Nombreuses sont les personnes qui ne lisent pas en détail les conditions d’utilisation qui doivent être validées pour s’inscrire sur un réseau social ou pour acheter un service. La formulation et le vocabulaire de ce type de document sont complexes, la police d’écriture est petite. La lisibilité n’est pas optimale. Avec un peu de volonté, un lecteur moyen peut surmonter ces difficultés, mais, pour des personnes aux compétences de lecture fragiles, ces obstacles empêchent l’accès à l’information. On peut parler de discrimination puisqu’un texte compliqué exclut automatiquement les porteurs de handicap mental, les personnes ne maîtrisant pas complètement le français ou toute autre personne ayant des difficultés avec un document complexe (les personnes âgées, les dyslexiques ou encore les malvoyants).
La méthode FALC, Facile à lire et à comprendre, a été mise au point pour rendre accessible l’information aux personnes porteuses de handicaps. Cela peut aussi constituer un outil pertinent dans un CDI. En effet, au-delà de la mise à disposition de livres en FALC ou de son utilisation à destination d’élèves à besoins éducatifs particuliers, le FALC peut également être au centre de séances pédagogiques pour des élèves valides.
Qu’est-ce que le FALC ?
Le FALC ou le Facile à lire et à comprendre est une méthode pour retranscrire des documents ou écrire des textes afin de les rendre accessibles aux personnes porteuses de handicaps mentaux. L’idée est la même que pour un handicap moteur : si l’accès à un bâtiment est rendu difficile à cause d’un escalier, on construit une rampe. Ici, si l’accès à une information est rendu difficile à cause de tournures de phrases, de mots compliqués ou autre, on retranscrit en suivant cinquante règles qui ont été élaborées en 2009 par des chercheurs et des professionnels de huit pays européens.
Le FALC, même s’il a été conçu à destination d’un public concerné par le handicap, est intéressant pour toutes les personnes qui ont un problème avec la compréhension ou la lecture d’un texte : les allophones, les dyslexiques ou les personnes âgées. Lors de la dernière élection présidentielle, les candidats ont eu l’obligation de mettre à disposition du public une version « à destination des personnes en situation de handicap ou ayant des difficultés de compréhension » (article R38-1 du code électoral en vigueur depuis 2022 à la suite du décret du 22 décembre 2021). En France, le FALC est surtout porté par Nous Aussi (une association gérée par des personnes handicapées mentales) et l’Unapei (le réseau français d’associations de représentation et de défense des intérêts des personnes avec trouble du neuro-développement, polyhandicap et handicap psychique ainsi que de leurs familles).
Quelques règles du FALC
Pour connaître en détail les règles du FALC, vous pouvez consulter le document « L’information pour tous. Règles européennes pour une information1 ». Certaines de ces directives seront familières aux professionnels de la pédagogie que nous sommes. Par exemple :
• N’utilisez pas de mots difficiles. Si vous devez utiliser des mots difficiles, il faut les expliquer clairement.
• Utilisez des exemples pour expliquer les choses.
• Faites des phrases courtes.
• Écrivez les nombres en chiffres et non en toutes lettres. N’utilisez jamais de chiffres romains2.
Le FALC attire aussi l’attention sur des éléments qu’on a moins l’habitude d’examiner :
• Le fait d’utiliser le même mot pour parler de la même chose dans tout le document.
• Ne pas séparer un mot ni une phrase sur deux lignes. Si on ne peut pas faire autrement, couper la phrase à l’endroit où vous feriez une pause lorsque vous lisez à voix haute.
• L’utilisation privilégiée de phrases positives et de formes actives.
• Le remplacement des pourcentages et des grands nombres par des mots comme « peu de», « beaucoup de ».
La vraie originalité du FALC réside dans une seule règle : la validation de votre texte par des personnes concernées. C’est cette validation qui permet d’apposer le logo FALC sur votre document. Cela permet une démarche d’inclusion totale et une prise en compte des personnes handicapées.
Les utilisations possibles au CDI
Lorsque j’ai appris l’existence du FALC, des applications possibles au CDI me sont rapidement venues à l’esprit. En effet, la question de l’accessibilité aux documents et aux savoirs est au cœur du métier de professeur-documentaliste. L’idée d’acquérir des ouvrages en FALC pour les élèves apprenant le français, mais aussi pour les lecteurs fragiles est une évidence. D’autant plus que l’offre éditoriale est en plein développement. Par exemple, Kiléma propose des classiques et des ouvrages contemporains en FALC, dont Les Petites Reines de Clémentine Beauvais.
