Comment les professeurs documentalistes peuvent-il donner de la visibilité aux élèves LGBT+ ?

ENQUÊTE DE TERRAIN

Nous nous sommes intéressées à la question des élèves LGBT+ dans les CDI à partir des derniers travaux de Bérengère Stassin. Nous la remercions d’avoir accepté de se prêter au jeu de l’entretien pour InterCDI.

Pourriez-vous résumer vos derniers travaux sur les élèves LGBT+ ?

Ces travaux se sont inscrits dans le cadre du projet de recherche Prodoq (Les professeur·es documentalistes et les questions de genre), financé par la MSH Lorraine, auquel ont participé quatre autres chercheuses de l’université de Lorraine (Émilie Lechenaut, Aurore Promonet) et de l’Université de Reims Champagne-Ardenne (Elodie Géas, Alexie Geers). L’objectif était d’étudier la manière dont les professeur·es documentalistes développent des savoirs en lien avec les « questions de genre » ainsi que le rôle qu’ils jouent dans leur diffusion au sein du CDI et du fonds documentaire, mais aussi auprès des élèves et des équipes éducatives. Parmi les thématiques étudiées se trouvait l’accueil des élèves LGBT+ qui sont exposés à des risques élevés de harcèlement scolaire et éprouvent des besoins informationnels qu’ils ne peuvent pas toujours satisfaire à la maison ou en bibliothèque publique.
Les pratiques informationnelles de ces élèves sont en effet aujourd’hui bien documentées grâce à la littérature scientifique. On sait par exemple qu’ils sont confrontés à différentes barrières dans leur accès à l’information, que cela soit au sein du CDI ou des bibliothèques publiques. Cela peut être dû à un manque important de ressources dans certains fonds ou à des erreurs dans l’indexation et le catalogage qui ne permettent pas de retrouver les documents. Il existe aussi des barrières psychologiques qu’ils s’imposent à eux-mêmes et qui les empêchent de demander, de consulter ou d’emprunter certains documents, par peur d’être remarqué, discriminé ou stigmatisé. Par ailleurs, les élèves LGBT+ ne forment pas un public homogène : certains fréquentent le CDI avec assiduité et sont de bons lecteurs, d’autres ne s’y rendent jamais ; les besoins informationnels d’un jeune garçon cisgenre gay ne sont pas les mêmes que ceux d’une jeune fille transgenre ou non binaire. En outre, si certains cherchent surtout à accéder à des représentations positives au sein d’ouvrages fictionnels, d’autres cherchent plutôt à s’informer sur la manière de faire un coming out ou de combattre la discrimination, à se documenter sur l’histoire des droits et de la culture queer.
De toute évidence, la plupart de ces jeunes comblent aujourd’hui leurs besoins informationnels à travers les médias sociaux. Si ces derniers leur permettent de rejoindre des groupes de discussion, de rentrer en contact avec des pairs pour échanger des expériences et tisser des liens amicaux, ils les exposent aussi à de forts risques en termes, par exemple, de cyberharcèlement. Ils peuvent aussi être confrontés à de la haine en ligne ou à des discours alarmistes quant à leurs pratiques numériques. Identifier les contenus digitaux qui ont tout à fait leur place dans un fonds documentaire de collège et/ou de lycée est l’un des enjeux de la médiation documentaire à destination des élèves LGBT+. On relève par ailleurs dans la littérature professionnelle un engagement en faveur de ce public qui passe aussi par une nouvelle façon de penser l’accès à la documentation, dans les bibliothèques et les CDI, à travers le catalogue, l’indexation et la cotation2.

Quel rôle pour les professeurs-documentalistes et de l’espace CDI des établissements scolaires ?

