Découvrir l’Histoire en mangas

Les temps anciens : des titres remarquables

Même si des périodes plus récentes sont plus souvent abordées dans les mangas historiques, il existe tout de même quelques titres remarquables situant leurs intrigues au cœur de civilisations anciennes.
Pour commencer, le manga Reine d’Égypte de Chie Inudoh revisite en 8 volumes en français (le 9e et dernier est à paraître) l’un des épisodes de l’une des civilisations les plus anciennes. La reine d’Égypte du titre n’est pas celle que l’on attend, mais Hatchepsout, qui aurait vécu entre 1508 et 1457 avant notre ère. L’œuvre relate ainsi le parcours de cette reine et son combat pour s’affranchir des règles et devenir elle-même pharaon de la XVIIIe dynastie. Cette fresque historique, de son mariage avec son demi-frère Séthi à son règne mouvementé, s’avère très documentée et reproduit cette époque de façon particulièrement prenante.
De son côté, Kingdom de Yasuhisa Hara situe son action dans la Chine ancienne. Cette longue série encore en cours, composée pour le moment d’une soixantaine de volumes, raconte la rencontre d’un orphelin avec le futur empereur Shi Huangdi et l’amitié qui en découle. Au fil des tomes, le lecteur suit les deux personnages qui vont évoluer au cœur de l’État de Qin et affronter de nombreux combats pour faire revenir la paix.
Pour découvrir l’Empire romain au tout début de notre ère, il faut lire la série Bestiarius. Elle relate en 7 tomes le quotidien de gladiateurs, contraints d’affronter des animaux féroces pour distraire l’empereur et le peuple romain. Si l’ensemble de la série est axé sur la rébellion de ces forçats, chaque volume s’intéresse plus particulièrement à l’un d’eux et en dévoile le destin. Les libertés que prend ici l’auteur quant aux mythes et légendes relatés font tout l’intérêt de cette œuvre, tout comme sa capacité à mêler les genres historiques, fantastiques, et mythologiques.
Enfin, La Vie de Bouddha nous emmène en Inde, il y a 2 500 ans, sur les traces du prince Siddhârta, que l’on connait aujourd’hui sous le nom de Bouddha. Au cours des 8 volumes proposés par un mangaka de référence, Osamu Tezuka, les lecteurs suivent le parcours du personnage depuis sa naissance (et même avant celle-ci) jusqu’à son accession au statut de Bouddha, et comprennent ainsi de quelle manière il a pu devenir une quasi-divinité. Une série servie par une narration à la fois accessible et passionnante.

Les combattants japonais

Bien sûr, les mangas sont aussi l’occasion de s’intéresser à l’Histoire japonaise, et notamment aux samouraïs et autres combattants ou chefs de guerre qui participent à l’imaginaire collectif lié à ce pays.
Le Moyen-Âge japonais, qui s’étend du XIIe siècle au XVIe siècle, inspire particulièrement les mangakas. Hoîchi, la légende des samouraïs disparus, par exemple, suit Hoîchi, un musicien aveugle qui raconte en chanson l’une des plus grandes batailles qui eut lieu au XIIIe siècle et qui vit s’affronter dramatiquement deux clans de samouraïs. Inspiré des contes japonais, ce manga met en scène avec talent les Yôkai, des esprits vengeurs issus du folklore nippon qui viennent s’en prendre aux vivants.
Au XIIIe siècle également, Angolmois : Chroniques de l’invasion mongole s’intéresse, en 8 volumes traduits (10 en version originale), à un autre aspect de l’Histoire japonaise en axant son récit sur un groupe de prisonniers envoyés en première ligne pour affronter les envahisseurs mongols.
De son côté, Le Tigre des neiges, fresque historique d’Akiko Higashimura, relate la vie d’un grand chef de guerre japonais ayant vécu au XVIe siècle et au sujet duquel un doute, quant à son genre, subsiste dans les archives. Ici, la mangaka part donc du principe qu’il s’agissait d’une femme et raconte son histoire et son ascension comme telle, tout en détaillant régulièrement les éléments historiques qui semblent valider cette thèse. Une série remarquable dans sa manière de lier l’Histoire à des mises en scènes intelligentes, avec ses personnages particulièrement bien construits et ses touches d’humour.
La fin de la période médiévale est un passage important dans l’histoire des samouraïs et pour la place qu’ils occupent désormais dans la société japonaise. C’est le propos du manga Kenshin le vagabond, qui situe son action au milieu du XIXe siècle, dans l’Empire du Japon, alors que le Moyen-Âge s’achève et que débute l’ère de l’industrialisation. Dans cette série magistrale de 28 volumes, nous suivons Kenshin, un samouraï victime de ce changement de société, qui a désarmé ses combattants et qui privilégie le commerce à la guerre. Notre héros se transforme donc en vagabond, se déplaçant sans attache dans tout le pays et vivant de nombreuses aventures.

