Ivan Illich, c’est le parfum sulfureux de la remise en cause de toutes les institutions créées par la société occidentale par un esprit extraordinairement affûté et prolifique.
Né en 1926 à Vienne, sa famille doit fuir l’Autriche lors de l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en mars 1938) en raison des lois raciales. En effet, si le père du jeune Ivan est catholique, sa mère est juive. La famille se réfugie en Italie, où le père meurt. Ivan Illich suit des études et obtient un doctorat d’histoire à l’Université de Salzbourg. Il devient prêtre de l’Église catholique. En 1951, il rejoint les États-Unis, traverse l’Amérique latine et s’attache au Mexique où il fonde, dix ans plus tard, le Center for Intercultural Documentation (CIDOC) à Cuernavaca. Durant presque deux décennies, le CIDOC sera un lieu brillant de rencontres, d’échanges et de productions intellectuelles. Plus tard, internationalement reconnu, défroqué, et refusant la célébrité acquise, Ivan Illich rejoint Brême pour y mourir en 20021.
Polyglotte, il parle couramment, l’allemand, l’anglais, l’italien, l’espagnol et le français. Outre le latin et le grec, il apprend le serbo-croate, l’hindi et le portugais. C’est aussi un esprit universel ayant suivi des études scientifiques en cristallographie, en philosophie et en histoire. Il imprime sa marque dans le débat des idées imposant des termes comme : « autonomie », « convivialité », « contre-productivité » voire « déprofessionnalisation » et « désinstitutionnalisation. » Ses livres marquent de nombreux intellectuels et alimentent le débat idéologique autour de la naissance d’une prise de conscience écologique. La Convivialité2, Le Travail fantôme3, Énergie et Équité4, Némésis médicale5 et 6, Le Chômage créateur7 ouvrent pour chacun d’entre eux des pistes de pensée et de réflexion au point que, dès 1970, il est recherché pour ses conseils par de grands dirigeants politiques comme Indira Gandhi, le shah d’Iran, Pierre Trudeau, le président péruvien Juan Velasco ou encore Georges Pompidou (Président de la République française de 1969 à 1974)8. Brusquement, entre 1978 et 1980, il clôt le CIDOC et se retire plus ou moins du monde médiatique déclarant que le temps des « pamphlets9 » est terminé et qu’il préfère se consacrer à l’observation, à l’analyse critique et à ses amitiés. Jusqu’à sa mort en 2002, il mène une longue lutte idéologique pour que les personnes ne soient pas réduites à une mesure abstraite, à une courbe statistique et pour que nulle séparation ne soit introduite entre l’esprit et la chair10. Toutefois, il reste une voix écoutée et nous verrons que des auteurs peuvent être considérés comme les fils spirituels d’Ivan Illich.
Avant de passer à l’étude de l’ouvrage en question, il faut revenir très rapidement sur deux points importants de la vie d’Ivan Illich. Il est croyant, profondément chrétien et attaché au message biblique et s’en réclamait constamment, même après avoir quitté ses fonctions sacerdotales. D’ailleurs, il reconnaîtra la forte influence exercée sur son parcours et sur son œuvre par un autre intellectuel chrétien : Jacques Ellul11. Lors d’un hommage à l’intellectuel français, Ivan Illich s’exprime ainsi : « Je me suis efforcé de vous suivre dans un esprit de filiation, avec tous les faux pas que cela implique.12 »
Le contexte historique
Deschooling Society a été publié en 1971 dans la collection World Perpectives par Ruth Nanda Ashen, édition prestigieuse regroupant de grands penseurs comme Raymond Aron, René Dubos, Erich Fromm, Werner Heisengberg, Marshall McLuhan, Lewis Mumford et Denis de Rougemont. Le livre d’Ivan Illich a été immédiatement traduit aux éditions du Seuil par Gérard Durand, sous le titre Une société sans école13. À mon sens, ce titre trahit quelque peu la pensée de l’auteur, il me semble que l’intitulé « La société déscolarisée » aurait été plus approprié. Ce livre de 219 pages arrive à un moment crucial dans un monde secoué par des contestations estudiantines ébranlant la stabilité de sociétés bien établies comme la France gaulliste, les États-Unis dans le camp occidental et la