Il faut tout d’abord écarter certaines polémiques qui entourent la question de l’inclusion des élèves LGBT+. Contrairement à ce que laissent entendre certains discours portés par des associations de parents proches de la mouvance zemourienne ou de la droite catholique traditionaliste, il n’existe pas une « idéologie du genre à l’école ». Prendre en compte ces élèves ne signifie pas les exhorter à s’exprimer publiquement sur leur genre ou leur orientation sexuelle et encore moins les pousser à se catégoriser ou à s’assumer ouvertement. En revanche, c’est permettre à celles et ceux qui en ressentent le besoin de le faire en toute sécurité, c’est-à-dire sans subir de discrimination ou de désinformation. On peut ici citer l’exemple des élèves transgenres (et de leurs parents) qui s’interrogent sur les possibilités de faire une transition médicale et qui ont besoin d’accéder à une information fiable et pertinente3. Je trouve la déclaration faite par une professeure documentaliste rencontrée au cours de notre enquête très éclairante sur ce point :
Parmi les élèves LGBTQI+, il y en a qui s’assument clairement, sans complexe, mais il y en a d’autres qui n’osent peut-être pas. Je veux au moins qu’ils sachent qu’on sait qu’ils existent, qu’on a des ressources pour eux et qu’ils trouveront des réponses à leurs questions dans le fonds.
En effet, ces élèves existent, mais ne sont pas nécessairement identifiés dans les établissements, ce qui ne rend pas la tâche aisée pour les professeurs documentalistes qui doivent alors répondre aux besoins informationnels d’un public supposé présent.
Cependant, la volonté d’acquérir des ressources n’est pas suffisante pour garantir la constitution d’un fonds pertinent pour les élèves concernés. Les professeur·es documentalistes rencontrent certaines difficultés qui sont dues à un manque de connaissances en lien avec l’histoire et la culture LGBT+ ou à un manque de vocabulaire qui ne permet pas toujours de faire des recherches d’information optimales ou de bien indexer ou décrire les documents : par exemple, il est aujourd’hui préconisé de préférer le terme transidentité au terme transsexualité issu du vocabulaire psychiatrique et médical. Leurs propres stéréotypes et représentations peuvent aussi se répercuter dans le choix des mots-clés ou des acquisitions. Une autre professeure documentaliste rencontrée pendant l’étude a, par exemple, mentionné le fait que ses propres filles, qui s’identifient toutes les deux comme lesbiennes, lui avaient fait un jour remarquer qu’elle choisissait souvent des fictions où les personnages étaient rejetés par leurs amis ou par leur famille et qu’elle n’avait pas beaucoup d’histoires positives à partager avec les élèves concernés. Si la prévention des discriminations est de toute évidence nécessaire, le fait de montrer que l’on peut aussi vivre son homosexualité ou sa transidentité de manière épanouie l’est tout autant.
Enfin, sur le terrain, se pose souvent la question de valoriser un fonds sans stigmatiser un public : choisir les bons mots-clés, contourner les erreurs ou pallier les limites des thésaurus. À cela s’ajoute une réflexion menée sur les pratiques de classement des ouvrages, qui est aussi très présente en bibliothèque publique4. Par exemple, sortir d’un fonds de mangas ceux dont l’intrigue rend compte d’une romance entre deux personnages du même sexe pour les intégrer à un fonds spécial « LGBT » peut s’avérer contre-productif et source de stigmatisation. A contrario, ne pas signaler l’existence de telles intrigues au sein d’une BD, d’un manga, d’un roman et laisser les ouvrages au sein d’un fonds généraliste peut conduire à leur invisibilisation. Parmi les pratiques identifiées au cours de notre enquête se trouve celle qui consiste à apposer une gommette arc-en-ciel sur les ressources abordant des thématiques LGBT+. Elles ne sont donc pas sorties du fonds général, ont une certaine visibilité lorsqu’un élève passe en revue une étagère, mais doivent aussi faire l’objet d’un traitement documentaire efficace pour ne pas être réduites au silence.

Vous parlez d’hybridation du savoir info-documentaire et des savoirs communautaires : pourriez-vous expliquer et développer quant au rapport avec les CDI ?

Les professeur·es documentalistes reconnaissent l’utilité des formations et des séminaires dispensés par l’institution, car ils contribuent à définir le cadre institutionnel de la politique d’égalité, à mettre en œuvre des projets et à trouver des ressources pour les élèves et les équipes éducatives. Cependant, ces événements sont souvent trop courts et trop peu nombreux pour acquérir de nouvelles connaissances et les mettre en pratique de manière concrète. L’institution ne pouvant à elle seule apporter les connaissances et le soutien nécessaires, c’est auprès d’autres sources et au sein d’autres sphères que les professeurs documentalistes se forment et s’informent : les jeunes collègues ou les stagiaires qui peuvent être des personnes LGBT ou qui se sont intéressés à ces questions à travers leurs études ; les élèves concernés qui s’impliquent dans des activités de prévention ou qui participent à l’enrichissement du fonds documentaire ; leurs propres enfants qui peuvent aussi se poser ou s’être posé des questions quant à leur identité de genre ou leur orientation sexuelle ; les associations LGBT+ avec lesquelles ils collaborent dans le cadre d’actions spécifiques. La nécessité d’une collaboration plus étroite avec ce type d’associations pour améliorer la politique documentaire, en acquérant les ressources appropriées et en utilisant le vocabulaire adéquat, a d’ailleurs souvent été soulignée. On observe alors la mise en place d’un processus d’hybridation du savoir info-documentaire avec le savoir situé des personnes concernées et le savoir communautaire partagé par les associations ainsi qu’un processus de socialisation ascendante des enfants/élèves/stagiaires vers les enseignants·es en poste depuis plusieurs années. Ces processus s’expliquent par le recours à des sources d’information multiples, qui favorisent un traitement documentaire pertinent et non stigmatisant et une inclusion des élèves LGBT+ dans le panorama documentaire et culturel des établissements.

