Quand Céline redevient destouches

Christophe Malavoy : Céline nous touche au plus profond parce qu’il est quelqu’un de très simple. Ce n’est pas quelqu’un qui est dans le commentaire, ni dans l’explication. Il disait « L’émotion, il ne faut pas lui laisser le temps de s’habiller en phrases » ; il a un style, il ne cherche pas à montrer qu’il sait écrire. Il retire tout ce qui semble ressembler à de l’effort. Quand on lit Céline, tout semble simple, coulé. Chaque mot est à sa place pour piquer, donner le ton et c’est cette petite musique qui parvient à traduire quelque chose qui semble nous appartenir. Il s’adresse à nos sens, ce n’est pas un intellectuel, il avait horreur des idées, des gens qui développent des messages dans leurs livres. Il n’y a pas d’idées chez Céline. Il y a bien sûr des sentiments, il regarde des êtres vivre, s’aimer, se tromper, se haïr… Il fait un portrait terrible de la nature humaine, mais il faut bien reconnaître que cette nature humaine n’est hélas pas toujours magnifique. Il met notre misère et notre lâcheté à nu. Des vérités qui ne sont pas toujours faciles à entendre…

Agnès Deyzieux : Christophe Malavoy, on vous connaît bien pour votre carrière au cinéma et au théâtre ainsi que pour votre travail d’auteur. Mais on sait peut-être moins que vous êtes un fin connaisseur de Céline, de sa vie et de son œuvre. Vous avez écrit un livre sur lui en 2011, Céline même pas mort ! où vous imaginez un dialogue actuel avec lui. D’où vous vient cet intérêt pour Céline ? Comment avez-vous découvert cet auteur ? Qu’est-ce qui vous séduit particulièrement chez lui ?
CM : Cela fait très longtemps que je travaille sur cet auteur. Je me suis passionné pour l’écriture de Céline, puis très vite pour l’homme, sa vie, ses combats, ses paradoxes… J’ai aussi lu beaucoup de choses qui ont été écrites sur lui. J’ai rencontré les biographes de Céline, surtout François Gibault qui a écrit une première biographie très exhaustive. Il m’a fait rencontrer Lucette Destouches, sa veuve, qui est toujours en vie et à laquelle je rends visite très régulièrement depuis plusieurs années. Elle est très heureuse d’avoir vu l’aboutissement de cette bande dessinée.
Céline est un personnage très complexe. Je me suis aperçu que beaucoup de gens parlaient de lui, avaient une opinion sur lui sans l’avoir forcément lu. Ils ont lu Voyage au bout de la nuit et encore, sans parfois arriver au bout. Et puis, il y a aussi les pamphlets, incontournables pamphlets, antisémites, virulents, très violents. Céline en interdira la réédition en 1945. Sa veuve a respecté cette volonté et ses pamphlets ne seront pas réédités en France. Mais en littérature, on n’est pas là pour juger un homme, mais pour juger une œuvre. L’important pour moi, c’est l’œuvre de Céline, même si elle comporte des choses qui sont aujourd’hui condamnables. Les pamphlets ne peuvent pas cacher tout le reste de son œuvre. J’ai donc voulu montrer à travers ce travail un homme à multiples facettes.

Vous souhaitiez au départ réaliser un film sur Céline et également jouer au théâtre Les Entretiens avec le professeur Y, un court roman de Céline, dans lequel il imagine sa propre interview avec ce professeur Y. Au final, c’est une bande dessinée qui paraît ? Que s’est-il passé ?
CM : J’ai écrit un scénario pour le cinéma, mais Céline dérange encore beaucoup aujourd’hui encore, et pour l’instant, je n’ai pas réussi à monter ce film. Ensuite, j’ai rencontré les frères Brizzi et le scénario a évolué vers un film d’animation. Mais il reste encore en projet, même si je ne désespère pas de réussir à convaincre des producteurs de finaliser ce projet.

Toujours à cause de cette image sulfureuse de Céline ?
CM : On est aujourd’hui dans une époque où les gens n’osent plus dire les choses, on est dans le politiquement correct, la parole est policée. Sur un plateau de télévision, les animateurs ont peur de parler de Céline, que les choses dérapent. Je ne suis bien sûr pas là pour réhabiliter Céline, il ne s’agit pas d’épouser ses thèses mais de mettre sa littérature à portée du public. On n’est pas toujours obligé de mettre les pamphlets de Céline au premier plan. Ensuite, au théâtre, j’ai eu envie d’adapter Les Entretiens avec le professeur Y qui est un dialogue entre Céline et un homme qui vient le rencontrer dans un square à l’abri des regards. Céline se raconte, parle de son style, de sa petite invention « l’émotion du langage parlé à travers l’écrit », puis l’entretien devient de plus en plus un véritable délire ! Là encore, c’était compliqué de faire accepter Céline sur scène.

Et donc, la bande dessinée serait un espace beaucoup plus libre ?
CM : Oui, en tout cas, Futuropolis nous a accueillis avec beaucoup de liberté et un grand plaisir. Ils nous ont suivis dans ce projet. La bande dessinée est un moyen d’expression très proche du délire célinien. Le dessin nous permet une grande liberté d’invention. Il y a vraiment une grande matière chez Céline, une truculence. Dans notre bande dessinée, il y a bien évidemment aussi des pages où la dimension charnelle et érotique s’exprime totalement. Le dessin permet vraiment une expression très forte dans la truculence et la sensualité, ce côté très rabelaisien que Céline appréciait tant.

