Romans de genre 1/2 les romans gore

De la même manière qu’il existe des films de genre1, c’est-à-dire des films qui jouent avec des codes bien établis, que ce soit pour les suivre, les détourner ou les dépasser, il existe des romans de genre, et bien sûr des romans de genre ados. Par genre, nous entendrons ici des univers qui évoquent tout de suite une ambiance : le western, la science-fiction, etc. Et dans ces pages, ce sont les bas-fonds du genre que nous vous invitons à explorer à l’occasion de deux Thèmalire consacrés respectivement aux romans gore et érotiques. Ces romans sont difficiles à acheter et délicats à placer entre toutes les mains, sous peine de représailles parentales et/ou pédagogiques, et pourtant il serait dommage de se priver de ces textes, qui plaisent aux adolescent.es avides de sensations fortes, notamment au lycée. À vous de jouer !
Ce premier volet sera donc consacré aux romans gore : de l’anglais gore signifiant « sang » voire « sang séché », au cinéma il désigne un sous-genre du film d’horreur qui consiste à montrer en gros plan des scènes sanglantes, des membres arrachés, des tripes à l’air, dans le but de susciter l’horreur, le dégoût, mais aussi le rire quand les effusions de sang deviennent grotesques. Attention, nous parlerons bien ici des textes précisément gore, qui relèvent de ces codes, et pas de récits d’horreur2. Si le gore, par effet de miroir, sert parfois une réflexion sur les dégâts produits par les hommes, il arrive qu’il soit totalement gratuit et devienne le ressort même d’un texte. Le plaisir est alors purement celui de l’écriture, et rencontre un succès constant auprès des ados.

Les zombies

Dans les romans ados, l’élément gore le plus fréquent est le zombie. Ce mort-vivant mangeur insatiable de chair humaine est l’incarnation de l’horreur du monde, une vision déformée et hideuse de l’être humain. Toutefois, ne nous y trompons pas, le véritable monstre n’est pas la goule décérébrée, mais bien la société qui l’a créée.
Avant de nous lancer dans les romans ados, il me semble important de mentionner une référence en matière de romans de zombies, à savoir World War Z de Max Brooks. Rien à voir avec le (mauvais) film qui en a été tiré, ce roman, encensé par la critique, utilise l’argument de l’invasion zombie pour dénoncer les travers de notre société : la cupidité, les dérives des multinationales, l’incapacité des gouvernements à gérer des crises d’ampleur… Le narrateur est un journaliste qui interroge les protagonistes de la grande guerre des zombies qui s’est terminée quelques années auparavant. Ces récits sont entrecoupés de descriptions répugnantes d’attaques de zombies, pour mieux souligner l’ampleur et l’horreur de la catastrophe. Pour le lycée, où il saura sûrement trouver son public !
Le comic Walking Dead, puis la série télévisée, reprennent également ces codes, en ne nous épargnant aucun détail. Une fois encore, l’horreur inspirée par les corps putréfiés n’est qu’un prétexte pour montrer les horreurs perpétrées par les vivants, qui sont seuls responsables de cette calamité.
Pour les ados, on retrouve les zombies comme symptômes des dérives de la société dans plusieurs titres. Dans Les Contaminés, Yves Grevet fait se confronter quatre ados aux zombies devant les caméras d’une télé-réalité macabre. On a ici quasiment les ingrédients d’un snuff-movie, ces vidéos de violence en direct, pour dénoncer les dérives de la télé-réalité qui met les gens en danger. Pour une action plus classique, mais très efficace en matière d’horreur, voici Métro Z. de Fabien Clavel. Emma est coincée dans un métro qui, à la suite d’une explosion, va se mettre à grouiller de zombies lents, apathiques, mais très dangereux. Elle va devoir mobiliser tout son courage pour sortir de là, d’autant que son frère Natan, par ailleurs autiste, a disparu dans les couloirs.
Chaos et fin du monde encore pour Les Proies d’Amélie Sarn. Un virus se répand et provoque une épidémie incontrôlable. Cette fois-ci, on ne retrouve pas de dénonciation explicite, mais plutôt un jeu avec les codes des zombies et une bonne dose de dégoûtant.

