Repenser le fonds et les espaces du CDI d’un EREA dans une perspective inclusive

La circulaire n° 2017-076 du 24 avril 2017 relative au fonctionnement des EREA (Établissements régionaux d’enseignement adapté) stipule que ces établissements scolaires « accueillent des élèves du second degré qui connaissent des difficultés scolaires importantes et persistantes qui peuvent être accompagnées de difficultés sociales faisant obstacle à leur réussite » (Circulaire n° 2017-076 du 24 avril 2017). Cette circulaire précise que ces établissements peuvent également accueillir des élèves présentant un handicap. L’indice de position sociale (IPS), créé en 2016 par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale et qui résume le capital social, économique et culturel de la famille dans le rapport de l’élève à l’école, est très faible pour la majorité des élèves scolarisés dans ces établissements, ce qui explique que de nombreuses difficultés extrascolaires parasitent la disponibilité de certains élèves aux apprentissages. L’origine de la difficulté scolaire des élèves accueillis au sein des Établissements régionaux d’enseignement adapté est donc multiple.

 

Exercer en tant que professeure-documentaliste au sein d’un EREA (à Muret, en Haute-Garonne) fut, pour moi, une expérience déstabilisante et source de nombreux questionnements. En effet, au fil des premiers mois passés à l’EREA, j’ai découvert le profil des élèves et surtout les difficultés auxquelles, pour la plupart, ils font face en termes d’accès à la lecture. Je me suis alors questionnée sur le sens que des élèves en grande difficulté scolaire ou en situation de handicap pouvaient trouver à la fréquentation d’un lieu tout entier tourné vers l’objet-livre quand, bien souvent, ils ne sont pas lecteurs ou quand la lecture est pour eux synonyme de difficultés, voire de souffrance ou d’échec. Comme l’écrit très justement Françoise Chapron, « les CDI ont été considérés comme un outil au service de l’égalité des chances. Paradoxalement, on constate aujourd’hui que la majorité des élèves, et notamment les plus en difficulté, n’est pas en mesure d’utiliser de manière régulière les potentialités informationnelles et pédagogiques de ces espaces » (Chapron, 2012). Cette expérience en EREA fut donc une occasion incroyable de repenser ma pratique professionnelle et de me questionner : de quelle manière peut-on repenser le CDI d’un EREA afin d’en faire un espace d’apprentissage adapté aux besoins des élèves d’un tel établissement ?
Lors de la formation au CAPPEI1 que j’ai suivie l’année suivant mon arrivée à l’EREA, j’ai pu réfléchir au concept d’école inclusive et aux changements de paradigmes qui se sont opérés ces dernières décennies. En effet, on est passé du concept d’intégration, dans lequel il revenait à l’élève à besoins éducatifs particuliers de trouver sa place dans l’École à celui d’inclusion où c’est à l’École de s’organiser pour faire face à la diversité des besoins d’apprentissage des élèves.
Cette réflexion m’a poussée à remettre en question ma pratique et mon métier de professeure-documentaliste et à me questionner sur ce que pouvait être un CDI inclusif qui puisse s’adresser à tous les apprenants. J’ai ainsi réfléchi aux leviers d’action à ma disposition, pour repenser le CDI d’un EREA2 afin d’en faire un espace d’apprentissage qui prenne en compte les besoins des élèves et le premier obstacle qu’il m’est apparu nécessaire de lever a été celui de l’aménagement de l’espace physique.
Nous verrons donc, dans un premier temps, quels sont les profils des élèves accueillis en EREA, et, dans un second temps, nous nous pencherons sur les moyens à notre disposition pour réinventer un espace CDI qui prenne en compte les profils particuliers de ces élèves.