Avant de réaliser cet album, quel rapport entreteniez-vous avec la bande dessinée ? Vous en lisiez ? Est-ce que cette expérience avec les frères Brizzi a changé l’idée que vous vous en faisiez ?
CM : J’ai lu de la bande dessinée quand j’étais jeune. Les Pieds Nickelés, Tintin, Achille Talon, Lucky Luke… Ensuite, je me suis tourné vers la littérature. Mais je me suis aperçu que la bande dessinée avait pris beaucoup d’ampleur, qu’elle était devenue un art à part entière. J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir des auteurs comme Gibrat, Bilal, Mœbius, Claeys… Le support me paraissait vraiment intéressant et la rencontre avec les frères Brizzi a été une opportunité formidable pour pouvoir parler de Céline. Le dessin permet de mettre une certaine distance. On n’est pas avec le personnage incarné physiquement. Mais c’est une distance qui permet d’atteindre une certaine vérité.

Cette bande dessinée s’appuie sur les derniers romans de Céline que sont D’un Château l’autre, Nord et Rigodon, que l’on peut considérer comme trois volets d’un même roman qu’on surnomme La Trilogie allemande. Elle met en scène l’équipée incroyable du docteur Destouches à travers l’Allemagne dévastée de la fin de la guerre. Le docteur Destouches est le nom réel, le nom d’identité de Céline qui était son nom de plume, emprunté à sa grand-mère. En 44, Le docteur Destouches s’enfuit de France pour le Danemark via l’Allemagne avec sa femme Lucette, le chat Bébert et, pendant un moment, avec le comédien Le Vigan, personnage excentrique et insupportable. Cette bande dessinée, ce n’est donc pas une biographie de Céline puisqu’elle se concentre sur cette période 44/45, ce n’est pas non plus une adaptation, impossible probablement, à réaliser de ces 3 romans. Comment qualifieriez-vous donc cet album par rapport à l’œuvre de Céline ? En bref, qu’avez-vous voulu montrer ?
CM : Pour ce scénario, je me suis appuyé sur La Trilogie allemande, j’ai pris aussi des éléments dans sa correspondance, dans Mort à Crédit, je suis allé piocher dans tous les livres qu’il a écrits. Cela a été un long travail de recherche et de documentation pour parvenir à composer une histoire et faire un portrait de Céline. Le titre La Cavale du Dr Destouches renvoie au métier de médecin de Céline qui se définissait comme médecin des pauvres. Il avait choisi sa vocation qui était la médecine et pas du tout l’écriture. J’ai surtout voulu sortir des idées reçues, donner un autre regard, éviter de répéter ce que l’on a entendu sur Céline, montrer des choses dont on ne parle jamais à son propos pour essayer de construire sa propre idée sur cet homme.
Par exemple, il habitait rue Girardon à Montmartre, au cinquième étage et juste en dessous habitaient Robert Chamfleury et Simone Mabille, de grands résistants. Céline était au courant de toutes leurs activités, y compris des caches où les juifs se planquaient. Robert Chamfleury n’hésitait pas à faire appel au Céline médecin pour soigner des personnes qui avaient été torturées par la Gestapo. Céline avait donné sa parole de ne jamais livrer aucune information. Il savait tout ce qui se passait à Montmartre, où étaient planqués les gens qui refusaient d’aller en Allemagne pour le STO, les personnes recherchées… Céline n’a jamais rien dit. Il a pu dire des choses terribles sur les Juifs, mais jamais il n’a dénoncé personne. C’est une scène qu’on voit dans la bande dessinée. J’ai voulu montrer cet homme contradictoire et complexe qui déteste les Juifs et en même temps qui les protège. Il avait même beaucoup d’admiration pour eux : ils avaient, selon lui, le sens de la communauté, de la protection de leur groupe… Céline est une succession de paradoxes. Médecin hygiéniste, c’est un homme peu soigné avec des vêtements troués, sales, graisseux, pleins de tâches ! Étrange pour un médecin hygiéniste ! Il a toujours été médecin, même lors de cette cavale apocalyptique dans l’Allemagne nazie, il a continué à pratiquer la médecine, de porter des soins à ses compatriotes, d’acheter des médicaments en contrebande avec son argent personnel d’ailleurs. Il y a aussi la dimension de médecin des pauvres, celui qui pratique la médecine du dispensaire, celui qui côtoie la misère et la souffrance. Il sait de quoi il parle ! Il a aussi lui-même beaucoup souffert, il était atteint de nombreuses maladies : le paludisme, la dysenterie, le vertige de Ménières et des maux de tête qui l’obligeaient à s’aliter. Il était insomniaque, ce qui le rendait fou. Sans compter son bras invalide suite à sa blessure de 1914. C’est un homme qui a cumulé toutes les pathologies et qui savait ce que souffrance voulait dire.

Et son emprisonnement pendant 18 mois au Danemark n’a pas arrangé son état de santé…
CM : Oui, son incarcération au Danemark a aggravé son état de santé déjà précaire. Notre bande dessinée s’arrête avant son arrestation à Copenhague. Il ne reviendra en France qu’en 1951.