Tchécoslovaquie dans le camp communiste. En 1968, la jeunesse de ces pays se révolte, cherchant le moyen de les transformer en profondeur tant aux États-Unis, englués dans une nouvelle guerre au Vietnam, qu’en Tchécoslovaquie, où le réformateur Alexandre Dubcek s’appuyant sur la jeunesse voulait construire un socialisme à visage humain. Dans notre pays, la révolte étudiante de mai 1968 et les grandes grèves ouvrières qui ont perpétué le mouvement durant un long mois ont abouti d’une part aux accords de Grenelle entre le Gouvernement et les syndicats, d’autre part à la loi Faure (du nom de son porteur, Edgar Faure) qui devait transformer l’enseignement supérieur avec la disparition du « mandarinat », accordant une certaine autonomie aux établissements universitaires et à ceux de l’enseignement secondaire et permettant aux étudiants, aux enseignants, aux parents d’élèves et aux lycéens d’être représentés avec pouvoir délibératif dans les instances dirigeantes de leurs établissements. Le système d’enseignement de l’école à l’université avait été entraîné dans la tourmente politique, mais aussi pédagogique de mai 1968. De nombreux soubresauts persisteront des années, des décennies durant. Les objectifs du système scolaire, ses méthodes pédagogiques, la formation des enseignants sont sans cesse remis en cause sous la pression des médias, d’immenses manifestations (1973, 1986, 1988 etc.) et des controverses acharnées menées autour de l’orthographe, de la laïcité ou de l’enseignement des « genres. »
Il est bien évident qu’un tel titre paru à un tel moment historique suscita bien des polémiques passionnées dans les médias et entre enseignants et pédagogues. D’ailleurs, et c’est une forme de consécration, Le Monde du 11 avril 1972 a dédié plusieurs articles aux thèses d’Ivan Illich, dont celui d’un de ses journalistes, Frédéric Gaussen, spécialiste connu de l’éducation14.
Le livre comporte une courte introduction et est divisé en sept chapitres auxquels s’ajoute un appendice.
L’introduction, certes succincte, n’en porte pas moins un message iconoclaste fort. Il explique comment lui sont venus l’idée de cet ouvrage et les liens qui le relient au CIDOC et aux discussions menées en son sein. Le passage suivant mérite notre attention tant il ferait tempêter les ministres souhaitant mettre des ordinateurs dans tous les coins et recoins des établissements scolaires, les pédagogues insistant sur l’engagement pédagogique des enseignants et la réforme méthodologique ainsi que les syndicalistes réclamant des moyens humains et matériels accrus. « En effet, il ne suffit pas de vouloir modifier l’attitude des maîtres face aux élèves, ni d’avoir recours à un matériel pédagogique, électronique ou non, sans cesse plus encombrant, ni encore de vouloir étendre la responsabilité du pédagogue jusqu’à lui permettre d’envahir la vie privée de ses “disciples”. » Pour notre auteur il faut concevoir de véritables « réseaux de communication » qui permettront de s’instruire par le partage et l’entraide.
Pourquoi il faut en finir avec l’institution scolaire
Le chapitre 1 reconnaît dans un premier temps ce que l’école apporte aux élèves d’origine modeste. Cependant, elle confond les méthodes d’acquisition du savoir et la discipline enseignée. Dès lors, elle impose son idéologie et l’idée que plus on reste à l’école, mieux on réussit dans la vie et que le diplôme devient le symbole de l’escalade sociale. Mais Ivan Illich constate que l’imagination des élèves est bridée par la soumission aux règles imposées. Elle lui apprend à accepter les autres institutions, les services sociaux, l’armée, la police. Dès lors, la confusion s’installe entre les institutions et les valeurs humaines qu’elles semblent porter. L’auteur assimile cette institutionnalisation à une pollution qui conduit à croire que les besoins non matériels sont conçus comme une demande accrue de biens de consommation. La déscolarisation consisterait à élaborer des interactions personnelles, créatrices et autonomes non soumises aux technocrates. Il faut donc concevoir les recherches en opposition à celles des planificateurs.