Gratuité de l’horreur

Zombies et virus dégoûtants comme métaphore d’un monde violent et en déliquescence, pourquoi pas. Mais le gore gratuit ? Que faire avec ? Comment appréhender ces ouvrages où le luxe de détails anatomiques devient quasiment insoutenable, et surtout sans qu’on sache pourquoi on nous inflige ça ?
Le scénario n’est là que pour mettre des personnages dans une situation où ils risquent les pires des exactions. L’auteur Guillaume Guéraud affectionne particulièrement ces situations. Dans le roman Déroute sauvage, un car de lycéens rentre d’un voyage scolaire en Espagne. Alors qu’ils traversent les Pyrénées la nuit, le car fait une sortie de route et s’écrase dans un ravin. Les survivants sont alors pris en chasse et tués, sans qu’on sache réellement pourquoi… Tous les ingrédients du gore sont réunis : les descriptions détaillées des tortures subies, la terreur pure des ados blessés et traqués. Et surtout, pour nous, lecteurs, c’est le frisson et l’incompréhension : pourquoi nous fait-il subir ça ? Et le pire, c’est qu’on ne le saura jamais… En 2015, sort le roman Plus de morts que de vivants, au scénario encore plus mince : dans un lycée de Marseille, des lycéens sont contaminés par un virus mystérieux qui les fait littéralement éclater sous les yeux de leurs camarades, avec un luxe de détails. Cervelles qui se répandent, mâchoires brisées, tripes qui explosent, rien ne nous est épargné. Ces descriptions sont entrecoupées par des mails ou des coups de fil d’adultes impuissants qui témoignent de l’inutilité des actions face à l’horreur. Une fois de plus, pourquoi ? on ne le saura pas. Est-ce pour le plaisir d’offrir au lecteur une expérience sanglante sans conséquences, qui le confrontera à ses propres limites ?
Les éditions Scrinéo ont sorti une collection assez efficace, judicieusement intitulée Roman d’horreur. On notera dans cette collection le roman de Nadia Coste, Seuls les alligators vous entendront crier. Des élèves de 3e partent en voyage à la Nouvelle-Orléans et entre le bayou, le vaudou et les fameux alligators, ça dégouline bien et gare à ceux qui ont peur des bêbêtes !
Le roman de Marine Carteron, Dix, propose une variante moderne du roman d’Agatha Christie Dix petits nègres : dix personnages sont envoyés sur une île, officiellement pour un jeu de télé-réalité, en vrai pour un jeu de massacre où tous mourront à cause de ce qu’ils ont fait au narrateur. Leur mort est décrite précisément et nous interroge sur la notion de pitié et de vengeance : jusqu’où peut-on aller pour se venger ? Vouloir la mort de quelqu’un, le voir souffrir, voir le sang couler, la peau brûler… Alors gratuit ici le gore ? Pas si sûr.
À la limite du genre, nous trouvons la série U4. Grand succès auprès des adolescents, mais aussi des adultes, cette série raconte un monde dévasté par un virus qui a tué les adultes, ne laissant que des bandes de jeunes qui tentent de survivre tant bien que mal3. Les cadavres et les rats plantent un décor d’apocalypse qui rend, par contraste, la situation des jeunes encore plus désespérée.
Toujours répugnante, mais ici franchement humoristique, la série Game Over de Midam, spin-off de sa série à succès Kid Paddle, relate les aventures du petit héros de jeux vidéo poursuivi par les affreux Blorks, et ça se finit invariablement dans une explosion de tripes : Game over ! C’est vraiment le gore grotesque et rigolo qui est convoqué ici.
Nous laissons volontairement de côté les mangas. En effet, l’offre est pléthorique et le manga gore est un genre très développé mais, d’une part, il est plutôt à destination des adultes, et, d’autre part, il est en général si cru que les professeurs documentalistes ne souhaitent pas l’acquérir, considérant que ce type d’ouvrage, difficilement soutenable, n’a pas sa place dans un CDI.

Finalement, pas si facile de trouver du gore dans la littérature ado4. Pourtant, comme le fait remarquer Guillaume Guéraud, c’est un genre qui marche bien au cinéma, et dont les ados sont friands. Mais peut-être est-ce justement parce que c’est un genre très visuel, que l’écriture peinerait à rendre, là où elle excelle au contraire dans la suggestion, le non-dit, bien plus effrayants finalement ? Ou peut-être tout simplement parce que la gratuité de l’horreur a du mal à passer la barrière de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse… Quoi qu’il en soit, c’est un genre qui plaît, par son aura de transgression, et qui, lorsque la qualité littéraire est au rendez-vous, trouve toute sa place dans les CDI.