Quelles préconisations donnez-vous dans un contexte où les professeurs documentalistes regrettent le peu de reconnaissance pour leurs missions en EMI notamment ? Quelles pistes proposez-vous pour développer l’inclusion de ces élèves au CDI ?

Plutôt que de donner des préconisations, je donnerais plus volontiers des exemples d’actions concrètes, que nous avons pu observer mes collègues et moi-même à travers notre enquête, et qui permettent d’aborder la question de l’homosexualité ou de la transidentité de manière originale et non anxiogène, tout en faisant participer tout ou partie des élèves d’une classe ou d’un niveau.
Par exemple, au printemps 2022, l’auteur transgenre Laurier The Fox est venu présenter sa bande dessinée Reconnaistrans à des élèves de quatrième de l’académie de Reims, dans le cadre de la journée internationale contre homophobie et la transphobie. La rencontre a été préparée autour de trois entrées : la transidentité, le métier d’auteur et le roman graphique qui était alors au programme de français. L’idée était de permettre aux élèves, encadrés par leur professeur documentaliste et leur professeur de français, de discuter de ces trois aspects et surtout de prendre conscience que l’on pouvait se définir comme « transgenre », mais aussi comme auteur, artiste, professionnel de tel ou tel domaine, que l’on pouvait être « trans » et être totalement inséré professionnellement et socialement. C’est bien là tout l’enjeu de l’étiquette : permettre à des élèves qui en ressentent le besoin de poser le mot « gay », « trans » ou « bi », de se mettre un temps à l’écart pour comprendre qui ils sont et pour être ensuite en mesure de trouver leur place dans la société. Cela peut aussi être une façon de penser l’inclusion au sein de notre école républicaine.
L’autre exemple que je donnerais est une action menée auprès d’élèves de seconde volontaires par des professeurs documentalistes en partenariat avec une association rémoise à l’occasion de la semaine de la presse et des médias dans l’École5. L’objectif était d’étudier les représentations et les stéréotypes liés aux personnes LGBT+ à la télévision, dans les séries télévisées ou encore dans la publicité. Dans ce type d’action, le lien avec les stéréotypes de genre et les préjugés, certes, homophobes, mais aussi sexistes ou racistes véhiculés par les médias se fait tout naturellement et permet de penser une progression en EMI ou EMC autour de la question du vivre ensemble.
Le dernier exemple que je pourrais partager est le club manga porté par la professeure documentaliste d’un lycée nancéien. Cette dernière souligne que l’imbrication du visuel et du textuel sur laquelle repose la bande dessinée asiatique laisse plus facilement la place aux représentations et aux émotions et s’avère un levier efficace pour aborder des questions de société, comme le sexisme, l’homophobie et les stéréotypes de genre. Dans de nombreuses productions, on trouve en effet des stéréotypes renforcés par une visualité particulière : certains personnages féminins sont extrêmement sexualisés, tandis que des personnages masculins présentent des traits androgynes, presque féminins, cultivent une ambiguïté (Fruits Basket), sont bi-genre (Ranma ½) ou se « travestissent » ponctuellement selon un objectif particulier (Parmi eux). D’autres ouvrages (de catégorie yaoi ou non) posent la question de l’amour entre deux personnages masculins ou féminins (Eclat(s) d’âme, Le Mari de mon frère). Au-delà de la question LGBT+, les mangas de type mecha, qui allient humain et robot, permettent un questionnement sur l’identité et le rapport à soi, à son corps ou encore à son image.
On se rend bien compte que par la richesse de leur métier, la diversité de leurs missions et la relation de proximité qu’ils peuvent avoir avec les élèves, les professeurs documentalistes jouent un rôle central dans l’inclusion des élèves LGBT+, dans la prévention des discriminations et dans la promotion de l’égalité. Cependant, lorsqu’ils cherchent à mettre en place des actions spécifiques autour de ces thématiques, il n’est pas rare qu’ils soient confrontés à des résistances. Des élèves peuvent se montrer réfractaires parce qu’ils suivent une dynamique de groupe, évitent de témoigner d’une ouverture d’esprit afin de ne pas se faire remarquer. Certains évoquent parfois des convictions politiques ou religieuses qui, bien qu’elles n’aient pas leur place à l’école, peuvent être un frein au bon déroulement d’une séance. Les parents peuvent aussi émettre des réserves sur le déroulement d’activités, ce qui pousse parfois les enseignants à une forme d’autocensure ou à des stratégies de contournement. Cela est d’autant plus vrai dans des établissements privés sous contrat avec l’État situés dans des territoires où des organisations catholiques traditionalistes font pression pour que les questions de genre ne soient pas abordées à l’école. Les résistances peuvent venir d’autres membres de l’équipe éducative, par manque de temps ou d’intérêt, ou bien parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec ces questions ou sont également enfermés dans des stéréotypes. En France, la majorité des professeur·es documentalistes sont des femmes et certaines affirment parfois expérimenter un sexisme ordinaire allant d’un manque de soutien de la part de la direction dans l’organisation d’événements pourtant présentés comme prioritaires dans les textes officiels à une dévalorisation des actions qu’elles mettent en place. Face aux diverses résistances rencontrées et dans une institution qui formule des injonctions paradoxales, reproduit le système de genre et favorise la persistance des inégalités sexuées6, un sentiment de solitude et une impression de devoir « bricoler » se font souvent ressentir.

