La relation pédagogique. Des clés pour se construire de Florence Lhomme

Le livre est préfacé par André Sirota3. Il revient sur l’engagement de l’auteure vis-à-vis de ses élèves. Elle a été marquée par ses rencontres dans l’exercice de son métier et nous livre ici ses expériences et conclusions « pour celles et ceux qui se sentent concernés par les relations de transmission à l’école et l’engagement dans le travail intérieur qu’elles demandent à chacun » (p. 9). L’ouvrage est constitué de 15 chapitres divisés en 4 parties pour 191 pages.

Dès la première partie intitulée « construire la relation pédagogique » (p. 15), l’auteure nous demande de « croire en l’éducabilité de tous », ce qui est la condition sine qua non tout au long de cet exposé. Ainsi la relation pédagogique se forge petit à petit avec les personnalités et acquis de chacun. Tous les élèves ont, selon elle, un potentiel même si finalement on n’arrive pas à les mener tous à la réussite. « Élever l’élève », c’est le « mettre en situation supérieure », avec un point de départ, une avancée et une trajectoire précise. Elle place ainsi l’élève au centre des apprentissages mais pour mieux « l’élever », il faut aussi être au clair avec soi-même pour « développer avec professionnalisme l’empathie et la considération pour autrui » (p. 17).
Pour elle, un enseignant autoritaire peut faire régner la terreur dans ses classes et pratique souvent l’humiliation. Elle s’appuie sur des écrits pour prouver que cette crise d’autorité n’est pas récente : « Pour que l’autorité puisse s’exercer au sein de la classe, il faut que les désirs de celui qui l’exerce rencontrent ceux de celui qui la reconnaît » (p. 19). Cette notion se construit dans la relation professeur/élève : « Le professeur a pour mission de construire avec ses élèves, une autorité exigeante et bienveillante qui leur donnera les moyens d’aller vers le haut » (p. 19).
Le but de l’enseignant est de permettre à l’élève de s’approprier un savoir et d’en faire un citoyen éclairé qui va penser par lui-même. Ainsi les conflits entre les buts de performance (être le meilleur afin d’obtenir un jugement favorable et servir les intérêts du système), les buts de maîtrise (développer ses compétences et connaissances servant les intérêts de l’enseignant) et les buts sociaux (les résultats que l’élève cherche à atteindre dans ses interactions avec les autres) sont nombreux. L’enseignant est là pour aider les élèves à donner moins d’importance aux buts de performance et à travailler davantage les buts de maîtrise.
Elle aborde également la différenciation pédagogique considérée comme l’équité : « Faire en sorte que, grâce à des procédures diversifiées, tous les élèves, malgré leur hétérogénéité, puissent atteindre des objectifs communs, en passant par des chemins d’apprentissages différents » (p. 21).
Chaque élève a sa propre histoire personnelle, son vécu. Il peut soit adhérer aux normes sans trop de difficultés, soit être en tension avec les enseignants et donc avec la norme. Elle démonte l’idée reçue qui dit que les élèves en conflit avec le système sont irrécupérables et invite à se mettre à la place de celui qui subit échec sur échec même lorsqu’il essaie. Perte de confiance, injustice, voire abandon les mènent dans la peau d’un nouvel élève, décrocheur et en échec.
Elle reprend Jean Piaget pour qui la nécessité pour l’enseignant de prendre en compte les « représentations des élèves » et de les faire évoluer (p. 26) passe par la métacognition, « la perception que les élèves ont de leurs propres compétences » (p. 29) : pointer les erreurs sans chercher à les comprendre nuit aux performances scolaires et réduit à néant le sentiment d’efficacité personnel des élèves. Mais le problème persiste parce que l’enseignant est débordé. La plupart du temps, il est un ancien bon élève qui a su écarter de son chemin les matières qui lui posaient problème pour se consacrer à celles où il excellait.
La relation élève/enseignant est souvent basée sur des malentendus qu’il faut dépasser et expliquer : savoir pourquoi ils n’ont pas compris au lieu de penser qu’ils n’ont pas travaillé. La personnalité de l’élève se fonde sur l’affectif et celle du professeur sur le cognitif d’où le conflit entre les deux. Faire intervenir à l’école un mot tabou comme « le plaisir » est primordial car, pour l’élève, l’école est un lieu d’ennui mais pour l’enseignant le plaisir est suspect.
Elle évoque également les relations implicites et explicites : « Entamer un dialogue avec les élèves sur leur compréhension des consignes par exemple, permet très vite de voir ce qui leur échappe et de mesurer la distance entre notre appréhension d’une consigne et la leur » (p. 42). L’implicite est prégnant dès la maternelle. Pourtant il existe des méthodes pour expliciter comme celle du brainstorming pour évaluer leurs connaissances. Dire pourquoi (finalité de la tâche) et dire comment (procédures, stratégies, connaissances à mobiliser) permet aussi à l’élève de se situer : « À l’école et à ses enseignants, à travers une relation bienveillante et fondée sur l’écoute, de remplir cette mission fondamentale et politique, transformer l’implicite en explicite pour que tous les élèves se sentent capables d’avancer, de progresser et de réussir » (p. 49).