 

 

Entretien avec Guillaume Guéraud

C’est notamment après la lecture de ses ouvrages qu’est née l’idée de ce Thèmalire. Guillaume Géraud propose des textes parfois qualifiés de « dérangeants », au succès pourtant indéniable auprès de ses lecteurs, qui interrogent les prescripteurs… Retour sur une conversation téléphonique où il a été question de cinéma, d’adolescents mous du genou et d’odeur de soufre.

HZ : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire des romans gore ?
GG : D’abord parce que j’en avais envie. J’ai un goût pour les romans noirs, et j’ai l’habitude d’écrire des romans plutôt violents. Je suis assez fan des films d’horreur, c’est difficile de trouver un film qui fait vraiment peur ! Je vais toujours les voir au cinéma, et je constate que le public est souvent adolescent. Ils aiment ces films. Dans les romans, je prends tous les ingrédients du genre, comme dans le film La Colline a des yeux. Attention, pas de parodie ! Je ne veux surtout pas faire de parodies.

HZ : Parlons de Déroute sauvage.
GG : Ce titre, j’ai voulu l’ancrer dans une certaine réalité ; je me suis renseigné, ils font un voyage en Espagne en 4e. J’ai intercalé des faux bulletins, des mails, etc. Après, je crois que les lecteurs ne voient pas l’hommage, car ils n’ont probablement pas vu les films, mais en l’écrivant moi je pense à des films comme Wolf Creek ou Massacre à la tronçonneuse. Mais attention, il n’y a pas de méchant qui se relève à la fin ! Ça c’est nul. Par contre, oui, comme dans les films, il y a une volonté de secouer le lecteur.

HZ : Parlons de Plus de morts que de vivants. Ce titre, il est quand même bien gore ; on se demande un peu pourquoi vous nous infligez ça !
GG : Oui, celui-là il est plus gratuit que Déroute sauvage. J’avais envie de raconter quelque chose qui se passe dans un collège. J’avais visité un collège et ils étaient tout mous ; j’avais envie qu’il leur arrive des trucs ! Là, ça fait plus écho à des films de virus, comme The cruise, ou Infectés. Je me suis inspiré du virus Ebola aussi : dans le livre, ça s’appelle Isola. Une des lectures que je pourrais donner, c’est que ce virus symbolise le racisme. Ça isole, ça se passe à Marseille, c’est un genre de virus qui gangrène… Et puis j’ai une facilité pour écrire des scènes violentes ou sanglantes, ce qui me permet aussi d’être un peu original dans la production ado.

HZ : L’intérêt du gore, c’est que c’est gratuit. Les zombies, eux, souvent, portent un message : ils représentent un fléau de la société où, finalement, les monstres, ce sont les êtres humains.
GG : Il y a de ça. Moi je n’écris pas d’histoires de zombies. Au cinéma, il n’y a que La Nuit des morts-vivants, de Romero, qui est bien. Franchement, je trouve ça nul, comme monstres, les zombies ! Ils sont super lents, pas effrayants. S’il y a un jour une invasion zombie, moi je n’ai pas peur : ils sont tellement lents, je les dégomme et c’est tout ! Mais c’est un élément de la culture populaire, c’est pour ça qu’il y en a partout. Avec le gore, l’horreur, le plus difficile, c’est le dosage. Si on exagère, ça suscite le rire, pas la peur, et ce n’est pas ce qu’on veut.

HZ : Que diriez-vous aux professeur.es documentalistes qui craindraient des réactions des parents d’élèves, ou qui pensent que ces ouvrages ne sont pas appropriés ?
GG : Ils font comme ils veulent. Moi, j’écris pour les collégiens. Il y a des profs docs qui achètent mes livres, et c’est bien, d’autres qui n’achètent rien de moi parce que j’ai une réputation sulfureuse depuis Je ne mourrai pas gibier. Chacun fait ce qu’il veut. Après si on m’invite, moi je viens hein ! Invitez-moi !