Les réseaux sociaux

DU POSITIF ET DE L’HUMOUR POUR COMMENCER

L’humain est sociable par définition et il a besoin d’être reconnu par ses pairs. Être exclu du groupe, génère de la honte et de l’anxiété. À cet égard, les sites de réseautage social fonctionnent comme un nouveau système d’appartenance, d’où leur développement. Certains titres prennent en compte ces nouvelles expériences sociales et leurs vertus comme dans La ligue des amis imaginaires d’Agnès Marot ou quand Internet rapproche et crée des amitiés fortes. Ce récit met en scène trois adolescents qui se rencontrent via les réseaux et fondent un groupe. Des adolescents aux parcours et origines bien différents mais qui vivent des situations difficiles : phobie sociale, poids des traditions et maladie. Pas larmoyant mais plutôt optimiste et frais, ce roman est une ode à l’amitié, même si elle est virtuelle. Grâce à sa forme qui mêle différents supports : échanges de mails, extraits Whats’app, Twitter, photos Snapchat et même journal intime, ce récit actuel se lit d’une traite. Il sera apprécié par les plus jeunes (6e et 5e) et montre que la présence sur les réseaux sociaux ne doit pas remplacer celle dans la vraie vie. Sophie Rigal-Goulard dans 15 jours sans réseau, explore avec esprit ces nouveaux besoins et confirme l’addiction qu’ils suscitent. Émilie et sa famille partent en vacances dans la Creuse pour se couper des réseaux. C’est le choix de ses parents mais pas celui d’Émilie et ses frères, accros à Internet. Comment vivre ces vacances sans wifi ? Défi insurmontable ? Pas si sûr car les adolescents vont finir par s’habituer et réinventer leur quotidien. Ce roman choisit l’angle de l’humour pour aborder cette addiction de plus en plus prégnante chez les jeunes (et les moins jeunes) et cela fonctionne bien. Pas simple de se couper du monde et la tentation est grande de retourner sur la toile, qui, par bien des aspects, il faut le reconnaître, nous simplifie la vie. Le ton est juste et l’autrice ne rejette pas en bloc Internet ; elle essaie adroitement de proposer des alternatives, ce qui est plutôt plaisant. Une lecture fluide et facile dès la 6e. Enfin dans Le monde selon Walden de Luc Blanvillain, l’original Walden, collégien, devient malgré lui la superstar des réseaux sociaux. Il utilise cette notoriété soudaine pour servir de bonnes causes : qu’elles soient humanitaires, écologiques… Mais cette surmédiatisation finit par l’ennuyer, d’autant plus qu’il devient aussi une cible économique, ce qu’il ne souhaite pas. Il veut reprendre le contrôle de sa vie. Un récit drôle et intelligent pour parler du pouvoir des réseaux sociaux à mettre entre les mains des élèves de 6e ou 5e. L’écrivain réussit à ne pas stigmatiser, juste à amener à réfléchir par soi-même en mettant en lumière les côtés positifs et négatifs de ces outils numériques. Une belle illustration, comme dans l’ouvrage d’Henry David Thoreau, qu’il faut s’abstraire du monde et de ses désirs pour devenir réellement soi-même.