Pour écrire cette bande dessinée, vous avez aussi été aidé par Mme Destouches, la veuve de Céline, à qui vous dédicacez l’album. Elle apparaît comme un per­sonnage discret dans l’album, comme d’ailleurs dans les romans de Céline. Elle a tout de même plus de présence dans la bande dessinée ! De quelle manière peut-on dire qu’elle a participé à l’élaboration de votre travail ?
CM : Ce sont surtout des petits détails qu’elle m’a confirmés. La biographie de François Gibault est très exhaustive. C’est surtout sa confiance qui m’a beaucoup aidé. Quand on a ce soutien moral, on avance avec davantage de force. De façon générale, elle refuse les visites, elle sent très vite si les gens sont là pour se servir d’elle, mais elle a compris mes intentions. C’est une femme très délicate et mystérieuse. J’essayais toujours de l’imaginer avec Céline, elle si délicate, avec une petite voix, en retrait face à un Céline qu’on peut imaginer envahissant, complexe et difficile à vivre. Mais je pense qu’ils se sont beaucoup aimés. C’était une danseuse qui a inventé la technique de la danse au sol, avec le miroir au plafond, une technique qui est reconnue et se pratique encore aujourd’hui. Céline adorait la danse qu’il considérait comme la quintessence de l’art, l’art qui lutte contre la pesanteur et le temps. Voir quelqu’un qui s’élève, qui tient comme de lui-même dans l’espace, c’était de la magie pour lui qui trouvait les hommes lourds, lourds de lenteur insistante. Regardez un homme marcher, disait-il, comme il est lourd ! Regarder un animal se déplacer, c’est la grâce !

Vous avez en quelque sorte respecté un principe narratif cher à Céline avec la mise en place d’un procédé d’allers-retours dans le temps. Au début de l’album, on voit Céline dans son lit dans sa maison de Meudon à la fin de sa vie et durant tout l’album, on reviendra à cette scène qui permet au narrateur de faire des commentaires et le lien entre les différentes scènes. Ce principe narratif s’est imposé rapidement dans l’élaboration du scénario ?
CM : Oui, c’est une façon de respecter le principe de digression, cher à Céline. Il aime parler d’une chose, puis d’une autre, tous ces chemins de traverse qu’il emprunte viennent nourrir son sujet. Ce n’est pas quelqu’un qui raconte une histoire, ce sont des histoires qui se racontent et qui font que cette histoire se rassemble. Et il nous parle directement, se met à la place du lecteur. J’ai repris ce principe d’interpeller le lecteur directement.

Comment avez-vous procédé dans le choix des scènes parmi toutes celles présentées dans ces romans ? Avez-vous souhaité une alternance de scènes intimistes avec des scènes plutôt tru­culentes, je pense au fameux rendez-vous avec Mme Dame Frucht ou la scène des cabinets dans l’hôtel Lowen à Sigmaringen ? Y a-t-il des scènes que vous auriez aimé faire figurer mais que vous avez dû sacrifier ?
CM : Oui, il a fallu faire des choix. Et c’est là que les frères Brizzi interviennent ! On a choisi ensemble les scènes qui se prêtaient le mieux au dessin. J’avais fait des coupes déjà dans toute la matière que j’avais réunie pour arriver à une histoire qui ne fasse pas plus de 90 pages. Et les frères Brizzi se sont investis dans ce scénario en se demandant où le dessin pouvait être le plus puissant ou le plus intéressant.
Gaëtan Brizzi : On a abordé cet album comme un story-board. On a découpé avec Christophe pour avoir le choix le plus judicieux possible, sachant qu’on voulait trouver le juste équilibre entre les scènes dramatiques, apporter l’humour qui est toujours en filigrane dans la littérature de Céline, mais on voulait aussi se donner cette liberté d’aller vers la caricature, surtout dans les portraits. On s’en est donné à cœur joie avec Le Vigan ! On voulait vraiment le caricaturer, qu’il devienne un clown dans ce trio, avec ses excès, sa veulerie. Même graphiquement, on a forcé un peu le trait. Pour revenir au découpage, on a dû beaucoup couper dans le scénario de Christophe, parce qu’il fallait rester dans les 90 pages et donc, on a essayé de garder l’essentiel de cette cavale. On a aimé l’idée de finir l’histoire avec la mort de la mère de Céline, alors qu’il se passe encore autre chose avant son emprisonnement au Danemark. Mais cela nous semblait la juste borne pour finir ce scénario. On a eu de nombreuses séances de travail avec Christophe, en lui présentant aussi des esquisses, des croquis qui découpaient la mise en scène de chaque page pour ensuite passer à l’exécution finale.

Comment avez-vous opté pour le noir et blanc ? Cela semblait s’imposer pour l’univers célinien ? Avez-vous fait des tentatives couleurs ?
GB : Non, pas du tout ! Je dois avouer qu’on a tout de suite pensé au noir et blanc. Il faut dire que le crayon est notre outil de prédilection ! On vient du cinéma et cela nous a beaucoup aidé pour le travail d’adaptation du scénario. On a l’habitude de faire des coupes, de pratiquer l’ellipse ou d’associer certaines séquences dans une même situation et il le fallait, car il y avait matière à faire 3 ou 4 albums ici ! On a aussi l’habitude de travailler nos story-boards de cinéma au crayon noir. On a gardé cet outil pour aborder la bande dessinée. Le noir et blanc permet d’évoquer une période passée, de traduire aussi une lumière dramatique. C’est un livre où il y a beaucoup d’humour mais aussi un contexte dramatique fort. Il y a l’éructation de Céline qui vomit parfois sa haine de certaines choses, des institutions comme des lieux communs. Le contraste du noir et blanc nous permettait d’être en symbiose avec le contenu lui-même.