Profils des élèves accueillis en EREA

Avant de se questionner sur la réorganisation de l’espace CDI, il faut s’attarder sur ce que sont les difficultés des élèves scolarisés en EREA et sur leurs besoins. Deux causes, principalement, expliquent les difficultés rencontrées : le peu de sens que les élèves donnent à la scolarité d’une part ; la perte de confiance dans leurs capacités de réussite d’autre part.
Le sentiment d’auto-efficacité (ou de compétence) se définit par le fait que si une personne estime ne pas pouvoir produire de résultats satisfaisants dans un domaine, elle n’essaiera pas de les provoquer. Dans un contexte scolaire, l’auto-efficacité ressentie par un élève va notamment influencer le niveau de son engagement dans une tâche, ou encore dans son désir d’apprendre, sa persistance face aux difficultés. Il s’agit donc d’un facteur de motivation précieux à cultiver chez les élèves. Or, on constate que les élèves scolarisés à l’EREA affichent, bien souvent, un sentiment d’auto-efficacité dégradé, ce qui constitue un réel obstacle aux apprentissages.
Et de ce sentiment de compétence dégradé découle inévitablement un sentiment d’incapacité acquise qui se développe chez les élèves qui constatent que leurs résultats ne sont pas contrôlables par leurs actions et que leurs efforts sont inutiles, puisqu’ils n’ont pas d’effet sur leurs compétences. Cette réaction est provoquée par la croyance qu’ont les élèves – construite à la suite des échecs scolaires répétés – que, quoi qu’ils fassent, ils ne réussiront pas et que l’échec est inévitable. Les élèves limitent alors leur engagement dans des tâches ou des apprentissages nouveaux.
En EREA, on rencontre énormément d’élèves qui ont bien souvent vécu une expérience répétée de l’échec scolaire et du déplaisir à l’École. Cela les a bien souvent amenés à développer un sentiment de compétence faible dont il découle un sentiment d’impuissance acquis, lequel entraîne des stratégies d’évitement des activités d’apprentissage et empêche l’engagement et la persévérance dans des situations anticipées comme de nouvelles expériences d’échec. Il suffit d’écouter, au détour d’une conversation, deux élèves de 6e échanger entre eux et les entendre dire qu’ils sont moins intelligents que dans un collège « normal » pour mesurer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et de leurs capacités.

Profil des élèves accueillis en EREA [Source : Maëva Calmette]

 

Les élèves de l’EREA ont donc besoin de faire l’expérience de la réussite scolaire afin d’augmenter leur sentiment de compétence et de diminuer leur sentiment d’impuissance et ainsi d’avoir confiance en leurs capacités et d’augmenter leur motivation à s’engager dans des tâches scolaires et des apprentissages. Ils ont également besoin de réaliser des activités qui ont du sens pour eux. Enfin, il est nécessaire pour ces élèves d’évoluer dans un cadre et un environnement sécurisants mais dans lesquels ils puissent conserver un certain degré de liberté. Si on voulait résumer, on pourrait reprendre l’expression de Christian Cousin qui écrit que les élèves de l’EREA sont « des élèves capables d’apprendre et de réussir, mais pas dans n’importe quelles conditions » (Cousin, 2000). Tous ces élèves ont donc des besoins et leur particularité réside dans leur incapacité à y répondre de manière autonome en puisant dans leurs propres ressources ou dans celles de leur environnement. Avec ces élèves il s’agit donc, plus qu’avec d’autres, « d’élaborer une identité positive d’apprenant » (ibid.).

Réinventer un espace CDI inclusif et accessible aux élèves d’un EREA

« Avec la notion d’éducabilité, il s’agissait avant tout de penser la personne (le plus souvent un enfant) comme susceptible d’éducation […]. L’accessibilité vise l’autre versant ; elle concerne le responsable éducatif lui-même, qui doit mettre en place des modalités éducatives promouvant les capacités de la personne » (Ebersold et al., 2016). En tant que « responsable éducatif », il m’est apparu que je devais rendre l’environnement éducatif dont j’ai la charge accessible aux élèves accueillis, c’est-à-dire lever les obstacles qui limitent ou empêchent l’utilisation des potentialités de cet espace.

Réorganiser le fonds documentaire et son accès

Le premier travail qu’il m’a fallu mener a été de désherber l’entièreté du fonds (documentaire et fiction) : ouvrages obsolètes et en inadéquation avec le niveau des élèves ont été retirés, ce qui a permis d’aérer des rayonnages bien trop chargés où les livres, en plus d’être inaccessibles symboliquement, l’étaient aussi physiquement. Les étagères comportant le fonds documentaire (constitué par l’ensemble des ressources papier du CDI), qui, jusqu’à mon arrivée, occupaient une large part de l’espace, ont ensuite été repoussées contre les murs, à la fois pour décloisonner l’espace et pour ne plus faire du CDI un lieu centré sur le livre mais plutôt un espace dans lequel les élèves évoluent entourés de livres.
Cette réorganisation physique du fonds documentaire m’a conduite à m’interroger sur le classement des ouvrages et sur sa pertinence au regard des difficultés des élèves. En effet, plus les modes de classement sont compliqués, moins ils sont accessibles, et donc, moins les ouvrages sont consultés. Il faut donc lever tous les obstacles dans l’accès physique à l’objet-livre avant de se pencher sur l’accès à la lecture.
J’ai ainsi abandonné la classification décimale de Dewey qui m’est apparue bien trop compliquée et non intuitive pour les élèves de l’EREA et j’ai repensé un plan de classement le plus accessible possible, le plus facilement et immédiatement compréhensible par un maximum d’élèves. Pour ce faire, je me suis inspirée du travail d’une autre professeure-documentaliste, Hélène Mulot. J’ai donc classé les livres documentaires selon des thématiques qui se rapprochent davantage des disciplines enseignées et la formulation de ces thématiques a été repensée pour qu’elle soit plus intelligible. C’est pourquoi, j’ai créé un pôle « Cuisiner » qui concerne directement les élèves du CAP PSR3 et un pôle « Planter et jardiner » dans lequel sont regroupées les ressources pour les élèves des CAPa MAH4 et JP5.

