George Sand à Nohant : la Maison d’une femme libre

Merci à Jean-Luc Meslet, administrateur de la Maison de George Sand, et à Aurore Proudhon, chargée d’actions éducatives, d’avoir répondu à nos questions.

À quelle époque la famille de George Sand a-t-elle acquis ce domaine et dans quelles circonstances ?

Le domaine de Nohant est acheté en 1793 par la grand-mère paternelle de George Sand. La Révolution française revêt un visage de plus en plus sombre et c’est la Terreur qui s’installe. C’est dans ce contexte incertain que Marie-Aurore Dupin de Francueil décide de fuir la capitale, craignant pour sa vie et celle de son fils Maurice. Car bien qu’elle soit une femme éclairée, partageant les grandes idées des Lumières, elle est de sang aristocratique (fille naturelle de Maurice de Saxe, maréchal de France) et risque à tout moment la condamnation. Elle choisit le Berry, région qui se trouve à l’époque à trois jours de voyage de Paris et qui paraît plus sûr. Toutefois, ce choix n’est pas dû au hasard : elle y a vécu des années auparavant, à Châteauroux où son mari exerçait la fonction de receveur des impôts.
Lorsqu’elle achète Nohant, elle acquiert une maison bourgeoise construite récemment (1750-1760 nous n’avons pas de date précise) composée de communs (granges, écurie, bergerie), d’un parc arboré de cinq hectares et de 250 hectares de terre. Cette propriété foncière fait de Marie-Aurore Dupin de Francueil, l’une des personnes les plus aisées de la région.

À quelles périodes George Sand y a-t-elle vécu ?

C’est en 1808 que la petite Aurore Dupin, future George Sand arrive pour la première fois à Nohant. Née à Paris, elle passe les quatre premières années de sa vie en Espagne, où son père, membre de l’armée napoléonienne, est en fonction.
Malheureusement, Aurore fait face à son premier drame familial quelques semaines après son arrivée en Berry : la mort brutale de son père, causée par une chute de cheval. Sa grand-mère prend l’enfant sous sa tutelle et fait tout pour éloigner l’épouse de son défunt fils, qu’elle n’apprécie guère. Sophie-Victoire Delaborde, la maman d’Aurore est issue du peuple et les mésalliances sont encore très mal considérées à cette époque. Aurore est élevée à Nohant et reçoit ce domaine en héritage en 1821, à la mort de son aïeule. Elle y résidera toute sa vie, bien qu’elle occupe entre 1830 et 1847 des logements parisiens pendant les mois d’hiver, afin d’être au plus près de ses éditeurs.
Elle y élèvera ses enfants, ainsi que ses petites-filles, en faisant de Nohant son cocon familial.

Quelles places occupent cette maison et sa région dans l’œuvre de George Sand ?

George Sand n’abordera jamais sa vie, ni même sa maison dans ses romans. Elle laisse place à la fiction, bien qu’elle admette s’inspirer parfois de personnalités qui l’entourent pour créer ses personnages. En revanche, une majorité de ses romans prennent place en Berry (romans champêtres tels que Les maîtres sonneurs, La Mare au Diable, Le Péché de Monsieur Antoine… mais également des romans féministes Nanon, Valentine, Marianne…), région qu’elle a toujours mise en avant, tant pour la beauté de son paysage brut que pour le caractère bourru mais honnête du berrichon.
Toutefois, son autobiographe Histoire de ma vie ainsi que sa correspondance (estimée à 50 000 lettres, 25 000 sont retrouvées à ce jour) sont des mines d’informations concernant sa demeure et la vie qu’elle y a menée depuis l’enfance.

À quelle époque et comment cette maison est-elle devenue un monument national ?

Suite au décès de George Sand en 1876, le domaine est légué à Maurice, son fils, puis à ses petites-filles Aurore et Gabrielle. Ces jeunes femmes connaissent chacune un mariage malheureux et n’ont pas eu d’enfant. Elles décident donc de procéder à une donation, dans le but d’honorer la mémoire de leur grand-mère George Sand. Gabrielle propose en 1908 à l’Académie française de devenir légataire. L’institution accepte mais finit par se rétracter. Finalement, le legs s’effectue sous Aurore, dix ans avant sa mort en 1952, auprès de l’État français. Aurore réside à Nohant jusqu’à son décès en 1961. C’est directement après la mort d’Aurore que cette maison devient monument d’État ; elle est depuis ouverte au public et a connu de grandes campagnes de restaurations. Aujourd’hui une majorité des salles sont ouvertes à la visite.

Le mobilier est-il le sien ?

