Lorsque j’étais enfant, j’avais du mal à apprendre mes leçons. J’avais l’habitude, pour mémoriser un texte, de le relire, de l’écrire plusieurs fois et de marcher en rond dans ma chambre en le récitant, jusqu’à le connaître par cœur. Nous avons tous essayé de nombreuses techniques pour apprendre nos leçons plus rapidement et facilement mais ça n’a jamais été facile. Si j’avais compris comment fonctionne le cerveau, j’aurais pris davantage goût à l’apprentissage et évité bien des larmes de frustration. Aujourd’hui, ce sont mes élèves qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Certains ne prennent pas la peine d’apprendre leurs leçons, certes, mais d’autres essaient sans vraiment y parvenir car ils n’ont pas les clés pour le faire. Personne ne leur a appris à apprendre.
En intégrant les neurosciences à l’enseignement nous pouvons les aider à apprendre plus efficacement. Les méthodes prônées par les neurosciences ne sont pas miraculeuses, mais elles peuvent contribuer à leur faire gagner du temps et surtout à leur faire prendre davantage plaisir à apprendre quand ils en verront les résultats concrets dans leur parcours scolaire. Sur le long terme, cela pourrait éviter de nombreuses difficultés scolaires ou même diminuer le décrochage. Une fois bien en main, ces techniques seront une aide non négligeable dans leurs études.
En tant que professeure documentaliste, n’ayant pas de programme à suivre à la lettre, il est possible de consacrer quelques séances à travailler ce sujet en début d’année : le fonctionnement du cerveau et plus précisément de la mémoire ainsi que les méthodes à mettre en place pour mieux s’organiser et être moins stressé.
L’objet de cet article est de présenter certaines des méthodes qui peuvent être mises en place dans le cadre de l’Éducation aux médias et à l’information (ÉMI), en combinant consolidation de connaissances et usage de l’outil numérique (compétence TICE). Pour cela, je m’appuie sur différentes lectures, notamment un ouvrage récent écrit par un collectif de scientifiques qui fait le point sur la question Les neurosciences cognitives dans la classe. Guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques (ESF Sciences humaines, 2018). Différentes propositions d’adaptation en classe et/ou au CDI sont faites tout au long de l’article, inspirées de mes propres expériences en tant qu’étudiante, puis enseignante, et croisées avec ces lectures.
Qu’est-ce que les neurosciences cognitives ?
« Les neurosciences cognitives désignent une discipline scientifique et un domaine de recherche qui ont pour objectif d’identifier et de comprendre le rôle des mécanismes cérébraux impliqués dans les différents domaines de la cognition (perception, langage, mémoire, raisonnement, apprentissage, émotions, fonctions exécutives, motricité, etc.). » (Berthier, Borst, Desnos & Guilleray, 2018, p. 18). Pour cela, elles utilisent plusieurs techniques comme les techniques d’imagerie cérébrale telles que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), l’électroencéphalographie (EEG) et la magnétoencéphalographie (MEG), ainsi que des études comportementales et des tests psychologiques pour étudier les processus mentaux.
Les neurosciences sont utilisées dans de nombreux domaines comme l’éducation, la médecine, la psychologie, l’informatique (l’intelligence artificielle par exemple) et les sciences sociales. Elles ont par ailleurs fait d’énormes progrès dans le domaine de l’éducation durant les dernières décennies. Elles permettent de mieux comprendre les processus universels qui sous-tendent l’apprentissage, notamment dans les champs de la mémorisation, de la compréhension, de la mobilisation de l’attention, de l’implication dans les pédagogies actives et de la place pertinente du numérique dans les apprentissages (Berthier & al., 2018, p. 11). Ce domaine scientifique basé sur la recherche en neuroscience se subdivise en plusieurs sous-domaines en fonction de la thématique principale. Ainsi on appellera neuroéducation ou neuropédagogie celle qui s’intéresse à l’éducation et plus précisément à la psychologie de l’éducation, aux apprentissages et au développement des élèves. Elle permet par exemple de comprendre les mécanismes du cerveau qui permettent de lire, d’écrire, de compter, de raisonner ou encore de respecter autrui.