J’ai également pu constater que le FALC est parfois utilisé pour des documents administratifs. On peut également utiliser les règles du FALC pour réfléchir à une signalétique facile à comprendre. La méthode tient compte de l’accueil d’élèves porteurs de handicaps, mais aussi de la situation des parents. Par exemple, le règlement intérieur du collège Jacques Prévert de Chalon-sur-Saône est disponible en FALC sur le site internet de l’établissement.
On peut s’interroger sur la pertinence de présenter aux élèves des documents dans un français simplifié qui peut, pour certains, s’apparenter à une novlangue et encourager à la paresse face à la lecture. Le FALC porte pourtant l’ambition de ne pas abandonner face à la complexité de l’idée. Le renoncement à des effets de style (comme les métaphores ou le contournement des répétitions) a un but d’inclusion : comme on construit une rampe à côté d’un escalier pour simplifier l’accès, on fait une version pour les personnes qui ont un handicap. La lecture du FALC n’est pas des plus agréables pour un lecteur capable. Le FALC peut être une béquille rassurante, mais il n’a ni la capacité ni la volonté de remplacer des documents en langue courante ou littéraire.
Le FALC comme production finale d’un travail de recherche
Ma découverte du FALC m’a ouvert des perspectives nouvelles dans mon métier de professeur-documentaliste. En effet, j’ai été peu confrontée à ce type de public dans ma carrière.
Il m’est arrivé de penser à anticiper l’arrivée d’élèves porteurs de handicap moteur lors de réflexion sur l’aménagement du CDI, mais le handicap mental était un angle mort de ma pensée professionnelle. Je ne l’avais traité qu’une fois avec des élèves lors d’une séance de recherches sur les différentes formes de discriminations.
Le FALC permet d’évoquer les besoins informationnels des personnes porteuses de handicap et donc d’envisager cette population comme des citoyens bénéficiant de droits. Cela évite d’aborder le handicap d’une manière misérabiliste tout en sensibilisant les élèves à la question du validisme. Chez les lycéens, le handicap peut encore être un motif de moquerie.
Transcrire des documents en FALC permet donc de développer l’empathie, mais aussi de travailler la compréhension et la reformulation d’une information.
Lorsqu’on a des exposés composés de mots recopiés sans comprendre, on a beau répéter « Si tu ne comprends pas, tu cherches la définition », on a du mal à l’obtenir. La reformulation est également un exercice difficile où nos lycéens se noient en essayant de faire des phrases complexes malgré nos encouragements à faire court.
L’intervention de personnes porteuses de handicaps peut être une expérience d’une grande richesse. L’idée de faire cet exercice de retranscription avec les élèves permet d’aborder de manière cohérente de nombreuses compétences psychosociales, méthodologiques et rédactionnelles.
Description du projet pédagogique
Pour la deuxième année consécutive, je suis investie dans une équipe pédagogique qui vise à encourager les pratiques coopératives dans une classe de 2de. Nous sommes plusieurs professeurs à co-intervenir sur l’heure d’EMC.
Un autre collègue, en histoire-géographie, a également souhaité mener un tel projet avec la classe de 1re générale qu’il suit en HGGSP.
Pour ce projet, nous avons donc cherché une structure partenaire. Nous avons pu rencontrer les membres de l’atelier FALC de l’ESAT de la Roseraie qui se sont montrés motivés. Il a été convenu d’organiser une intervention par classe et des rendez-vous en visio pour la suite.
Le déroulé
Le projet coopératif de la classe de 2de me paraît propice à un travail sur le FALC.
Nous planifions le déroulé de la manière suivante :
– Présentation du FALC par l’atelier de l’ESAT de la Roseraie à Carrières-sur-Seine
– Choix d’un thème par les élèves en groupe de 3 (soit 10 groupes dans la classe de 30 élèves) : nous avons opté pour des thèmes libres pour faciliter la motivation des élèves.
– Distribution de textes en fonction des thèmes choisis.
– Transcription par les élèves.
– Envoi à l’ESAT de la Roseraie pour correction et validation.
Focus sur la séance de présentation du FALC
Je parle peu de personne handicapée dans ce texte, car ce n’est pas l’enjeu. Le but est de rendre le monde (et plus particulièrement le CDI) accessible pour tous. Dans ce « tous », le handicap a sa place. Les dispositifs comme le FALC ou la rampe à côté de l’escalier ne doivent pas être rajoutés pour un hypothétique public porteur de handicaps (concrètement, on sait que ce public est très minoritaire), mais inclus dans notre projet de service comme des évidences. L’accessibilité ne chasse pas le public valide et permet une inclusion naturelle.