« La confiance, cela s’apprend », nous dit-elle. La relation est souvent construite sur une défiance mutuelle : l’enseignant nouveau pense plus à son autorité qu’au cours qu’il va dispenser. Pourtant, « être ensemble, c’est aussi offrir un cadre de travail serein à ses élèves » (p. 50). « Faire confiance aux élèves, c’est aussi se délester d’enjeux de pouvoir et de contrôle qui briment plutôt qu’ils n’encouragent » (p. 53).
Dans cette première partie elle tente de changer la vision la plus répandue de l’enseignant sur l’élève décrocheur considéré avant tout comme un mauvais élève. Elle nous donne des arguments pour nous convaincre d’appliquer « sa méthode », passer de la défiance à la confiance.

« 
La confiance, cela s’apprend
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La deuxième partie s’ouvre sur un aspect fondamental dans la relation à l’élève (p. 61) : l’école est un univers régi par des règles nécessaires et le paradoxe est de faire entrer dans la norme l’élève sans qu’il perde son identité. Celui qui sort de la norme est puni, l’échec plane sur lui. Elle fait référence à Michel Foucault et son célèbre Surveiller et punir : la punition, machine de contrôle, est utilisée pour dresser ceux qui s’éloignent de la norme. Pour lui, la norme est une construction humaine, un « moyen de produire des sujets contrôlables ». Elle devient un fait de socialisation et de sélection : suivre la norme c’est accepter de s’intégrer à un groupe. Elle revient aussi sur l’incapacité de certains enfants à suivre la norme : cela nuit à leur scolarité, on les considère comme problématiques ou anormaux. Le cadre permet surtout le maintien d’un climat scolaire favorable aux apprentissages alors qu’apprendre c’est « bouger les lignes de l’individu ».
Florence Lhomme évoque à ce stade le caractère arbitraire de la notation alors que c’est une souffrance pour l’élève. L’abandon de la notation semble difficile dans le système actuel, elle reste une menace pour que le travail soit effectué. Mais noter c’est aussi trier et mettre en concurrence. L’évaluation formative devrait prévaloir : faire et refaire jusqu’à ce que ce soit juste, mais ce n’est pas privilégié. Elle pense aussi qu’en France, les enseignants n’autorisent pas assez l’autoévaluation car ils ont tendance à ne pas faire confiance à l’enfant. Elle évoque aussi le Bac, qualifié de « loto géant » (p. 86) où la note ouvre ou ferme la porte et mène à une orientation, reflet des classes sociales. Les élites s’arrangent pour que leurs enfants empruntent les voies d’excellence (latin, allemand, classes euro…). En collège, les enfants sont souvent découragés par rapport à leur ambition reprenant ici le crédo du mirage de la réforme Haby sur le collège unique et cette injonction paradoxale : on se plaint qu’ils n’aient pas de projets mais lorsqu’ils en ont, on leur dicte des contraintes qui empêchent leur réalisation. Mieux ils réussissent plus c’est difficile car c’est la réussite qui devient leur projet premier.
La notion d’autonomie, mission revendiquée par l’éducation nationale, est aussi évoquée. Le système infantilise par la soumission et la punition (il en est de même pour les enseignants avec les inspections) alors que rendre autonome c’est accepter que l’élève se trompe et qu’il prenne sa propre voie pour réussir. Fondée sur la confiance, elle suppose aussi qu’il travaille sans l’enseignant mais pose des inégalités : ceux qui sont accompagnés chez eux et les autres. Pourtant c’est aussi permettre aux élèves de prendre en charge leur apprentissage et les aider à vivre au mieux dans une société normée. Le premier obstacle à l’autonomie est l’enseignant : le professeur est un ancien élève marqué la plupart du temps par la peur de l’échec, voire la timidité, le manque de confiance, pour qui donner de la liberté en classe fait peur.
Cette deuxième partie revient sur les rouages bien connus et souvent mis en cause dans les apprentissages, rien de bien nouveau finalement mais explicité de manière argumentée.

