Le Jardin du rêve et du savoir du collège Roland Garros de Nice est une illustration de cette démarche : tout est parti d’une idée qui a germé dans les esprits à la suite de la crise sanitaire : celle d’un CDI extérieur. Cette idée s’est développée avec la découverte d’un lieu propice à sa réalisation, jusqu’à ce que des éléments extérieurs permettent d’envisager sa concrétisation. Les élèves, tels un groupe de jardiniers, ont alors été sollicités dessinant les plans de ce CDI hors du commun et hors les murs.
Une idée qui germe
Lorsque la pandémie est apparue, de nombreux CDI se sont vus désertés de façon imposée. Puis, très vite, les professeurs documentalistes se sont adaptés selon le protocole sanitaire propre à leur établissement.
Le collège Roland Garros est un établissement au carrefour de deux quartiers très différents : le quartier de la gare, très populaire et le quartier de Cimiez, plutôt huppé. De ce fait, le collège accueille un public très hétérogène avec près de 50 nationalités différentes et des élèves issus soit de catégories socioprofessionnelles très défavorisées (33 %), soit très favorisées (33 %). En outre, nous proposons une Ulis et une UPE2A. Cette mixité sociale est très riche et permet de mener à bien de nombreux projets pédagogiques très diversifiés.
À la rentrée 2020, par mesure de précaution, l’établissement accueillant près de 700 élèves, toute fréquentation du CDI, en dehors des séances de groupes classes, a été interdite jusqu’à nouvel ordre. Ce fut brutal, voire douloureux. Il fallait réagir vite pour que notre Cérès1 ainsi privé de sa sève ne se fane pas. Dans un premier temps, et comme nous avons la chance de nous situer dans une région au climat plus que favorable, le club lecture a donc été déraciné et implanté en extérieur. Chaque midi, livres et fauteuils ont été déménagés à l’air libre. Nous avons choisi un espace relativement calme entre l’entrée de l’établissement et le parking à vélos. Bien que ce ne soit pas une solution très florissante, elle a permis aux élèves de renouer avec le plaisir de lire le temps de la pause méridienne. En outre, le club lecture, non dissimulé par ses 4 murs, a attiré les regards et par ricochet de nouveaux membres.
Puis le froid a commencé à pointer le bout de son nez. Tels des voiles d’hivernage, nous avons sorti les plaids pour pouvoir prolonger le club en extérieur. Cette période un peu particulière a placé le Club lecture sous les rayons du soleil, mais aussi sous le feu des projecteurs. Nombreux ont été ceux qui se sont intéressés à notre petit groupe et, petit à petit, tout un chacun a commencé à imaginer un Cérès pérenne, hors les murs.

Baliser le terrain
Notre collège, labellisé E3D2, s’étend sur près de 12 000 m² très arborés : micocouliers, bigaradiers, mimosas, pins, palmiers et magnolias côtoient nos potagers, un potager classique et un autre en aquaponie (système permettant de faire vivre ensemble et en parfaite harmonie des plantes et des animaux aquatiques dans un système fermé ; les plantes se nourrissant des déjections des poissons par leur capacité à filtrer l’eau).
Situé sur une colline, le terrain est en relief et offre de nombreux coins et recoins de verdure plus ou moins exploités. Avec le Club “Lecture en herbe”, nous nous sommes davantage intéressés à ces espaces, mais c’est le chef cuisinier du restaurant scolaire qui a trouvé l’emplacement idéal pour implanter notre CDI extérieur.
En effet, derrière les cuisines, dans un endroit non fréquenté et se situant en haut d’une butte se cache un plateau totalement envahi par les broussailles et les mauvaises herbes où se perdent quelques trésors comme le carré d’orchidées sauvages. Ce petit coin de paradis est vraiment l’endroit rêvé pour notre projet, mais il nécessiterait des travaux de jardinage, d’aménagement, de sécurisation et d’ornementation. La professeure documentaliste soumet quand même l’idée à la Principale, l’emmène sur place et lui présente succinctement le projet qui commence à prendre racine dans son esprit, mais surtout dans celui des élèves.
Un rapide état des lieux est alors dressé. Il faut sécuriser le terrain avec une barrière pour éviter les chutes, recréer un accès depuis la cour et surtout débroussailler ! La cheffe d’établissement est très intéressée par cette idée d’un lieu de culture en extérieur, mais cela demande du temps, de la réflexion et un certain budget. Malgré tous ces freins, chacune se garde d’enterrer l’idée et, au contraire, se dit qu’un jour viendra où il sera possible de planter les jalons de cette idée peu banale, en collège, d’un jardin de lecture.