Les neurosciences cognitives peuvent permettre aux enseignants de développer des pratiques pédagogiques plus efficaces en se fondant sur les résultats des recherches scientifiques. Connaissant mieux le fonctionnement du cerveau humain, nous aurons davantage de clés en main pour pouvoir accompagner les élèves dans leurs apprentissages. Cela aura beaucoup d’impact non seulement sur leurs difficultés, mais aussi sur leur bien-être à l’école et donc sur le climat scolaire.
L’un des domaines de prédilection de la neuropédagogie est la mémorisation qui sous-tend l’ensemble de notre vécu. Non seulement la mémoire est la base de nos connaissances, de nos acquis, mais c’est aussi ce qui nous construit en tant qu’individu. Il est donc fondamental de savoir comment elle fonctionne, de connaître ses règles, afin de pouvoir construire des séances pédagogiques plus adaptées. Je vais me centrer sur ce domaine et présenter des techniques qu’il est possible de mettre en place en cours. Ces techniques peuvent paraître chronophages au début, mais c’est sans doute un gain de temps et de bien-être sur le long terme.
Comment fonctionne la mémoire ?
Comme indiqué ci-dessus, la mémoire est l’une des clés de l’apprentissage, elle peut être un levier sur lequel les enseignants peuvent s’appuyer pour améliorer la réussite des élèves. S’il est important de connaître son fonctionnement pour comprendre le rôle des techniques et des méthodes qu’il est possible de mettre en place, il l’est aussi d’être vigilant face aux neuromythes1 qui circulent au sujet du cerveau et de son fonctionnement.
Une mémoire, des mémoires ?
En premier lieu, il faut savoir que la mémoire se compose de cinq systèmes interconnectés, impliquant des réseaux neuronaux distincts, et que ces différents réseaux neuronaux sont impliqués dans de multiples formes de mémorisation (INSERM, 2019). Ainsi, nous ne pouvons pas dire que nous avons « une bonne ou une mauvaise mémoire », ni que « l’on perd la mémoire » car plusieurs systèmes de mémorisation s’entremêlent dans le cerveau. On peut distinguer : la mémoire de travail (au cœur du réseau), la mémoire sémantique, la mémoire épisodique, la mémoire procédurale et la mémoire perceptive qui renvoie aux différentes modalités sensorielles (INSERM, 2019).
Les systèmes de mémoire sollicités dépendent de ce que nous sommes en train de faire ou d’apprendre. Par exemple, nous n’utilisons pas la même mémoire ni la même partie du cerveau lorsque nous apprenons des tables de multiplication ou lorsque nous recevons des stimuli perceptifs. Chaque type de mémoire se distingue par la durée de rétention des informations, que ce soit quelques secondes, des années, ou encore toute la vie, ainsi que par la qualité des informations que le cerveau doit retenir.
En deuxième lieu, la mémoire n’est pas simplement une unité de stockage, elle est active. Mémoriser quelque chose enclenche plusieurs processus cognitifs qui permettent de stocker une information, de l’oublier, de la consolider, de se la rappeler.
En troisième lieu, chaque type de mémoire est logé dans une certaine partie du cerveau. Par exemple, les cortex sensoriels visuels, auditifs ou moteurs sont commandés par le cortex préfrontal (partie avant du cerveau). La mémoire procédurale, non déclarative se trouve dans le cervelet (partie arrière du crâne) et le striatum (centre du cerveau). Tandis que la mémoire déclarative est localisée dans le cortex préfrontal et dans l’hippocampe.

