Des « actions en faveur de la lecture » une dynamique « d’excellence inclusive » dans un CDI de lycée professionnel

Lecture et construction de soi

Les pratiques de lecture sont en sociologie, selon les travaux de Viviane Albenga (Albenga, 2017), maîtresse de conférences à l’université Bordeaux Montaigne, déterminées par différents facteurs comme la famille et sa manière d’activer le capital culturel, le genre, la place dans la fratrie, l’âge, les trajectoires de lecture, notamment à l’adolescence. Dans Les Héritiers et La Reproduction, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron expliquent que l’école reproduit les inégalités sociales à travers des méthodes et des contenus d’enseignement qui privilégient implicitement une forme de culture propre aux classes dominantes. Nous allons nous demander comment les pratiques de lecture, mises en œuvre dans des troisièmes lieux (Servet, 2018, p. 71-74) comme les Centres de documentation et d’information (CDI), peuvent permettre aux élèves de dépasser les déterminismes sociaux, se construire en dehors des identités assignées et ainsi tendre vers une démarche d’ « excellence inclusive » ou du moins de « dynamique inclusive » à l’échelle d’un établissement scolaire.

« Excellence inclusive », « dynamique inclusive » ? Un contexte académique

En parfaite cohérence avec ce numéro d’InterCDI, nous empruntons ces termes à la nouvelle politique documentaire1 de l’académie de Lille intitulée « pour une dynamique inclusive ». Elle accompagne le volet pédagogique du projet académique 2022-2025 : « Pour une excellence inclusive ».
Qu’entend l’académie de Lille par inclusion ? « La logique d’inclusion affirme l’accessibilité de droit et l’obligation pour le service public d’éducation d’accueillir tous les élèves », cela dépasse la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers et/ou en situation de handicap et permet de prendre en compte les questions sociales, linguistiques, culturelles, de genre, de climat scolaire, ou encore de construction d’identité.
Ainsi, des initiatives locales permettent que chaque élève puisse construire son propre parcours dit d’ « excellence », en s’appuyant sur des bases solides, avec des transitions accompagnées, des mobilités facilitées et en évitant les décrochages scolaires et citoyens.

L’académie de Lille, située dans un territoire aux défis socio-économiques, accueille un flux croissant d’élèves allophones nouvellement arrivants (EANA), jusqu’à 4000 par an en 20182. Pour répondre à ce besoin, elle renforce ses dispositifs d’accueil et d’accompagnement. De plus, près de 23 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés dans le département du Nord.

Dans la politique documentaire académique le terme de « dynamique inclusive  » a été retenu, ce texte institutionnel propose donc des axes communs et partagés par les professeurs documentalistes de l’académie pour permettre d’élaborer en établissement des projets centrés sur la notion d’inclusion en centre de documentation et d’information (CDI).

Je vous invite à explorer à présent un lycée professionnel au sein de cette académie, dans lequel j’exerce et où les caractéristiques de l’établissement et l’engagement de ses équipes mettent en lumière les défis liés à l’inclusion.

Contexte du lycée professionnel

Le lycée professionnel Aimé Césaire se trouve à Lille Fives, quartier en transition marqué par des défis socio-économiques et une politique axée sur la résolution des problèmes de violence. Malgré un déclin économique, le quartier connaît une transition avec de nouveaux logements et une rénovation pour une meilleure mixité sociale, dans une démarche d’écoquartier.

Le lycée offre une variété de formations allant de la métallerie, industrie, commerce, accueil à la gestion-administration et du CAP au baccalauréat professionnel. Il propose également des dispositifs spécifiques incluant une classe de 3e prépa-métiers, une double classe Ulis (unités localisées pour l’inclusion scolaire) pour les troubles moteurs et cognitifs, une UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones nouvellement arrivés), ainsi que des dispositifs pour lutter contre le décrochage scolaire.

Le lycée se distingue également par ses engagements, étant labellisé Euroscol et école ambassadrice du Parlement européen, offrant ainsi un programme ERASMUS +, avec deux sections européennes, l’une en anglais et l’autre en espagnol. En cette année, les équipes du lycée ont pris l’initiative d’une double labellisation, à savoir «Établissement en Démarche globale de Développement Durable» (E3D) et «égalité filles-garçons».

La population du lycée est diversifiée, avec la représentation de 35 nationalités, principalement algérienne et guinéenne. Près de 40 % des élèves ne sont pas français, avec une répartition de 42 % de filles et 58 % de garçons, les sections industrielles étant exclusivement masculines. L’indice de position sociale est bas (73), plus de la moitié des élèves sont boursiers, provenant majoritairement des quartiers prioritaires. Ces chiffres reflètent la diversité et la réalité sociale de notre établissement, où l’inclusion va au-delà du handicap, englobant les obstacles linguistiques et socio-culturels pour la réussite professionnelle.

Le lycée est prisé comme premier choix d’orientation, probablement en raison de sa proximité géographique. Malgré des défis de vie scolaire tels que l’absentéisme et la violence, une enquête de climat scolaire de 2023 révèle que les élèves s’y sentent bien, soulignant l’impact positif de l’accompagnement des enseignants et des efforts de l’équipe pédagogique pour créer un environnement propice à leur épanouissement.

« Quart d’heure lecture » : la lecture, grande cause nationale

Avant que la lecture soit annoncée en 2022 comme Grande cause nationale, des dispositifs de « défense et de promotion du livre et de la lecture » ont été encouragés dès 2018 par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) en direction des recteurs des différentes académies. Ainsi, à la fin de l’année scolaire 2019-20, la rectrice de l’académie de Lille adresse un courrier aux équipes pédagogiques incitant à généraliser des démarches « d’action en faveur de la lecture »3 de type « Silence, on lit », « Chut, on lit » ou encore « Quart d’heure lecture ». Les compétences des professeurs de lettres et des professeurs documentalistes sont mises en avant dans ce courrier, ces derniers étant invités à «conseiller leurs collègues et ainsi contribuer à la réussite du dispositif. » En effet, selon la circulaire de missions4, les professeurs documentalistes ont la « responsabilité du CDI, comme lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information ». Ils et elles développent « une politique de lecture en relation avec les autres professeurs, en s’appuyant notamment sur [leur] connaissance de la littérature générale et de jeunesse » et contribuent à l’éducation culturelle, sociale et citoyenne de l’élève. [ils mettent] en œuvre et participent à des projets qui stimulent l’intérêt pour la lecture. »

« Quart d’heure lecture », une occasion pour construire des axes de la politique documentaire

C’est avec plaisir que je collabore avec une équipe stable et expérimentée, régulièrement enrichie par de nouveaux collègues, qu’ils soient contractuels ou stagiaires. Nous participons de manière constructive aux stratégies du projet d’établissement et nous nous efforçons d’adopter une approche de pratique réflexive experte, qui tire profit de l’expérience accumulée et de la spécialisation de nos compétences professionnelles spécifiques.

Nommée en 2019, j’ai eu à reconstruire l’image du CDI. Il s’agissait alors d’un lieu peu fréquenté et son intérêt pédagogique était très peu développé ; le fonds était dépassé et non adapté. Après une année de découverte des lieux et l’analyse des besoins, l’écriture du nouveau projet d’établissement a permis d’identifier en équipe les enjeux de la politique documentaire pour innover progressivement.
En développant l’axe deux du projet d’établissement intitulé « permettre un développement personnel comme source d’épanouissement », l’idée est venue d’interroger la place de la lecture dans la construction de soi, « comme pratique de soi » qui se développe après la lecture obligatoire et symbolique de l’école. Pour penser la construction, ou la reconstruction de soi par la lecture, Viviane Albenga (Albenga, 2017) s’appuie sur deux notions que le philosophe Michel Foucault (Foucault, 2001) précise : le souci de soi et les pratiques de soi.

Construire une politique de lecture en lycée professionnel

Je propose aux équipes des « actions lecture ». L’idée est de proposer aux élèves un temps privilégié « un moment pour soi avec une place centrale pour la lecture ». Ces actions lecture sont proposées chaque semaine de veille de vacances grâce à un emploi du temps partagé envoyé à tous les enseignant.e.s de l’établissement. Ces fins de période sont souvent complexes en termes de gestion de classe et de motivation des élèves. Ces « pas de côté » répondent au besoin d’apaiser le climat scolaire en apportant de la régularité et des repères aux élèves. Une phrase rituelle de début de cours s’est construite au fil de ces séances : « comme vous le savez, au lycée Aimé Césaire, chaque semaine de veille de vacances, on prend du temps pour soi, pour se poser et on le fait grâce à une nouvelle action lecture. Aujourd’hui, je vous propose de … » puis la nouvelle thématique est ainsi introduite, plongeant les élèves dans un espace mis en scène pour l’occasion où l’objet livre est alors démystifié.