Même si la scolarisation d’un élève d’un quartier défavorisé coûte autant, voire plus, que celle d’un élève des « beaux quartiers », il est bien évident que cette égalité ne mène pas à l’égalité réelle. Aux États-Unis, entre 1965 et 1968, trois milliards de dollars furent alloués à la lutte contre les inégalités scolaires dont étaient victimes six millions d’enfants… sans aucune amélioration. Selon l’auteur, ce pays devrait consacrer quatre-vingts milliards de dollars pour obtenir une véritable égalité des chances à l’école. Cependant, pour les riches comme pour les pauvres, la dépendance à l’institution scolaire s’établit sur le long terme dans toutes les strates de la société. En fait, les pauvres sont de plus en plus dépendants des institutions scolaires, hospitalières et sociales. Toutefois, la croyance dans la nécessité de la scolarité obligatoire est profondément ancrée dans les populations. Or, comme le remarque l’auteur, le Président Nixon promettait que tous les jeunes bénéficieraient « du droit de savoir lire » en sortant de l’école. C’est dire que d’énormes investissements financiers et humains ne sont vraiment pas rentables.
Le langage n’a pas besoin d’être appris à l’école, il s’inscrit naturellement dans l’esprit des enfants. Les connaissances ne sont pas acquises à l’école mais par les hasards de la vie. Illich envisage la nécessité d’acquérir des connaissances de base pour pouvoir progresser par la suite. Dans ce cas, il admet jusqu’à la méthode répétitive dont il reconnaît les mérites. Il suggère que chaque personne puisse bénéficier au cours de sa vie d’un crédit éducatif avec une possibilité d’augmentation de ce crédit pour ceux qui l’utiliseraient tardivement. En effet, Ivan Illich constate que les pauvres se rendent compte assez tardivement de la nécessité d’obtenir telle ou telle formation. Il donne l’exemple de l’Église catholique de New York qui devait rapidement trouver des personnes parlant espagnol pour recevoir les Portoricains s’installant par milliers dans la ville. Par simple annonce, 48 jeunes souvent déscolarisés furent choisis et formés en une semaine. Leur mission fut une réussite. L’auteur en tire la conclusion que, bien motivés, ces jeunes en difficulté obtiennent de meilleurs résultats que des enseignants peu au fait de la langue parlée. Il en est de même pour apprendre aux autres jeunes la position des étoiles ou la fabrication d’un poste radiophonique. Ivan Illich remet en cause la présence obligatoire aux cours et s’inquiète de la confusion établie entre l’apprentissage et l’activité créatrice qui lui apparaissent comme différents et opposés. Toujours dans les suggestions, il propose d’apprendre à lire à des analphabètes à partir de mots qu’ils utilisent couramment, de créer des réseaux sociaux autour du besoin de discuter d’un article ou d’un ouvrage. L’échange de compétences et les rencontres entre égaux permettent de parler d’éducation pour tous et empêchent un enrôlement institutionnel. Les hommes ne doivent plus s’abriter derrière les diplômes pour élever la voix et apporter leurs propres réponses. A contrario, les acteurs de l’école considèrent que seule cette dernière possède la capacité de former, d’éduquer en s’isolant du monde réel avec, en contrepartie, l’idée fondamentale que ce monde réel, instable, mauvais ne peut générer de véritables actions éducatives.
La phénoménologie de l’école
Le deuxième chapitre revient dans un premier temps sur les rôles de l’école, qui est la gardienne des enfants, qui sélectionne, endoctrine et instruit. L’auteur considère l’école comme un lieu où l’on rassemble de jeunes êtres humains soumis à une présence obligatoire et à la nécessité de suivre des programmes. L’auteur revient ensuite sur la naissance de « l’enfance » dans la bourgeoisie européenne du XVIIIe siècle. Auparavant, cette distinction entre l’adulte et l’enfant n’existait pas. Or, l’âge industriel a permis au système scolaire de former industriellement des jeunes qui n’apprécient pas d’être traités en enfants, c’est-à-dire d’être préservés des soucis de l’âge adulte. De plus, il se pose la question de savoir pourquoi il faut favoriser un âge pour apprendre, alors que durant l’âge adulte la nécessité d’apprendre reste vive. Il considère que le maître est à la fois un gardien, un prédicateur et un thérapeute s’appuyant sur l’autorité dévolue, il se substitue aux parents, à l’État et à Dieu. L’auteur en conclut que les libertés individuelles des enfants ne sont pas garanties.