Comment vous êtes-vous organisés pour la réalisation graphique puisque vous avez travaillé ensemble ? L’un travaille plus les décors, l’autre les personnages ?
GB : Oui, sur le plan artistique, on doit à Paul tous les personnages et moi j’ai fait les décors. Paul s’est ingénié à attraper la ressemblance des personnages ; n’oublions pas que ces personnages ont existé, ils sont emblématiques d’une certaine époque. Il faut donc pouvoir les reconnaître. Le plus dur, c’était Céline, car on le voit apparaître à deux étapes de sa vie : dans le temps présent du récit, à Meudon, perclus et souffrant, qui s’adresse aux lecteurs, décidé à mettre fin à tous les on-dit, puis il nous emmène dans un récit en flash-backs. Au-delà de la ressemblance recherchée, il y avait la caricature, l’exagération. Pour traduire à travers un visage des émotions, une force d’expression, pour montrer la profondeur et la violence de l’âme humaine.
En ce qui concerne les décors, je me suis beaucoup documenté sur cette époque, les avions, l’architecture. Les personnages descendent dans des hôtels qui ont existé. Et ce n’est parfois pas facile de trouver des documents encore visibles, car ils ont souvent été détruits par la suite. Par contre, les ruines à dessiner, c’est facile !
CM : Il y a un très beau travail de nuances et de détails. Le dessin est dans cet album très fouillé. Il y a des vignettes sur lesquels on peut vraiment s’attarder pour regarder des détails, des personnages, des expressions. Il y a une foire d’empoigne à un moment avec 50 personnes dans le cadre, tout le monde s’arrache les cheveux, les vêtements ! Tout est en mouvement, et là, on sent toute l’expérience de l’animation des frères Brizzi. Leur dessin n’est jamais figé, il est toujours dans la dynamique comme l’écriture de Céline.
Paul Brizzi : Lorsqu’on aime dessiner, c’est un vrai plaisir d’illustrer un auteur comme Céline. On voit entre les lignes de Céline, et donc on est inspiré ! Il en est de même pour certains grands auteurs comme Cervantès ou Victor Hugo. Pour moi, j’appelle cela des auteurs inspirés, c’est ceux que j’aime lire, ce sont des écrivains qui me donnent à voir ! Cela a été presque facile dans ce sens pour nous, car il n’y avait qu’à illustrer ! De plus, Céline est lui-même dans la caricature. Je ne pense pas l’avoir trahi en allant assez loin, avec par exemple ces gueules d’Allemands ! Et quand une gifle part, on sent que ça part de loin et on sent que le type valdingue de l’autre côté de la pièce ! On a essayé de traduire ça. Et ce côté cartoon, on ne voulait pas s’en priver !

Et ce n’était pas trop difficile de marier avec le dessin ce côté comique et l’aspect tragique du récit ?
PB : Oui, il s’agissait de bien savoir quand est-ce qu’on pouvait basculer tout à coup à la faveur d’une phrase ou d’une ellipse. Pour la scène des toilettes dans l’hôtel, si comique, décrite dans D’un château l’autre, cela allait de soi. Par contre, il y a d’autres moments comme la fuite en voiture avec Van Raumnitz, qu’on voulait dramatiser. On y introduit alors un éclairage beaucoup plus dur, plus cru. Parfois, c’est sur trois pages, parfois sur trois cases. Céline a des diatribes terribles contre la littérature, contre Mauriac, Sartre, Proust. Alors, on a mis le génie de la littérature en scène qui défèque littéralement devant nous ! On s’est bien amusés !
GB : C’est en cela que cet album est vraiment fidèle à l’esprit de Céline !

Vous qui venez du cinéma d’animation, quels sont vos rapports avec la bande dessinée ? Comment passe-t-on de l’animation à la bande dessinée ?
GB : Il y a de nombreuses années, on avait eu une toute petite expérience de bande dessinée aux Humanoïdes associés avec le personnage de Mata Hari, qui nous avait donné le goût et l’envie de faire de la bande dessinée4. On s’était dit : « un jour, on fera quelque chose de sérieux ! ». La rencontre avec Christophe a été déterminante. On a apporté à cet album un très grand soin en donnant le maximum de nous-mêmes, on a voulu faire plus qu’un beau livre. Ici, on a choisi avec l’éditeur la qualité du papier, on a beaucoup réfléchi sur la qualité des contrastes. On a été exigeants, car le noir et blanc, c’est beau mais il faut être vigilants aux nuances de gris, à la profondeur des noirs, à la qualité des blancs. Et on espère que cette attention sera appréciée par les lecteurs.
PB : On a eu d’autant plus de plaisir à faire cette bande dessinée qu’on a ressenti une grande liberté. L’avantage par rapport au cinéma d’animation, c’est cette liberté qu’on peut apprécier. Là, on est vraiment nous-mêmes ! Je la revendique à 100 % cette Cavale du Dr Destouches, car on a pu s’exprimer totalement, de faire presque du Brizzi ! Même si cette bande dessinée ne devait pas se vendre beaucoup, moi, je suis très content de l’avoir faite !

