude, mais aussi comme outils, aborde également le traitement de l’information. De fait, l’information est l’unité de sens présente dans tous les contenus médiatiques. Par définition, informer (informare – donner une forme) est l’objectif originel des médias. Mais rapidement les projets d’éducation aux médias ont adopté une approche simplifiée de l’information : celle construite par un genre se définissant lui-même comme tel. L’information d’actualité, les « news », le journalisme, sont autant de mises en formes de l’information (au sens large) pour une approche éducative réduisant cette information à un genre.
Or il apparaît important de décloisonner la notion d’information du genre médiatique qui la construit comme tel. En effet, la fonction informative se trouve inhérente à tout genre médiatique puisqu’elle contribue à construire le sens du monde. Les séries télévisées, les jeux vidéo, les mangas, la télé-réalité, les magazines thématiques, les antennes de radio libres, les expositions, etc. contribuent, au même titre que l’information d’actualité, à informer le monde, à lui donner une forme « compréhensible », à produire un sens. En cela, tous ces contenus sont des objets d’études en éducation aux médias et à l’information.
Pour résumer, nous pourrions dire que l’éducation aux médias s’est spécialisée sur la forme la plus médiatique de l’information, la « news », alors que l’éducation à l’information s’est construite autour de sa forme la plus matérielle, le document.
Mais l’enjeu éducatif n’est-il pas le même ? Ne s’agit-il pas, in fine, de développer des outils de compréhension du monde à travers la façon dont les médias le structurent ?
Nous comprenons alors la nécessité, d’une part, de s’affranchir de la dichotomie artificielle information/médias, car l’information est bien inscrite dans un environnement médiatique et les médias sont dans tous les cas porteurs d’information. D’autre part, il nous apparaît nécessaire de remettre cette notion du « sens » au cœur du projet de l’EMI pour se libérer d’une approche trop souvent instrumentale, techniciste et manipulatoire visant à former à l’utilisation d’outils ou à des démarches procédurales.
Il est bien question ici d’aller au cœur de ce que les environnements médiatiques permettent : construire symboliquement le monde qui nous entoure et ainsi conditionner nos capacités d’agir en son sein. Loin d’être portée par des idées déterministes, il semble que la capacité d’agir des individus, qui modèle à son tour le fonctionnement même des médias, est inscrite dans cette démarche. L’éducation aux médias et à l’information vise donc avant tout à une prise de conscience réflexive sur nos propres pratiques, conduisant à l’analyse du rôle et de la place des médias dans nos vies quotidiennes.