 

Les bibliothèques, lieux ressources pour les publics LGBT+

Dans son ouvrage sur les Représentations des homosexualités dans le roman français pour la jeunesse, Renaud Lagabrielle1 souligne l’importance des oeuvres proposant un ou des personnages homosexuels dans le panorama éditorial pour la jeunesse, et donc au sein de toutes les bibliothèques (scolaires, municipales et universitaires) à l’heure où celles-ci réfléchissent à la question de l’inclusion sociale. L’une des missions des bibliothèques est en effet de permettre l’accès à tous au savoir et à l’information, et celles-ci semblent ainsi particulièrement indiquées pour amener les adolescents LGBT+ à venir chercher des informations (même si Internet leur offre un accès plus direct et plus discret), et des personnages fictionnels auxquels s’identifier. Par ailleurs, il semble que le concept d’inclusion ne peut se penser sans celui de visibilité, et là encore, les bibliothèques ont un rôle à jouer.

Visibilité des thématiques LGBT+ en bibliothèque

Évolution historique en classification et indexation

Penser l’accès de la documentation liée aux thématiques LGBT+ est une étape fondamentale dans l’accueil des jeunes homosexuel.les et transgenres dans les bibliothèques et CDI. La visibilité de ces sujets, à travers le catalogue, par l’indexation et la cotation – loin de toute stigmatisation, qui en réalité arrive surtout quand on décide d’ignorer et d’exclure –, s’avère nécessaire pour lutter contre le rejet.