© Inserm, F. Koulikoff
Enfin, chaque information n’est pas stockée par un seul neurone mais par un réseau de neurones. Il ne se passe pas un instant, au cours des activités quotidiennes, sans que nous ne mobilisions une de ces mémoires (Berthier & al., 2018, p. 121).
L’oubli, un processus naturel important pour la mémoire
Lorsque nous parlons de mémoire, il ne faut pas mettre de côté un élément important qui lui permet de fonctionner : l’oubli. Souvent perçu comme négatif, l’oubli est un processus naturel et nécessaire du cerveau et de la mémoire. Sans l’oubli, le cerveau serait surchargé d’informations inutiles et il serait difficile de se souvenir des choses importantes. Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de l’oubli, tels que des interférences avec d’autres informations, une absence de consolidation ou encore la répression de souvenirs douloureux (Mansuy, 2005).
Cependant, l’oubli peut être minimisé en utilisant des stratégies de mémorisation efficaces pour renforcer la consolidation de la mémoire. Il n’est pas un ennemi de la mémoire, mais plutôt un allié qui permet de se concentrer sur les informations essentielles et de mieux les retenir.
La mémoire de travail et l’importance de regrouper les informations de manière pertinente
La mémoire de travail est celle qui permet de retenir un bon nombre d’informations de natures différentes (verbales, imagées, auditives, buts à atteindre, etc.) pendant quelques dizaines de secondes. La distraction et les perturbations extérieures peuvent facilement interférer avec cette mémoire. Sa capacité est limitée à environ sept informations qui peuvent être maintenues et manipulées en même temps (INSERM, 2019). Il s’agit de l’empan mnésique2.
Il est toutefois possible de regrouper les informations à apprendre de manière pertinente afin d’augmenter la quantité d’informations manipulables simultanément ; et il est préférable d’apprendre aux élèves des stratégies pour regrouper de manière pertinente les informations à mobiliser plutôt que de chercher à augmenter leur empan mnésique ; celui-ci s’accroît de toute façon naturellement avec l’âge. Des études ont montré que l’entraînement intensif pour augmenter cet empan n’a pas d’effet significatif sur la rétention des cours (Berthier & al., 2018, p. 126-127).
Le rôle crucial de la répétition et de la remobilisation des connaissances
Si l’oubli est un processus naturel pour le cerveau, il varie en fonction de certains facteurs tels que le stress, le manque de sommeil, la complexité des choses à mémoriser. Pour contrecarrer l’oubli, il est indispensable que l’élève étudie la même notion à plusieurs reprises, ce qui lui permettra de la retenir durablement. Les moments de rappel sont essentiels, mais ils ne doivent être ni trop rapprochés ni trop éloignés dans le temps. L’intervalle entre les moments de réactivation est stratégique, car si les répétitions s’enchaînent trop, cela supprime l’activité cérébrale utile à l’apprentissage. C’est ce que montrent Martin Riopel et Sophie Olivia McMullin dans l’article Effets d’espacement et de répétition en contexte scolaire (2021, p. 13-19), en appui sur les résultats de recherches récentes :
« […] il a été observé qu’espacer les répétitions favorisait l’implication de la mémoire à long terme (Bradley et al., 2015). Concrètement, espacer amène à devoir récupérer en mémoire à long terme ce qui a été vu ou fait précédemment en réactivant les réseaux de neurones impliqués dans l’apprentissage en cours (Ibid.). La récupération en mémoire, cette réactivation des réseaux neuronaux liés à un apprentissage, favorise ainsi la consolidation des apprentissages (Nelson et al., 2013). » (Riopel & McMullin, 2021, p. 14.)
Martin Riopel et Sophie Olivia McMullin distinguent l’espacement régulier et l’espacement progressif. L’espacement progressif consiste à commencer par des espacements courts entre les réactivations et à allonger progressivement les temps d’espacement à mesure que l’on se rapproche de l’évaluation finale. Bien que l’effet final sur la performance ne soit pas significativement différent lorsqu’on compare l’espacement régulier et l’espacement progressif, ils remarquent que « l’effet sur la performance minimale est significatif et peut avoir un impact sur la motivation à plus long terme » (Ibid., p. 16). Aussi, suggèrent-ils de « privilégier l’espacement progressif » (cf. page suivante « le rythme expansé »).