Pour une EMI riche et complète

Si l’éducation aux médias et à l’information répond à des enjeux majeurs de nos sociétés modernes, c’est bien parce que les médias se sont installés dans nos quotidiens comme « prolongement des sens humains », parce qu’ils permettent de voir plus loin (dans le temps et l’espace). Cette extension possible des expériences du monde devient « problématique » dès lors qu’elle se donne comme « naturelle » alors qu’elle structure (et donc, discrimine et donne du sens). Pour le dire autrement, la catégorisation du monde ne se fait plus par la perception individuelle, mais est en partie construite par des industries médiatiques. Les contenus et dispositifs médiatiques nous permettant de nous connecter au monde et de le découvrir présentent celui-ci selon un point de vue, avec un angle donné et une catégorisation qui les chargent de sens. C’est bien là tout l’enjeu de l’éducation aux médias et à l’information que de rendre visible l’invisible en dévoilant la « non-transparence » des médias (Masterman, 1985, Masterman et Mariet, 1994). La compréhension est plus largement applicable à l’ensemble des contenus médiatiques entendus comme discours. Comprendre le sens d’un message publicitaire, c’est à la fois savoir lire une histoire (scénarisée selon les critères et conditions publicitaires), savoir interpréter une intention commerciale (la belle histoire vise à faire connaître ou faire acheter), savoir décrypter les valeurs sous-jacentes et comprendre leurs impacts sur la société, le/les groupe(s) au(x)quel(s) je me sens appartenir, et sur moi-même. Ce double mouvement allant du sens le plus évident du message
à ses sous-entendus est en parallèle inversé de la réflexion allant du macro sociétal au micro individuel. Pour cela, l’EMI doit s’atteler à plusieurs étapes indispensables pour travailler avec les élèves :
• Observer. L’observation est la première étape pour « dénaturaliser » l’environnement médiatique dans lequel nous sommes plongés et qui a tendance à s’invisibiliser, se naturaliser même. Elle concerne le micro comme le macro, questionnant à la fois des usages et contenus singuliers (un texto par exemple) et des organisations internationales (GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft pour ne citer qu’elles).
• Discuter. Échanger au sujet de ses pratiques, mais aussi de ses ressentis, émotions, craintes, attentes, permet de mieux saisir sa place au sein de cet environnement et de comprendre l’articulation qui se fait entre les usagers, les dispositifs et les contenus. Cela permet également d’accompagner la réflexivité pour conduire à des usages « en conscience » (plutôt que « raisonnés »).
• Comprendre. À partir des pratiques effectives des élèves, il s’agit alors de comprendre le circuit établi entre l’individu et les industries culturelles en partant du micro (je constate et comprends mes pratiques) pour aller vers le macro (je constate et comprends comment fonctionnent les industries médiatiques). Comprendre cet environnement à partir de ce qui a du sens pour moi en tant qu’usager encourage à la réflexivité et à la curiosité.
• Créer. Il ne s’agit pas ici de développer des pratiques artistiques ou de former à la créativité (si tant est que cela soit possible), mais bien d’encourager à ne plus être seulement le dernier maillon (récepteur) de la chaîne de la culture, et d’y occuper une place active à partir de ses propres pratiques. Créer, c’est d’abord observer, discuter et comprendre ses usages dès lors que ceux-ci permettent de produire des contenus qui rejoindront le grand bouillon de culture médiatique.
• Critiquer. Si les élèves sont déjà pour la plupart créateurs de contenus (de divers degrés de complexité et de différentes natures), et si cette participation médiatique est proprement articulée aux étapes précédentes (d’observation : qu’est-ce que je produis ? ; de discussion : qu’est-ce que ça m’apporte et qu’est-ce que ça fait à celui qui le reçoit ? ; de compréhension : à qui cela profite-t-il, comment cela vient-il prendre place dans l’environnement médiatique ?), alors ces créations se soumettent d’elles-mêmes à la critique, c’est-à-dire qu’elles sont jugées à l’aune de leurs mérites et leurs défauts.
Ces différentes étapes s’appliquent à absolument tous les contenus et dispositifs médiatiques : d’une chaîne Youtube à un soap opéra brésilien ; d’un blog amateur à une émission radio ; d’un magazine spécialisé à une application pour courir ; d’un moteur de recherche à un site de stockage de données, etc.
C’est bien de la diversité des pratiques que se nourrit l’EMI et c’est par elle qu’elle doit se penser. Cependant, cette diversité des pratiques n’est pas nécessairement liée à une consommation de contenus médiatiques diversifiés. On sait par exemple qu’il est nécessaire de distinguer le pluralisme « consommé » du pluralisme « offert », tant ce premier est bien moins important que ce dernier. Les études les plus récentes montrent en effet que la consommation d’informations sur Internet est plutôt redondante du fait notamment de pratiques informationnelles non diversifiées (Rebillard, 2012). De même, il apparaît que parmi la multitude de contenus culturels accessibles en ligne et la diversité de genres et de formats, ce sont souvent les plus « mainstream » qui sont les plus consommés, et que cette diversité offerte n’est encore une fois pas représentative de la moindre diversité consommée (Cicchelli et Octobre, 2017). Avoir une pratique plurielle des médias ne signifie pas nécessairement que nous sommes confrontés à une pluralité de sens, à diverses façons de représenter le monde.

L’environnement médiatique recèle encore bien des mystères pour qui souhaite l’explorer. Cette acculturation à l’environnement médiatique mériterait d’être l’objectif poursuivi par l’éducation aux médias et à l’information, qui ne peut se limiter à des démarches procédurales ou à des interrogations éthiques. La combinaison des capacités d’observation, de compréhension et de création est garante d’une prise en main complète des possibilités offertes par cet environnement.

 

Rencontres lyonnaises autour de l’EMI

Dans la communauté éducative, les établissements scolaires, sur les listes de discussion et dans les Institutions, l’Éducation aux médias et à l’information fait débat, pose question, inquiète, agace mais s’impose tout en créant l’émulation. L’EMI demeure un sujet complexe à définir pour s’intégrer pleinement dans l’École. La conférence a ainsi regroupé des acteurs de l’Éducation nationale et des chercheurs scientifiques ayant pour préoccupation commune l’Éducation aux médias et à l’information, et comme objectif « de faire le point des pratiques pédagogiques et des avancées de la recherche engagées dans ces différents champs depuis la loi de Refondation de l’École ainsi que de rendre visibles les dispositifs existants qui peuvent être mobilisés dans le cadre scolaire2 ». En marge s’est tenu, le 11 janvier, organisé par le CLEMI avec tous les acteurs du système éducatif, le forum du numérique « Vos enfants, les médias et internet », à destination des parents. En parallèle des tables rondes et des ateliers, la richesse des échanges sur Twitter avec le hashtag #emiconf2017 a permis de suivre la conférence à distance. Intervenants et participants ont ainsi pu partager les moments clés de ces deux journées. Compte tenu de la richesse des interventions, l’exhaustivité sera bien entendu impossible… Nous avons choisi de suivre le déroulement chronologique de la conférence.