La Classification Décimale Dewey
L’étude des évolutions proposées à travers le temps de la Classification Décimale Dewey quant aux thématiques liées à l’homosexualité et à la transidentité ne peut se faire sans une observation du contexte américain à une époque donnée, dans la mesure où cet outil de hiérarchisation des savoirs demeure notamment dépendant du degré de reconnaissance sociale accordée à chaque item et à l’interprétation qui en découle. Par ce biais, nous assistons donc, d’une certaine manière, à l’histoire abrégée des personnes LBGT+ américaines, à l’étendue des préjugés existants et aux avancées visibles et légales de leur mouvement.
Pour un aperçu historique, il faut lire l’article « A brief history of homophobia in Dewey decimal classification2 » de la bibliothécaire australienne Doreen Sullivan. Elle explique comment la notion d’homosexualité dans la Classification Dewey fait dans un premier temps les frais de l’invisibilisation des homosexuel.le.s dans la société, puisque celle-ci n’apparaît pas avant la 13e édition en 1932 et y est dès lors associée d’une part à la cote 132 qui désigne les « mental derangements », et d’autre part à la cote 159.97 ou « abnormal psychology ». Jusqu’à la 14e édition en 1942, l’homosexualité demeure classée en 301.4157, soit comme « relations sexuelles anormales ». Par la suite, dans la 15e édition imprimée en 1952, l’homosexualité intègre la classe des sciences sociales, à travers la cote 301.424 désignant « the study of sexes in society » marquant une nouvelle étape dans la visibilité – bien que toujours réprimée – des personnes homosexuelles. Néanmoins, et malgré les émeutes de Stonewall en 1969 puis la dépsychiatrisation de l’homosexualité et sa suppression de la liste des maladies mentales en 1973 aux États-Unis, les éditions suivantes de la CDD persistent à la reléguer dans la classe de la psychologie comme un trouble du caractère et de la personnalité, dans celle de la santé en tant que trouble neurologique et enfin dans celle des sciences sociales comme perversion, au même titre que la prostitution, l’inceste et les relations extraconjugales. En 1989, dans la 20e édition, on parle toujours de « controversies related to public morals and customs » en 363.4 et de « homosexuality as a crime » en 364.1536. La notion de « mariage homosexuel » est introduite comme subdivision des « institutions relatives aux relations des sexes », alors que la 21e édition l’intègre à la cote 306.8 « mariage et famille », sous la division 306.848.
Enfin, en observant les tables abrégées de la 21e édition, nous retrouvons toujours l’homosexualité en 176, relatif à la « morale sexuelle », en 363.4 relatif aux « problèmes relatifs à la morale publique », en 155.3 relatif à la « psychologie de la sexualité et psychologie des sexes » et en 306.7 relatif aux « relations entre sexes. Pratiques sexuelles. » Cette dernière partie est l’occasion de noter la présence sur le même plan, sous la cote 306.76 désignant les « orientations sexuelles », de l’hétérosexualité, la bisexualité, l’homosexualité et la transsexualité. Il faut toutefois ici regretter la catégorisation de la transidentité comme une orientation sexuelle. Bien que liées dans les mouvements civiques et militants aux questions lesbiennes, gays et bisexuelles, la question transgenre touche à la notion d’identité de genre et non d’orientation sexuelle. Dans la CDD, il n’existe pas de division prenant en compte cette distinction. De plus, jusque-là, cette notion n’était évoquée que par le biais du « travesti » dans la division des « troubles sexuels ».
La dernière et 23e édition propose l’organisation suivante : 306.76 Relations entre sexes. Pratiques sexuelles > 306.764 Hétérosexualité / 306.765 Bisexualité / 306.766 Homosexualité > 306.7662 Homosexualité masculine / 306.7663 Lesbianisme / 306.768 Sociologie de la transexualité.
Elle inclut également l’homosexualité dans les classes 176 (éthique sexuelle), 363.49 (problèmes relatifs à la morale publique. Homosexualité) et 155.3 (psychologie de la sexualité).

Les étagères arc-en-ciel de la bibliothèque d’Umeå

Les notices autorité de Rameau
Tout comme celui de la Classification Décimale Dewey, le contenu du Répertoire d’autorité matière encyclopédique et alphabétique unifié (Rameau) est amené à évoluer et souligne un certain système de pensée, et dans le cadre d’une analyse sur les autorités matières liées aux thématiques LGBT+, une chronologie évocatrice apparaît.
La première notice créée, en 1981, concerne le terme d’« homosexualité masculine », ignorant ostensiblement la possibilité d’une homosexualité féminine. Celle-ci n’apparaît dans ce registre que quelques mois plus tard, en 1982 – date historique de la dépénalisation de l’homosexualité – sous le terme « lesbianisme », en même temps que celui de « bisexualité. » Le terme générique d’« homosexualité » n’est étrangement produit que l’année suivante.
Il faut attendre 1989 pour que le répertoire propose un terme pour évoquer les personnes transgenres, le « transsexualisme. » Cette terminologie se rapporte à une dimension médicale puisqu’elle implique une opération de réassignation pour aboutir physiquement au changement de sexe. Ce vocabulaire apparaît comme imprécis puisqu’il réduit les personnes concernées à un geste chirurgical et les désigne par rapport à leur sexe alors qu’elles se définissent autour de leur identité de genre. Qui plus est, il demeure le terme lié à la dimension psychiatrisante de l’histoire de la transidentité. Aujourd’hui, si les termes « transidentité » et « transgenre » doivent être préférés, ils n’apparaissent pas encore dans la liste Rameau.
Enfin, c’est plus de dix années plus tard, en 2000, que sont générés les termes « hétérosexualité » et « homophobie ». Hasardeuse ou non, cette simultanéité est l’occasion de souligner que la reconnaissance – tardive – du rejet des personnes homosexuelles n’est pas sans rapport avec la vision binaire de la société en termes de sexualité, laquelle induit une illusion de supériorité de l’hétérosexualité sur l’homosexualité.
Au-delà de ces considérations chronologiques, il faut par ailleurs s’intéresser aux sens que donne Rameau à ces termes et aux liens qui peuvent être établis. En effet, cet outil propose, associée à chaque terme de la liste, une rubrique « employé pour » et des termes génériques, associés et spécifiques. Ceux-ci peuvent ainsi poser certaines difficultés ou au contraire apporter un éclairage positif. Notons par exemple la confusion qui demeure quant à la bisexualité dont les termes associés dans le répertoire concernent encore l’« androgynie » et l’« hermaphrodisme », qui relèvent pourtant de notions tout à fait différentes. De même, le « transsexualisme » se voit employé pour parler de l’« intersexualité » et associé au terme générique relatif aux « troubles de l’identité sexuelle ». Enfin, de nombreux préjugés demeurent apparents, comme lorsque l’« homosexualité » se trouve devoir être employé pour une « inversion sexuelle » ou associé aux termes « amitié masculine, » comme le « lesbianisme » l’est aux termes « amitié féminine », ou encore quand « l’homosexualité masculine » se voit accoler le terme spécifique « sodomie. »
Néanmoins, il faut relever de manière encourageante que le terme « hétérosexualité » est associé au terme « hétérosexisme », soulignant ainsi une réalité sociale souvent méconnue, à savoir la promotion exclusive de l’hétérosexualité comme norme, et donc le rejet voire l’invisibilisation de toute autre forme d’orientation sexuelle et affective. Pour finir, la discrimination à l’encontre des homosexuelles n’est finalement pas ignorée non plus, puisqu’il est stipulé que le terme « homophobie » peut être employé pour signifier entre autres la « lesbophobie. »