Classement des ouvrages documentaires [Source : Maëva Calmette]

 

Le classement des romans par ordre alphabétique du nom de l’auteur ne faisait aucun sens pour des élèves qui, dans leur très grande majorité, sont de « tout-petits lecteurs » et dont les références, en matière de littérature, sont très succinctes. Ils ne cherchent quasiment jamais un ouvrage en ayant en tête le nom de l’auteur. Ils sont en quête, bien souvent, d’un thème, parfois d’un titre en particulier. J’ai donc choisi de classer les romans par thématiques avec un logo apposé sur le dos et la couverture qui correspond au sujet principal du livre. Ce type de classement est plus en adéquation avec les modes de recherche des élèves, basés sur la sérendipité et le butinage. En outre, il m’est bien plus aisé d’exercer une médiation entre les élèves et les livres, puisque je n’ai plus à me tourner vers le catalogue documentaire pour les aider à trouver un ouvrage. Je regarde avec eux, je tâtonne pour trouver un livre qui puisse leur correspondre.

Classement des romans par thématiques [Source : Maëva Calmette]

Cette réorganisation du fonds s’accompagne d’une réflexion concernant la signalétique et la manière de mettre en avant les ouvrages, de faire vivre le fonds.
Pour ce qui est de la signalétique, un projet est en cours avec la classe de 6e et leur enseignant d’arts appliqués afin de penser, collectivement, un système qui prenne en compte les besoins et les difficultés de l’ensemble des élèves accueillis. Il s’agit de penser un affichage clair, cohérent et formulé avec des termes immédiatement compréhensibles. Cet affichage doit permettre aux élèves d’être autonomes dans leurs recherches.
Pour la mise en avant des ouvrages, je m’inspire du bookmodel store pour « mettre en scène » les ouvrages : modifier régulièrement les ouvrages exposés sur un présentoir (ne pas se limiter à la présentation des nouvelles acquisitions) et multiplier les occasions d’exposer les couvertures des ouvrages (sur les étagères, sur les tables, etc.)

 

Le CDI de l’EREA après réaménagement [Source : Maëva Calmette]

Le désherbage et la réorganisation du fonds ont aussi été l’occasion de repenser une politique d’acquisition en adéquation avec les besoins des élèves accueillis à l’EREA et tenant compte de leurs profils, de leurs centres d’intérêt et de leurs particularités (difficultés dans l’accès au sens du texte, non-lecteur, allophone, etc.). J’ai ainsi réorienté mes achats de plusieurs manières :

• Pour le fonds « fiction » :
– Je sélectionne des romans dont les thématiques intéressent des élèves adolescents mais dont le niveau de lecture ne constitue pas un frein dans l’accès au sens.
– Je développe un fonds d’albums avec le même souci que pour les romans dans la recherche de sujets, de thématiques qui s’adressent aux préoccupations d’élèves de cet âge.
– J’ai créé un fonds de livres (BD et albums) sans texte, notamment à destination des élèves allophones mais qui sert aussi pour les élèves très en difficulté avec la lecture – voire non-lecteurs.
• Pour le fonds manga, je m’appuie sur certains élèves dans le choix des livres afin qu’ils deviennent prescripteurs des ressources disponibles au CDI. Cela permet de valoriser leurs choix et de leur montrer que leurs lectures sont reconnues et légitimes. C’est un élément important pour ces élèves souvent éloignés de la culture scolaire et de ses attendus.