Réflexions institutionnelles et scientifiques sur l’EMI

Des discours institutionnels sur une Éducation aux Médias et à l’Information au centre d’une éducation citoyenne ouvrent la réflexion. Michel Lussault, Françoise Moulin-Civil et Mathieu Jeandron3 nous font part, tour à tour, de leur préoccupation à l’égard de l’EMI, « une problématique d’intérêt général ». L’École doit former des individus capables de penser et de faire usage de la raison. L’EMI et les enjeux du numérique se placent ainsi au cœur d’une préoccupation citoyenne situant l’École dans une société de l’information et de la communication. La conclusion de Didier Vin-Datiche, IGEN, situe l’EMI dans une nouvelle phase de développement : le temps de la réflexion doit continuer pour permettre une mise en œuvre concrète.
Lors de la conférence « Éduquer à l’incertitude : un paradoxe amplifié par le numérique », Dominique Boullier, professeur de sociologie, pose l’incertitude comme valeur essentielle de la société du numérique, entre doute, défiance et scepticisme. Les médias d’opinion et l’information exponentielle renforcent paradoxalement ce sentiment d’incertitude. Le désenchantement wéberien et l’errance lacanienne viennent conforter l’incertitude d’une éducation à l’information amenant les élèves vers une interrogation méta-cognitive à travers une pédagogie éthique.

Emi et valeurs républicaines : quelles articulations ?

La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École4 mentionne comme mission première de celle-ci la transmission des valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité, laïcité et refus de toutes les discriminations.
À l’occasion de la table ronde « Contributions de l’éducation aux médias et à l’information à l’adhésion aux valeurs de la République », Daniel Agacinski5 s’interroge sur le lien entre École et citoyenneté en reformulant la devise de la République : « penser par eux-mêmes libres et égaux comme frères ». Le numérique accentue cette nécessité d’un apprentissage réflexif et pluriel. Si Sophie Jehel6 dénonce les nouvelles pratiques médiatiques qui ciblent les jeunes, telle que la télé-réalité, et réaffirme le rôle de l’École de transmettre des valeurs pour protéger les jeunes contre ces pratiques déviantes, Amel Cogard, Anna Angeli et Hélène Grimbelle7 rappellent qu’il ne s’agit pas uniquement d’une préoccupation scolaire, mais qu’il est important pour les médias, les collectivités et les familles de s’ouvrir à ces problématiques sociétales afin d’avancer dans la même direction.

L’information, une notion complexe en mutation

« L’information, son objet, ses flux, son architecture, ses sciences » était le sujet de la deuxième table ronde. Wendy Mackay8 ayant introduit la notion d’information numérique en termes de partenariats homme/machine évoquant la dualité artificiel/naturel de l’information, Charles Nepote9 a ensuite montré les enjeux des données du point de vue de l’accès à l’information et de la formation de l’usager vers une littératie des données. Poursuivant notre réflexion sur l’objet information, après avoir fait le point sur l’évolution du Web 1, support des documents numériques, le Web 2, social, et le Web 3, de données, Jean-Michel Salaün10 montre que notre société informationnelle du XXIe siècle, « siècle numérique », est passée « d’un régime de savoir à l’autre ». Illustrant cette mutation en comparant bibliothèques traditionnelles et centres de données Google, il prône une éducation à la littératie du numérique dès le primaire.

Au cœur des pratiques des jeunes

Différents ateliers avaient lieu pour approfondir les tables rondes et aller au plus près du terrain. L’atelier 7 s’intéressait ainsi aux pratiques informationnelles des jeunes et aux préoccupations familiales. Dans le cadre d’une recherche sur le terrain à la rencontre des jeunes, Anne Cordier11 dénonce les clichés sur les « digital natives », notion erronée, et met en lumière le rôle des parents dans les pratiques informationnelles des jeunes. Virginie Sassoon12 nous présente d’ailleurs en avant-première l’Enquête guide familles « Éducation aux médias et à l’information » faisant le point sur les relations famille et numérique.