Moi, à hauteur d’élève, traduisant du vocabulaire

Les thématiques s’adaptent à l’actualité ou à des besoins identifiés en établissement, mais suivent le schéma suivant5 : un goûter-lecture préparé avec la restauration scolaire avant les vacances de la Toussaint, des lectures offertes6 avant les vacances de Noël (dont les élèves de la classe de 1res CAP Employé de commerce polyvalent qui lisent en maternelle), une thématique repérée par le CESCE (Comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement) avant les vacances d’hiver, un « CDI hors les murs » avant les vacances de printemps et enfin une dernière période en fin d’année consacrée à récupérer les livres prêtés et non rendus.

Ces actions lecture apportent des solutions aux problématiques du climat scolaire ; au-delà du bien-être individuel, elles incluent aussi une dimension collective, en particulier par la prise en compte des relations et du regard porté entre les personnes (d’élève à élève, d’élève à professeur.e). L’inclusion par la lecture se présente comme un gage de réussite et de bien-être pour les élèves.

Proposer une dynamique inclusive

La politique de lecture s’ancre dans une démarche inclusive, car elle permet à un maximum d’élèves d’accéder à la lecture et à ses enjeux lors de ces temps de médiations. En proposant à tous les collègues volontaires d’y inscrire leurs classes, je m’assure ainsi qu’un maximum de classes présentes dans l’établissement aux différentes périodes de l’année y participent, hors Période de formation en milieu professionnel (PFMP).
Afin de gagner la motivation de tous les élèves, il est nécessaire de proposer de nouvelles thématiques à médiatiser ; ces actions lectures permettent également d’inclure les besoins des élèves et des collègues pour co-construire la politique d’acquisition.
Nous avons un public très hétérogène pour qui le livre et ses représentations peuvent-être source d’accentuation des violences symboliques et du handicap social7 (Hart, Risley 1995). La constitution des nouvelles collections (les actions lecture n’excluent pas les documentaires) repose sur des critères précis et spécifiques en termes d’accessibilité de la langue française où de courts textes écrits dans un langage non enfantin sont à privilégier. Concernant les romans, ma veille est principalement portée sur la collection « Petites Poches » de Thierry Magnier, « Mini Syros » pour des jeunes CAP ou 3e prépa-métier, « Flash Fiction » de Rageot, la collection « La Brêve » chez Magnard qui propose gratuitement en ligne la version audio support papier, même si le coût est plus élevé. La lecture de roman édité par Kiléma éditions facilite l’ergonomie de lecture. Les romans les plus accessibles sont indexés dans BCDI avec le genre « DYS », ce qui me permet de les retrouver très facilement sur e-sidoc. « Duals » et « Mini Duals » chez Talents Hauts ou « Tip Tongue » chez Syros proposent une écriture en deux langues sans être de la traduction. Mais le roman reste encore difficile d’accès pour certains élèves. Je propose donc également des albums ou des BD abordant des préoccupations de leur âge, souvent réelles et du « feel-good » (Mango Sociéty, les éditions Thierry Magnier, Gulm Steam Édition, « éco » chez Talents Hauts). Les élèves apprécient aussi de découvrir des portraits ou des biographies de personnes inspirantes, « Petite et grande/Petit et grand » chez Kimone, « les Grandes Vies » chez Gallimard Jeunesse. De plus, j’essaie, quand cela est possible, de compléter des classiques par leur version en BD ou en manga grâce aux éditions Kurokawa ou Nobi Nobi ! pour ne citer qu’elles.
On se rend bien compte que penser l’inclusivité n’est pas exclusivement penser pour un.e élève DYS- ou un élève allophone… mais penser niveau de lecture, qualité de l’édition, sujet traité, représentativité pour proposer un fonds pour tous les élèves visant une « excellence inclusive ».

Une signalétique par les objets

Pour poursuivre vers cette démarche inclusive et faciliter l’accès en autonomie aux collections, j’utilise des objets pour symboliser le fonds documentaire. Il s’agit ici d’une médiation autonome du fonds documentaire. Pourquoi des objets ? Selon Piaget, « le langage, c’est aussi le symbolique, le concept, c’est l’accès aux œuvres. » Ainsi, par cette démarche, j’apporte des repères visuels, symboliques et réels à la fonction sémiotique de la signalétique. Les élèves peuvent les manipuler et généralement ils me demandent pourquoi ils sont là ; je leur explique alors que la balance symbolise la justice, l’équité et qu’en dessous il ou elle pourra trouver les livres sur ce sujet. Le projet est explicité sur le site académique des professeurs documentaliste de Lille8.

Photographie de la signalétique par les objets.
Photographie de la signalétique par les objets.
Photographie de la signalétique par les objets.
Photographie de la signalétique par les objets.

Un classement des fictions pensé par les élèves

L’an dernier, une des actions lecture proposée grâce à une démarche de design thinking consistait dans le désherbage de l’ensemble du fonds fictions avec les élèves. Ils et elles ont proposé un nouveau classement et sa signalétique : désormais les fictions sont classées par thématique (amour amitié – faits de société – adaptation/lettres – aventure – humour – etc.) et tous les supports sont désormais mélangés (BD/Manga/Roman) rangés par ordre alphabétique d’auteur avec la vignette thématique à côté de la cote. Cette nouvelle signalétique permet de rendre la recherche et l’emprunt de livre « plus inclusifs et moins stigmatisants » (verbatim d’élèves).
Nous souhaitons que, dans le cadre des « pas de côté » permis au CDI, les élèves puissent s’émanciper par la compréhension des limitations imposées par leur appartenance sociale, sexuée ou religieuse. Les travaux de Viviane Albenga (Albenga, 2017) ont montré que les effets des identifications aux personnages jouent un rôle important dans la construction de soi selon le genre, l’âge, ou encore la trajectoire, la représentation des sentiments.

Action lecture « désherbe ton CDI » : toutes les fictions sont posées sur une grande tablée, les élèves lisent les livres, imaginent un nouveau classement et déterminent ce qui sera mis au pilon.
Classification et signalétique des fictions retenues, le visuel est imaginé selon les recommandations des élèves.
La signalétique est présente en haut de chaque étagère et au-dessus de chaque code-barre des livres.
Nouvel espace agencé offrant un linéaire d’un peu plus de 7 mètres donnant sur le contrebas de la cour.

« Saint-Valentin inclusive », une action lecture pour légitimer un nouveau fonds « sensible »

L’une de ces actions en faveur de la lecture m’a notamment permis de soutenir et de «légitimer» une nouvelle collection de ressources visant à favoriser les multiples représentativités de genre LGBTQI+ et de fournir des informations sur l’éducation à la vie affective et sexuelle. Comme nous l’avons vu précédemment, la mise en scène est un facteur de réussite aux actions. En effet, je n’ai quasiment jamais eu d’élèves en posture fermée de refus lors d’une action lecture. Même si les taux d’emprunts ne sont pas aussi importants que je le souhaiterais, les élèves se laissent prendre au jeu, lisent, prennent ce temps pour eux et s’évadent dans un espace serein.

Pour cette action lecture de deux heures, j’ai pris le soin d’emprunter deux expositions au MUNAÉ (le musée national de l’Éducation) : la première retrace les évolutions en termes d’éducation et LGBTI+ sous l’angle de la lutte contre les discriminations en contexte scolaire et la seconde permet de s’interroger sur l’égalité filles/garçons comme une égalité des chances grâce à l’école. J’ai également diffusé le court métrage « PD » d’Oliver Lallard. Un questionnaire a permis aux élèves de chercher et de sélectionner des informations et des repères communs face à ces enjeux de société. Les nouvelles ressources (livres documentaires et littérature jeunesse) ont été valorisées et proposées pour enrichir l’action pédagogique puis intégrées au fonds permanent9. En parallèle, un travail de réalisation d’affiches sur les moyens de contraception a été effectué en prévention santé environnement (PSE) avec une classe de CAP. Ce projet a été présenté lors de ma participation à la journée d’étude de l’université d’Artois intitulée «Littérature de jeunesse et identit(é)s, accompagner la construction de soi10» en 2022.

À la recherche de personnages de littérature jeunesse qui me ressemblent

Pour la dernière action lecture réalisée au lycée, intitulée «à la recherche de personnages de littérature jeunesse qui me ressemblent», j’ai présenté aux élèves une offre éditoriale inclusive et représentative disponible au CDI. L’objectif était d’encourager les élèves à découvrir des personnages auxquels ils peuvent s’identifier, parmi une sélection de livres spécialement choisis pour leur représentativité et leur caractère inclusif (variété de représentation des corps, du handicap, de la santé mentale, de la richesse et de la pauvreté, des orientations amoureuses, des parcours migratoires, des styles vestimentaires ou musicaux etc.). Ils et elles ont ainsi commencé à lire le livre et à compléter la fiche d’identité d’un personnage ; celles et ceux qui le souhaitaient pouvaient présenter leur personnage devant la classe. Nous savons désormais, grâce aux actions lecture déjà mises en place, aller plus loin dans les propositions faites aux élèves pour continuer de les impressionner avec des contenus inédits ; certaines remarques ont montré l’intérêt de poursuivre dans cette démarche : « Madame pourquoi vous prenez des livres avec des noirs ou des voilées ? », « Madame, pourquoi elle est grosse ? (Marcello Quintanilha. Écoute, jolie Marcia, Éditions Çà et là, 2021), « ou je ne savais pas qu’il y avait une BD sur Kylian Mbappé », « Ah ça change Madame, elle me ressemble trop », ou encore « Comment vous faites pour trouver des livres comme ça Madame, c’est toute mon histoire ! » quand un élève guinéen majeur m’a rendu le livre Hawa de Coline Picaud (2024, Le monde à l’envers).