Préparer semis et plantations
Pour créer un jardin, il faut certaines connaissances, certains savoir-faire et, parfois, un peu d’aide extérieure. La Principale du collège, bien consciente de cette dernière donnée et tout à fait convaincue de l’aspect pédagogique du jardin de lecture, a soigneusement rangé ce projet dans un coin de son esprit et a patiemment attendu cet engrais qui manquait à l’aboutissement de ce lieu.
Cet “engrais” s’est présenté une avant-veille de vacances avec la venue de la nouvelle cheffe du service maintenance, chargée des collèges au Conseil Départemental. Cette dame visitait les établissements lorsque ses pas l’ont menée jusqu’à nous. Après avoir constaté et priorisé les travaux d’entretien, elle s’est penchée sur notre label E3D ainsi que sur notre projet d’établissement, qui présente toute une partie consacrée au bien-être des élèves et du personnel. C’est dans ce contexte que l’espace visé pour notre jardin de lecture lui a été présenté. Le fait que ce projet soit partagé par les élèves et les adultes, associé à l’idée de créer un lieu culturel en extérieur, ainsi que le désir d’exploiter un espace vert jusque-là à l’abandon, a suscité tout son intérêt. Elle s’est alors engagée à nous accompagner tant matériellement qu’humainement dans cette aventure. Deux jours plus tard le terrain était totalement débroussaillé à l’exception du carré d’orchidées sauvages. Le premier coup de bèche étant donné, il était désormais officiellement possible de dévoiler le projet et de s’y investir totalement.
Les fourmis se mettent à l’œuvre
Les débroussailleuses à peine rangées, le Club Lecture a été réuni avec pour ordre du jour une surprise. En fait, ce n’en fut pas une car les membres du club n’ayant nullement abandonné leur idée de jardin de lecture, avaient deviné, sans y croire, ce qui se tramait derrière le restaurant scolaire.
Ils ont aussitôt pris les choses en main avec beaucoup d’enthousiasme, dressant la liste des actions à mener et celle des besoins matériels. Sans le savoir, ils venaient de se lancer dans la pédagogie de projet et le design thinking3. Très impliqués et faisant preuve d’un véritable esprit d’équipe, ces élèves de 6e et 5e, membres volontaires du club Lecture, ont tout d’abord procédé à un brainstorming pour lister les besoins, définir un nom pour ce nouveau lieu, rédiger un règlement, choisir un mobilier adapté et faire le point sur les activités attendues dans cet espace. En partenariat avec le service d’intendance, ils ont appris les impératifs et les règles d’achats d’un établissement scolaire. Ils se sont ensuite plongés dans les catalogues professionnels pour rechercher du mobilier d’extérieur conforme à leurs attentes et dans le respect des normes des collectivités.
Parallèlement, nous leur avons expliqué quels travaux les services du Conseil Départemental envisageaient avec quelques bonnes surprises dont l’installation d’un mur végétal pour atténuer le bruit du boulevard.
Ces séances avaient à la fois un goût d’anniversaire, tant les élèves semblaient heureux de se lancer dans cette entreprise, et un côté comité de rédaction, chacun prenant son rôle très à cœur. Tous étaient très actifs, car après avoir distribué les missions de chacun, les uns ont rédigé des lettres à l’intention du Département, les autres se sont penchés sur le nom du lieu, tandis que d’autres encore discutaient du coût de tel transat ou de la couleur du voile d’ombrage. Les élèves ont fait preuve de beaucoup d’autonomie et d’un grand sens des responsabilités. Chacun a vraiment apporté son empreinte au projet, s’exprimant en ces termes :
« Il faut un panneau comme ceux qu’on voit sur les sentiers de randonnées pour afficher notre règlement et le programme des activités.
Ce serait bien de mettre une plaque de rue pour indiquer le nom de notre jardin.
Nous avons besoin d’une poubelle. Elle doit être en bois parce que nous serons dans un jardin.
Et si on mettait une table style table de pique-nique pour pouvoir écrire confortablement ?
Il faudra protéger notre cabanon avec du produit spécial si on veut qu’il dure longtemps. »
Ces élèves se sont lancés dans le projet de façon très active et très mûre. Ils se sont penchés sur tous les aspects du jardin : financiers, pratiques, environnementaux et esthétiques. Souvent ils ont surpris les adultes par leur maturité, mais aussi par leur caractère raisonnable et leur capacité à se projeter dans ce lieu naissant.
[Se] Cultiver
Notre jardin de lecture a finalement été baptisé Jardin du Rêve et du Savoir pour rendre visible son lien avec le Cérès, mais aussi parce que ses deux fonctions principales seront la lecture et l’acquisition de connaissances en lien avec notre environnement. Au fil des séances, le jardin a révélé un besoin de respiration et de sérénité, mais aussi la volonté de se mettre au vert, de pouvoir bénéficier d’un espace à la fois calme et verdoyant. En effet, la crise sanitaire a amplifié ce désir qui était déjà présent d’être à l’air libre car dans cette grande ville qu’est Nice, nombreuses sont les familles qui vivent en appartement, bien souvent sans aucun espace extérieur.

D’autre part, il est à noter que la douzaine d’élèves impliqués de façon continue a vraiment travaillé de concert, sans heurts, et toujours avec respect et bonne entente.
Ils voient ce jardin comme un lieu où lire et parler de leurs lectures, mais aussi comme un lieu d’apprentissage, puisqu’ils souhaitent tout savoir sur les végétaux de leur jardin. De plus, le Jardin du rêve et du savoir proposera une bibliothèque verte qui se constituera d’une bibliographie en lien avec la nature et les jardins et regroupera des documentaires et de la fiction. Cette bibliothèque sera intégrée dans Lire Délivre, notre projet bibliocréatif.
Enfin, notre jardin sera un lieu de déconnexion, un retour à la terre et l’occasion d’une interaction avec son environnement proche, rendant hommage au Candide de Voltaire :
« Il faut cultiver notre jardin ».
Photographies : Nora Nagi-Amelin