Il revient cependant à chaque enseignant d’expérimenter et de trouver le bon équilibre pour savoir quel espacement est le plus propice pour organiser les réactivations des notions vues avec les élèves.
Comment faciliter la mémorisation ?
L’importance des tests
Il est crucial de tester continuellement ses connaissances pour faciliter la mémorisation. Cela ne se résume pas au traditionnel contrôle de connaissances qui peut être perçu négativement par les élèves. Les tests sont ici un outil au service des apprentissages, et un levier très puissant pour la rétention et la consolidation en mémoire. Ils sont l’occasion pour les élèves de recevoir des informations métacognitives sur la qualité de leur apprentissage, ce qui leur permet de cibler les informations à consolider. De plus, les évaluations formatrices3
ont un effet positif sur la concentration des élèves.
Ainsi plutôt que de simplement inviter les élèves à relire le cours, il est recommandé de tester régulièrement leurs acquis, pendant les séances, à des intervalles courts (toutes les vingt minutes par exemple) car la relecture seule ne garantit pas la compréhension et la mémorisation des informations.
L’importance des feedbacks immédiats
Les feedbacks immédiats sont essentiels pour aider les élèves à comprendre leurs erreurs et leur éviter de les refaire. Quand le cerveau de l’élève commet une erreur, il le détecte implicitement. Cette détection implicite ne se fait pas uniquement au niveau du signal électrique cérébral mais aussi par le ressenti subjectif de l’élève. Aussi est-il important de fournir un feedback immédiat, pour que l’élève puisse remettre en question son résultat. « L’enjeu est […] de capitaliser sur ce ressenti de l’erreur et le doute qu’il engendre en explicitant l’erreur par un feedback immédiat. » (Berthier & al., 2018, p. 132). En effet, le cerveau fonctionne en détectant les régularités et anticipe souvent des informations.
Les techniques de mémorisation et d’apprentissage actif
• La répétition à rythme expansé
La mémorisation par reprises à rythme expansé est utilisée pour consolider l’apprentissage de savoirs déclaratifs (notions, concepts, définitions, propriétés). Elle consiste à réactiver l’apprentissage d’une notion plusieurs fois mais avec des intervalles de plus en plus grands dans le temps. Le principe est de rappeler la notion au moment où elle risque d’être oubliée, puis au fur et à mesure qu’elle est maîtrisée, à étendre la durée entre chaque rappel. Le rythme expansé se fonde sur l’hypothèse de la courbe de l’oubli du philosophe allemand et père de la psychologie expérimentale Hermann Ebbinghaus.

Courbe de l’oubli d’Hermann Ebbinghaus
La courbe de l’oubli porte sur le déclin de rétention de la mémoire dans le temps : si une information n’a pas vocation à être conservée, elle est peu à peu oubliée au fil du temps. Hermann Ebbinghaus n’a testé cette hypothèse que sur lui-même mais il pensait fortement que ses résultats pouvaient être universels. Comme le schéma le montre, si les nouvelles connaissances ne sont pas réactivées dans les jours ou les semaines qui suivent le moment où elles ont été apprises, elles vont être vite oubliées. Il convient cependant d’être vigilant quant à cette hypothèse, car certains paramètres n’ont pas été pris en compte durant l’expérimentation : notamment le moment de la journée où les informations sont apprises, les conditions de l’apprentissage, ou certains éléments relatifs au sujet lui-même (âge, vécu, fatigue…) ; par ailleurs, le dernier écart d’intervalle pris en compte entre deux réactivations n’est que de 31 jours ; enfin Hermann Ebbinghauss n’a pas utilisé de témoin, contrairement à la méthodologie scientifique actuelle4.