Affiche de l’action lecture « À la recherche de personnages de littérature jeunesse qui me ressemblent ».

 

En conclusion, nous espérons que ces actions lectures permettent aux élèves de lycée professionnel de s’évader d’un quotidien parfois triste et difficile et proposent de se projeter vers une trajectoire de vie inspirante et ouverte sur le monde quand la trajectoire réelle ne remplit pas toutes les promesses escomptées, en raison de la force des injonctions sociales et économiques. Nous profitons de ce numéro d’InterCDI pour inviter à penser les CDI comme des espaces de médiations inclusives dans lesquels s’inscrivent aujourd’hui, nécessairement, les valeurs de l’École.

Des élèves plongés dans leur lecture

 

 

Le Bingo littéraire : coup de projecteur sur un projet de lecture inclusif

Introduction

Cet article réflexif résulte d’un projet de lecture mis en place en 2021 au sein du collège la Rochotte1, et qui a abouti à la publication d’un article2 sur le portail pédagogique de l’académie de Reims l’année suivante. Ce dernier a été enrichi de témoignages des intervenants impliqués dans ce projet, tant ceux des enseignants que ceux des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). Les propos recueillis, entre le 08 et le 20 février 2024, mettent en lumière la manière dont l’inclusion redéfinit le concept de médiation et le rôle crucial du professeur documentaliste dans ce cadre.

Contextualisation

Observer de fidèles lecteurs lire paisiblement en profitant du confort des espaces aménagés à cette intention confère une certaine satisfaction. Mais il faut admettre qu’apercevoir un élève autrefois incommodé par la lecture finalement se rapprocher de cette dernière ajoute à ce niveau de satisfaction une déclinaison supplémentaire.

En parlant de déclinaison, il importe de souligner la pluralité de projets de lecture mis en place ces dernières années et dont la vocation première est de promouvoir la culture de la lecture et le désir d’émancipation associé à sa pratique : le quart d’heure de lecture, les Nuits de la lecture, le concours de lecture à voix haute, les Petits champions de la lecture, et autres concours, défis ou rallyes lecture propres à chaque académie, chaque établissement, chaque équipe éducative… Les plus originaux opteront pour la déclinaison « littéraire », et/ou y associeront le terme « prix » pour quelque prestige. Il faut préciser que nous n’entendons d’ailleurs plus parler que de la lecture, dont les vertus seraient plurielles. Des sociologues de la littérature, tels que Cécile Barth-Rabot ou Anthony Glinoer, font autorité sur la question des déterminismes induits par la lecture. À cet égard, Cécile Barth-Rabot précise que « le livre est devenu un emblème. Support par excellence du savoir, il incarne à lui seul la Culture, et tout ce qu’elle représente, au point d’être considéré comme un objet quasi sacré ». (Barth-Rabot, 2023).

La lecture se révèle également être l’actrice majeure – pour ne pas dire « magique » – de nombreux plans d’actions labellisés par l’Éducation nationale : la prévention et la lutte contre l’illettrisme à l’école3, ou encore la lecture comme vecteur de bien-être – dont les formations portant sur la bibliothérapie4 au collège et au lycée sont en nette augmentation ces dernières années5. En 2021-2022, le président proclame même la lecture en tant que Grande Cause Nationale, souhaitant que sa pratique se démocratise et devienne un facteur d’inclusion sociale auprès des publics empêchés. C’est à cette période, et dans ce contexte particulier pour la lecture, qu’il a été décidé de mettre en place un projet de lecture « inclusif » au sein de l’établissement. La lecture du projet d’établissement révèle par ailleurs que les difficultés rencontrées par les élèves sont majoritairement liées à la lecture – ce qui soulève en arrière-plan la question du caractère social et socialisant du livre – aux méthodes de travail et au respect des échéances. Ces problématiques ont donné lieu à des axes réflexifs du projet d’établissement comme l’accompagnement personnalisé en français (via la fluence, les heures de soutien en français) et en mathématiques. À ces efforts s’ajoutent un nombre conséquent d’élèves inscrits au dispositif Devoirs faits, et la valorisation des projets de lecture et d’ouverture culturelle. Des efforts cohérents au regard d’un établissement scolaire se situant dans une commune où les équipements culturels et les lieux de documentation, bien qu’existant, restent peu exploités par nos élèves.

Face à ces constats, l’équipe a constitué un projet de lecture adapté à l’établissement : le Bingo Littéraire. Ce format est inspiré d’un manuel de français du niveau de 5e (Hachette, Mission Plume). Ce Bingo tente de répondre à la fois aux exigences du programme de français du cycle 3, et aux problématiques rencontrées par les élèves par rapport à la lecture – en particulier la diversification des genres littéraires et, pour quelques-uns, le développement même du goût pour la lecture. Cet article a d’ailleurs pour but de mettre en valeur ce projet car il soulève certaines questions concernant la place de l’inclusion dans les activités de lecture au collège.

Pourquoi le niveau de 6e ? L’idée d’investir ce niveau semble être une évidence, a fortiori si le souhait principal est de développer des automatismes prometteurs tout au long de la scolarité de l’élève face à la lecture. L’intérêt supplémentaire, et non négligeable, est celui de susciter chez l’élève l’intention de se rendre régulièrement au CDI dès son entrée en 6e et d’être autonome en tant que jeune lecteur. Cela facilite aussi la mise en place de projets de lecture connexes les années suivantes : le journal littéraire et culturel en 5e permet de mettre davantage l’accent sur l’évaluation de l’écrit et l’expression de la pensée critique. Laetitia Brun, professeure de lettres modernes et co-créatrice du Bingo Littéraire, précise que :

L’ouverture à tout type d’œuvres est intéressant, car ils peuvent s’exprimer véritablement en s’appuyant sur leurs goûts et leurs affinités, mais comme un roman leur est imposé, il est fréquent que le roman ne soit pas présenté dans le journal, ou que le livre n’ait pas été lu en entier ou qu’ils expriment qu’ils n’ont pas compris l’histoire…

Les élèves relevant du dispositif ULIS ne sont pas en inclusion en classe de français ; dès lors, ils ne participent pas à ce projet qui s’adresse essentiellement aux élèves du niveau de 6e en classe « ordinaire » (par opposition à « classe spécialisée ») ou aux élèves présentant certains troubles des apprentissages (qu’ils soient cognitifs, sociaux ou de déficit de l’attention). Les élèves en classe d’ULIS sont inscrits au concours de lecture départemental Des livres & vous qui leur permet de bénéficier d’un cadre de travail personnalisé et qui tient compte de leurs singularités. En effet, les élèves inscrits dans le dispositif ULIS ne sont pas en mesure de répondre aux objectifs du Bingo Littéraire dans sa forme actuelle, en particulier celui de la lecture en autonomie. Certains élèves ne sont pas en mesure de produire des représentations mentales de ce qu’ils lisent, sans l’accompagnement d’un adulte qui réinterprète chaque chapitre lu à l’oral, s’attardant sur chaque polysémie rencontrée. Le lendemain, il faut recommencer car la mémorisation s’effectue difficilement. Sabine Périno, professeure des écoles et enseignante référente de la classe ULIS, estime que grâce aux projets de lecture (en l’occurrence le concours de lecture Des livres & Vous) :

La lecture devient fluide à force de lire à voix haute. Cela augmente la confiance de l’élève et l’incite à lire en inclusion. Une de mes élèves, Aurélie6, a fait des progrès exceptionnels depuis le début du concours. Je la surprends à essayer de lire toute seule ! Cela leur donne l’envie de lire en dehors du contexte scolaire.

Les élèves allophones peuvent présenter de leur côté un ouvrage de français langue seconde (FLS) ou un ouvrage dans leur langue maternelle (et tout particulièrement une langue étudiée dans l’établissement). Dans le dernier cas, les professeurs de langues sont alors sollicités lors des évaluations.