Un point de vue international

Lors de la dernière table ronde de la journée, « Cultures numériques et éducation aux médias et à l’information : approches internationales », les différents intervenants13 ont souligné la dimension internationale des enjeux citoyens de l’EMI.

L’innovation au cœur des pratiques pédagogiques

La table ronde « L’éducation aux médias et à l’information à la croisée de pratiques innovantes » invite à s’interroger sur la place du numérique dans l’espace scolaire et sur les pratiques pédagogiques qui en découlent. Pour Yann Houry, professeur de français qui posait la difficulté de travailler ensemble, le numérique engendre une collaboration et une interaction dans un contexte de participation à un espace public non scolaire. Isabelle Féroc-Dumez14 insiste quant à elle sur la nécessité de coller aux pratiques informationnelles des élèves tandis que Gilles Sahut15 positionne l’élève en tant que chercheur, et voit dans l’innovation un perpétuel renouvellement. Vincent Audebert16 suggère des moments de métacognition et de réflexivité avec les élèves, considérant le numérique comme indissociable de notre société et regrettant les injonctions paradoxales du système tel que le rejet du copié collé. À travers une métaphore du film 2D vers le film 3D, Christophe Poupet17 illustre les potentialités éducatives relatives au numérique laissant des chemins pluriels aux élèves.

Former les enseignants pour mieux former les élèves

Vincent Liquète18 débute la table ronde « Ressources et dispositifs “éducation aux médias et à l’information” pour soutenir la formation professionnelle des enseignants » avec un apport scientifique : le numérique bouleverse la circulation des savoirs et nécessite une modélisation des pratiques, notre culture numérique dépassant les seules frontières scolaires. Le professeur documentaliste devient alors un acteur indispensable de l’EMI à la fois à l’interface et référent. Anne Delannoy19 relate l’expérience Hackathon20, à l’origine pour la formation des formateurs et qui s’est développée vers un public d’apprenants. Carole Blaszczyk expose le plan de formation massif sur l’EMI de l’académie de Bordeaux. Le témoignage de Marion Margerit, professeure de mathématiques, montre le retour bénéfique des formations pour enseignants : ce projet nommé « Enquête Z » pour développer l’esprit critique a trouvé ses sources dans une formation aux enseignants sur la démarche zététique21.

Toujours connectés : lecture et écriture sur Internet

L’atelier « Lecture et écriture “connectées” » présente plusieurs projets mettant en scène les réseaux sociaux ou le numérique : le défi Babélio22 propose de lier lecture et réseaux sociaux ; LireLactu23 est un « outil pédagogique permettant l’accès gratuit à la presse quotidienne nationale et étrangère aux collégiens et lycéens » accessible depuis un établissement scolaire ; le projet Twittérature en primaire24 offre aux classes la possibilité de se servir de Twitter comme un vecteur quotidien d’écriture, de publication et de partage.

La classe : un lieu propice à l’EMI ?

La dernière table ronde « Cultures numériques et éducation aux médias et à l’information : vers un renouvellement de la forme scolaire ? » s’est intéressée à la salle de classe, cadre social, en lien avec l’EMI et le numérique : la modification de la forme scolaire permet-elle une personnalisation des savoirs ? Si la résistance aux changements malgré une volonté pédagogique et les contraintes imposées par la sécurité et les finances publiques sont rappelées, Vincent Faillet, professeur de SVT, nous livre une expérience de modification du lieu qui a entraîné une nouvelle forme d’enseignement mutuel.

L’humain au cœur de l’EMI

Jean-Marc Merriaux25 clôture ces deux jours d’échanges avec la notion de médiation replaçant l’humain au cœur du dispositif pédagogique de l’EMI et remettant les prix des posters comme un éloge aux pratiques enseignantes. Pour finir, Mme la Ministre Najat Vallaud-Belkacem, dans une vidéo, définit l’EMI comme une priorité au cœur de la mobilisation de l’École pour les valeurs de la République.

Une conclusion mitigée pour une profession négligée

De cette conférence on conservera, au-delà des réflexions épistémologiques et pédagogiques, des rencontres riches entre des acteurs de l’éducation préoccupés par un même sujet, des partages, des moments de critiques, de débat, des contradictions avec l’Institution, des difficultés de mise en œuvre, mais surtout une volonté d’avancer dans la même direction : faire bouger l’École.
Un grand absent cependant est à regretter : le professeur documentaliste, qui aurait pourtant dû être le fil conducteur de ces deux journées de réflexion !

 

La place des réseaux sociaux-numériques dans la culture de l’information au lycée: pratiques prescrites scolaires et pratiques sociales des jeunes: (Poster d’Adeline Entraygues)