Au-delà de ces réserves, deux principes sont mis en évidence : une information qui n’est pas remobilisée est vite oubliée et espacer la pratique selon un rythme expansé peut permettre au sujet de mieux retenir et réactiver un savoir à chaque fois qu’il y est exposé.
• La sélection des essentiels et le calendrier de reprises
Pour mettre en œuvre le rythme expansé, l’équipe pédagogique peut se fonder sur la méthode Leitner et mettre en place un calendrier de reprises, sous la forme d’un planning annuel organisant la réactivation des « essentiels » à connaître par les élèves. Le calendrier peut être facilement créé sur un tableur en déterminant à l’avance le nombre de semaines de cours, et le nombre de chapitres à étudier. À chaque cours, l’enseignant sait ainsi quelles sont les nouvelles notions à étudier mais aussi quelles notions d’anciens chapitres sont à réactiver lors du cours.
En amont, l’enseignant aura déterminé les connaissances clés (mots-clés, définitions, concepts et notions, points de méthodes) que les élèves doivent acquérir durant l’année scolaire (les élèves ne sont pas en mesure de déterminer eux-mêmes ce qui est essentiel ou non). On peut envisager que ces savoirs soient l’objet d’une fiche Les essentiels à connaître, et/ou écrits au tableau à un endroit spécifique, en début de séquence.
Par exemple, pour un cours introductif aux médias, les essentiels à connaître seront les définitions de « média », d’« information », de « rumeur », d’« opinion », etc., et les divers types de médias (journaux, radio, télévision, réseaux sociaux…).
Ces éléments dit « essentiels » sont à prendre en compte dès la création du calendrier de reprises, et à signaler aux élèves au fur et à mesure durant les cours pour qu’ils se concentrent sur ces éléments. Il est préférable pour eux de maîtriser les notions fondamentales plutôt que de chercher à connaître l’ensemble des cours dans chaque discipline (ce qui est impossible).
Dans l’exemple de calendrier ci-dessous (figure 3), la première colonne liste les différents chapitres qui vont être étudiés durant l’année, et la première ligne mentionne le nombre de semaines disponibles pour les étudier. Pour chaque chapitre, les semaines où les savoirs vont être enseignés apparaissent en noir, et celles où les connaissances seront réactivées sont en vert. Il n’y a pas de loi qui permette de déterminer les écarts avec précision, de réactivation en réactivation : sur la figure 3, l’intervalle est de l’ordre S2 + 2, puis S3 + 3, etc. ; plus souvent, l’intervalle est doublé : une semaine, puis deux, quatre, huit, etc. Pour plus de précisions, on peut se référer à la fiche pédagogique Calendrier de reprises, sur sciences-cognitives.fr5.

La méthode Leitner, créée dans les années 1970 par le journaliste scientifique allemand Sebastian Leitner, propose un système de classement et de mémorisation des connaissances par répétition espacée, en appui sur un ensemble de cartes et de boîtes (figure 4). Elle est performante pour apprendre du vocabulaire, des définitions, des dates et bien d’autres informations. Le classement des cartes de révision s’effectue en fonction de l’apprentissage de l’élève.

Par exemple, si la définition à apprendre est celle de « média », la personne qui crée les cartes (l’élève ou l’enseignant) écrit au recto de la carte : « Un média est… », et au verso tout ou partie de la réponse. Il peut y avoir une seule carte recto-verso, ou plusieurs cartes lorsque la définition est complexe :
Carte n° 1 : « Un média est… », réponse au dos de la carte : « un moyen de communication » ;
Carte n° 2 : « Que diffuse un média ? », réponse : « des informations » ;
Carte n° 3 « À qui s’adresse un média ? », réponse : « à un large public », et ainsi de suite.