ET DES ROMANS PLUS ALARMISTES

Chantage, menace et cyberharcèlement

Le harcèlement revêt de nouvelles formes avec l’explosion des réseaux sociaux et la littérature jeunesse a su s’emparer de ce sujet pour mettre en garde les adolescents contre ces pratiques calomnieuses. Les romans sont nombreux et les scénarios souvent graves. Cachés derrière un écran, les jeunes ne mesurent pas toujours leurs propos et les conséquences peuvent être dramatiques : perte de l’estime de soi, repli, dépression, tentative de suicide. En effet, les rumeurs et médisances se propagent comme une traînée de poudre à l’échelle du virtuel. Trois récits méritent le détour et pourront être proposés dès la 4e. Arthur Ténor dans la collection « Engagé » chez Scrineo signe un récit percutant : La guerre des youtubeurs. Amy, 14 ans, est célèbre et riche grâce à sa chaîne Youtube, « Amycoquette », mais ce n’est pas du goût de tout le monde. Si bien qu’elle devient la cible d’un youtubeur masqué qui se déchaîne contre elle. Titouan, un camarade de classe, voudrait l’aider mais comment lutter contre des détracteurs anonymes qui se lâchent gratuitement ? Un roman fort dont l’objectif est de sensibiliser les jeunes au cyberharcèlement et ses répercussions. Il permet une prise de conscience de la notion de responsabilité et des poursuites judiciaires possibles. Poignant et dramatique, cet ouvrage manque toutefois de nuance.
Quand Marion se laisse séduire par Enzo, le caïd du collège, elle, si solitaire et sensible, rayonne. Mais le bonheur est de courte durée, puisqu’elle comprend qu’elle a été victime d’une machination de la part d’Enzo et ses copains. Ces derniers l’ont filmée alors qu’Enzo l’embrassait et ont publié la vidéo suggestive sur YouTube. C’est l’enfer pour Marion qui décide de se venger. Tel est le thème du roman La fille seule dans les vestiaires des garçons d’Hubert Ben Kemoun. Ce dernier évoque la cruauté des adolescents et la surexposition que provoquent les réseaux sociaux. Un fait qui restait isolé auparavant fait dorénavant le buzz sur Internet avec des effets dévastateurs chez celui qui en est victime. C’est un récit incisif où l’on ressent vraiment les émotions de l’héroïne.
Enfin, Ma réputation de Gaël Aymon met en scène Laura, une jeune lycéenne qui préfère la compagnie des garçons. Quand Sofiane, un de ses amis, essaie de l’embrasser, elle se fait exclure du groupe. C’est alors la descente aux enfers : Laura se retrouve seule et devient victime des pires ragots sur les réseaux sociaux. Une situation dont elle n’arrive pas à parler à ses parents ou professeurs. Un roman court et poignant sur le rejet, l’intimidation, le harcèlement et le rôle des nouveaux médias sur Internet.

Images volées et harcèlement sexuel

Deux romans intenses peuvent être proposés aux élèves de 3e et lycéens sur cette thématique délicate ; ils visent à dénoncer et alerter les jeunes contre les agressions sexuelles via le Net. Mauvaise connexion de Jo Witek dans lequel Julie se fait manipuler par un prédateur sexuel. Adolescente passionnée de mode, elle s’inscrit sur un tchat sous le pseudo de « Marilou » et fait la connaissance de Laurent, un photographe âgé de 20 ans. Il lui promet une carrière de mannequinat et l’ensorcelle. Très vite, elle tombe amoureuse de lui et s’enferme dans cette relation virtuelle. Tendre et affectueux au départ, il va ensuite l’obliger à se dévêtir pendant qu’il la photographie via sa webcam. Même si elle se dégoûte, elle ne peut s’empêcher de continuer. L’autrice détaille avec justesse cet engrenage qui amène la jeune fille à être soumise. Une manipulation sournoise qu’utilisent ces cyber-harceleurs pédophiles. Dans Je voudrais que tu… de Franck Andriat, la narration se partage entre les pages du journal intime de Salomé, qui veut devenir écrivain et les échanges de sa bande d’amis sur leur « chat d’or », un réseau social où chaque membre s’engage à écrire en bon français et à ne pas s’insulter. Lorsque deux nouveaux adolescents s’invitent à ces discussions, le ton change ainsi que les propos. Une jeune fille en souffrance livre son expérience de jeu sexuel. Par ce récit, l’auteur dévoile les déviances d’Internet, surtout sur les êtres les plus fragiles, notamment la pornographie ou les images volées. Il exhorte aussi les jeunes à avoir de vraies relations plutôt que des échanges virtuels. Le final est tragique mais il amène les protagonistes à réfléchir. À ne pas mettre entre les mains des plus jeunes même si l’illustration de couverture est naïve et le livre court.