Pratiques de classement des ouvrages pour la jeunesse

Cette histoire de la classification et de l’indexation des documents traitant de thématiques LBGT nous amène à orienter cette même problématique du côté des ouvrages destinés à la jeunesse. Sans donner de références définitives concernant le choix des cotes et des sujets, il s’agit avant tout d’évoquer certaines pratiques généralistes et pointer les difficultés induites par ces thématiques.
En effet, l’un des objectifs de la littérature pour la jeunesse, fictionnelle ou documentaire, étant d’offrir aux lecteurs une représentation du monde en leur proposant des modèles de comportements et de rapports sociaux, il importe pour les bibliothécaires et les documentalistes de prolonger et de valider ces discours, notamment dans le catalogue de l’établissement. Il faut par conséquent veiller à utiliser, avec encore plus de vigilance que pour un public adulte, une localisation et un vocabulaire éloignés des préjugés et éthiquement adaptés.
Concernant les ouvrages de fiction, ces « documents qui font appel à l’imaginaire3 », la classification est souvent conçue en fonction du genre. « La forme, qui impose d’elle-même des modes distincts de présentation, est souvent la solution la plus simple4. » Ainsi, les romans seront situés ensemble, tout comme les bandes dessinées et les mangas, les pièces de théâtre, etc. Dans ce cas-là, la cote 800 de la Classification Décimale Dewey sera bien souvent remplacée par la lettre R pour les romans, T pour le théâtre, H pour l’humour, etc.
Toutefois, en s’accordant sur le fait que la « classification Dewey ne correspond[e] à aucune stratégie de lecture du public5 », il est possible d’envisager un classement, notamment des romans, par thématiques ou centres d’intérêt. Cette méthode distingue d’une part les genres (le roman policier, le roman fantastique, le roman de science-fiction, le roman humoristique, etc.) et d’autre part les grands sujets. Ces grands sujets peuvent se rassembler sous divers titres, comme l’amour ou les questions de société – deux axes sous lesquels pourraient être classés les ouvrages traitant d’une thématique LGBT. Le point de vigilance se situe dans ces cas-là au niveau de la perception que peut en avoir le public. Privilégier le rangement de ces textes sous une étiquette dédiée aux problématiques sociétales présente un risque de stigmatisation. Si le sujet fait bel et bien référence à un épisode d’homophobie, cette catégorisation se justifie. En revanche, si le lecteur assiste simplement à une relation romantique entre personnes du même sexe, cette option ne servira qu’à marquer une différenciation inappropriée entre le sentiment amoureux hétérosexuel et homosexuel.
À l’inverse cependant, c’est le piège de l’invisibilisation totale qui peut découler du choix de noyer entièrement ces ouvrages dans des thématiques plus généralistes.
Du côté des ouvrages documentaires, les pratiques se tournent généralement vers une simplification des cotes. Ceci permet un regroupement plus large des thématiques, à l’intérieur des grandes classes Dewey par exemple. Là encore, la question se pose quant à l’intitulé de la section où peuvent être classés les documents traitant d’homosexualité, de transidentité, d’homophobie, d’homoparentalité, etc. La diversité des contenus induit de manière logique la répartition de tous ces documents entre les classes liées soit aux questions de société, soit à la sexualité, ou encore aux sentiments, à l’identité ou à la famille. Pour autant, une volonté de mise en avant et de visibilité pourrait justifier un rassemblement sous une même cote ou pôle thématique.