• Pour le fonds d’ouvrages documentaires, j’axe mes acquisitions sur des ouvrages dont les thématiques sont en lien avec les CAP (Certificat d’aptitude professionnelle) proposés dans l’établissement (Métiers de l’Agriculture option Horticole, Jardinier-Paysagiste, Préparation et Service en Restauration). J’essaie également de développer le fonds en achetant des ouvrages attractifs visuellement et dont les thématiques intéressent les adolescents (éducation affective et sexuelle, égalité, etc.).

Réorganiser les espaces

Comme l’écrit très justement Hélène Mullot, professeure-documentaliste en collège, « repenser le CDI c’est repenser les espaces et ce qu’on peut y faire […], c’est aussi observer finement les pratiques des élèves lorsqu’ils viennent au CDI, c’est être en posture d’écoute par rapport à leur attente et en même temps pouvoir par la place d’une table, d’un livre ou d’un jeu, induire des usages qui leur permettent des apprentissages » (Mulot, 2017). Je me suis donc attachée à modifier l’organisation de l’espace pour lever les barrières et obstacles à son usage et pour permettre à chaque élève de trouver un sens à sa fréquentation et de s’emparer de toutes les potentialités offertes par le lieu.
Au regard des difficultés rencontrées par les élèves accueillis en EREA, je me suis appuyée sur les concepts d’environnements capacitants et de lieu enrichi pour penser la réorganisation du lieu en espaces qui permettent la mise en œuvre et le développement de compétences transversales grâce à des apprentissages bien souvent fortuits.

Dans ses travaux sur les espaces scolaires, Alastair Blyth – architecte et analyste de politiques éducatives (Blyth, A. (2013). Perspectives pour les futurs espaces scolaires.) – a axé sa réflexion sur le fait que, pour organiser l’espace de façon efficace, il est essentiel que l’utilisateur puisse investir celui-ci de différentes manières, à différents moments. Cependant, l’organisation de l’espace, dans beaucoup d’établissements scolaires et dans beaucoup de CDI, repose sur des espaces fixes. J’ai donc décidé de rendre l’environnement du CDI flexible et modulable en offrant aux élèves la possibilité de modifier l’espace de manière autonome. Aussi, j’ai opté pour du mobilier (tabourets culbuto, poufs d’appoint, etc.) qui permet de modifier rapidement la disposition de l’espace. Les élèves font ainsi preuve d’« agilité spatiale », déplacent les assises en fonction de leurs besoins, s’installent où ils le souhaitent et sont autonomes dans les activités qu’ils mènent.
Marion Carbillet, dans son travail sur le concept de « CDI apprenant » (Carbillet, 2018), s’attarde sur différentes situations d’apprentissage que peut favoriser le réaménagement de l’espace CDI et qui ont contribué à éclairer ma réflexion :
La notion d’apprentissages autodéterminés lors desquels l’élève va pouvoir choisir ce qu’il apprend et comment il souhaite l’apprendre. Cela permet de développer chez les élèves la curiosité et le désir d’apprendre dans des situations, des lieux et sur des sujets variés.
Le sentiment d’efficacité personnelle, dont le pendant serait cette illusion d’incompétence manifestée par les élèves de l’EREA, peut être travaillé au CDI. En effet, voir quelqu’un que l’on estime de compétences comparables aux siennes réussir une tâche permet d’accroître son sentiment d’efficacité personnelle sur cette même tâche et va à la fois influencer le niveau de son engagement dans cette tâche, son désir d’apprendre et sa persistance face aux difficultés et aux échecs.
L’augmentation de la prise d’initiative des élèves dans le CDI.
L’apprentissage entre pairs qui, comme l’écrit Marion Carbillet, « laisse entendre qu’à l’École aussi les savoirs issus de l’expérience empirique, familiale, amicale, intime parfois, sont tout à fait légitimes pour être reconnus et partagés. » (Carbillet, M. Un CDI « apprenant » ?).

À la suite du réaménagement du CDI, ce dernier est désormais constitué de cinq espaces qui ne sont pas figés : les élèves ont tout loisir de déplacer les assises et de mener l’activité de leur choix dans l’espace qui leur convient. Malgré tout, ce découpage permet de créer visuellement des zones distinctes et d’organiser l’espace.

1 L’espace de travail permet de mener au CDI des séances d’apprentissage dirigé. Il est équipé d’un vidéoprojecteur, d’un tableau blanc, de tables et d’assises qui peuvent être facilement déplacées, afin de pouvoir moduler le lieu en fonction de la séance prévue (travail en petit groupe ou en classe entière, travail individuel, etc.).