Identité numérique et mensonge

L’adolescent, pour se construire, cherche à se conformer aux normes de son groupe d’appartenance ; il est en quête d’une reconnaissance sociale par ses pairs. C’est pourquoi, il veut donner une bonne image de lui, quitte à travestir la réalité. Ces situations sont exposées dans deux romans où les personnages s’inventent une autre identité : Dans de beaux draps et Fake, fake, fake. Marie Colot évoque, dans le premier, le mensonge et le cyberharcèlement à travers l’histoire de Jade, 14 ans. Cette dernière fait partie d’une famille recomposée un peu compliquée, puisqu’elle n’a pas moins de cinq frères et sœurs issus de mariages différents, et ça ne s’arrête pas là, car elle voit débarquer Rodolphe, le fils le plus âgé de son beau-père dont elle ignorait l’existence. Parce qu’il a 20 ans et beaucoup de charme, l’adolescente poste une photo de lui sur son mur Facebook en faisant croire que c’est son nouveau petit ami. Une gloire soudaine sur les réseaux sociaux l’encourage à persévérer dans ses affabulations. Elle réinvente sa vie pour attirer l’attention, mais, brusquement, cela se retourne contre elle ; la voilà prise à son propre piège. Elle va alors être victime d’ignobles rumeurs et d’injures gratuites. Tout l’intérêt de ce récit est de montrer que la popularité sur Internet peut atteindre des sommets avant de retomber comme un soufflet. Il est très facile d’enjoliver son image sur les réseaux, mais la réalité finit par vous rattraper. Le sujet est sérieux mais l’optimisme et la légèreté dédramatisent ce récit, le rendant accessible dès la 5e. Fake, fake, fake de Zoé Beck est destiné aux collégiens à partir de la 4e et raconte l’histoire d’Edvard, 14 ans. Pour plaire à Constance et parce qu’il est mal dans sa peau, il crée un faux profil sur Facebook. Il devient donc Jason, un bel Américain en voyage scolaire. Sa notoriété augmente et il accumule les mensonges ; comment échapper à cet engrenage ? Même si l’intrigue ne tourne pas qu’autour de l’usurpation d’identité sur Internet, elle permet d’appréhender ce phénomène qui peut, dans certains cas, mal se terminer.

Gérer sa célébrité sur YouTube

YouTube est une machine à créer de nouvelles stars, parfois éphémères et issues de tous milieux. Cette surmédiatisation n’est pas sans conséquence car le youtubeur est tenu d’apparaître sous un beau profil ; il doit constamment communiquer avec sa communauté et obéir aux diktats des marques qui négocient des contrats juteux avec eux. Un statut pas toujours facile à gérer car il s’avère difficile pour ces célébrités de vivre en dehors des écrans et c’est ce qu’ont très bien montré ces deux romans récemment publiés. Dans C’est pas ma faute coécrits par Anne-Fleur Multon et Samantha Bailly, la jeune Lolita est une influenceuse beauté populaire, jusqu’au jour où elle disparaît des réseaux. Prudence, une admiratrice de la première heure, s’interroge sur ce soudain silence. Qu’est-il arrivé à la célèbre youtubeuse ? Un roman qui fait alterner les voix des deux adolescentes de même que le temps (la disparition de la jeune fille étant la date de référence). Ce thriller montre à quel point les deux jeunes filles sont dépendantes des réseaux : l’une est rattrapée par la célébrité qu’elle ne peut plus assumer seule, l’autre est une fan inconditionnelle qui vit au travers des vidéos de la youtubeuse. L’occasion de dénoncer les aspects pervers du système : chantage commercial, dénigrement des internautes, narcissisme… Dans Les enfants sont rois de Delphine de Vigan, ce sont deux enfants qui sont piégés dans la folie YouTube. Mélanie, leur maman, expose sur sa chaîne « Happy Récré » les faits et gestes de ses bambins comme le déballage de cadeaux, les « yes challenge » au cours desquels leur maman dit oui à tout et autres mises en scène. Dans cette course aux followers, elle oublie les vrais besoins de ses enfants qui deviennent des marchandises. Mais un jour, sa fille est enlevée et l’enquête cherche à déterminer qui pourrait lui en vouloir. Un livre glaçant sur la triste réalité des enfant youtubeurs victimes de leurs parents. Intimité familiale exhibée, opportunité lucrative avec le placement de produits, enfants instrumentalisés, Delphine de Vigan explique ce nouveau phénomène médiatique et esquisse les répercussions psychologiques chez ces jeunes stars du Web.

