Légendes urbaines de la documentation

C’est tout l’enjeu d’une légende : il ne s’agit pas seulement d’évaluer sa crédibilité, mais d’en comprendre les leçons, ce qui en fait indéniablement un document qu’il faut prendre le temps d’analyser.
On rappellera que le documentum désigne une leçon, mais aussi quelque part une leçon de vie, une forme d’avertissement.
Il faut donc lire les légendes comme des formes signifiantes qui contiennent plus de vérités que de véracités : « Contes et légendes semblent avoir le même rôle. Ils se déploient, comme le jeu, dans un espace excepté et isolé des compétitions quotidiennes, celui du merveilleux, du passé, des origines. Là peuvent donc s’exposer, habillés en dieux ou en héros, les modèles des bons ou mauvais tours utilisables chaque jour. Des coups s’y racontent, non des vérités.1 »
Les petites histoires alimentent les plus grands fantasmes, comme celle qui raconte qu’on aurait perdu l’intégralité des documents concernant le séjour des Américains sur la Lune : de quoi alimenter toutes les thèses conspirationnistes. Ce qui est certain, c’est que des pertes documentaires du côté de la NASA sont à déplorer, pour des raisons de supports qui se sont dégradés ou sont devenus illisibles car il n’y avait plus la machine pour les lire et qu’on n’a pas toujours pensé à temps à effectuer des migrations de support.
La documentation recèle bien des légendes noires, et rapporte des erreurs, souvent humaines même si elles sont fortement liées aux dispositifs techniques et organisationnels, comme autant de milieux de savoir et de pouvoir. Or ces milieux ne sont pas nécessairement si propices à l’intelligence collective. Les formes hiérarchiques, les erreurs stratégiques, la recherche de conformisme, finissent par produire des dysfonctionnements, désagréments et autres effets néfastes dans nos quotidiens. Cela génère alors des formes de résistances, ou tout au moins des « inventions » marginales qui permettent de continuer plus ou moins à fonctionner. Les légendes urbaines de la documentation ne font que raconter à leur manière ces petites histoires du quotidien, où la somme des petites choses permet parfois d’avoir d’immenses résultats sur quelques élèves tandis que la grandiloquence des actions ministérielles ne parvient pas toujours à réaliser les espérances escomptées. Les légendes urbaines renversent donc le processus en changeant les perspectives à partir des visions issues du quotidien.

Dans le premier opus de nos légendes urbaines de la documentation,
les raisons occultes de la création du CAPES de documentation avaient été révélées. S’en était suivie l’émergence d’un groupe voulant la destruction du nouveau-né pédagogique : les terribles « Début de soirée » qui sévissent encore aujourd’hui…

Le président du CAPES de documentation

Il se raconte qu’un jour, nul ne sait quand, le président du CAPES de documentation aura lui-même obtenu le CAPES de documentation. Plusieurs versions de l’histoire circulent, certaines étant plus optimistes que d’autres. Chez le courant positiviste, cet individu serait déjà né et cela ne serait plus qu’une question de temps. Pour d’autres, l’élu-e n’est pas encore de ce monde, et seule Françoise Chapron serait capable de le reconnaître. Les tenants de cette version imaginent d’ailleurs que l’élu pourrait accéder, à terme, aux fonctions suprêmes de ministre de l’Éducation nationale.
Impossible de ne pas corréler cette légende avec la version la plus pessimiste : un document secret rédigé par la secte des « Début de soirée » mentionnerait le fait que nul ancien professeur documentaliste ne pourrait devenir président du jury sous peine de provoquer un désastre pédagogique sans précédent, remettant en cause les fondements sacro-saints de la vie scolaire. D’aucuns murmurent d’ailleurs que ce document serait un apocryphe et qu’il aurait été écrit par un inspecteur resté un peu trop longtemps à ce poste.

Mauvais présages ?

Le manuel de fonctionnement de l’univers aurait été une documentation en plusieurs volumes et serait tellement complexe qu’à la fin de sa lecture, l’élève le plus doué, Lucifer, aurait décidé d’imprimer tous les volumes puis de réaliser un important index pour en faciliter la consultation. Ne parvenant toutefois pas à comprendre tous les tenants et aboutissants de l’univers, il a décidé d’empiler la documentation pour s’en servir d’ascenseur vers le ciel afin de critiquer celui qui a produit la documentation technique, à savoir Dieu. À la suite d’une dispute, les deux sont accrochés de chaque côté de la pile de documents, maintenant un équilibre précaire sur le monde, tandis qu’il n’y a vraiment plus personne aux commandes et que tout menace de s’écrouler.

L’épreuve sportive du CAPES de documentation

La prochaine mouture du CAPES de documentation pourrait comprendre une épreuve physique et sportive sous la forme d’un heptathlon qui comprendrait des épreuves de lancer d’ouvrages, de course, de montée et de descente d’escaliers, voire la nécéssité de ramper en dessous des tables pour rebrancher le matériel informatique. La possibilité de transformer l’épreuve en escape game aurait également été évoquée. Le ministère serait tenté d’accepter, notamment parce que les candidats au reclassement pourraient rester coincés indéfiniment.

Les « Jordy » versus les « Début de soirée »

En 1992, alors que Jack Lang arrive au ministère, il découvre que le CAPES de documentation existe désormais. Il apprend néanmoins que les « Débuts de soirée », hostiles à cette création, sont de plus en plus nombreux au ministère. Prenant fait et cause pour les professeurs documentalistes, il monte un groupe secret chargé de défendre le nouveau-né : les « Jordy », car au même moment les radios diffusent en boucle « dur, dur d’être un bébé ». Le combat s’est ainsi poursuivi depuis, même si tout le monde s’accorde qu’il serait peut-être temps de changer de disque.