2 L’espace de créativité a pour but d’aider les élèves à développer leur curiosité et leurs compétences sociales (coopération, respect des autres et du matériel, échange, partage). Cet espace équipé de tiroirs auto-gérés de loisirs créatifs (origami, marque-pages, coloriages, mandalas, etc.) permet aux élèves d’être autonomes dans le choix de leurs activités. Pour les aider dans leurs créations, les élèves peuvent s’appuyer sur des ouvrages issus du fonds documentaire qui sont spécialement rangés à proximité de cet espace. Les créations réalisées en autonomie par les élèves peuvent être affichées au CDI afin de valoriser le travail de chacun.

3 L’espace coopératif dispose de deux tables rondes permettant à la fois les travaux de groupe lors de séances pédagogiques et les jeux de société et puzzles collaboratifs. Dans cet espace, il s’agit aussi de valoriser les compétences sociales, la curiosité et les apprentissages fortuits, notamment via les différents jeux de société proposés en accès libre.

4 L’espace numérique est composé de six postes informatiques et les élèves les utilisent beaucoup sur le temps de la pause méridienne pour y jouer à des jeux « gratuits ». Je tolère cet usage (en limitant le temps passé sur un poste informatique) car cela permet de faire venir des élèves au CDI et je peux, ensuite, leur proposer d’autres activités (notamment les jeux de société). À terme, je souhaite créer un réservoir de sites (jeux éducatifs, podcasts, vidéos documentaires, etc.) disponibles sur toutes les sessions élèves.

5 L’espace de détente est occupé par les chauffeuses et poufs et avait pour vocation, à mon arrivée à l’EREA, d’être un espace de lecture. Dans les faits, quelques élèves viennent bien s’y installer pour lire mais, comme expliqué plus haut, rares sont les élèves qui sont des lecteurs autonomes et aguerris. De ce fait, cet espace est aussi un endroit où des élèves viennent s’installer pour passer un moment hors du vacarme de la cour. Je dispose des revues et des ouvrages sur les tables basses qui meublent ce coin pour susciter la curiosité des élèves et les encourager à les feuilleter.

Le CDI de l’EREA après réaménagement [Source : Maëva Calmette]

 

En conclusion, le réaménagement du fonds et des espaces avait pour objectifs de développer les compétences sociales telles que l’échange, le partage, la coopération, la collaboration, le respect des autres, le respect des règles de fonctionnement inhérentes à un centre de ressources ; favoriser l’apprentissage par et avec les pairs ; développer l’autonomie ; encourager la motivation, la créativité et la curiosité. Cependant, si repenser les espaces, leur organisation et le classement des ressources est une étape indispensable à la construction d’un CDI inclusif qui prenne en compte les besoins éducatifs de chaque élève, elle n’est pas suffisante pour pallier les difficultés scolaires et sociales. En effet, mettre à la disposition des élèves des ressources et des activités ne suffit pas pour qu’ils s’emparent de toutes les potentialités du lieu. Il apparaît nécessaire désormais de penser une médiation documentaire, pédagogique et culturelle en direction des élèves pour lever tous les obstacles à l’utilisation de cet espace scolaire.

 

 

Pour une pédagogie inclusive : « Vivre ensemble avec nos différences »

Professeure documentaliste depuis 25 ans, après des expériences de bénévolat avec l’APF (Association des paralysés de France), j’ai eu l’envie de suivre une formation approfondie et de passer le 2 CA-SH il y a une dizaine d’années, (aujourd’hui CAPPEI).

Mes objectifs étaient multiples : je souhaitais bien sûr pouvoir mieux aider les élèves en situation de handicap qui pourraient venir travailler ou lire dans le CDI dans lequel j’étais et où je suis encore en poste, et leur permettre une meilleure intégration avec leurs camarades valides, au sein du lycée, en favorisant les rencontres et les échanges.
Je souhaitais également améliorer l’accessibilité du CDI et adapter le fonds documentaire à tout type d’élèves.

On ne peut comprendre que ce que l’on connaît, et j’ai toujours eu à cœur dans mon métier d’ouvrir l’esprit des élèves sur le maximum de sujets possibles, ceux relatifs à leurs objets d’étude, bien évidemment mais plus largement ceux concernant notre vie d’humains. La découverte du handicap en est un. Le CDI est un lieu privilégié, paisible, qui accueille toute la communauté scolaire et qui facilite les interactions dans le respect des différences de chacun.