Le rite du progrès
La progression vers le haut au sein du système scolaire est échelonnée. Il faut montrer ses lettres de créance et accepter l’ordre établi. La réussite des étudiants aux examens définit un niveau de consommation. L’autonomie n’existe pas au sein de l’Université et la rencontre fortuite ainsi que la recherche sans plan établi à l’avance a disparu au profit de la norme terne et interdisant le débat.
Ivan Illich montre cependant qu’en son sein, l’université donne naissance à la contestation et à des contre-sociétés rejetant l’enseignement normalisé, l’autorité de l’État et la pollution engendrée par nos modes de production et la consommation effrénée érigée en vertu. Ultérieurement, Ivan Illich compare le gigantisme des universités modernes à celui des HLM qui restent à ses yeux des taudis. Un paragraphe intitulé « Le mythe des valeurs institutionnalisées » revient sur la présence obligatoire et l’idée que plus le jeune passe du temps à l’école, puis il aura appris. À son sens, on apprend en réalité sans contrainte. La séparation du savoir en matières distinctes et les mesures étalonnées par le système scolaire grâce aux programmes créés par des scientifiques et des ingénieurs, qui attendent les réactions des enseignants et des élèves pour introduire des correctifs et produire de la sorte de nouveaux programmes qui devront à leur tour être évalués, génère la fabrique d’une chaîne sans fin en perpétuel renouvellement. L’école, en tant qu’institution, se maintient tout au long de la vie des personnes adultes par les cours de rattrapage et la formation permanente destinée aux adultes.
L’école devient une religion universelle avec ses rites, ses serviteurs, ses convertis. Elle est aussi un nouveau système d’aliénation. Ivan Illich calcule que les États-Unis cumulent, en 1970, 62 millions d’écoliers, d’élèves et d’étudiants contre 82 millions de personnes actives. « Les jeunes sont aliénés par l’école, qui les tient à l’écart du monde, tandis qu’ils jouent à être à la fois les producteurs et les consommateurs de leur propre savoir défini comme une marchandise sur le marché de l’école. » L’école aliène car elle sépare l’éducation de la réalité et le travail de la créativité. Pour Illich, il est vain de vouloir réformer l’institution scolaire.
Analyse spectrale des institutions
Dans le quatrième chapitre, Ivan Illich propose une classification des institutions, des plus aliénantes aux plus libératrices. Il constate que certaines présentent un véritable miroir déformant et dégradant comme les asiles pour vieillards (maisons de retraite d’aujourd’hui) et les hôpitaux psychiatriques, où les pensionnaires n’y sont pas de gaieté de cœur. D’autres institutions sont au contraire libératrices comme les services postaux ou les transports publics. L’institution scolaire n’est pas un service public, car elle conduit à la disparition de l’initiative personnelle et à la passivité. L’homme post-industriel devra choisir entre fabriquer et agir, entre la consommation effrénée et mortelle et la production durable, terme utilisé déjà en 1971 ! Selon Ivan Illich, l’homme doit construire des systèmes institutionnels où il s’éduquera de lui-même à l’action et à la participation.
Une logique absurde
Le cinquième chapitre critique les réformateurs du système scolaire en crise qui promettent de venir à bout d’une jeunesse rétive tout en maintenant l’école obligatoire et la référence à l’idéologie de la croissance économique.
Les réseaux du savoir
Ce chapitre est étonnamment moderne. Ivan Illich constate que l’on apprend mieux, plus rapidement dans la vie réelle qu’à l’école. L’école initie le citoyen à un mythe, celui de l’efficacité bienveillante des experts et de la bureaucratie s’appuyant sur un savoir scientifique. Cette idéologie se retrouve dans tous les pays capitalistes ou socialistes (Chine, Vietnam), riches ou pauvres.