Histoire et culture LGBT+ : pour une meilleure visibilité

Exemples d’actions culturelles

Il existe de nombreuses manières pour les bibliothèques de participer activement à l’inclusion des personnes LGBT, dont nous pouvons donner quelques exemples.
Dans un premier temps, un accès aux collections spécifiques permet de faire vivre de manière indispensable la mémoire et l’actualité de cette communauté auprès des personnes directement concernées. Par ailleurs, ces espaces dédiés amènent également une visibilité nécessaire pour s’affranchir du système de pensée hétéronormé toujours en vigueur dans nos sociétés. En France, s’il existe quelques lieux ressources sur l’Histoire des femmes et du féminisme comme la bibliothèque Marguerite Durand à Paris, l’Espace Égalité de Genre de la bibliothèque Olympe de Gouges à Strasbourg ou le Centre d’Archives du Féminisme de la bibliothèque universitaire d’Angers, seule la bibliothèque municipale de Lyon met à disposition un fonds entièrement dédié aux questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle, le Point G. Pourvue d’un fonds d’archives liées à la mémoire homosexuelle, le fonds Michel Chomarat, la BML ouvre cette collection dédiée en 2005 et l’alimente grâce à des ouvrages contemporains, garantissant ainsi « représentativité et transmission6. » Ailleurs, nous pouvons évoquer également les « étagères roses » de l’Openbare Bibliotheek Amsterdam (OBA) ou encore les « étagères arc-en-ciel » de la bibliothèque d’Umeå en Suède. Partant du principe que « les publics LGBTQ étaient insuffisamment pris en compte au sein de la structure : tables de présentation au prisme hétérosexuel, collections dédiées absentes ou peu nombreuses, cultures LGBTQ rendues invisibles7 », ces établissements ont fait le choix de proposer des collections spécifiques mettant en avant la littérature et le cinéma traitant de l’homosexualité, la bisexualité et la transidentité.
Dans un second temps, l’inclusion des personnes LGBT+ peut se traduire par la participation à de grands événements locaux (proposer des projections dans le cadre d’un festival de cinéma LGBT), nationaux (mettre en place des tables thématiques lors de la Marche des fiertés) ou encore internationaux (organiser des conférences autour de la journée international de lutte contre l’homophobie le 17 mai ou celle de la visibilité Trans le 31 mars). Par ailleurs, des associations proposent des expositions gratuites que peuvent se procurer les bibliothèques et CDI, comme « Le cinéma contre l’homophobie » et « La littérature jeunesse contre les discriminations » (association Arc-en-ciel à Toulouse), ou encore le « Projet 17 mai » en bande dessinée concocté par SOS Homophobie. Les bibliothèques et CDI peuvent bien sûr également mettre en place leurs propres cycles d’animations autour des thématiques LGBT+, en accueillant des associations dédiées, en organisation des projections-débats ou encore en impliquant cette dimension dans les travaux des élèves ou en accueillant des groupes de parole comme cela se fait par exemple dans les lycées américains.