Conformément à la loi du 11 février 2005, portant sur l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes, tout élève a le droit d’être inscrit dans l’établissement de son secteur et nous devons donc tout faire pour accueillir ces élèves à besoins particuliers : c’est l’inclusion. Elle est nécessaire et ne sera possible que si nous nous y engageons tous ensemble !
L’année de ma formation passionnante à l’INSHEA de Suresnes, j’ai suivi plusieurs stages avec des élèves en situation de handicap moteur, et j’ai notamment travaillé de manière hebdomadaire avec des jeunes scolarisés à l’EREA-LEA La Plaine (Eysines, Gironde) au CDI, et avec une professeure de vente.
à la suite à cette formation et pour une année scolaire (2014-2015), j’ai obtenu un poste d’enseignante à mi-temps à Château Rauzé (Cénac, Gironde), hôpital de jour pour personnes traumatisées crâniennes, et un complément de service en tant que documentaliste au collège de St Loubès (Gironde). Le hasard a fait qu’une équipe de handfauteuil s’entraînait dans le gymnase de ce collège, ce qui m’a permis de me lier d’amitié avec l’entraîneur et d’organiser par la suite des projets communs.

Dans cet article, j’ai choisi de présenter deux actions de sensibilisation des élèves de mon lycée au handicap :
A/ Une rencontre entre élèves de l’EREA et ceux de mon lycée (lycée Professionnel Henri Brulle de Libourne, Gironde)
B/ Des rencontres avec une équipe de handfauteuil : l’association Handensemble

à la suite de mes diverses expériences, j’ai pu constater que l’accueil d’élèves en situation de handicap n’est pas forcément évident pour tout le monde… certains se sentent parfois discriminés, victimes d’insultes blessantes. En interrogeant mes élèves, j’ai été confortée dans mon opinion par leurs réactions : les appréhensions viennent bien souvent de la méconnaissance du handicap, « c’est parce que la différence fait peur… ».

Pour que l’inclusion soit réussie, il faut que nous soyons tous acteurs, jeunes, adultes : nous devons adapter nos pratiques à leurs besoins et les soutenir.
L’école est un lieu où l’on doit apprendre à vivre ensemble et, pour ce faire, développer une culture positive autour du handicap.

A/ Une expérience-test : rencontre EREA/lycée Professionnel Henri Brulle (en 2012/2013)

Le projet de visite

Afin d’étudier concrètement comment accueillir des élèves handicapés moteurs au CDI, il m’a semblé judicieux d’organiser une rencontre entre des élèves de mon établissement, le LP Henri Brulle, composé pour moitié de sections tertiaires (ventes, commerces…), et pour l’autre d’industrielles (menuisiers, plaquistes…) ainsi que d’une Ulis et des élèves handicapés moteurs de l’EREA d’Eysines. Pour cela, avec l’un de mes collègues professeur de vente qui avait travaillé à l’EREA l’année précédente, et deux collègues de l’EREA professeurs de vente et de technologie, nous avons commencé par élaborer un projet pédagogique intéressant les deux établissements. Ce projet1 concernait des élèves de terminales CAP ECMS (Certificat d’Aptitude Professionnelle/Employé de Commerce Multi-Spécialités) de mon lycée et la classe de GB4 (qui sera présentée plus loin) assimilée à une SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté) de l’EREA.
Comme l’un des axes du projet d’établissement de l’EREA portait sur l’ouverture culturelle, le projet initial incluait la visite du musée temporaire « Pompidou mobile » installé à Libourne, mais pour des raisons de logistique cela n’a pas été réalisable.
Nous avons alors tenu compte du fait que la visite de lieux de formation entre dans les objectifs du projet d’orientation des élèves de SEGPA et nous avons décidé de faire une visite du CDI (qui est le lieu culturel de notre établissement) et une présentation des filières CAP de notre lycée.
Lors de cette visite qui s’est déroulée sur une après-midi, une classe de CAP de notre lycée a accueilli trois élèves de l’EREA.

Les élèves concernés par l’échange : la classe de terminale ECMS et trois élèves de GB4