Modalités d’organisation du Bingo littéraire

Ce projet de lecture est une réflexion pédago-ludique, s’inspirant dans sa forme de la bataille navale. Les élèves doivent lire au minimum deux livres du fonds documentaire du CDI (ou provenant de leur bibliothèque personnelle, sous certaines conditions) au cours du premier trimestre, puis au minimum trois livres les deux derniers trimestres. Les livres choisis correspondent à des catégories qui ont été constituées en s’appuyant sur leurs tendances de lecture-plaisir, mais également sur des thèmes abordés dans le programme de français de 6e. En parallèle de la lecture, les élèves doivent renseigner une fiche de lecture correspondant au type de livre choisi (manga, roman, documentaire, poésie, théâtre) et comprenant, par exemple, la présentation de l’ouvrage (titre, auteur, éditeur, genre), l’élaboration d’un résumé bref du livre lu, le choix d’un extrait à lire à voix haute lors de l’évaluation orale, la formulation d’un avis personnel sur l’extrait choisi, puis la présentation d’un objet que leur inspire le récit lu (une image, un objet ou un son). Un logo leur précise s’ils peuvent la présenter à l’oral ou non.

Fiche de lecture 1 : roman, conte, nouvelle.
Fiche de lecture 2 : BD & Manga.

À la fin de chaque trimestre, le travail des élèves est évalué à l’écrit et à l’oral. Dans un premier temps, l’élève passe à l’oral en groupe-classe devant un jury constitué d’une ou de deux enseignantes (professeure documentaliste et/ou professeure de lettres) afin de présenter au choix l’un des livres lus. Le barème d’évaluation met donc l’accent sur la lecture à voix haute, qui est réinvestie lors de l’accompagnement personnalisé en 6e. Par la suite, l’écrit est évalué, puisqu’une partie de leur travail personnel consiste à enrichir leur pochette du Bingo littéraire de fiches de lecture7 ; l’élève consigne par ailleurs sur sa pochette la lecture de tel ou tel livre correspondant à telle ou telle case (par exemple à la case B3 « un récit mythologique »). Certains élèves apprécient d’obtenir un « Super Bingo » (c’est-à-dire avoir lu au minimum 4 livres par trimestre).
À chacune de ces échéances trimestrielles, les élèves découvrent quelle classe de 6e a été la plus investie, ce qui confère d’emblée au projet un caractère fédérateur. À la fin de l’année scolaire, l’équipe pédagogique organise une remise de prix permettant aux lecteurs les plus assidus de recevoir un bon d’achat à valoir dans l’une des librairies de la localité. Bien qu’exigeant, ce projet de lecture tient compte des « bons », des « moyens », des « petits » lecteurs, ainsi que des difficultés de chaque élève par rapport à la lecture. En dehors du caractère pédagogique, une partie intéressante du projet consiste à enrichir la politique d’acquisition d’ouvrages en fonction de la diversité des profils de lecteurs et des thématiques littéraires abordées dans cette version personnalisée du Bingo littéraire. Je travaille de concert avec mes collègues afin de proposer une offre littéraire en adéquation avec les troubles des apprentissages dont doivent s’accommoder bon nombre d’élèves. À cet égard, un fonds de livres adaptés aux élèves dyslexiques a été mis en place. Les élèves concernés par ces problématiques sont initiés à le repérer très rapidement, et, loin de les exclure, il leur permet de gagner en confiance face à un projet de lecture ambitieux. La grille d’évaluation est identique pour tous les élèves : l’inclusion s’effectue donc principalement dans le choix d’ouvrages adaptés et l’accompagnement individuel et/ou collectif des élèves tout au long de l’année au CDI (ce qui suppose une connaissance assez fine du fonds documentaire).

Le projet met à l’honneur tous les livres, le manga trouvant autant ses lettres de noblesse que le sacral roman. La proposition d’un large choix d’ouvrages permet aux élèves de trouver rapidement chaussure à son pied :

Je me souviens d’élèves qui détestaient lire, mais qui ont trouvé leur plaisir en présentant des documentaires sur la pêche ou les pompiers. Cette année, j’ai un élève « petit lecteur » qui me présente des biographies de footballeurs célèbres. Je sais que si j’avais imposé une lecture à ces élèves, le livre n’aurait pas été lu et ils auraient vécu ce travail comme une souffrance, poursuit Laetitia Brun.

Les abords du CDI, considérés « élitistes »8, s’estompent car ces rencontres répétées entre la salle de classe et le CDI provoquent chez nos élèves de bonnes habitudes de travail ; en cela, le CDI est un lieu qui favorise l’inclusion. Quelques élèves qui admettaient ne jamais se rendre à la bibliothèque municipale (ni n’avoir de livres à la maison), commencent à envisager de le faire sur leur temps libre. Laetitia Brun indique que « le bingo littéraire a permis à certaines familles de s’intéresser aux livres et certains élèves ont fait acheter des livres à leurs parents ». Un point pour nous.

Mais comme tout est perfectible, il s’agit aussi de positionner les points faibles de ces projets au regard de l’inclusion. Tout d’abord, comment faire auprès des élèves exclus ou analphabètes ?

Sur le niveau des 5e, les résultats sur l’inclusion sont nettement moins présents, notamment parce qu’il n’y pas d’exposés à l’oral en classe et donc pas d’échanges entre eux. Je suis la seule à recevoir leur travail et leurs idées. […] Pour certains élèves, cela reste une activité de laquelle ils sont exclus : je sais que Lilian ne fait pas le bingo littéraire, que je ne peux demander ce travail à Maxime qui reste particulièrement perdu en français…, précise Laetitia Brun.

C’est ce que Magali Jeancler nomme l’envers de l’école inclusive ; un ouvrage coup-de-poing sur la révolution de l’école inclusive mise en avant depuis 2005. Se sentir démunie face à l’inclusion d’élèves en grandes difficultés est l’une des carences de l’Éducation nationale sur la question de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, de la formation des enseignants et de la place de l’éducation spécialisée. Qu’en est-il des livres audios pour inclure ces élèves si éloignés de la lecture ? La question fait débat au sein de l’équipe : certains considèrent qu’il s’agit d’une porte d’entrée vers la lecture, quand d’autres estiment qu’elle entretient au contraire une aisance qui ne pousse pas l’élève à s’approprier l’objet-livre.

Faut-il commencer par la piste bleue ou faut-il débuter désarmé mais équipé sur la piste rouge ?

Élodie Nicolas est accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) au lycée. Elle estime que le livre audio est une bonne alternative pour la lecture mais regrette que les outils d’adaptation à la lecture ne soient pas plus généralisés à l’ensemble des élèves – c’est dire l’accumulation des difficultés dont elle est le témoin :

En ce qui concerne les différents moyens d’aide à la lecture, je suis partagée. Il est vrai que beaucoup d’outils peuvent être à la disposition des élèves ayant une reconnaissance de handicap. Mais je trouve dommage qu’ils ne soient pas à la disposition de tous. Par exemple, la règle de lecture peut être utile à tous. Simple, discrète, et facile d’utilisation, elle est vraiment adaptée à tous les niveaux scolaire – y compris pour les élèves allophones qui apprennent à lire le français ou qui ont une façon de lire différente de la nôtre.

En outre, le rôle des professeurs documentalistes dans ce travail d’inclusion est primordial mais présente bien des difficultés à mener de front. La circulaire des missions des professeurs documentalistes souligne cette expertise et le fait que ces derniers sont de véritables détonateurs dans le développement de la lecture-plaisir :

Le professeur documentaliste contribue à réduire les inégalités entre les élèves quant à l’accès à la lecture. Les animations et les activités pédagogiques autour du livre doivent être encouragées et intégrées dans le cadre du volet culturel du projet d’établissement9.

À cet égard, rien ne peut mettre le professeur documentaliste à l’écart de ces projets de lecture, qui sont assurément appréciés. Il y a toutefois autant de professeurs documentalistes qu’il y a de façons de travailler. Certains bénéficient d’heures inscrites dans l’emploi du temps des élèves (ne serait-ce que dans celui d’un seul niveau). Quelques professeurs documentalistes profitent de l’absence de leurs collègues de discipline pour enseigner, quand d’autres co-enseignent. Finalement, certains n’y parviennent que très difficilement, rencontrant les élèves de manière aléatoire. Cette précarité pédagogique limite la marge de manœuvre des professeurs documentalistes pour initier des projets de cette envergure sur le long terme. Une situation que je déplore.

Conclusion

Trois ans après la mise en place du Bingo Littéraire, le bilan est positif malgré l’absence d’implication de quelques résistants de la lecture. Les élèves respectent les règles du jeu présentées en début d’année scolaire, même si certains tentent tout naturellement d’en contourner quelques-unes (notamment celle de lire le livre en entier en pensant que cela passera inaperçu). Ces derniers développent des mécanismes de travail en autonomie qui sont très appréciables, tout particulièrement en 5e, un enrichissement du vocabulaire et une réduction des fautes d’orthographe.

Aider les élèves à devenir autonome est l’une de mes missions principales dès leur arrivée au collège : cela passe par la lecture de la cote du livre, le repérage des collections et des tables d’exposition, l’utilisation du portail documentaire e-sidoc. Les élèves fréquentent alors le CDI dès que possible, et se prennent au jeu de la recherche documentaire. Par conséquent, les prêts explosent les records, le fonds documentaire est vivant, les réservations sont nombreuses ; tout cela transforme le CDI en un écosystème de la lecture. Évidemment, cela demande une gestion documentaire herculéenne… Mais le jeu en vaut la chandelle.