Le mobilier de la maison est celui avec lequel George Sand a évolué au sein de la maison. Le mobilier du rez-de-chaussée, remonte, dans sa majorité, à l’époque de sa grand-mère. Lorsque cette dernière quitte Paris dans la précipitation, elle décide d’emporter ses meubles afin d’avoir la possibilité de les vendre en cas de difficultés financières.
Le mobilier de l’étage est plus récent et date de la seconde moitié du XIXème siècle, lorsque George Sand engage de grands travaux de réfection afin de réaménager les chambres.
Le monument est très riche tant par la quantité que la qualité de son mobilier.

 

Domaine de George Sand / Centre des Monuments Nationaux

 

Chopin a vécu plusieurs années à Nohant, comment s’est passé son séjour, quelles œuvres y a-t-il composées ?

Frédéric Chopin rencontre George Sand en 1836, mais sa première impression est faussée, sans doute en raison des préjugés qui entourent l’auteure. La pratique d’un métier réservé à la gente masculine, la liberté et les choix de vie de George Sand entachent son image. Chopin apprendra à connaître la romancière et deux ans plus tard, ils engageront une relation amoureuse qui durera neuf ans.
Chopin passe alors ses étés en compagnie de George Sand à Nohant pour composer et se reposer. Ils passent leurs hivers à Paris où le compositeur donne des concerts et George Sand rencontre ses éditeurs. Ils entretiennent dans la capitale une vie plus mondaine entre théâtres et salons parisiens.
Au total, on dénombre sept séjours (de six à sept mois) en Berry. Ses journées sont consacrées au travail, il s’isole dans sa chambre et n’en sort que pour les repas. Chopin, artiste très perfectionniste peut consacrer des semaines à la même composition, la remanier pour revenir parfois à son état initial. George Sand écrit que le compositeur est assez difficile à vivre lorsqu’il est en panne d’inspiration, car la moindre contrariété le rend irritable.
Frédéric Chopin aime Nohant, l’environnement lui rappelant sa Pologne natale mais s’en lasse aussi très vite car la routine l’ennuie. Il y composera 2/3 de son œuvre (une trentaine de compositions), en s’inspirant de ses émotions, de la musique traditionnelle berrichonne, des événements qui ponctuent sa vie.
Furent réalisées par exemple l’intégralité des opus 35 à 64 (sauf les 38, 40, 42, 46), trois études opus posthume, la valse opus 70 n° 2.

Quels sont les autres artistes qui y séjournèrent ?

George Sand fait de Nohant un haut lieu de la culture, à l’instar des salons parisiens. Elle n’y invite cependant que ses amis, pour qui elle témoigne un véritable intérêt. L’élite artistique et politique du XIXème siècle a séjourné à Nohant. Eugène Delacroix, Pierre Leroux (père du socialisme), Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Juliette Adam, Pauline Viardot, Liszt et Marie d’Agoult font partie de ces invités de prestige. Nohant devient alors une véritable résidence artistique où chacun séjourne plus ou moins longtemps (en fonction de leur temps de trajet) et continue ses activités professionnelles artistiques.

Comment se déroulaient les journées de George Sand à Nohant ?

Les journées de George Sand à Nohant sont relativement organisées et surtout chargées. Travaillant la nuit, elle dort jusqu’à environ 11 h, 11 h 30 du matin. Elle rejoint ses invités qui ont déjà déjeuné, « la tête enfumée » comme elle a l’habitude de le dire. Les repas sont pris en général plus tôt  : 10 h 30 pour le déjeuner et 17 h pour le dîner car la vie de l’époque est réglée au rythme du soleil (ce qui permet notamment d’économiser l’éclairage).
L’après-midi est réservé aux occupations telles que le jardinage, la fabrication des costumes pour le théâtre de marionnettes de son fils, le dessin, l’instruction de ses petites-filles, l’étude des sciences naturelles…
Après le dîner tout le monde se rejoint au salon. Au programme : jeux de société, lecture à haute voix, imitation, musique…
Vers 23 h, chacun retrouve ses quartiers et George Sand se remet à son travail d’écriture. C’est une habitude prise par l’écrivain depuis le début de sa carrière, le calme de la nuit lui permet de se concentrer pleinement et de trouver l’inspiration. Pour se maintenir éveillée, George Sand boit du café et fume des cigarettes grattant le papier jusqu’à 5-6 h du matin !

 

Domaine de George Sand / Centre des Monuments Nationaux

 

Pourquoi y fait-elle construire un théâtre puis un théâtre de marionnettes ?