Représentation LGBT+ dans la production éditoriale pour adolescents

La littérature pour la jeunesse, et en particulier celle pour adolescents, propose à ses lecteurs un panel intéressant de personnages LGBT. En 2007, Renaud Lagabrielle8 dénombrait 30 romans d’auteurs français contenant un protagoniste homosexuel. Ce chiffre, qui excluait à ce moment-là les textes traduits, a semble-t-il fortement augmenté ces dix dernières années. Bien qu’au regard du nombre d’œuvres destinées à la jeunesse produit chaque année la proportion de celles s’intéressant à la thématique LBGT reste faible, il apparaît que le tabou disparaît peu à peu.
Il faut aussi noter l’évolution de la représentation de ces personnages : les personnages adultes ne sont plus uniquement des oncles et tantes célibataires endurci.e.s et/ou vecteurs de tous les clichés vestimentaires et comportementaux, et les adolescent.e.s ne sont plus seulement montré.e.s comme des victimes. L’enjeu actuel de la littérature pour la jeunesse qui s’empare des questions LGBT est de proposer à la fois des personnages communs, sans victimisation systématique, et des personnages dont l’histoire témoigne de l’homophobie et du fonctionnement hétéronormé de la société.
De fait, nous pouvons trouver dans la production actuelle des personnages ouvertement homosexuel.le.s, mais dont l’orientation sexuelle n’a pas d’incidence sur le récit, comme Sam dans Pixel noir de Jeanne-A. Debats ou Camille dans Proie idéale de Charlotte Bousquet. Ce type de personnages participe à un mouvement de banalisation de l’homosexualité en l’inscrivant sans dramaturgie excessive dans le paysage de tout lecteur et lectrice. De fait, les objectifs du roman contemporain pour adolescents abordant le sujet de l’homosexualité sont les mêmes que ceux de la littérature de jeunesse réaliste en général : l’aide à la construction d’une identité personnelle de l’adolescent lecteur et l’élargissement des horizons de chacun.
En dehors de ces personnages secondaires, la typologie des personnages homosexuels est double. D’une part l’adolescent.e, personnage central de l’histoire dont on suit la découverte de l’homosexualité ou la première relation sentimentale. D’autre part, des personnages adultes homosexuels qui peuvent être heureux en couple, comme Maryline, une amie de la mère de l’héroïne dans F comme garçon, d’Isabelle Rossignol, ou le père de Jack dans le roman éponyme de A. M. Homes qui vit avec un homme depuis son divorce, prouvant ainsi que les difficultés ne durent pas indéfiniment. De plus, en faisant accéder leurs personnages adultes à une vraie « normalité » et en les montrant épanouis et productifs pour la société, les auteurs s’attachent à déconstruire de nombreux préjugés. À l’inverse, le personnage de l’adulte homosexuel peut également être le moyen de traiter de l’épidémie du sida, révélant cette fois-ci des situations familiales et sociales plus complexes, comme par exemple dans Le Cerf-volant brisé de Paula Fox ou Tout contre Léo de Christophe Honoré.
Ce rapide panorama montre la diversité des situations proposées, et par conséquent celle des modèles potentiels auxquels s’identifier. Toutefois, il faut noter, comme le souligne Gilles Béhotéguy 9, qu’une plus grande proportion de titres s’intéresse à l’homosexualité masculine. Cet écart trouve son explication d’une part par l’invisibilisation systémique que connaît l’homosexualité féminine dans nos sociétés, et d’autre part par le tabou que représente l’homosexualité masculine et que la littérature de jeunesse cherche à déconstruire.
Enfin, soulignons que la question de la transidentité est encore très peu traitée dans la production éditoriale pour adolescents (cf. Thémalire de ce même numéro).

 

Pour de nombreuses raisons, liées à l’hétéro et la cis-normativité de notre société, les adolescents LGBT+ s’avèrent être un public particulièrement fragile. L’homophobie, la biphobie et la transphobie subies au quotidien entraînent de nombreuses conséquences négatives difficiles à ignorer. Des études démontrent que ces jeunes doivent faire face à des impacts graves sur leur santé mentale (notamment un taux de suicide beaucoup plus élevé que dans la population générale). Leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre les amène plus fréquemment à souffrir d’isolement, de rupture familiale, à voir leur estime de soi se détériorer et à faire face à des prises de risques accrues.
De manière concrète, ces jeunes LGBT rencontrent plusieurs niveaux de difficultés structurelles, entre réelle invisibilité de leur problématique et injonction à la normalisation. Cela se traduit par un manque de référentiels positifs auxquels s’identifier, mais également par un manque d’espaces dédiés aux questions liées à l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou aux LGBTphobies, où des informations spécifiques seraient facilement disponibles et ces spécificités prises en compte.
Cette notion de besoins particuliers intéresse particulièrement le monde des bibliothèques actuellement, lesquelles s’orientent depuis quelques années vers une offre documentaire et de services pensée en fonction des attentes des différents publics. En ce sens, il n’est pas inopportun d’imaginer ce que les bibliothèques, lieux d’information, de divertissement et d’accueil, peuvent apporter à ce public précis. Des ressources, bien sûr, mais aussi des espaces sûrs et accueillants pour tout.e.s. Cela implique pour les tutelles et les agents de bien connaître les besoins de ces publics, et les bibliothécaires de connaître les ressources vers lesquelles les diriger, que ce soient dans la bibliothèque, en ligne, ou hors les murs (auprès d’associations notamment, en proposant des affiches ou des brochures). Ceci nécessite une adaptation au niveau sémantique. En effet, il semble important que le personnel des bibliothèques soit formé à l’emploi d’un vocabulaire neutre et spécifique.
Enfin, les bibliothèques peuvent également être le lieu où la communauté LGBT+ est mise à l’honneur : les mettre en avant de différentes manières afin de les rendre plus facilement accessibles, mais aussi pour participer à améliorer leur visibilité, apparaît primordial.