La classe de CAP est constituée de vingt et un élèves. Parmi eux, certains connaissent des difficultés d’écriture, de lecture, d’expression orale, parfois depuis l’école primaire. Ce groupe très hétérogène comprend cinq élèves avec des troubles des apprentissages, un élève malvoyant pour lequel les professeurs doivent adapter les supports de travail et un élève dont le français n’est pas la langue maternelle.
La classe de GB4, « Groupe de Besoins 4 » est assimilée à une classe de 4e/3e SEGPA ; elle comprend neuf élèves en situation de handicap, avec des besoins éducatifs particuliers. Seulement trois élèves de GB4 ont été désignés par leurs professeurs pour venir au LP Henri Brulle, et ils ont été choisis en fonction de leur projet professionnel qui est celui d’une éventuelle possibilité d’intégration en CAP, ECMS, après l’EREA. Victor, âgé de 15 ans, est infirme moteur cérébral (IMC)2. Célia, âgée de 15 ans, est atteinte d’une maladie évolutive. Si cette jeune fille a une lenteur d’exécution, elle possède de très bonnes capacités en général. Oriane, âgée de 14 ans, a subi l’ablation d’une partie du cerveau pour cause de crises d’épilepsie à répétition, à l’âge de 7 ans. Cette opération a engendré chez elle une hémiplégie droite. François, un élève de troisième est quant à lui porteur d’une légère hémiplégie, il souffre de dysphasie et de dyspraxie (les enseignantes de l’EREA l’ont rajouté au groupe).

Déroulement de cette demi-journée/conclusions

Après de rapides présentations au CDI, nos élèves de terminale ont fait découvrir à leurs visiteurs les différentes sections de CAP, dans une salle à l’étage, puis dans les ateliers de menuiserie et de peinture, au rez-de-chaussée.
Il a fallu monter une quinzaine de marches pour nous rendre à la « boutique » du lycée. Aucun élève n’étant en fauteuil, nous n’avons pas eu recours à l’ascenseur, juste un bras comme appui pour chacun d’entre eux, à leur demande, afin de les rassurer. Ils ont ainsi pu circuler à leur rythme avec notre aide.
Les élèves de l’EREA ont montré leur enthousiasme tout au long de la visite, trouvant le lycée très beau et très grand. Ils n’ont pas semblé impressionnés par les élèves du LP plus nombreux, et, au contraire, paraissaient très heureux d’être entourés de nouveaux camarades.
Puis après avoir participé à un échange avec la coordonnatrice de l’Ulis, qui a précisé son rôle d’accompagnement auprès des élèves, Patricia, élève de terminale ECMS bénéficiant du dispositif Ulis a pris la parole pour expliquer les raisons de son inclusion au lycée Henri Brulle : à cause de problèmes de concentration, de mémorisation et de béquilles en début d’année. Elle a dit devant tous ses camarades qu’elle se sentait bien intégrée au sein de sa classe.
Les jeunes de l’EREA ont donc pu être rassurés à la suite à cette intervention très spontanée ! Ils étaient en effet inquiets à l’idée de venir dans un grand lycée au milieu de nombreux élèves qui, pensaient-ils, n’éprouvaient pas de difficultés particulières : en échangeant avec Patricia, ils ont pu constater qu’elle y était heureuse. La rencontre s’est terminée de manière très conviviale, puis chacun est reparti de son côté, en inscrivant un mot de remerciement sur une affiche que j’avais préparée. Les élèves de notre lycée ont été valorisés lors de cette action citoyenne, ils ont présenté leur lycée et accueilli l’EREA.
Cet échange de quelques heures seulement, mais complété par un contact régulier avec les élèves m’a déjà rassurée. Oui, il est possible d’accueillir des enfants handicapés moteurs dans notre lycée professionnel, conformément à la loi du 11 février 2005. Oui, il est possible de fédérer élèves et professeurs autour du thème du handicap moteur.

B/ Handensemble : rencontre entre une classe de notre lycée, les premières CAP Plâtrerie, et l’équipe de Handfauteuil de St Loubès (2015)

Lorsque j’ai eu l’idée de ce projet, j’ai cherché à le proposer à une classe à petit effectif car seulement six fauteuils roulants adaptés étaient à disposition des élèves pour la pratique sportive. J’ai naturellement sollicité un professeur d’EPS, puisque les matchs de handball se déroulaient au gymnase. J’ai ensuite associé la professeure de lettres-histoire de la classe désignée, ce qui nous a permis de préparer les questions avec les élèves sur ses heures de cours.
J’ai reconduit cette action bien appréciée au sein du lycée plusieurs années de suite avant le COVID.