 

 

Note de lecture : Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? De Sarah Alami

Pourquoi certaines œuvres littéraires classiques, dites « patrimoniales1 », traversent-elles les siècles ? Qu’ont-elles de si particulier, que d’autres textes, tombés dans l’oubli, ne possèdent pas ? Et comment amener des lycéens à se les approprier ? Peut-être en leur proposant de jouer un rôle actif dans l’étude de celles-ci, à savoir, notamment, en sollicitant leur avis et en les invitant à réfléchir sur des sujets toujours d’actualité.
C’est ce que propose Sarah Alami dans Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? (et autres questions piquantes pour profs de lettres)… uniquement pour les profs de lettres ? À y regarder de plus près, pas si sûr… d’où notre choix de nous arrêter sur cet ouvrage : destiné aux professeurs de lycée, il se révèle un outil précieux dans le cadre de la collaboration entre le professeur documentaliste et le professeur de français.

Ce livre se divise en cinq chapitres, lesquels correspondent aux séquences pédagogiques conçues par l’auteur à partir d’une œuvre ou d’un corpus de textes : « Comment étudier un classique sans s’ennuyer en classe ? (Jean Racine, Phèdre, 1677) » ; « Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? (Collectif de poètes, Blason anatomiques du corps féminin, 1543) ; « Comment lire de gros livres avec les élèves ? » (Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857) ; « Comment se mettre dans la peau d’un auteur ? (Montesquieu, Lettres persanes, 1721) et « Comment enseigner l’autonomie ? » (Regards sur l’école et corpus de texte). Chaque séquence est accompagnée d’une introduction et d’un plan détaillé ; logiquement divisée en plusieurs séances, elle comporte également des extraits des œuvres étudiées. Surtout, une rubrique intitulée « Penchons-nous sur… » aborde des points méthodologiques qui constituent autant de portes d’entrée pour le professeur documentaliste, tel « Susciter le désir de lire » (chapitre 3) ou encore « Mener un atelier d’écriture » (chapitre 4).
Voici quelques pistes pouvant mener, entre autres, à des séances de coanimation : la première séquence pose la question de la culpabilité du héros tragique et repose sur l’idée de faire le procès de Phèdre ; les objectifs des séances 3 et 5 (« Interroger la responsabilité du héros tragique » et « Réfléchir aux enjeux d’un procès et étudier les failles du personnage tragique ») conviennent à l’organisation d’un débat argumenté.
Par ailleurs, afin de permettre aux élèves d’entrer en littérature, on pourra leur proposer, parallèlement à la lecture de la pièce de Jean Racine, celle de la bande dessinée Phèdre (texte intégral de Jean Racine, éditions Petit à Petit ISBN 9791095670278) ; cette dernière offre, de plus, la possibilité de mettre en regard des planches de bande dessinée et des scènes théâtrales pour réfléchir sur les choix du dessinateur Armel et sur la question de l’adaptation.
La seconde séquence porte sur le blason : la séance 4 « Le concours de contreblasons, contraction de textes et écrits d’appropriation » peut conduire à la création de podcasts, lesquels permettent, en outre, de travailler la lecture à voix haute. Le procès dont le roman Madame Bovary a fait l’objet, abordé dans la troisième séquence, conviendrait particulièrement à la réalisation d’une émission de radio sur la question de la place de la femme.
L’étude des Lettres Persanes de Montesquieu dans la quatrième séquence et la séance 5 dont l’objectif est « Peut-on rire de sujets graves ? » nous invite à réfléchir sur le fanatisme religieux et à travailler sur la caricature. Outre les ressources de la Bnf, citées par l’auteure, la découverte de EENCRE, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot, D’Alembert et Jaucourt (1751-1772) – http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/ –, dans le cadre d’une recherche sur les Lumières, pourra être très enrichissante. Quant à la séance 6 « Être en avance sur son temps, initiation à la recherche documentaire », le titre parle de lui-même !
Les possibilités de collaboration, vous l’aurez compris, sont donc multiples, et il nous semble que s’il est à conseiller à nos collègues de lettres, cet ouvrage permet également aux professeurs documentalistes d’être force de proposition.

 

 

ALAMI, Sarah. Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? (Et autres questions piquantes pour profs de lettres). Paris : Tsarines, 2021, 233 p. (C’est comme ça qu’on s’en sort), 22 euros. ISBN : 9782957925605.

L’art de lire

Ces ateliers ont pour but de :
– Donner des pistes pour travailler la posture physique et vocale ;
– Proposer des jeux et exercices pour développer l’écoute du groupe ;
– Travailler sur le choix des textes et extraits de textes.

Étayés par des lectures que je donne en bibliographie et des années de pratique de l’improvisation théâtrale, ces exercices et conseils, faciles à retenir et à mettre en œuvre, peuvent aider les enseignantes à travailler ces compétences.
Je vous propose ici un exercice que j’ai testé lors d’une session de formation en janvier 2020, et que vous pouvez adapter. J’ai choisi de présenter cet exercice plutôt que l’ensemble de la formation, car il me semblait à la fois plus original et plus facilement appréhendable pour des enseignant.es qui souhaiteraient mettre en place ce type de travail avec leurs élèves.

En amont

Cet exercice s’insère dans une journée de formation de six heures. Cette formation était inscrite au PAF et quinze enseignantes y ont participé, principalement des professeures de français et des professeures documentalistes. Je leur ai proposé de travailler le matin sur des exercices physiques et des jeux, et l’après-midi de mettre en application les apprentissages du matin sur des textes de leur choix que je leur avais demandé d’apporter.
Les exercices physiques consistaient en des assouplissements, des étirements, des jeux d’articulation, mais également des jeux de groupe, comme par exemple le jeu du cow-boy (cf. l’encadré) pour créer de la cohésion, afin de créer un collectif d’écoute. Vous trouverez facilement des ouvrages ou tutoriels pour des exercices d’assouplissement ou d’articulation, je ne les développerai pas ici. Ce que je vous propose dans ce document, c’est un exercice que j’ai inventé pour l’occasion et qui m’a permis de faire travailler les stagiaires sur un point en particulier, l’investissement.

Travailler l’investissement

L’objectif de l’exercice est de réussir à créer une forme de « théâtralité » qui permettra à la lecture d’être plus habitée, plus vivante et donc plus agréable à recevoir par le public. Il s’agit de trouver l’entre-deux délicat entre la lecture plate, peu attrayante et la mise en scène de théâtre, qui n’est plus de la lecture à voix haute, mais une performance de comédien.ne. Ce que je cherche à faire comprendre aux stagiaires, c’est ce qu’en théâtre d’improvisation on appelle l’investissement. L’investissement est le fait d’être impliqué dans son action, de croire à ce qu’on fait pour pouvoir transmettre l’action ou l’émotion au spectateur. Une lecture investie, c’est une lecture qui permettra de faire passer, en modulant sa voix, les intentions de l’auteur.rice.

Travailler l’écoute

Il ne peut y avoir de lecture réussie sans une bonne écoute de la part de l’auditoire. L’écoute doit réellement être active, et la lectrice ou le lecteur soutenu par le groupe qui l’écoute. Cette création de groupe peut se faire de différentes manières, soit sous forme de jeux théâtraux ou de relaxation en commun, c’est le but des exercices de cohésion que j’ai mentionnés plus haut, mais également en proposant à la lecture un texte décalé, drôle, ironique, voire choquant3. Réveiller l’auditoire, le fédérer autour d’une émotion commune aide à créer le groupe d’écoute. Lors de ma dernière formation, j’ai choisi de faire lire aux stagiaires des extraits de roman à l’eau de rose type Harlequin.