Addiction aux écrans et réseaux sociaux

De plus en plus de chercheurs alertent sur les effets inquiétants des réseaux sociaux sur le cerveau, et sur leurs dangers pour les adolescents. Même Facebook a reconnu que la consommation de contenus, quand elle est passive, peut avoir un impact négatif sur le bien-être. La fréquence des rencontres entre jeunes a diminué ces dernières années au profit des écrans. Parallèlement, le pourcentage d’adolescents dépressifs ou déclarant se sentir seuls a, quant à lui, augmenté. Et si la corrélation entre temps passé sur son smartphone et dépression existe, la causalité reste difficile à prouver : est-ce sa consultation qui affecte la santé mentale ou les personnes déjà fragiles qui passent plus de temps en ligne ? C’est l’éclairage que nous apporte Christine Deroin avec son roman (Dé)connexions. Enzo, Manon et Clément se rencontrent via les réseaux sociaux et décident de se retrouver autour d’un jeu en ligne. Ils ont des profils bien différents mais sont tous les trois dépendants des écrans jusqu’à berner leurs parents, devenir insomniaques, refuser les vraies relations et même fuir avec des inconnus. « Saison Psy » est une collection intelligente et originale où chaque épisode du récit est ponctué par l’analyse d’un psychologue. Grâce au regard de ce professionnel, le jeune prend conscience des origines, des enjeux, des signes et des conséquences d’une addiction aux écrans et réseaux sociaux. Accessible dès la 6e, ce docu-fiction ne dénigre pas Internet mais met en garde contre la boulimie et l’asphyxie. Serge Tisseron, éminent psychiatre et spécialiste des questions autour de l’usage d’Internet, propose aux collégiens un Guide de survie pour accros aux écrans. À partir de quinze situations que rencontrent les parents et ados connectés, il explique pourquoi une surconsommation d’Internet est dangereuse et prodigue des conseils pour apprendre à gérer son temps. Plutôt que de diaboliser les outils numériques, il souhaite montrer les avantages d’un usage raisonné des écrans. Il aborde, à travers de multiples exemples, les questions d’Éducation aux Médias et à l’Information comme le droit à l’image, l’identité numérique, le pistage et les publicités… Un outil indispensable que l’on peut exploiter avec les élèves avec plusieurs chapitres consacrés aux réseaux sociaux.