Immersion dans le quotidien de sportifs handicapés moteurs, au lycée Henri Brulle

Le jour de la rencontre enfin arrivé, nous étions tous un peu stressés car soucieux de bien faire et d’accueillir au mieux nos hôtes, sportifs en situation de handicap. Comment allait se dérouler cette journée tant attendue et préparée depuis si longtemps avec nos élèves ?
La matinée s’est déroulée au CDI où les élèves, le professeur d’EPS, de lettres histoire et moi-même avons reçu l’équipe de sportifs en situation de handicap, l’association Handensemble.
Cette association regroupe des personnes handicapées et valides dans le but de pratiquer le handball ensemble, avec des fauteuils adaptés à cette pratique, et ainsi essayer de gommer les différences.
à la suite du petit déjeuner pris au CDI tous ensemble, afin de faire connaissance, les élèves ont pu poser leurs questions (voir encadré ci-dessous), abordant ainsi toutes les formes de handicap, la chance de l’existence du handfauteuil, les questions autour du regard des autres, des contraintes et difficultés de la vie quotidienne…

Une initiation au maniement des fauteuils s’est déroulée ensuite sous le préau avant que nous rejoignions le réfectoire pour partager un repas tous ensemble, très convivial. Les élèves qui se sont rendus au self en fauteuil roulant ont pu constater toutes les difficultés relatives au handicap : les obstacles en chemin dans la cour, pour ouvrir les portes, prendre le plateau repas et y déposer les aliments…
La journée s’est poursuivie l’après-midi par un match de handball disputé en fauteuil au gymnase avec des équipes mixtes, constituées d’élèves et de sportifs en situation de handicap.
Puis les élèves ont raccompagné les sportifs à leurs bus et les ont aidés à replier les fauteuils et à s’installer pour repartir. Ils ont ainsi pu mieux appréhender la complexité de la vie d’une personne atteinte d’un handicap : une petite montée pour un valide se transforme en exploit sportif à hauteur de fauteuil, une porte mal orientée devient impossible à ouvrir, un trottoir peut être un obstacle insurmontable, des toilettes devenir inaccessibles…
Une belle leçon de vie, mêlant action, compréhension, solidarité, entraide, sensibilité, citoyenneté.
Cette journée, très appréciée par tout le monde, fut riche d’enseignements et a permis de modifier un peu notre regard sur le handicap !

D’autres idées, d’autres projets

Afin de sensibiliser tous les élèves du lycée Henri Brulle et la communauté éducative, et pas seulement une classe, j’avais organisé, en plus de cette action, une collecte de bouchons (avec l’association Les bouchons d’amour). La revente de ces bouchons a contribué à l’achat de fauteuils roulants. Nous avions également confectionné des affiches avec les élèves de l’Ulis afin d’impliquer un maximum d’élèves dans le projet.


De nombreuses autres activités autour du handicap peuvent être imaginées et mises en place avec les professeurs-documentalistes, au CDI. Avec d’autres classes, nous avions par exemple mené des recherches documentaires sur le handisport, les jeux paralympiques, sur le chanteur Grand Corps Malade, sur Philippe Croizon et fait des affiches. J’avais demandé aux élèves, à l’aide de dessins et slogans comment ils se représentaient le handicap. Nous avions aussi regardé de courtes vidéos sur différents sports.


J’avais commandé pour le CDI des livres dont les auteurs étaient des personnes en situation de handicap : Alexandre Jollien, Benoît Pinton3 (auteur de la région bordelaise accidenté à l’âge de 6 ans), et j’avais envisagé d’inviter ce dernier à venir nous voir. De nombreux ouvrages, romans, bandes dessinées, albums traitent des différents handicaps et il est simple de se constituer un petit fonds sur ce sujet. Il existe également des livres en braille. J’ai aussi suggéré aux élèves désireux de se confronter de près au handicap et d’aider en même temps d’effectuer du bénévolat avec des associations comme l’APF, Valentin Haüy etc. Au CDI, nous pouvons rechercher avec les élèves comment ces associations fonctionnent et organiser des rencontres.

En conclusion, de tels projets sont toujours bénéfiques pour tous, ils nous marquent à vie et nous apprennent à déceler des difficultés que nous aurions ignorées sans ces discussions et rencontres, notamment en ce qui concerne les handicaps invisibles. En tant qu’éducateurs, ils nous permettent de faire les adaptations nécessaires afin d’améliorer les conditions de travail de chaque élève en fonction de leurs difficultés. Ces projets nous permettent aussi de mieux nous comprendre et de mieux nous respecter les uns les autres, d’être de meilleurs citoyens, d’éviter de nous plaindre pour un rien, de ne pas stationner sur les places réservées aux handicapés, d’oser nous approcher et proposer notre aide à une personne en difficulté…
Par exemple, cette année, au lycée, une petite malvoyante et un élève en fauteuil fréquentent régulièrement le CDI et je remarque avec joie qu’il y a toujours quelqu’un qui arrive avant moi pour leur ouvrir la porte !