On sait que Céline appréciait le dessin mais aussi le dessin d’animation. Que pensez-vous qu’il aurait dit de votre bande dessinée ?
GB : D’abord, on pourrait être surpris que Céline, un homme grave, profond, ait aimé le dessin animé. Mais en fait, ce n’est pas si étonnant. Je pense que Céline a dû voir dans le dessin animé l’exagération de l’expression humaine, la violence aussi qui passe facilement dans le dessin animé puisqu’il y a un côté « ça ne se peut pas ! ». Mais Céline a senti que ces créateurs de dessin animé étaient des gens qui étaient dans le vrai. Donc, ça ne m’étonne pas qu’il ait aimé les dessins animés quand on voit la violence de son écriture. Dans Mort à Crédit, il décrit des bagarres homériques, au-delà de tout réalisme. Cela fait penser presque à du Tex Avery ! C’est violent et on est mort de rire en même temps !

Il y a aussi un personnage discret mais qui comptait beaucoup pour Céline, le fameux chat Bébert, que vous mettez bien en scène, en insistant sur sa fidélité et son attachement à ses maîtres. Cet amour de Céline pour les animaux vous semblait aussi important à souligner ?
CM : C’est essentiel. Il trouvait que les animaux possédaient la grâce que les hommes n’avaient pas. Céline a dédicacé un de ses romans : « Aux animaux… aux prisonniers et aux malades ». Il était entouré d’animaux : son perroquet Toto, plusieurs chiens et chats, une volière avec des perruches. Son voisinage à Meudon en avait d’ailleurs assez d’entendre ses chiens aboyer. Et lui, il les faisait aboyer encore plus !
GB : Oui, il vaut mieux le lire que l’avoir comme voisin !

En tout cas, cet album peut plaire à un public large. Il peut séduire un non-lecteur de Céline, car c’est une très belle introduction au personnage et à l’œuvre. Mais également, il peut intéresser le lecteur de Céline, il y a un côté ludique dans cette lecture. Comme un jeu de pistes, on retrouve une scène qui nous avait marqué,
un extrait dont on se remémore…
CM : C’est vrai. La Cavale du Dr Destouches est un album qui peut être lu par quelqu’un qui n’a lu aucun livre de Céline. Et puis bien sûr, quand on a lu Le Voyage, Mort à Crédit, La Trilogie, on peut aussi avoir plaisir à retrouver des scènes mémorables que l’on a déjà lues. Pour tous ceux qui ne connaissent pas l’œuvre de Céline, c’est l’occasion de découvrir de manière ludique l’un de nos plus grands auteurs.

Christophe Malavoy

Mireille Mirej

À ce jour, Le Pré du Plain, ce sont 150 livres, 85 auteurs et illustrateurs ; des livres pour tous les âges qui se déclinent en de multiples collections :
Mini-Pré : pour les enfants à partir de 3 ans, de vrais livres-doudous (format 5 × 7 cm) qui séduisent aussi les plus grands pour la lecture partage.
Petit-Pré : pour les enfants à partir de 5 ans jusqu’à la 6e. Mireille a écrit Le Mouton de poussière, Une vache au salon, Choisir une voiture en famille, Clémentine, souris d’hôpital.
Petit-Pré-Textes : à partir de 9 ans, pour les pré-ados, avec Une jument effrontée, Les Chevaux d’Halloween, Une catastrophe ambulante.
Hautes-Herbes : pour les ados, avec Un cheval dangereux, Le Chêne de Grand-Père.
Plain-Contes, des contes de sagesse.
Pré-vers et Plain-Poèmes.
Pré-en-bulles pour la BD : Galac et Nath.
Tout-Plain, des documentaires pour les adultes.
Pré-Tendre-English, des histoires en anglais.
Une variété qui suscite la curiosité. Des petits formats que l’on peut glisser dans sa poche et qui incitent à la lecture. Des livres tout doux et drôles au prix imbattable de 3 ou 5 euros, pour soi ou pour offrir et que l’on peut envoyer par la poste (format d’une enveloppe standard).
Ses romans sont à l’école de la vie et M. Mirej a une capacité aigüe à capter le réel qui la nourrit. Le plaisir qu’on ressent à lire ses romans fait écho au plaisir fou qu’a M. Mirej d’écrire. Ses titres, positifs, ont le goût du bonheur et contribuent à une réconciliation avec la vie pour ceux qui sont un peu/beaucoup « cabossés ». Alors, laissez-vous délicieusement emporter par les émotions et la tendresse si présentes dans les histoires de M. Mirej…

Écriture

Peux-tu expliquer l’origine de ton nom de plume, Mireille Mirej, qui se prononce/Mireille Mireille/avec le doublement de ton prénom ?

Version courte… ou version longue ? Je pourrais dire, tout simplement, que j’ai doublé mon prénom, afin que les lecteurs ne puissent oublier mon nom ! Je peux expliquer aussi que nous, les femmes, nous changeons de nom, dans la vie. Nom de jeune fille, mariage, divorce… Notre prénom nous appartient, lui, vraiment.
La version longue, c’est une très belle rencontre avec la Pologne, à l’adolescence, où mon prénom ne se prononçait pas. Cela donnait quelque chose comme Miraï… Je l’ai donc écrit de manière lisible pour les Polonais : Mirej. Puis je l’ai utilisé comme cela, accolé à mon nom, durant des années… jusqu’à l’édition de mon premier livre chez Flammarion, Un cheval de prix. J’avais noté Mirej – ce qui me représentait le mieux – sur le tapuscrit. Flammarion n’a pas voulu de ces seules cinq lettres. Comme j’étais alors « entre deux noms », avec un petit clin d’œil à la vie, j’ai choisi de doubler mon prénom, « pour de vrai ». Depuis, je ne « réponds bien » qu’à ce nom de plume, pseudonyme reconnu légalement. Mais je n’avais pas pensé qu’on m’appellerait parfois Madame Mirej, ce qui sonne bizarrement !