La nouvelle éducation devrait permettre d’apprendre à tout moment et à tout âge de la vie. Lorsqu’un homme désire partager son savoir, il devrait pouvoir le faire sans problème. Cette méthode permettrait de supprimer des bâtiments scolaires et de limiter, voire de révoquer, le corps démesuré des enseignants. Les réseaux de partage du savoir pourraient utiliser les moyens de communication. Quatre services sont envisagés :
• la mise à la disposition du public des objets éducatifs ;
• la mise en place d’un service d’échange des connaissances ;
• la création d’un organisme facilitant les rencontres entre pairs par la création de réseau de communication ;
• l’organisation d’un service de référence des éducateurs choisis ou élus par consultations de leurs anciens élèves.
L’homme épiméthéen
Le septième et dernier chapitre revisite les mythes de Pandore, de Prométhée et d’Épiméthée (l’époux de la première et le frère du second). Ivan Illich, après une longue critique de la société de production et de consommation, mettant en jeu la survie de la planète, explique que l’institution scolaire est devenue l’agence de publicité de la société dont l’éthos de l’insatiabilité se retrouve au fondement de la destruction du bien commun qu’est notre Terre.
L’appendice reprend les thèmes développés au long du livre et propose de choisir une pauvreté librement consentie ainsi qu’une culture déscolarisée faisant prévaloir une approche éthique et spirituelle aux dépens de la consommation matérielle.
Dans notre pays, autant dire que, en dehors d’un succès immédiat et retentissant, la remise en cause systémique de « l’institution scolaire » par Ivan Illich a été quelque peu oubliée. Cette amnésie est bien compréhensible si l’on songe à l’aura de l’école républicaine et à la reconnaissance que lui portent les enseignants et autres cadres issus de milieux modestes15. Mais, en affirmant que cette institution n’était plus réformable, Illich s’était aussi coupé des promoteurs d’une vigoureuse réforme pédagogique et didactique. La phrase suivante explique la violence du rejet, puis la réserve et enfin l’amnésie : « L’école est devenue la religion mondiale d’un prolétariat modernisé et elle offre ses vaines promesses de salut aux pauvres de l’ère technologique. »
Et pourtant, les critiques de notre auteur ne sont pas dénuées de fondements, d’observations pertinentes et d’une cohérence idéologique profonde. Aujourd’hui, nous voyons bien les limites de notre système incapable d’endiguer l’échec scolaire, impuissant à juguler les inégalités d’accès au savoir, inapte à combattre la dérive d’une économie souterraine de la drogue et désarmé face à l’islam fondamentaliste et au nihilisme djihadiste d’une partie, certes minoritaire, mais combien agissante de jeunes désorientés dans nos banlieues sensibles à l’abandon.
L’héritage spirituel d’Ivan Illich est également à souligner ; je pense notamment à deux intellectuels français et un américain. Boris Cyrulnik émet, dans son ouvrage Mémoire de singe et parole d’homme16, l’hypothèse d’un l’échec scolaire massif par l’oubli des sens, du toucher et de la création manuelle ainsi que par la séparation d’avec les modèles adultes proches (père, oncles etc.) reprenant ainsi l’idée d’Illich refusant la séparation du corps et de l’esprit ainsi que le cantonnement des jeunes dans l’espace clos de l’école. Lucien Sfez suit les sentiers défrichés par Jacques Ellul et Ivan Illich lorsqu’il critique l’aveuglement de notre société face « au tautisme17 » qui enferme l’homme dans une fuite technologique éperdue Technique et idéologie, un enjeu de pouvoir18 et la recherche d’Une santé parfaite. Critique d’une nouvelle idéologie19 dont le thème rejoint largement celui de « Némésis médicale. » Jérémy Rifkin, avec La Fin du travail20, L’Âge de l’accès21 et La Nouvelle Société au coût marginal zéro22 reprend et met en valeur les notions « d’autonomie » et de « réseau » qu’Ivan Illich a promues comme l’avenir d’une humanité assagie et responsable. Toutefois, si Illich n’a pas pensé à la « marchandisation » forcenée de ces réseaux et à la rétention ainsi qu’à la diffusion des données personnelles déposées imprudemment sur la Toile, il n’en reste pas moins un grand visionnaire, un architecte de l’avenir anticipant, dans cet ouvrage fondamental, le besoin d’autonomie des enfants comme des adultes, la naissance des « réseaux électroniques de partage des savoirs » et l’impasse productiviste, techniciste et polluante dans laquelle l’humanité s’est engagée.