Préparer l’exercice

Pour arriver à faire ressentir aux stagiaires cette expressivité et pour créer de la complicité avec le reste du groupe, je leur propose de lire des extraits de romans sentimentaux, notamment les romans des éditions Harlequin (en vente dans les magasins ou par correspondance, ou récupérables dans les boites à livres). J’en ai ainsi récupéré une dizaine pour les besoins de la formation.
Ces romans à l’eau de rose, très stéréotypés, racontent tous globalement la même chose : une belle jeune femme rencontre un homme riche et ténébreux, leur relation commence à être houleuse, puis, à la suite d’un retournement de situation quelconque, ils finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre et par se marier ; quelques scènes un peu osées viennent pimenter le récit. L’histoire n’a que peu d’importance, car c’est sur le style que l’on va s’appuyer pour théâtraliser le récit : le style est ampoulé, les dialogues convenus, et cela tourne vite au ridicule. Il est difficile de lire à haute voix ce genre de texte au premier degré et l’on se retrouve naturellement à « jouer » un peu en lisant la scène. De plus, ces récits n’étant jamais dans les choix des stagiaires, ils peuvent s’entraîner sur eux sans aucune affection, et pourront les singer facilement.
Ayant constaté cet effet, j’ai proposé cet exercice aux stagiaires. Je l’ai préparé de la manière suivante :
– Je sélectionne à l’avance dans les ouvrages trois extraits signifiants : la première rencontre, le premier baiser/la première nuit d’amour, le dénouement. Ces extraits font une page à une page et demie, guère plus. Connaissant le nombre de stagiaires participant à la formation, j’en ai sélectionné une quinzaine.
– Le jour de la formation, j’expose le but et les modalités de l’exercice aux stagiaires. C’est également le moment que je choisis pour expliquer comment faire pour sélectionner un extrait. En effet, ce qu’on choisit de lire compte autant que la manière d’en faire la lecture. Il s’agit de trouver un extrait signifiant dans un texte, une situation-clé, une description particulièrement parlante. Je n’oblige bien sûr personne à passer, mais le but étant de s’exercer, tout le monde se plie habituellement de bonne grâce au jeu. Après chaque passage, nous échangeons sur ce qui a fonctionné ou pas, et le cas échéant, j’invite la personne à reprendre le passage ou à proposer un autre extrait.

Réception de l’exercice

La plupart des stagiaires ont « senti » le côté théâtral de l’exercice et se sont amusées à surjouer les passages que je leur avais préparés : comme nous avions auparavant travaillé sur l’écoute, et sur la formation d’un groupe, l’auditoire était préparé à jouer le jeu avec la lectrice. L’une après l’autre, les stagiaires se sont emparées chacune à leur manière de ce matériau un peu ridicule et l’ont transformé en lecture, soit sexy, soit comique, voire les deux. Cet exercice permet également de faire prendre conscience de l’importance de l’interprétation : un même passage peut ne pas faire du tout le même effet suivant la manière dont il est lu.
Seule une personne n’est pas rentrée dans l’ambiance, trouvant les textes trop ridicules, elle a toutefois accepté de passer elle-aussi devant les autres.

Que retenir de cet exercice ?

Ce n’est bien sûr pas la qualité littéraire du texte qui est à retenir ici, mais la dynamique créée autour de cette lecture, aussi bien chez la personne qui lit, que chez les élèves qui la reçoivent. Vous pouvez utiliser n’importe quel document qui vous inspire, l’important est qu’il soit un peu décalé ou second degré. Débarrassé de l’aspect « il faut lire avec le ton un texte sérieux », les lecteurs et lectrices retrouvent le plaisir ludique de la lecture, état d’esprit qu’il faut essayer de préserver pour d’autres lectures.
Cet exercice peut être utilisé comme échauffement lorsque vous prévoyez des séquences étalées sur plusieurs séances, pour des mises en voix de textes, mais aussi pour des préparations à des webradios.
Il pourrait aussi être intéressant pour les professeur.es documentalistes et/ou les enseignant.es de français en début d’année : à la fois pour créer le groupe classe et pour progresser sur la lecture d’extraits de texte en classe.

 

 

Monstrueux monstres

Aux origines

Dans le grand catalogue des monstres en tous genres, on peut compter sur les auteurs antiques pour alimenter une grande partie de nos peurs. Cyclopes et autres créatures bizarrement formées peuplent l’imaginaire antique. Pour les découvrir, il faut plonger dans la collection Histoires noires de la mythologie, chez Nathan. On y découvre les monstres les plus terribles. Dernier né de la collection, Méduse, le mauvais œil1, d’Anne Vantal, nous fait découvrir l’histoire de l’un des monstres les plus mythiques : à l’origine, la plus belle des trois Gorgones est vite l’objet de l’attention de Poséidon, à qui elle succombera de force dans l’enceinte du temple d’Athéna. Furieuse, cette dernière transforme alors Méduse en monstre hérissé de serpents, et dont le regard pétrifie celui qui a le malheur de le croiser…

Pour découvrir un large choix de monstres antiques, une collection s’impose, Percy Jackson. À l’âge de 12 ans, un jeune collégien américain découvre qu’il est le fils de Poséidon. Il se rend alors à la colonie des Sang-Mêlé, camp d’entraînement des demi-dieux. Percy est alors prêt à affronter les pires épreuves et les monstres les plus redoutables de l’Antiquité… toutefois quelque peu revisités puisqu’ils y habitent désormais au sommet de l’Empire State Building ! Quand même plus tendance que l’Olympe… Dans le deuxième opus, La Mer des monstres2, Percy affronte le monde des monstres marins, lesquels n’ont rien à envier à leurs collègues terrestres ! Une série qui séduit les lecteurs par son rythme, son humour et ses péripéties tout droit venues de l’Antiquité. Car oui, les monstres antiques sont vraiment et définitivement indémodables.
Petit dictionnaire humoristique des dieux et héros de l’Antiquité, La Mythologie racontée par les petits mythos3 propose aux jeunes lecteurs une approche globale et rigolote des monstres antiques.

 Des vilains méchants pas beaux

Avant d’attaquer les choses sérieuses, faisons une incursion du côté des monstres gentiment effrayants. Dans Le Bus 6664, Colin Thibert nous fait voyager en compagnie d’un catalogue d’horreurs, vampires, fantômes et autres zombies. Mais que diable Chloé allait-elle faire dans ce bus ? Elle n’était pas censée aller au collège, au départ ? Allez, Chloé, tu verras, ce n’est pas si horrible que ça les monstres…
C’est aussi ce que pense chaque jour Wallis May, héros du roman Wallis M, 14 ans, sauveur du monde5, de Metantropo. Âgé d’à peine quinze ans et se déplaçant en fauteuil roulant, le jeune garçon a pour mission de détruire les kaméléons, d’abominables aliens venus d’on ne sait trop où… Un roman rythmé et plein d’humour, pour nos lecteurs de 6e et 5e.

Beaucoup de rebondissements également dans le roman Jack Perdu et le royaume des ombres6, de Katherine Marsh. Alors que Jack vient d’échapper à un accident, il consulte à New York (la ville où sa mère est morte quelques années auparavant) un étrange médecin. Peu après, il découvrira les portes du royaume des morts, où il partira pour retrouver sa mère. Bien entendu, il croisera sur son chemin quelques gentils et (moins gentils) petits (et moins petits) monstres…
Beaucoup moins gentils maintenant sont les monstres du cirque de l’étrange, cirque ambulant imaginé par Darren Shan dans la série L’Assistant du vampire7. Les pires horreurs semblent s’être données rendez-vous pour proposer un spectacle dérangeant et terrifiant. Le jeune Darren a assisté à l’une des séances et, fasciné par Madame Octa, l’énorme araignée vedette du spectacle, il la dérobe à la fin de la représentation. Mal lui en a pris, car l’araignée le pique, et la seule façon de garder « la vie sauve » est de devenir l’assistant du vampire du spectacle… et donc de devenir lui aussi un vampire ! Une série qui fera frémir les lecteurs à partir de la 5e.

 

Ne va pas dans ce couloir !

Bon, si on passait aux choses sérieuses ? On veut des monstres, des terribles, des qui font vraiment peur ? Et on a ce qu’il vous faut en stock ! Par quoi commencer ? Zombies décharnés ? Créatures maléfiques ? Très très grosse bébête ?

Allez, va pour la vilaine bestiole. Quelque part au milieu de nulle part, un jeune homme nourrit une inquiétante créature. On ne sait pas bien à quoi elle peut ressembler, mais une chose est certaine, ce n’est pas un caniche nain ! Enfermée dans un cube de béton, la bête grandit, et bientôt son espace risque d’être un peu étroit… Et justement, elle a très envie d’aller voir ailleurs si elle y est. Mais la demoiselle est incontrôlable et va vite semer le désordre derrière elle… Vous voulez en savoir plus ? Plongez-vous dans le roman d’Ally Kennen, La Bête8. Vous ferez la connaissance de la créature… et des cauchemars qui vont avec !
De bien vilains rêves vous attendent également à la lecture de La Forêt des damnés9, de Carrie Ryan. Isolée dans un village entouré de barbelés, au cœur d’une forêt, la jeune Mary rêve de sortir de cette prison. Mais la forêt est peuplée de zombies que personne n’aimerait croiser le soir, justement, au détour d’un bois. Un roman captivant et particulièrement stressant, que les élèves dévorent à partir de la 4e.
Une bestiole. Des zombies. Place à l’alien ! Et pas n’importe lequel. Son nom ? Celà. Tout droit venue de l’inconnu, cette créature immatérielle débarque sur Terre. Et elle a faim. Très faim. Elle prend alors possession des hommes qu’elle croise, s’empare de leur conscience et de leur cerveau, et agit à leur place. Et elle dévore ! Précision : sur sa planète, le mot « vegan » ne doit pas exister ; il lui faut des nourritures plus consistantes, plus rouges et plus vivantes… Avec Celà10, Moka ne ménage pas son lecteur, et il faut avoir le cœur bien accroché. Mais quel choc de lecture !
Lecture coup-de-poing également que le roman Passeuse de rêves11, de Loïs Lowry. On y suit l’histoire de Petite, être miniature qui collecte les souvenirs en touchant les objets, et qui les transfère ensuite dans le cerveau des humains pour y créer les plus beaux rêves. Ça a l’air tout mignon, vu comme ça, non ? Mais c’est sans compter ses ennemis, les Saboteurs, qui eux, créent les pires cauchemars et les colères les plus profondes… Un roman fascinant, au cœur des pensées et des rêves.
Quant au roman Dream Box12, de N. M. Zimmermann, il gravit encore un échelon dans l’horreur, au royaume des ombres et des entités terrifiantes qui hantent la vie de ceux auxquels elles s’attaquent, en créant chez eux violence et désespoir. Le pire de ce qu’ils ont en eux peut alors s’exprimer. Le jeune Jeffrey est la proie des ombres depuis l’âge de neuf ans. Il rencontre un jour un homme qui a vécu la même chose que lui, et qui lui apporte une boîte, la Dream Box, dans laquelle il pourra enfermer les ombres et enfin dormir tranquille… À condition de ne jamais ouvrir la boîte… Un roman terrifiant et glaçant.