Quand as-tu commencé à écrire ? Est-ce que, petite, tu rêvais d’être écrivain ?

Je me plais à répéter aux enfants que j’ai commencé à écrire, comme eux, au CP. En France, nous apprenons tous à écrire à l’école. Il n’y a pas de formation spécifique pour devenir écrivain, et l’adjectif « autodidacte » ne s’applique donc pas à ce métier.
Je rêvais d’écrivains… ou plutôt de leurs œuvres, car j’étais une dévoreuse de livres, mais je n’imaginais pas le devenir un jour.

Comment devient-on écrivain ?

Comme le dit Raymond Queneau : « C’est en écrivant qu’on devient écriveron ». Il s’agit d’inspiration et de travail – beaucoup beaucoup de travail ! – puis de LA rencontre avec un éditeur qui s’avère être la bonne. Cette partie est sans doute la plus difficile, car d’excellents textes ne rencontrent jamais leur éditeur – j’en ai croisé un certain nombre dans ma vie !

Est-ce facile d’écrire ?

La toute première fois, personnellement, je trouve que c’est très difficile. Avant de boucler Un cheval de prix – en souffrant ! – j’avais commencé plein de textes que je n’ai jamais terminés. Soit j’avais l’idée, et les mots ne m’obéissaient pas. Soit les phrases s’ordonnaient convenablement mais mon intrigue tombait en panne. Lors de l’écriture d’un premier roman, on s’aperçoit de surcroît que les apprentissages scolaires ne suffisent pas ou se sont perdus en route. La concordance des temps, par exemple, est une sale bête. Il faut la prendre à bras-le-corps pour la soumettre – s’y soumettre !
À force d’écrire, cela devient nettement plus facile. C’est le cas pour n’importe quel métier. L’expérience est indispensable. Plus on écrit, plus notre cerveau prend l’habitude de trouver l’inspiration nécessaire, plus l’écriture coule de source. En ce qui me concerne, je suis aujourd’hui une « ouvrière de la plume » confirmée. Il suffit que je veuille trouver une idée sur un thème précis, je convoque mes petites cellules, et l’inspiration est au rendez-vous dans les heures qui suivent (si je suis « disponible » dans ma tête, évidemment !). Ensuite, écrire sur ce sujet est une délectation. Rien de plus agréable que d’articuler une histoire, de faire naître des personnages, de provoquer des événements et de glisser dans tout ceci des petites références évidentes ou secrètes !

Comment naît un personnage ? Comment devient-il autonome dans un roman et que représente-t-il pour toi ?

Il naît d’une décision ou de la pure inspiration. J’ai une grande imagination visuelle, également, ce qui me permet de le « voir » très précisément et de pouvoir le décrire, le mettre en place physiquement… En revanche, en ce qui concerne sa personnalité, c’est une autre affaire.
De le construire au fil des pages fait qu’il devient généralement une personne, que je ne peux pas forcément façonner à ma guise. Sa structure psychologique est telle que je dois m’adapter à ma création… et non le contraire. C’est passionnant. Mes personnages forment une sorte de famille supplémentaire. C’est particulièrement le cas pour ceux des séries car je passe beaucoup de temps avec eux.

Est-ce que l’on te commande des textes ?

Vingt ans après mon premier livre qui m’a enfermée dans une boîte à la française d’« auteur jeunesse chevaux », les éditeurs ont tout à coup compris que j’étais spécialisée dans ce domaine – même si je revendique de savoir et vouloir écrire sur d’autres sujets ! – et ils me commandent des textes… sur les chevaux : histoires, romans et documentaires.

Les éditeurs demandent-ils de changer des choses ?

Oh oui ! Pour la plupart… Au début, c’est essentiel et très formateur d’expliquer à un auteur jeunesse qu’il a des devoirs vis-à-vis de ses lecteurs, qu’il écrit pour un public particulier et ne peut faire n’importe quoi. À ce niveau, cela ne pose donc aucun problème. Par contre, les éditeurs imposent aussi des changements de titre, voire de prénom de héros. C’est beaucoup plus déstabilisant, voire frustrant. Il faut aussi batailler pour garder un certain niveau de langage, le contenu auquel on tient. Je préfère très nettement la phase d’écriture à celle de la négociation sur le vocabulaire spécifique, par exemple.

Quelle est la différence d’écriture entre un roman et un documentaire ?

Même si la plupart de mes romans sont documentés, je navigue en général dans des univers que je connais bien lorsque j’écris des fictions. Je voyage donc presque librement dans l’écriture, me contentant de vérifier que je ne dis pas d’âneries sur des points particuliers qui ne font pas partie de mon quotidien ! Et j’adore semer des intrigues, incidents, émotions… Mais j’aime aussi énormément rédiger des documentaires en réalisant des recherches approfondies, croisant mes sources, contrôlant chaque détail, interrogeant des spécialistes… Dans le deuxième cas, l’écriture est moins fluide et souvent plus calibrée. On ne peut s’attarder sur un passage spécifique, par exemple. Cela doit « rentrer » là où c’est prévu.

Vous saurez tout tout tout sur… le cheval !

Qu’aimes-tu chez les chevaux ?