Anticipation et monde virtuel

La question des réseaux sociaux n’est pas absente des romans d’anticipation ou dystopies qui s’adresseront aux élèves de 3e et lycéens. Les auteurs ont su imaginer des mondes où Internet est détourné de sa finalité de départ. Les outils ne servent plus à communiquer et partager mais peuvent se révéler redoutables et menaçants. Dans Réseaux de Vincent Vulleminot, le DKB (DreamKatcherBook) a supplanté Facebook. Il s’agit d’un réseau avec une partie diurne publique et une partie nocturne privée sur laquelle les utilisateurs partagent leurs cauchemars. Sixtie, une adolescente, y exorcise ses démons mais un jour, elle voit la mort en direct dans des vidéos qui s’inspirent de ce qu’elle a partagé. Ce roman, complexe par sa structure, est un policier haletant qui pose de nombreuses questions, en particulier sur l’usage des réseaux sociaux où la violence circule librement. L’auteur y brosse les problématiques d’un monde hyper connecté, voire effrayant. Interfeel d’Antonin Arger met en scène une société futuriste où les habitants sont connectés à Interfeel, un réseau qui permet de ressentir les émotions des autres. Nathan et ses amis ont toujours vécu avec ce dispositif et sont persuadés de son bien-fondé mais lorsque leur enseignant se défenestre, leurs certitudes basculent. Est-ce un monde idéal ? Cette dystopie enclenche une réflexion sur l’emprise et l’influence des médias sociaux. Ils nous enferment dans nos certitudes et entravent les vraies relations. Elle permet aussi de faire des liens avec ce que les chercheurs décrivent aujourd’hui, à savoir les bulles de filtres générés par les algorithmes qui amènent les internautes à s’enfermer et s’isoler dans leurs croyances. Joëlle Charbonneau, dans Need, a choisi de mettre en scène un réseau social qui accomplirait tous vos désirs en échange de certaines missions. Celui-ci connaît évidemment un succès fou auprès des adolescents de la ville de Nottawa aux États-Unis. Mais au fil du temps, les contreparties demandées par Need s’avèrent de plus en plus périlleuses. Un excellent thriller qui suscite bien des questions : qu’est-on prêt à faire pour voir s’exaucer ses désirs ? Jusqu’où peut-on aller sous couvert d’anonymat ? Quelle frontière entre la réalité et le virtuel ? Un bon moyen de considérer la manipulation qu’exercent les réseaux sociaux sur les jeunes. Titania 3.0 de Pauline Pucciano nous propulse dans le Paris du XXIIe siècle où chacun doit être connecté pour exister. Jan, poète et solitaire, rencontre Titania, une jeune fille entièrement retouchée et icône des réseaux sociaux. Mais leur histoire d’amour naissante se complique lorsqu’un officier de police demande à Jan d’enquêter sur elle. Derrière cette histoire, c’est la critique d’une société ultra-libérale qui est dessinée : un monde régi par l’argent, l’apparence et les réseaux sociaux avec des laissés-pour-compte, les HR (Hors Réseau). Un livre de science-fiction qui fait froid dans le dos car il pointe des dérives déjà actuelles.

 

 

Suspendre le compte d’un abonné et réguler les réseaux… en 1883 !

Les questions récurrentes concernant la régulation et la modération des propos tenus sur les réseaux de communication et notamment les réseaux sociaux numériques connaissent des réponses parfois contradictoires. Depuis qu’ils connaissent une audience importante, il a été reproché aux réseaux sociaux d’être laxistes et les États tentent régulièrement de les contraindre à assurer une modération efficace. La suspension des comptes Twitter et Facebook de Donald Trump a relancé la polémique : s’agissait-il de censure de la part des réseaux sociaux, les GAFAM se sont-ils octroyés des droits dépassant le cadre démocratique ? Une régulation des contenus est-elle nécessaire ?
Quelques mois avant, en France, dans le cadre de la discussion de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (dite « loi Avia »), la question de la modération par les plateformes s’est posée, mais les réponses de la version initiale de la loi ont largement été censurées par le Conseil constitutionnel.
La liberté de parole doit-elle être totale sur les réseaux qu’ils soient de (télé)communication ou sociaux ou bien doit-elle être régulée ?
Ce débat n’est pas nouveau comme en témoigne le texte « Le téléphone et la morale » paru anonymement en 1883 dans la revue Lyon médical et repris dans plusieurs périodiques dans les mois qui suivent.
En effet, quelques années seulement après l’invention du téléphone, la question de la régulation du contenu s’est posée quand une compagnie téléphonique a souhaité suspendre l’accès d’un abonné au réseau téléphonique en raison de l’emploi « dans sa conversation, [d’] un langage trop fleuri d’épithètes malsonnantes et de jurons plus ou moins grossiers » (Anonyme, 1883).

L’un des premiers exemples de modération de propos en ligne… téléphonique.