Lorsque l’élève donne une réponse juste à la question du bac n° 1, la carte peut être placée dans le bac n° 2 qui sera étudié un peu plus tard. S’il donne une mauvaise réponse, la carte reste – ou revient – dans le bac n° 1 pour être révisée le lendemain, et ainsi de suite.
Selon cette méthode, basée sur le principe de « répétition expansée », les cartes sont révisées de moins en moins souvent au fur et à mesure que les savoirs sont mémorisés par l’élève. Le fait que les cartes soient mises dans des paquets et des boîtes différentes permet d’organiser facilement les révisions avant oubli, l’enseignant et les élèves peuvent savoir visuellement quel est le paquet à réviser.
• Le cahier de réactivation
Un cahier de réactivation (papier ou numérique) peut également être utilisé comme outil support à la réactivation collective de notions essentielles dans les disciplines. Il permet de créer un rituel propice aux apprentissages et de renforcer l’interdisciplinarité (Berthier & al., 2018, p. 191-193). Dans l’esprit du dispositif, chaque classe dispose d’un cahier de réactivation qui passe de cours en cours, porté par un élève responsable (les délégués par exemple). Les réactivations sont faites sur un temps court (quelques minutes), en début d’heure. Chaque professeur peut ainsi, au démarrage du cours, interroger les élèves sur quelques notions (3 maximum), même si celles-ci ne relèvent pas de sa discipline. Les élèves répondent collectivement à la question posée à l’aide d’une ardoise ou d’un cahier de brouillon, ou bien l’enseignant désigne au hasard un élève pour y répondre. À la fin de chaque cours, l’enseignant ajoute dans le cahier quelques questions relatives à sa discipline et leurs réponses en inscrivant la date à laquelle il les a ajoutées et les dates auxquelles les notions doivent être réactivées.
La méthode Feynman, la compréhension au service de la mémorisation
La compréhension est un élément clé de la mémorisation. Si un élève comprend une notion, il la retiendra avec plus de facilité. L’une des meilleures façons de savoir si une notion est maîtrisée, c’est de demander à l’élève de l’expliquer de manière simple, avec ses propres mots. Il est possible d’utiliser la technique d’enseignement et d’apprentissage de Richard Feynman7, physicien américain et prix Nobel de physique en 1965. Cette technique permet de mettre en évidence ce que l’élève sait et ce qui n’est pas encore acquis car pas encore compris. La première étape consiste pour l’élève à écrire tout ce qu’il sait sur la question ou la notion qu’il est en train d’apprendre sur une feuille blanche. Les informations données doivent être suffisamment claires pour être comprises par un élève plus jeune. En faisant cela, il peut repérer assez vite ses lacunes et les faiblesses de son explication. L’étape suivante consiste à faire des recherches complémentaires, relire son cours, et/ou demander des explications ou des exemples au professeur. L’élève retourne ensuite à sa feuille blanche pour ajouter les informations qui manquent. L’opération doit être renouvelée jusqu’à ce que le résultat soit satisfaisant. Il reste ensuite à l’élève, pour éprouver ses connaissances, à expliquer la notion à quelqu’un qui ne la connaît pas. Si la personne comprend, c’est que lui-même l’a suffisamment comprise pour pouvoir l’expliquer correctement. Cette technique peut faire l’objet d’exercices en classe, entre élèves. Cela participe d’un apprentissage actif, exigeant en temps, mais efficace.