Des monstres très… humains

Il n’est pas forcément nécessaire d’être moche, d’avoir quatre bras ou de venir d’une autre planète pour être un monstre. La monstruosité peut parfois prendre des allures très quotidiennes, et chacun peut croiser la route d’un monstre à tout moment.
Dans cette petite ville américaine, un groupe d’adolescents a toujours en mémoire l’assassinat, dix ans auparavant, de Clarence, jeune garçon de leur classe. Pour Dylan, le souvenir est encore plus vivace. En secret, elle a le don de voir les enfants assassinés et le lieu où ils se trouvent. Or le meurtrier de Clarence n’a jamais été arrêté. Serait-il toujours dans les parages ? La question est dans tous les esprits, jusqu’au jour où une petite fille disparaît… Le monstrueux Rôdeur, comme la ville l’a surnommé, a-t-il encore frappé ? La réponse dans C’est pour toi que le rôdeur vient13, d’Adrienne Maria Vrettos.

On frémira également devant le monstre de violence imaginé par Charlie Price dans son roman, Desert Angel14. Au fin fond d’une Amérique très profonde, Angel vit dans une caravane avec sa mère, loin des paillettes de New York et Hollywood. Un matin, Angel découvre sa mère morte dans la caravane. Scotty, son dernier amant, l’a assassinée. Et Angel sait qu’elle est la prochaine sur la liste. Une course-poursuite s’engage pour la jeune fille… Un thriller implacable, haletant et scotchant, qui ne peut que raviver ces cauchemars d’enfance dans lesquels un monstre nous poursuit inlassablement…
Mais il n’est pas besoin d’habiter un endroit glauque pour croiser la monstruosité. Dans Tous les héros s’appellent Phénix15, de Nastasia Rugani, Phénix et Sacha l’apprennent bien malgré elles. Ces deux jeunes filles voient leur vie basculer le jour où leur professeur d’anglais entame une relation avec leur mère et s’installe chez elles. Si tout semblait commencer pour le mieux, leur vie plonge peu à peu dans l’enfer de la violence… Le monstre peut bel et bien entrer dans votre maison sous des apparences trompeuses… Un roman dérangeant, à posséder absolument.

Diaboliquement monstrueux

Faut-il classer le diable dans la catégorie des monstres ? Sans nul doute. Dans L’Escalier du diable16 de E. E. Richardson, de mystérieuses disparitions secouent la petite ville de Redford et plusieurs enfants pensent en avoir percé le secret : un mystérieux escalier, au-dessus duquel apparaît l’Homme noir. Une seule solution : affronter le monstre en face, sur l’escalier… Terrifiant.
Est-ce également le diable qui apparaît dans le roman d’Anne Fine, Le Passage du diable17. Depuis sa naissance, Daniel vit enfermé dans sa chambre, sous l’emprise de sa mère. Sur un appel des services sociaux, Daniel est pris de force à celle-ci, et part vivre chez un médecin et sa famille. Il ne garde de son ancienne vie qu’une maison de poupée, réplique de la maison de sa mère. Mais de bien curieux événements se produisent dans cette petite maison, et le pire est à venir…

 

 Et enfin…

L’Étrange cas de Juliette M.18, de Megan Shepherd. En cette fin du xixe siècle, à Londres, Juliette a perdu la trace de son père. Ce dernier, l’un des plus grands chirurgiens de la ville, a été banni de la cité pour des pratiques médicales très controversées. Nul ne sait où il se trouve, ni même s’il est mort. Juliette décide d’en avoir le cœur net, et veut le retrouver coûte que coûte. Ah, on ne vous a pas dit ? Son père est en fait sur une île, et son nom est Moreau… Ça vous rappelle quelque chose ? L’histoire de ce médecin, revisitée par le regard de sa fille, pose la question de la monstruosité. Jusqu’où peut-on aller pour transformer l’être humain ? Jusqu’à quelles tortures ? Et moralement, qu’en penser ?

Voilà de quoi faire de beaux cauchemars pendant un bon moment… Allez, un peu de patience, le prochain Thèmalire portera sur les vacances ! Monstrueuses lectures à tous !

Speed booking

Nos ambitions étaient plurielles : mobiliser trois classes de seconde et leur professeur de Lettres, amener les élèves à travailler l’oral et à lire des romans contemporains, favoriser la découverte de l’autre en créant des binômes de travail « à l’aveugle » et en amenant les élèves d’une classe à rencontrer individuellement ceux d’une autre classe autour d’un roman, comme une sorte de relais : la classe 1 présente à la classe 2 qui présente à la classe 3. Ce projet nous a demandé une sacrée organisation, dont nous vous détaillons ici les différentes étapes.

Étape 1 : le choix des livres

Souhaitant proposer des ouvrages contemporains, nous avons choisi des parutions très récentes, en poche de préférence (pour le budget). Au départ, essentiellement des romans, mais une anthologie poétique s’est finalement glissée dans la sélection, ainsi qu’un petit essai sur la lecture. Recherches sur les blogs de lecture, les critiques, etc. Il nous fallait un peu plus de livres (pas trop gros…) que d’élèves et une sélection qui englobe différents genres et différentes difficultés de lecture. Nous avons arrêté une liste de 19 livres, achetés en double exemplaire (voir biblio jointe), avec l’aide de l’APEL.

Étape 2 : les élèves de la classe 1 choisissent leur roman

Dans la classe 1, les 36 élèves devaient former des binômes autour d’un même roman. Mais plutôt que de les laisser se mettre avec leur camarade familier, nous avons créé un effet de surprise. La classe est arrivée au CDI pour deux heures de français et s’est mise au travail. Dans deux espaces éloignés du CDI, deux tables avaient été installées proposant chacune un exemplaire des 19 romans. Le professeur envoyait les élèves l’un après l’autre vers une table ou l’autre. Là, les élèves avaient quelques minutes pour choisir un livre sans qu’aucun commentaire ne soit fait. Certains s’emballaient pour une couverture, d’autres lisaient les 4e de couverture, d’autres encore, inquiets, cherchaient à connaître le but de cette manœuvre, quelques uns osaient à peine toucher les romans… Chaque fois qu’un élève élisait un livre, il était mis de côté (d’où l’importance d’avoir un peu plus de livres que d’élèves, sinon les derniers n’ont plus d’options…), et son choix était noté par la professeure documentaliste.

Étape 3 : les professeurs documentalistes rassemblentles listes des deux tables

Les élèves qui ont choisi le même roman constituent donc un binôme de travail « de fait ». Ils sont parfois surpris, mais des affinités existent forcément entre eux puisqu’ils ont choisi le même livre ! Le défi leur est enfin expliqué. Jusqu’alors, un certain flou avait été entretenu pour ménager un effet de surprise que les élèves semblent apprécier. Leur mission est donc de préparer à deux, pour la classe suivante, une présentation de leur roman qui va donner irrésistiblement envie aux autres de le lire. S’ils préparent à deux, la rencontre avec les autres élèves de la classe sera individuelle, en face à face. Ils peuvent utiliser ce qu’ils veulent : affiche, vidéo, présentation numérique, orale… Rendez-vous est pris pour environ deux mois plus tard.

Étape 4 : les répétitions

Les élèves se sont lancés dans la lecture du roman et préparent leur intervention. Leur professeur surveille un peu leur avancée et leur investissement.
À l’approche du jour J, une répétition est faite au CDI pour faire le point, préparer le matériel nécessaire… Dès la 1re répétition, les élèvent ressentent une certaine pression à l’idée de rencontrer bientôt leurs pairs, en tête à tête. Les plus timides pensent qu’ils n’y arriveront pas, mais le fait d’être en binôme les encourage à faire de leur mieux. Une seconde répétition sera nécessaire pour bien cadrer les choses.