Leur grand œil dans lequel on peut voir sa silhouette petite et déformée, le velours de leur bout de nez, l’odeur particulière à chacun, qu’on peut capter en s’approchant de leurs naseaux (geste à ne pas reproduire avec un cheval inconnu, bien sûr !) leur morphologie, si particulière que la plupart des illustrateurs ont un mal fou à la reproduire… leur fougue et leur tendresse, leur « intelligence » et leur espièglerie, leur mode de vie de chevaux libres… prendre soin d’eux, les observer. Je ne monte plus à cheval depuis des années… Je m’y remettrai peut-être un jour !

Que penses-tu de cette mode fille pour les chevaux ?

Lorsque j’ai débuté, les poneys clubs n’existaient pas, et il y avait plus de cavaliers que de cavalières dans les centres équestres. Les instructeurs étaient sévères et exigeants. La pratique de l’équitation demandait une grande rigueur.
Nous avons introduit les poneys anglo-saxons en France pour initier les enfants à ce sport. Des monitrices ont été embauchées pour offrir plus de douceur à ce public différent. Les filles sont arrivées en masse, car elles aiment énormément le contact avec l’animal. Comme il y a près de 80 % de pratiquantes, la mode a fait le reste avec livres, magazines et objets déclinés trop souvent en rose. Gardons de la pratique équestre et de sa relative démocratisation, ce qui est bénéfique et tâchons de ne pas tomber dans les excès ! Souvent, les garçons ne se retrouvent plus dans cet univers féminisé. Pourtant, ceux qui commencent ne décrochent pas aisément. La passion des chevaux, l’équitation et les filières professionnelles s’adressent à tous, c’est certain. Les modes passent, les chevaux resteront !

Un nouvel avenir pour le cheval avec le développement durable ?

Je fais partie de ceux qui le souhaitent et j’y travaille d’ailleurs ! Choisir les chevaux de trait pour certaines de nos actions quotidiennes ne serait certes pas un retour négatif vers le passé. Notre Roul’Livre a d’ailleurs été imaginée pour rétablir ce rapport essentiel au personnage cheval, son impact environnemental, affectif, ancestral.

Peux-tu nous conseiller 3 titres de films sur les chevaux pour ados ?

Un film extraordinaire et instructif, c’est Prince Noir (Caroline Thompson, 1994, d’après Black Beauty d’Anna Sewell, 1877). Même si l’histoire et les « métiers » de chevaux qui y sont décrits datent un peu, il est vraiment intéressant de suivre un cheval de sa naissance à son grand âge, afin de ne plus jamais se comporter vis-à-vis d’eux comme si l’on avait affaire à un vélo. Les images sont magnifiques, le scénario chargé d’émotion. On en ressort un petit peu différent, et très responsabilisé par rapport à sa monture… je trouve !
J’ai beaucoup aimé également Le Cheval venu de la mer (Mike Newell, 1992, d’après une histoire de Michael Pearce). Mettant en scène des nomades et la mythologie irlandaise, il raconte l’histoire de deux jeunes frères dont le père, brisé par la mort de sa femme, ne parvient plus à s’occuper. Un très beau film avec un cheval pour héros et un certain nombre de messages. D’autres films m’ont marquée, qui donnent une place aux chevaux. Il est difficile d’en sélectionner un et d’oublier les autres. À vous de choisir entre Le Frère irlandais (2 épisodes), Manège (idem), Dreamer, La Légende de Seabiscuit, Zig Zag, Danse avec lui, Hidalgo, Spirit, Crinière de feu, Le Cavalier électrique…

Écris-tu aussi sur d’autres thèmes qui te sont chers ?

J’aime écrire sur les relations entre les êtres, et je glisse un peu de cela dans tous les tomes de séries où l’on croit que je vais me contenter de raconter quelques petites aventures autour d’un seul sujet. (Les auteurs de séries sont décriés, en France. On s’imagine qu’ils se contentent de faire du remplissage).
J’aime encore plus écrire sur les « incidents de la vie », perte, maladie, handicap, blessures du corps et de l’âme. Peu de mes livres sur ces sujets sont publiés, mais ils existent… dans mes tiroirs ! D’abord, je suis perméable à la souffrance du monde, c’est pour cela que ces sujets me touchent. Et je ne souhaite pas être la seule à me laisser traverser le cœur. En écrivant à ce niveau, je pense pouvoir soutenir ceux qui se croient isolés dans leur souffrance et sortir les autres de leur égoïsme en les incitant à regarder autour d’eux si, par hasard, leur voisin muet n’aurait pas besoin d’échanger sur ce qui le taraude et qu’il cache.

Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as tant à cœur Camille et les Huskies1 ?

Il s’agit d’un livre comme j’aime à en écrire… un livre qui finit bien et qui donne aussi quelques recettes pour trouver en soi des ressources permettant de sortir de certains mauvais pas de la vie.

Une formidable joie de vivre habite tes livres, pourquoi as-tu à cœur d’offrir aux enfants une littérature positive ?