Histoire européenne

Comme le prouve la production éditoriale, les mangakas s’intéressent également à divers pans de l’Histoire européenne, dont voici quelques exemples.
Vinland Saga, notamment, place son récit autour de l’an 1000 et immerge le lecteur dans l’histoire scandinave. On y suit Thorfinn, dont le père a été tué par un chef de guerre, dans sa quête de vengeance. Enchaînant les combats et s’affirmant au fil des ans, le jeune viking devient un combattant redouté. Pour l’aspect historique, même si le récit prend certaines libertés avec la chronologie et la cohérence, on y croisera tout de même des personnages et des batailles vikings véridiques.
Si l’on avance dans le temps, nous pouvons évoquer la période de la Renaissance, avec Arte de Kei Ohkubo, série qui compte actuellement 12 tomes traduits et dont la publication est encore en cours. Ce manga s’intéresse à la place des femmes dans la société du début du XVIe siècle, en mettant en scène une jeune aristocrate rêvant de devenir artiste peintre, mais qui fait face aux injonctions de l’époque selon lesquelles une jeune femme de son rang ne peut pas travailler. Un manga enjoué et riche, qui permet de découvrir l’Italie – plus particulièrement Florence – de la Renaissance.
Un peu plus proche de notre époque, le XIXe siècle attire aussi les mangakas. La série Emma, en cinq volumes, nous emmène dans l’Angleterre de l’époque victorienne, sous prétexte d’une histoire d’amour impossible entre Emma, domestique, et William, fils de bonne famille. Même siècle, mais autre contexte, l’adaptation du Capital de Karl Marx nous plonge en deux volumes dans la fin du XIXe siècle et la révolution industrielle en Europe. Une manière de découvrir à la fois la vie ouvrière de l’époque et d’aborder plus facilement l’œuvre de Karl Marx et ses théories économiques.

Le XXe siècle : la violence des conflits

Dans les mangas, le XXe siècle se retrouve principalement à travers ses conflits et leurs conséquences, permettant de donner une autre perspective à l’Histoire récente de certaines régions du monde et plus particulièrement de l’Asie.
En 1937, une partie de la Chine est envahie par l’armée impériale du Japon, déclenchant la seconde guerre sino-japonaise qui dura huit ans. C’est dans ce contexte que se déroule La Balade de Yaya, lors d’un exode massif de la population fuyant les combats. La rencontre de deux enfants issus de milieux différents, qui dans un autre contexte n’auraient jamais dû être amis, constitue le point de départ de cette série en 9 volumes. Le récit suit leur périple à travers la guerre au prisme de leur amitié, avec innocence et intelligence.
À peu près à la même période, mais dans une autre région du monde, L’histoire des 3 Adolf d’Osamu Tezuka démarre en 1936 aux Jeux Olympiques de Berlin et court jusqu’au début du conflit israélo-palestinien, en passant par la Seconde Guerre mondiale. Mêlant faits historiques et fiction, ce manga fleuve se base sur une rumeur laissant entendre que Hitler aurait eu des origines juives. Cette fresque est aussi celle d’une amitié entre deux enfants, tous deux prénommés Adolf, l’un juif et l’autre fils d’un haut dignitaire nazi.
La Seconde Guerre mondiale est un sujet important dans le paysage éditorial des mangas, et particulièrement les événements liés à la bombe atomique. Ainsi plusieurs mangakas situent leurs œuvres dans Hiroshima, par exemple Gen d’Hiroshima, une série en 10 tomes qui dépeint le quotidien des Japonais pendant la guerre. À travers le regard d’un jeune garçon pauvre dont la famille est harcelée à cause des convictions pacifistes du père, le lecteur découvre cette époque où le soutien à l’effort de guerre semble primordial pour la plupart des Japonais. C’est à la fin du premier tome que le bombardement survient, dépeint dans un style naïf qui caractérise le point de vue de l’enfant mais qui n’efface pas l’horreur. Le Pays des cerisiers de Fumiyo Kouno de son côté se déroule plusieurs années après la catastrophe et s’intéresse aux conséquences psychologiques, physiques et familiales de l’événement sur les habitants rescapés. Grâce à trois courtes histoires, dans lesquelles on suit des enfants et des jeunes adultes ayant perdu des membres de leurs familles en même temps que leur innocence et leurs rêves, l’auteur dresse le portrait d’une jeunesse dévastée par cet épisode d’une violence inimaginable.
Enfin, Akira Fukaya met l’accent dans son manga Enfant-soldat sur les massacres perpétrés par les Khmers rouges dans les années 1970 au Cambodge. À travers le destin d’un orphelin de 10 ans contraint de rejoindre les rangs de l’armée de Pol Pot, l’auteur revient sur cette période marquée par la guerre civile puis par le conflit entre le Vietnam et le Cambodge.

Regard social sur l’Asie

Pour terminer, le manga historique est aussi l’occasion de porter un regard sur les évolutions sociales d’un pays. Une vie chinoise, par exemple, série en trois volumes, observe les mutations de la société chinoise depuis les années 1950 et la révolution culturelle de Mao Zedong jusqu’aux années 1980 et l’émergence de la Chine moderne. On suit en parallèle Xiao Li, né de l’union de deux camarades du parti communiste, et l’évolution politique et sociale du pays. Traversant ainsi le Grand Bond en avant et la grande famine, les injonctions du Petit Livre rouge, la mort de Mao, la politique d’ouverture et les réformes, c’est l’histoire de toute une génération qui est racontée.
Enfin, autre génération dans un autre pays, celle des mouvements étudiants de 1968 au Japon est au cœur du manga Unlucky Young Men. Ici les personnages se retrouvent dans un bar à l’ambiance révolutionnaire et évoquent les universités en grève, les affrontements avec la police et même les attentats terroristes. Grâce à un scénario proche du polar, l’auteur nous emmène au cœur de la jeunesse révoltée de Tokyo et parvient à ancrer son récit dans la chronique sociale de l’époque.

Comme le montre ce panorama non exhaustif du manga historique, ce genre regorge d’œuvres exigeantes et extrêmement riches. Permettant au lectorat occidental de s’intéresser à des époques et des contextes peu ou pas connus ou bien de découvrir un autre point de vue sur des pans historiques qui nous concerneraient plus, c’est un media particulièrement enthousiasmant pour allier divertissement et connaissance du monde.