Étape 5 : la première rencontre

Sur une plage de deux heures, les classes 1 et 2 se rencontrent. Tout a été préparé pour la classe 1, et chacun sait où est son poste. Chaque élève de la classe 2 reçoit une liste des romans et doit passer de stand en stand, environ trois minutes, pour écouter une présentation de chaque roman. Au début, les élèves sont un peu gênés d’être face à des pairs inconnus, mais ils auront chacun à répéter leur prestation environ huit fois et ils se prennent de plus en plus au jeu, améliorent leur prestation, s’épatent eux-mêmes. Quand la classe 1 repart, la classe 2 reste au CDI et doit écrire un article. Les élèves sont appelés chacun leur tour aux deux tables de romans pour reconstituer des binômes autour du roman choisi. Le choix est parfois très vite fait, car ils ont en tête les présentations de leurs camarades. Ils sont parfois déçus parce que le roman qu’ils souhaitaient lire a déjà été pris ! Ils ont pour mission de préparer la rencontre avec la classe 3 qui aura lieu environ deux mois plus tard.

Étape 6 : la deuxième rencontre

Sur une plage de deux heures, les classes 2 et 3 se rencontrent, mais le dispositif est un peu différent. L’enseignante et les élèves de la classe 2 ont choisi de préparer des petits duos au cours desquels les deux élèves défendent chacun un point de vue opposé sur le roman. Certains ont ajouté à ce duel argumentatif une petite mise en scène : faux coup de téléphone, rencontre imprévue, etc. Ainsi, les élèves de la classe 3 passent également par deux à chaque table. Comme ils sont moins nombreux, l’organisation s’en trouve un peu déstabilisée…

Le bilan de cette expérience est positif, mais nous sommes conscientes des limites et des exigences d’un tel projet. Il demande d’abord une organisation solide car dans le concret, il est parfois difficile de trouver le créneau pour que deux classes se rencontrent (et modifier les emplois du temps) ; il faut également « privatiser » le CDI pour le speed booking ; il a fallu par ailleurs investir dans les romans et certains n’ont pas trouvé « preneur ». Le projet demande un suivi aux enseignants pour que les élèves préparent sérieusement leur prestation (peut-être évaluer leur lecture en amont…), une répétition est nécessaire, c’est donc assez chronophage finalement… Pour améliorer le dispositif, nous réfléchissons à d’autres pratiques d’encouragement à la lecture : d’abord amener les élèves à piocher dans notre fonds récent plutôt que d’acheter des ouvrages ; leur proposer ensuite de réaliser une présentation avec les nouveaux outils – Powtoon en particulier – qui pourraient donner lieu à des projections et des mises en ligne sur e-sidoc… Certaines réactions d’élèves sont cependant très positives et montrent que la variété des romans présentés leur a donné une vision positive de la littérature contemporaine et des thèmes qu’elle aborde. Une expérience à réinventer donc !

Émigration Immigration

Les enfants

La littérature jeunesse aborde largement le thème des enfants arrachés à leur famille, leurs amis, et qui doivent tant bien que mal s’adapter à un autre pays, une autre culture. Le choc est souvent rude. Dans le beau roman Un cargo pour Berlin1, de Fred Paronuzzi, deux enfants qui partent en exil se retrouvent dans un cargo. Facilement accessible, ce roman lève le voile sur les conditions insoutenables de l’exil pour les enfants, et permet d’aborder le sujet de façon simple et claire, tout en évoquant de nombreux thèmes.

On peut travailler la thématique avec les plus jeunes grâce au roman Rom, Roman, Romane2, d’Hélène Montardre, belle histoire d’amour et d’amitié entre des migrants de Roumanie. Leur arrivée dans un paisible village ne passe pas inaperçue…

On aime tout autant le roman Tao et Léo3, d’Ingrid Thobois. Tao, petit garçon d’origine chinoise, s’est lié d’amitié avec Léo, un petit garçon français. Lors du Nouvel an chinois, les parents de Tao se font arrêter… Une nouvelle qui attriste tout le monde, et qui va faire réagir.

C’est également une petite fille née en Chine, prénommée Mei, que l’on découvre dans le roman Tu peux pas rester là4, de Jean-Paul Nozière. Installée avec sa maman dans un petit village quelque part au fond de la campagne, elles se retrouvent toutes les deux sous la menace directe d’une expulsion, sur ordre des autorités. Mais le village n’en a pas décidé ainsi et se mobilise pour les garder.

À ne pas manquer, le roman Le Temps des miracles5, d’Anne-Laure Bondoux. Le jeune Blaise Fortune est retrouvé au fond d’un camion, à la frontière. Il ne connaît que quelques mots en français et a perdu en cours de route la femme qui l’accompagnait. Un roman très fort, rempli d’émotion.

Entre illusions et espérances

Les migrants arrivent dans l’angoisse et la peur, mais avec espoir et souvent beaucoup d’illusions. Dans le roman Le Ventre de l’Atlantique6, de Fatou Diome, Salie est partie d’Afrique pour vivre en France. Son petit frère rêve de la rejoindre afin de devenir footballeur professionnel. Mais sa grande sœur essaye de lui faire comprendre la réalité… Un roman à lire à partir de la 1re. Une thématique que l’on retrouve dans le roman Chair à ballons7, d’Alain Devalpo. Plein d’illusions, un jeune garçon africain se laisse séduire par les propositions alléchantes d’un homme qui lui fait miroiter un avenir de brillant footballeur professionnel en France. Mais à son arrivée, il  déchante vite, et s’aperçoit qu’il s’est fait piéger…

Espoirs et illusions ne se quittent guère. Dans le roman Refuges8, d’Anne-Lise Heurtier, une jeune femme italienne revient à Lampedusa, son île d’origine. Elle y croise le destin de plusieurs migrants qui arrivent sur l’île. Ils sont remplis d’espérance, mais aussi d’espoirs déçus et de révolte. Un roman fort, pour les lecteurs lycéens.

La vie dans le pays d’arrivée se révèle souvent bien peu rose. Nous sommes tous tellement désolés9, de Jean-Paul Nozière, brosse le portrait sans concession d’une jeune femme arrivée de Moldavie, et installée dans un tout petit village pour y vivre de la prostitution. Quelques années après son départ, cette femme revient dans son village. Les rancœurs et les haines y sont toujours aussi présentes… Un roman à l’ambiance lourde et pesante, à proposer aux lecteurs à partir de la classe de 3e.

La vie au quotidien

Dans le roman Les Enfants de Babel10 d’Eliacer Cansino, le lecteur est plongé dans la vie d’une grande tour d’habitation, à Séville, dans laquelle les habitants proviennent de tous horizons. Chacun a son histoire, chacun a son avenir. Une sorte de microcosme, de condensé d’émigration.

Dans La Petite Fille de M. Lin11, de Philippe Claudel, un homme âgé retrace son histoire dans le pays qui l’a accueilli. Comment faire pour se faire comprendre dans une langue que l’on ne connaît pas ? Quelles sont les structures d’accueil ? Un roman qui évoque l’aspect sociologique de l’émigration, mais aussi le versant humain, psychologique.

Quant à Gadji12, de Lucie Land, il évoque le quotidien de Katarina, jeune fille rom partie à Paris après un drame survenu dans sa famille. Pour elle, vivre entre quatre murs, dans une grande ville, s’avère très difficile. Katarina souhaite garder sa grande liberté. Pourra-t-elle réussir à l’école ?

Pour les plus âgés

Pour nos lecteurs lycéens, aguerris à la lecture, deux romans sont à conseiller. Tout d’abord, Eldorado13, de Laurent Gaudé. Un voyage initiatique, l’histoire de boat-people. Un roman à mettre en lien avec le programme d’Histoire et de géographie. On conseillera également Un clandestin au paradis14, de Vincent Karle : Matteo et Zaher sont dans le même lycée. Zaher est un réfugié afghan et son arrivée au lycée est quelque peu mouvementée. Il n’est pas accepté par tous, et Matteo devra apprendre à le connaître…

Du côté des documentaires

Chez Gallimard, le documentaire Enfants d’ici, parents d’ailleurs15 retrace les périodes d’immigration par pays et par période, de 1850 jusqu’au début du XXIe siècle. À chaque fois, un enfant incarne le type de l’immigration. Très illustré, cet ouvrage se révèle une bonne accroche pour un travail sur le thème. On notera également la collection Enfants d’ailleurs, chez Autrement. Pour nos élèves de 6e et 5e, cette collection raconte l’histoire des migrants des premières générations, les titres se présentent sous forme de journaux, de cahiers rédigés. Une forme calligraphiée attrayante, qui se lit facilement.

Chez Syros, le titre Dernière solution, fuir ! 16, de Marilu Zamora, dans la collection J’accuse, propose le témoignage de trois enfants, une Péruvienne et deux Congolais, pour aborder la question. Un témoignage datant de 2006, mais dont les thèmes sont toujours d’actualité.