C’est plus fort que moi ! Je pense que nous avons tous des ressources insoupçonnées en nous… ou à capter autour de nous, pour aller mieux, grandir dans tous les sens de ce terme. Prendre le meilleur de soi, des autres, capter les petits bonheurs qui passent. La confrontation au Monde est rude et cruelle, je ne suis pas pour l’occulter, surprotéger nos enfants. En revanche, il est possible de leur donner quelques recettes de mieux-vivre afin qu’ils puissent trouver dans leur jardin secret de quoi affronter le Monde, tenir bon, aller de l’avant, être acteurs. On ne peut changer le Monde, mais on peut tous agir à notre échelle pour qu’il aille mieux. Éprouver de la joie, la cultiver n’est pas être égoïste ou se voiler la face… face à la réalité. C’est trouver les moyens d’être plus fort pour mieux résister et soutenir les autres.
Même si l’on peut être relativement acteur de sa propre vie, tout ne finit pas bien dans la réalité. L’écrivain a le pouvoir, lui, que son livre s’achève sur une note positive. J’use de ce pouvoir !

Quels sont tes futurs projets d’écriture ?

Il y en a un en gestation, actuellement, dans la série des recyclables : il s’appellera Le Petit Papier qui voulait devenir mot d’amour et fera suite aux deux volumes déjà parus chez Ivoire-Clair : Pull blanc et Pull mauve et Frères et sœurs de verre.
Mais je n’écris plus tout ce qui me passe par la tête, comme je le faisais auparavant. Je n’en ai plus le temps et j’avoue être fortement déçue par nombre d’éditeurs qui ne veulent pas prendre de risques, façonnent des produits et se moquent éperdument de publier des œuvres, ne se donnant pas les moyens de mettre en valeur les textes qui en ont. Un livre ne va pas aux lecteurs si l’éditeur n’en est pas le lien, sauf dans des cas exceptionnels d’autoédition réussis. J’ai bouclé avec un immense plaisir un documentaire pour l’éditeur Delachaux et Niestlé, Mon enfant est fan de cheval, au printemps dernier. Un texte pédagogique dédié aux parents de jeunes passionnés. J’ai participé avec délectation à un documentaire sur le poney pour Milan, destiné aux tout-petits. J’espère recevoir d’autres commandes de ce genre. En parallèle, Flammarion m’a signifié qu’ils arrêtaient de nouveau Clara et les poneys, après l’avoir réédité en rose paillettes… Les lecteurs réclament pourtant la suite et je ne peux la leur donner…
Des histoires vibrent en moi. J’attends, réfléchis. J’ai besoin de sortir de ces boîtes à la française : « auteur jeunesse chevaux », « auteur de séries », « petit éditeur marginal ». Je suis peut-être à un tournant de mon travail autour du livre : inventer un moyen de toucher le public et convaincre. Car lire doit demeurer une évidence au quotidien, et on ne peut abêtir nos concitoyens à coup de produits peu culturels… Je ne baisse pas les bras, même si, parfois, lassitude et incompréhension me gagnent quelques heures durant !

Le métier d’éditrice

Qu’est-ce que Le Pré du Plain, le nom de ta maison d’édition ?

Le Pré du Plain est le nom d’une terre de Haute-Saône, ce département magnifique et dépeuplé, que les Français méconnaîtraient sans doute totalement, si Jacques Brel n’avait pas cité Vesoul dans l’une de ses chansons… En fait, il s’agit d’une terre aussi fertile que peut l’être l’amitié qui nous a fédérés, à sept, autour de ce projet de création d’une maison d’édition en 2003. Dans ce nom, l’on entend : le pré, qui nourrit, et se situe avant ; le plain, de la plaine et de la plénitude. Il induit des liens avec la Nature et le vrai de la vie.

Comment s’est créé petit à petit le catalogue du Pré du Plain ?

Au départ, nous avons édité ceux d’entre nous sept qui étaient auteur et/ou illustrateur, puis nous avons ouvert nos portes aux amis, et amis d’amis, avant d’accueillir les textes ou les images qui nous ont touchés et sont arrivés au hasard des rencontres ou, tout simplement, par la Poste.

Comment choisis-tu un illustrateur pour un texte ?

La plupart du temps, cela se fait d’instinct. Un texte évoque une « patte ». À la différence de ce qui se passe chez les « grands » éditeurs, les auteurs et illustrateurs du Pré du Plain entrent dans une sorte de famille où ils peuvent, ensuite, « faire des bébés ensemble » qui seront publiés chez nous ou ailleurs. Pas d’exclusivité au Pré du Plain, l’essentiel est souvent qu’un créateur puisse mettre le pied à l’étrier avec nous.

Tu milites pour la lecture et les livres, pourquoi est-il si utile de lire, même aujourd’hui à l’ère d’internet ?

Internet est un chemin inattendu vers la lecture et l’écriture… Je ne conseille donc pas de le bouder… mais de l’utiliser pour le meilleur ! J’aime bien demander aux élèves d’une classe à quoi sert la lecture. Ils me répondent que c’est utile pour le vocabulaire, l’orthographe, pour apprendre, voyager… Quelques-uns évoquent la notion de plaisir. Parfois, ils vont plus loin, je les laisse chercher, leur donne des pistes. Lire permet de décoder le Monde. Tous les parents ont pu assister aux premiers émois d’un enfant qui comprend soudain la rue, ses enseignes, ses panneaux indicateurs… ou les objets de la maison : un livre de cuisine, un emballage… les livres qu’on lui a lus… Lire permet de s’isoler dans le rêve, lorsque le quotidien est rude, de s’offrir des parenthèses positives. Lire permet de cultiver son imagination. Sans imagination, les enfants d’aujourd’hui ne pourront construire demain. Lire, enfin, permet d’acquérir le sens critique, dans un univers dédié à l’image qu’on ne nous apprend pas suffisamment à décrypter. Lire peut permettre de croiser, comparer, et résister au pouvoir de manipulation des images…