À titre d’exemple, nous pouvons imaginer une séance de réactivation en ÉMI à la fin d’une séquence sur l’introduction aux médias. En amont, le professeur documentaliste a sélectionné plusieurs notions importantes à connaître comme : « média », « information », « source », « droit d’auteur », etc. Il note ces différentes notions au tableau, avec pour consigne : « Sur une feuille blanche, essayez de définir ces notions vues en cours. Donnez une définition et un exemple pour chacune d’elle ». Les élèves ont une dizaine de minutes pour se remémorer leurs connaissances. Ensuite, ils se répartissent en groupe de trois ou quatre et travaillent sur la notion qu’ils maîtrisent le moins. Une fois en groupe, ils essaient de partager leurs connaissances sur la notion et notent les éléments sur une nouvelle feuille blanche. Le professeur documentaliste passe dans chaque groupe pour les aider et voir leur avancée. Après l’étape de mise en commun, les élèves ont le droit de chercher dans leur cours pour trouver les éléments qui manquent et les ajouter sur la feuille. Une fois le travail terminé, chaque groupe passe au tableau pour expliquer la notion au reste de la classe. S’il manque des éléments, toute la classe peut être sollicitée pour faire des ajouts. Le professeur peut ainsi vérifier que les notions sont bien comprises par chaque élève. Quand tous les groupes sont passés, il est possible de demander à la classe de relier les notions et concepts entre eux. Par exemple qu’est-ce qui relie les médias à l’information, etc. On peut imaginer la création d’une mind map (carte mentale) au tableau.
Sur quels outils s’appuyer pour mettre en place ces techniques de mémorisation ?
Anki, un logiciel de création de cartes
Le logiciel Anki (https://apps.ankiweb.net/) s’appuie sur la méthode Leitner ainsi que sur un algorithme SM2 créé à la fin des années 1980. Il permet de créer des paquets de cartes ou decks. Chaque paquet correspond à un stock de cartes appelées aussi flashcards. Il est possible de créer des cartes simples question/réponse, mais aussi des textes à trou, d’insérer des images, des sons ou des formules mathématiques ; les enseignants peuvent envoyer des paquets de cartes aux élèves via Pronote. Anki peut être utilisé sur les tablettes ou les ordinateurs de l’établissement mais aussi sur les téléphones portables (les élèves peuvent réviser sur le trajet école-maison).
Les cartes apparaissent à l’écran sous deux formes : soit le recto apparaît seul, soit il apparaît avec la réponse (verso). L’élève peut ainsi s’interroger puis vérifier la réponse. Le logiciel se fonde sur la courbe de l’oubli d’Hermann Ebbinghaus. L’algorithme permet de présenter les cartes à réviser au moment où l’élève est sur le point d’oublier ; et permet donc à l’élève de réviser plus souvent les cartes les moins connues et moins souvent les cartes déjà sues.
Par exemple, à la question « Quelle est la définition d’un média ? », après un temps de réflexion, l’élève peut afficher la réponse « un moyen de communication ». Pour passer à la question suivante, il doit choisir l’un des boutons proposés en bas de l’écran : « encore », « correct », « facile » en fonction de la difficulté qu’il a eue à trouver la réponse.
En fonction du bouton choisi, la question réapparaîtra ultérieurement dans un délai calculé par l’algorithme et selon les lois statistiques de l’oubli. L’intervalle de rappel peut varier entre quelques minutes, plusieurs jours, des mois et même des années. Ces intervalles sont recalculés à chaque interrogation et dépendent de l’élève.
Parmi les logiciels de carte mémoire existants, Anki n’a certes pas un design fait pour séduire les élèves, mais c’est un logiciel performant qui permet l’individualisation des apprentissages. Il existe plusieurs versions : Ankiweb (accessible directement sur Internet), la version logiciel (qui peut fonctionner sans Internet) et l’application Anki qui peut être téléchargée sur les smartphones ou les tablettes des élèves (version la plus agréable en terme d’expérience utilisateur). C’est un outil entièrement gratuit.
Duolingo et Memrise
D’autres sites ou applications comme Duolingo (https://fr.duolingo.com) ou Memrise (https://www.memrise.com/fr/) peuvent être utilisés, notamment pour la compréhension et l’apprentissage des langues. Memrise, moins connu du grand public, est un outil efficace pour la mémorisation à long terme.