Les lolitas…

Puis souffla un vent nouveau sur le CAPES de documentation. Alors qu’Alizée interprète « Moi, Lolita », les Jordy parviennent à conférer un peu plus d’indépendance au CAPES alors adolescent. L’épreuve va ainsi afficher, à partir de 2001, des épreuves autonomes. De nouveaux profils apparaissent alors. Les nouveaux promus sont surnommés les « lolitas » par les « débuts de soirée ».
La guerre fait rage face aux dernières avancées qui installent davantage l’ancien bébé dans le paysage pédagogique. Les « début de soirée » tentent de reprendre la main avec la création d’une mission secrète en 2001, la mission « Ellis-Bextor » qui fait référence au tube du moment, « murder on the dance floor ». L’ambiance n’est désormais plus à la rigolade, il faut tuer l’adolescent. Il est vrai qu’à cet âge, un accident est vite arrivé.
L’adolescent a toutefois survécu, mais son développement n’a pas toujours été facilité, notamment par la prise de pouvoir des « début de soirée » au sein des milieux documentaires et de l’Inspection.

Une classification pour les ghostbusters

Charles Richet, prix Nobel de médecine et collaborateur à la CDU de Paul Otlet, aurait réalisé une classification exhaustive des différents ectoplasmes présents dans notre univers. Parmi les pires spécimens, on trouverait le bibliothécaire scolaire et le surveillant général, ce qui correspondrait plus ou moins actuellement au professeur documentaliste et au CPE. Leur capacité à hanter les lieux durablement expliquerait leur force ectoplasmique. Toutefois, les meilleurs ghostbusters seraient issus des mêmes professions, du fait d’une expertise professionnelle pour repérer les emmerdements durables et les éléments pots de colle.
Une lutte paranormale se poursuivrait au sein de l’Éducation nationale pour chasser les mauvais esprits. Une cellule spécifique serait chargée de ce genre d’initiatives au sein de l’ESEN à Poitiers. Il se dit même que les « début de soirée » auraient produit une liste noire des personnes interdites de séjour. En l’état, je n’ai pu vérifier cette information cruciale, n’ayant été invité à m’y rendre depuis un grand nombre d’années.

Marcel Sire et le SNIF

Marcel Sire, qui a développé les premiers centres documentaires dans les établissements scolaires, et notamment les SDI, a finalement eu l’idée d’utiliser le terme de service en lisant Langelot, agent secret de Lieutenant X2. Le jeune agent fait partie du SNIF, service national d’information fonctionnelle. On rappellera qu’officiellement le héros de littérature jeunesse est recruté en tant que documentaliste. Le but était en fait de calquer le modèle du SNIF dans un mode ultrahiérarchisé, avec des agents dans chaque établissement qui feraient remonter l’information et qui développeraient tous les processus appris de façon centralisée. Ce modèle est celui auquel aspirent les « débuts de soirée » afin de redonner une cohérence d’ensemble qui soit mieux conforme à l’esprit « snifien » des débuts.
Le fichier électronique centralisé du SNIF se nomme Jules César, tandis que les petits ordinateurs du réseau se contentent du nom d’Oscar. Reste à savoir désormais si BCDI est parvenu à conquérir la Gaule des établissements scolaires.
Sinon, pour rappel, Lieutenant X était en fait Vladimir Volkoff, connu notamment pour avoir écrit un ouvrage sur la désinformation.

In Cada venenum

La Commission d’accès aux documents administratifs permet d’obtenir des documents administratifs que les autorités administratives rechignent parfois à transmettre pour différentes raisons. Du fait de l’intérêt croissant pour les données, de plus en plus il s’agit de fournir des données interprétables plutôt que de simples documents. Le ministère songerait à corser le système en demandant aux usagers d’effectuer des requêtes <sparql, langage utilisé notamment pour le web sémantique. Seules les requêtes correctes seraient acceptées, les autres automatiquement rejetées. D’une manière bienveillante, le nombre de tentatives serait limité à deux par jour.

Les momies des légendes

Vous connaissez les momies d’Adèle Blanc-Sec qui prennent vie de façon parfois surprenante. Eh bien il en existerait de pareilles au sein des archives du ministère, ou bien au sein du réseau Canopé. Nul ne le sait véritablement et les sources varient, de même que l’origine professionnelle des momies en question. Tantôt ancien ou ancienne universitaire, tantôt ancien ou ancienne inspectrice, elles continueraient à hanter les lieux et à tenter d’influencer les décisions. Certains n’hésiteraient pas à s’en remettre à leurs conseils stratégiques pour prendre des décisions, ou tout au moins poursuivre leurs missions. On ne connaît pas vraiment leur âge véritable, certains prétendent qu’elles ont toujours été là comme de sinistres Belphégor. Leur pouvoir serait tel qu’elles parviendraient à s’emparer des âmes les plus nobles. Il se murmure même qu’elles sont les seules à connaître l’ensemble des légendes de la documentation, qu’elles les recensent et les recueillent avec une certaine minutie. Peut-être aurons-nous un jour la chance de les découvrir plus en détail, même si aucune journée « portes ouvertes » n’est annoncée à l’horizon.
Alors, en attendant un prochain épisode des légendes urbaines de la documentation, il vous faudra patienter. Certes, les légendes font faites pour être lues, mais il faut néanmoins quelqu’un pour les écrire parfois.