Cet aspect du FALC a bien entendu été présent dans le discours des intervenants. L’atelier FALC est composé d’un animateur et de personnes porteuses de handicaps mentaux.
La présentation (sur les heures de français pour les 2des et en partenariat avec la collègue d’allemand pour les 1res) était en deux temps :
• une heure en classe entière,
• deux heures en demi-groupe.
Durant la première partie, l’animateur a présenté les règles du FALC puis a proposé aux élèves un exercice pratique de transcription d’un texte.
En 2de, nous avons voulu compléter cette présentation théorique avec une visite. En effet, le lycée est situé à côté de l’ESAT de Marville à Stains. Nos objectifs étaient multiples lors de l’organisation de cette sortie :
• Permettre aux élèves de mieux connaître leur environnement proche.
• Découvrir des métiers dans l’accompagnement des personnes handicapées.
• Visualiser le public auquel ils s’adressent lors de l’exercice de retranscription.
La sortie ayant lieu un vendredi après-midi, les élèves ont eu peu l’occasion de croiser des travailleurs de l’ESAT. Nous avions préparé un petit livret de quatre pages à remplir pour rendre les lycéens actifs durant la visite. Quelques questions portaient sur des informations pratiques (la définition de ESAT, le nombre de travailleurs, l’adresse, la liste des activités dans l’ESAT), venait ensuite une page de mots collectés en vrac et quelques questions pour évaluer la manière dont les élèves avaient perçu la visite et le projet :
• Qu’as-tu appris lors de la visite ?
• Conseillerais-tu cette visite pour d’autres lycéens ? Pourquoi ?
• Quel lien y a-t-il entre cette visite et le FALC ?
On leur a aussi demandé une photo et un dessin afin de varier les formes de retours. Nous avons eu peu de retours enthousiastes des lycéens, mais les questions qu’ils ont posées lors de la visite (notamment sur les conditions de travail en ESAT) et une évocation de cette sortie plusieurs mois après par des élèves, nous laissent supposer qu’ils en ont gardé quelque chose.
Nous avons appris par la suite qu’une élève a une sœur en I.M.E. Elle connaissait déjà en partie les structures de prise en charge des personnes porteuses de handicap, mais elle a découvert des choses. Je n’avais pas anticipé ce genre d’apport. Cela a été une bonne surprise.
Le choix du sujet et la rédaction
Après la présentation du FALC par l’atelier de l’ESAT, nous avons demandé aux élèves de 1re de choisir un sujet parmi les éléments du programme dans n’importe quelle discipline. Nous avons donc eu :
– Qu’est-ce que la socialisation ? (SES)
– La photosynthèse (SVT)
– Une présentation de l’œuvre de Rimbaud (français)
– Une présentation de l’exposition Bollywood au musée du Quai Branly (anglais)
– Le congrès de Vienne (histoire)
– La société d’ordres (histoire)
– Le mémorial de Drancy (histoire)
– Les origines du conflit Israël-Palestine (histoire).
La consigne pour la classe de 2de était de se répartir en dix groupes de trois élèves. Ensemble, ils devaient remplir une fiche-projet avec la composition du groupe et trois propositions de sujets. Le but étant de permettre aux 2des de transcrire en FALC un texte sur un sujet qui les intéressait.
à la suite des choix des élèves, nous avons sélectionné des documents exploitables par les élèves. Nous avons opté pour des extraits d’articles de Wikipédia. En effet, en tant que professeur documentaliste, j’ai évoqué, avec mes collègues, la question de la propriété intellectuelle. Le FALC est une méthode de retranscription (ou de reformulation), pas une traduction. Dans la mesure où la source du document retranscrit est citée, il me semble normal de penser qu’il pourrait être soumis à la même réglementation. Les textes de Wikipédia sont sous licence creative common, cela levait l’ambiguïté.
Lors de la première séance de travail de transcription, les 2des devaient souligner les mots importants ou compliqués dans le texte. Rétrospectivement, cette consigne n’était pas judicieuse : les élèves se sont concentrés sur le vocabulaire. Cela a permis d’aider les élèves à entrer dans l’exercice, mais cela les a focalisés sur un seul aspect. En 1re, nous avons retiré cette consigne.
Les groupes disposaient d’un pad3. Nous espérions ainsi leur permettre de travailler en autonomie et en dehors des heures de cours sur un support pérenne.