Les théâtres sont installés à Nohant dans les années 1850. Passionnée par cette pratique et ne pouvant pas en profiter autant qu’elle le souhaiterait (car le théâtre le plus proche est à Châteauroux, à 3 h de diligence), elle décide de créer deux scènes dans sa maison. Une scène pour « le théâtre des vivants » et un castelet pour les marionnettes de Maurice, « les acteurs en bois ».
Les occupations quotidiennes peuvent vite être routinières et le théâtre va venir chambouler le quotidien de Nohant. Ces représentations sont autant travaillées que dans un théâtre professionnel. L’accent est mis sur les décors, les costumes, la musique. Les répétitions et les représentations étant réalisées dans une ambiance chaleureuse et familiale. Des affiches et des invitations sont créées permettant de convier les amis du village et de La Châtre.
George Sand y expérimentera ses pièces de théâtre avant de les présenter à l’Odéon à Paris. Quant à Maurice, il ne vivra jamais financièrement de son talent de marionnettiste, souhaitant garder cette pratique dans le cadre familial et amical aussi bien à Nohant qu’à Paris.

Scandaleuse, féministe et politique en quoi est-elle une femme moderne ?

George Sand est une femme moderne en tout point. La mauvaise réputation qui lui colle à la peau est davantage due à ses nombreux détracteurs, qui, pour la discréditer, lui ont attribué une petite vertu. En réalité, ce sont les libertés que George Sand s’octroie qui agacent. Il est nécessaire de rappeler que le XIXème siècle est le siècle patriarcal par excellence. Suite aux libertés acquises par les femmes lors de la Révolution française, le XIXème siècle opère malheureusement un retour en arrière saisissant avec comme support le Code civil napoléonien. La femme doit être soumise à l’autorité paternelle puis maritale, faire des enfants et rester à sa place, dans l’ombre de son foyer.
George Sand, élevée par une grand-mère éclairée et ayant reçu une instruction riche, brise, tout au long de sa vie, les conventions. Elle dénonce dans ses écrits le statut scandaleux auquel est soumis la femme : être réduite à être mineure toute sa vie (et donc ne pas disposer de son libre arbitre et de ses choix), ne pas disposer du même droit que son mari sur ses enfants, ne pas recevoir une instruction suffisante (maintenant les femmes dans l’ignorance et permettant un meilleur contrôle sur elles), ne pas pouvoir divorcer, être soumise à une police des mœurs incessante et ne pas pouvoir exercer le métier de leur choix.
En préférant un métier réservé exclusivement aux hommes, George Sand brise les codes et devient la première femme à vivre de sa plume. Elle est également la première femme à gagner un procès en séparation et à obtenir la garde de ses enfants.
Ses engagements socialistes et républicains font d’elle une personnalité novatrice, ayant contribué à l’évolution des mentalités au sujet des droits des femmes et ceux du peuple. Ses nombreux écrits et la rédaction de journaux socialistes viennent appuyer ses engagements envers les personnes les plus démunies de la société du XIXe siècle.

Quelles œuvres peut-on conseiller à des collégiens et à des lycéens ?

L’avantage de l’œuvre sandienne est son accessibilité grâce à un style simple et des histoires poignantes. Afin d’éveiller l’envie de lire des écrits de George Sand chez les adolescents, nous conseillons dans un premier temps de commencer par le corpus Les Légendes rustiques. Cette œuvre, peu connue aujourd’hui, est un recueil de douze légendes berrichonnes portant sur les coutumes et croyances de l’époque. Sand connaît parfaitement ces histoires, qu’elle entend depuis son enfance lors des veillées données par les habitants du village. Dans une démarche ethnographique, elle tient à poser par écrit ces légendes, qui, selon elle, caractérisent le patrimoine berrichon et sont vouées à disparaître avec l’instruction du peuple.
Dans un second temps, il est intéressant de relire les romans féministes, longtemps mis de côté, afin d’en saisir le caractère revendicateur et comprendre l’avancée de la société actuelle en comparaison à celle du XIXème siècle : Indiana, Valentine, Gabriel (très intéressants également pour aborder la tolérance).

Quelles biographies ou études sur George Sand sont-elles incontournables ?

Pour un public averti, le livre de l’historienne Michelle Perrot, George Sand à Nohant est un fondamental. À cela s’ajoute la biographie de Joseph Barry (bien que datant des années 80) George Sand ou le scandale de la liberté, et la page Wikipédia sur l’auteure est extrêmement bien renseignée, puisqu’elle est rédigée par les membres de l’association Les amis de George Sand. Pour les plus jeunes, une biographie vient de paraître afin qu’ils abordent cette forte personnalité George Sand, non aux préjugés.

Quelles sont les actions éducatives proposées aux scolaires ?

Le monument propose une offre éducative variée et destinée à chaque niveau scolaire, afin de correspondre un maximum avec les différents programmes en vigueur. À cela s’ajoute toute une série d’ateliers pédagogiques, artistiques, littéraires ou encore historiques.
Pour connaître les différentes propositions, vous pouvez consulter l’offre éducative sur la page « Maison de George Sand » sur le site du Centre des Monuments Nationaux :
http://www.maison-george-sand.fr/Espace-enseignant

 

Domaine de George Sand / Centre des Monuments Nationaux