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L’architecture scolaire joue un rôle primordial et symbolique sur la manière dont élèves et enseignants envisagent leur place à l’école
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La troisième partie s’ouvre sur les espaces de la relation pédagogique trop souvent circonscrits à la classe. Le lien pédagogique s’entretient par la place de chacun dans l’espace et les frontières professeurs/élèves mises en place (la salle des professeurs). « L’architecture scolaire joue un rôle primordial et symbolique sur la manière dont élèves et enseignants envisagent leur place à l’école » (p. 106). Les professeurs ne sont pas toujours sous les yeux des élèves en revanche les élèves sont partout sous les yeux des adultes. Elle fait à nouveau référence à Michel Foucault pour qui l’architecture scolaire est pensée pour la surveillance ce qui donne à l’élève le sentiment d’être dans un milieu carcéral, un terme fort mais significatif.
Elle se penche ensuite sur ce qui se fait à l’étranger : Marie Musset et ses références à Alfred Roth, architecte suisse spécialiste des constructions scolaires, qui mise sur la flexibilité ; l’école de Réggio Emilia, en Italie, fondée par Louis Malaguzzi avec ses valeurs d’écoute, de dialogue et de participation : des classes scindées en 2 zones l’une pour le cours, l’autre pour les ateliers ; l’école finlandaise où depuis 20 ans l’architecture scolaire est pensée en fonction des méthodes pédagogiques : bâtiments transparents, modulables, flexibles pour s’adapter aux activités ; l’école au Portugal avec le modèle de l’espace paysager : pas de salles distinctes, école décloisonnée, espaces flexibles, cloisons amovibles mais un modèle loin d’avoir fait l’unanimité. Ces références sont abordées brièvement alors qu’elles semblent fondamentales dans l’évolution de l’architecture scolaire. Cependant, il n’est absolument pas question des espaces documentaires d’un établissement scolaire, c’est bien dommage.
Elle aborde ensuite la collaboration pédagogique, une situation souvent vécue comme une intrusion pour l’enseignant, souvent déstabilisante. Pourtant l’interdisciplinarité est une posture propice au développement de la coopération entre enseignants. Pour l’élève, c’est redonner du sens aux apprentissages, « ramener de la vie à l’école » (p. 121). À ce stade, elle tente de définir très subtilement les notions d’interdisciplinarité, de pluridisciplinarité et de transdisciplinarité (p. 109), notions qui intéressent tout particulièrement le professeur documentaliste, mais si nous pensions qu’il serait enfin évoqué, nous sommes vite déçus.
La pédagogie par projet est un cadre idéal au développement de la relation pédagogique marquée par le plaisir. La notion de projet est mal perçue parce qu’elle fait intervenir cette marque de plaisir, notion inconcevable à l’école, sur laquelle elle revient encore. Ce qu’il faut, c’est savoir y intégrer son programme et en faire une manière de le traiter. L’élève doit y voir cette volonté d’intégration au programme scolaire par la valorisation dans le bulletin par exemple. La finalité du projet n’est pas seulement sa restitution mais surtout le regard critique rétrospectif, une manière de construire sa professionnalité.
Elle aborde aussi l’ouverture culturelle prônée par l’institution et la possibilité de s’appuyer sur des intervenants extérieurs. Il faut attendre la page 145 pour voir une timide évocation de la fonction d’enseignant documentaliste, dans une expérience relatée mais qui n’a pas très bien fonctionné. D’ailleurs, il apparaît encore sous la dénomination de « documentaliste ». Cette troisième partie reprend des notions qui se prêtent fortement aux missions du professeur documentaliste (autonomie, pédagogie par projet, interdisciplinarité, collaboration…), c’est dommage d’observer ici une méconnaissance de cette profession.

« 
ramener de la vie à l’école
»

La quatrième et dernière partie (p. 159) est très courte. Elle revient sur une expérience vécue : travailler sa relation pédagogique à travers des analyses de pratiques, construire sa professionnalité avec un travail réflexif, intellectuel avec la mise à distance et décomposition d’une situation, qui se fait avec des psychologues. C’est une expérience qui n’est pas développée dans l’éducation nationale mais qui pourtant semble être bénéfique selon ses dires.

La conclusion de l’ouvrage est très rapide et propose d’accepter l’école comme « un véritable plaisir intellectuel partagé par les enseignants et les élèves » (p. 175). Elle met un terme à son exposé en avançant que changer l’éducation est un enjeu sociétal primordial. Elle finit par un tableau récapitulatif de ses idées selon le découpage du livre (p. 176 à 179).

Si les premiers chapitres éclairent le métier d’enseignant et ses impasses actuelles par de longues explications détaillées et les chemins favorables à emprunter, les deux dernières parties donnent lieu à des développements parfois trop superficiels. Les espaces scolaires se réduisent à la salle de classe, les projets restent cloisonnés à la classe, la réussite est le seul fait de l’enseignant de discipline. Florence Lhomme tient des propos assez tranchés, pas toujours nuancés, auxquels on peut ne pas toujours adhérer. Le lecteur professeur documentaliste qui s’intéresse à ce sujet pourra facilement s’assimiler à ses dires, mais restera certainement déçu par le fait qu’elle n’exploite pas le potentiel de notre profession dans ce domaine.