Les difficultés rencontrées par les élèves
Le FALC se développe de plus en plus, mais ce type de projet reste rare et nous avons encore peu de modèles dont nous pouvons nous inspirer. Par exemple, nous n’étions pas capables d’évaluer la taille du document à retranscrire par les élèves. Est-ce qu’une page suffirait ? Serait-ce trop ? Notre faible expérience du FALC ne nous aidait pas à juger de cela. L’atelier FALC n’a pas su nous conseiller sur ce point. En effet, ils n’avaient jamais fait ce genre de travail avec des scolaires. Nous avons donc opté pour un texte d’environ une page.
En 2de, une partie des séances devait avoir lieu sur les heures de français. À cause de l’absence d’une enseignante, nous n’avions plus que trois heures au lieu de cinq, dont une pour la mise en forme du texte.
En passant d’un groupe à l’autre, j’ai pu observer que les élèves avaient très bien mémorisé certaines règles, mais pas d’autres : s’ils étaient tous attentifs à la manière de noter les chiffres, les dates et les quantités, ils l’étaient moins à la préférence pour la forme active ou au fait de s’adresser directement au lecteur.
Au-delà des problèmes de maîtrise de la langue, la hiérarchisation de l’information a aussi posé problème. Si le FALC souhaite ne pas renoncer à la complexité de l’information, cela ne signifie pas qu’il faut tout garder.
L’exercice scolaire était donc gênant : difficile pour nos élèves d’imaginer les besoins en information d’un lectorat-cible inconnu. L’idéal aurait été d’avoir un projet précis de diffusion des productions des élèves.
Il fallait aussi identifier les mots compliqués. Certains mots sont familiers aux élèves, mais ils sont incapables de les définir ou de les reformuler plus simplement. L’usage du dictionnaire leur a paru indispensable. Nous avons pu constater de grandes difficultés, mais aussi une belle ingéniosité. Par exemple, la transcription de « Le chat est un animal territorial » (article de Wikipédia sur le comportement des chats) en « Le chat protège sa maison. »
Les deux règles que j’ai le plus souvent rappelées aux élèves sont :
• Écrivez des phrases courtes
• Présentez une idée par phrase.
Une autre difficulté : un manque d’interlocuteurs
Le projet des 2des devait se terminer par la réalisation d’un livret compilant leurs textes. Malheureusement, le projet n’a pas été mené à son terme. En effet, la difficulté principale a été de trouver du temps pour les corrections avec l’atelier FALC. Chaque groupe devait avoir une heure en visio au CDI. Hélas, l’atelier FALC n’a pas eu les disponibilités prévues. Les productions des élèves ne peuvent aujourd’hui pas avoir le logo FALC car aucun porteur de handicap mental n’a relu leur texte. Les élèves de 2de ont peu adhéré au projet qu’ils ont terminé en décembre. En mars, aucun d’entre eux n’a demandé des nouvelles de la correction. Pour la classe de 1re où l’enthousiasme est réel, nous avons donné un délai supplémentaire pour faire la transcription en espérant trouver de nouveaux correcteurs/relecteurs rapidement.
Bilan
Malgré les difficultés soulignées, le FALC me paraît toujours être un outil pédagogique pertinent pour travailler ensemble le français, l’EMC et l’information-communication. L’impossibilité de faire du copier-coller est l’une des choses qui m’ont séduite dans le FALC. L’élève se voit contraint de comprendre intimement son texte pour le retranscrire à son interlocuteur sans compter sur la bienveillante tolérance des professeurs vis-à-vis des imprécisions. La phrase qui résume le mieux nos séances est « Faire simple c’est compliqué ». Effectivement, l’exercice n’est pas facile, mais il permet de glisser dans l’esprit des élèves et des professeurs l’idée de l’inclusion.
Les difficultés que nous avons rencontrées montrent que des projets qui font un lien entre l’école et le handicap sont encore rares, mais le développement du FALC va sans doute permettre à des passerelles, voire plus, de se créer. Il commence à rentrer dans les pratiques courantes de certaines institutions. Sur les sites du Grand Palais, du centre Georges Pompidou, du musée des Beaux-Arts de Lyon ou encore du muséum de Nantes, vous trouverez des livrets FALC qui peuvent aider à préparer des visites. De même, certaines pages internet du gouvernement bénéficient également de transcription. Ces documents permettent, aux professionnels de l’information que nous sommes, de diversifier les formes que nous pouvons mettre à disposition des élèves.