Une fois inscrit sur le site ou sur l’application, l’enseignant peut soit créer son propre cours, soit demander aux élèves de s’inscrire à un cours déjà présent sur le site (certains cours sont très bien faits comme ceux pour l’apprentissage des verbes irréguliers par exemple). En créant un cours, l’enseignant peut intégrer des images et des sons, voire de courts extraits vidéos. Là encore, l’algorithme qui sous-tend tout l’apprentissage permet de réviser chaque jour les éléments déjà vus mais sur le point d’être oubliés.
Les élèves peuvent ainsi apprendre à leur rythme et se lancer des petits défis de révision rapide. Le site est plutôt ludique pour l’utilisateur mais sa version gratuite contient de plus en plus de publicités. L’application peut être un atout pour les élèves qui souhaitent réviser régulièrement et à tout moment sur leur téléphone portable. Si ce site a été pensé en premier lieu pour les langues, il est tout à fait possible de créer des cours de révision en ÉMI et d’y inscrire les élèves pour des réactivations de notions en classe.
Les logiciels de tests en ligne
Enfin, pour des tests rapides permettant de consolider les apprentissages, plusieurs outils sont disponibles : notamment Kahoot (https://kahoot.com/fr), Quizlet (https://quizlet.com/fr-fr) ou encore Wooclap (https://www.wooclap.com/fr) qui permettent de créer des quizz rapidement et surtout d’avoir un retour immédiat sur les réponses des élèves. L’avantage des supports numériques est qu’ils ne nécessitent pas de correction et que les résultats peuvent être récupérés.
Wooclap par exemple est un outil intéressant pour dynamiser les cours d’éducation aux médias et à l’information. Chaque élève, doté d’une tablette, peut suivre la présentation qui est au tableau. À un moment donné du cours, choisi en amont dans la présentation, des questions vont s’afficher sur leur tablette. Ils disposent d’un certain temps (30 secondes ou 1 minute) pour y répondre. Cela permet de savoir si les élèves ont bien compris les notions et, dans le cas de réponses non satisfaisantes, de leur réexpliquer directement. Les élèves apprécient ce mode de fonctionnement car les questions ne sont pas des questions pièges, mais juste une vérification de la compréhension. Ils apprécient de trouver rapidement les bonnes réponses, le cours est dynamique, ce qui semble les encourager.
Conclusion
En utilisant dans leur pratique pédagogique des techniques basées sur la remobilisation des connaissances et la compréhension active, en mobilisant certaines méthodes issues des neurosciences, les professeurs documentalistes, comme tout enseignant, peuvent contribuer à consolider les apprentissages des élèves. Enseigner les techniques de mémorisation peut être un levier dans cette perspective.
Mais c’est aussi un défi : cela exige un investissement initial important en matière de préparation et de formation, et des ajustements en continu lors de l’introduction de techniques et d’outils nouveaux (cours à adapter, stratégies à élaborer, temps supplémentaire à prévoir). Des obstacles, tels que les contraintes de ressources ou les résistances institutionnelles peuvent aussi entraver la mise en œuvre de pratiques qui bousculent l’existant des formations.
Au-delà de ces difficultés, cependant, et des efforts supplémentaires à déployer, ces changements sont porteurs d’une nouvelle dynamique pour les pratiques : les bénéfices potentiels concernent autant l’enrichissement de l’expérience éducative que l’amélioration des apprentissages des élèves à long terme. Et ils plaident pour un rapprochement fécond entre l’enseignement et la recherche : les enseignants peuvent trouver là matière à information sur les avancées scientifiques, et à enrichir leurs pratiques, et en retour faire bénéficier les chercheurs de remontées du terrain, en prise avec les conditions réelles d’enseignement, attentives à ce qui est possible, compte tenu des besoins des élèves en situation. C’est cette idée que met en avant le projet des cogni’classes proposé par le collectif Sciences cognitives (sciences-cognitives.fr) : les classes y sont présentées comme une adaptation de la pédagogie pour le mieux apprendre et le mieux-être de tous, avec des déclinaisons différentes suivant les contextes.