À l’époque les lignes téléphoniques pouvaient être partagées entre plusieurs abonnés1 . Le réseau n’était pas donc totalement privé. Évidemment, cela ne garantissait nullement l’intimité des conversations. Le procédé créait ainsi des réseaux sociaux téléphoniques qui n’étaient pas forcément désirés.
Plusieurs juristes de l’époque s’interrogent sur la légalité d’une telle suspension. En 1884, Georges Vidal, professeur agrégé de droit à la faculté de Toulouse, discute dans « Le téléphone du point de vue juridique » (Vidal, 1884-85) du statut légal et réglementaire de l’usage du téléphone par l’abonné :
« Il y a abus de la part de l’abonné lorsqu’il […] s’en sert soit pour causer un préjudice à autrui, par exemple en communiquant une fausse nouvelle, en causant une émotion à des tiers, soit pour commettre un délit ou un acte immoral, par exemple en diffamant, injuriant, tenant des propos grossiers et immoraux, organisant un complot, excitant des mouvements révolutionnaires, facilitant la fuite, le recel d’un criminel ou de choses volées2 » (Vidal, 1884-85, p. 308).
Le caractère public-privé des réseaux sociaux numériques pose les mêmes questions depuis son apparition comme le rappelle Dominique Cardon : « Les nouvelles formes de communication qui se développent sur Facebook ont projeté sur la scène publique des énonciations que nous avions l’habitude de considérer comme privées » (Cardon, 2012, p. 50).

[Dessin représentant un homme relié à un standard téléphonique], Fonds Jules Sylvestre, Bibliothèque municipale de Lyon

« Signaler », « avertir », « suspendre » et Conditions générales d’Utilisation (« CGU ») en 1883

Dans le cas de 1883, la régulation prend plusieurs formes. Elle a lieu en premier au niveau des individus. L’usager du téléphone est d’abord signalé par les autres usagers et les employées de la compagnie téléphonique [Bouton « signaler »]. Ensuite, la compagnie prend contact avec l’abonné, afin de lui rappeler les règles de politesse [« Avertissement »]. Enfin, elle le suspend [« Compte suspendu »]. À un second niveau, le cas particulier a un impact général sur le réseau : un règlement est édicté à destination de l’ensemble des abonnés, afin de prévenir d’autres comportements du même type [« CGU »]. Enfin, la régulation est confirmée au niveau judiciaire : après saisie de la justice par l’abonné suspendu, un tribunal confirme la sanction [recours judiciaire].
Aujourd’hui, les conditions générales d’utilisation des plateformes donnent le cadre de l’usage. Leur acceptation (obligatoire) par l’usager expose à une sanction de la part de la plateforme en cas d’infraction à des CGU. Les recours judiciaires contre les réseaux sociaux restent rares.

Utiliser les discours relevant de la médiarchéologie avec des élèves

À l’heure des réseaux sociaux, il peut être intéressant de travailler avec les élèves sur des textes comme « Le téléphone et la morale » pour montrer que dès le moment où l’usage de la communication par un réseau se répand — hier la communication à distance avec le téléphone, aujourd’hui celle avec les réseaux sociaux sur Internet — des questions légales et éthiques se posent.
Plus près de nous, avec la démocratisation d’Internet et du Web, à l’époque des forums et des listes de discussion, des réponses à ces problématiques ont été proposées. En octobre 1995, Sally Hambridge publie les « Netiquette Guidelines » (Hambridge, 1995), afin de définir des règles pour qu’Internet — et le Web — soit un espace régulé par un contrat social entre les usagers. Sally Hambridge conseillait ainsi : « En général, les règles de courtoisie habituelle dans les rapports entre les gens devraient être de mise en toute circonstance et sur l’Internet, c’est doublement important là où, par exemple, l’expression corporelle et le ton de la voix doivent être déduits » (Hambridge, 1995) et « Vous n’enverrez pas de messages haineux (on les appelle des «flammes») même si on vous provoque. D’autre part, vous ne serez pas surpris de vous faire incendier et il est prudent de ne pas répondre aux flammes ».
Cette nétiquette est fort proche de la conclusion de l’article « Le téléphone et la morale » affirmant qu’« un instrument de civilisation comme le téléphone ne doit servir à propager électriquement qu’un langage plein de politesse et d’urbanité » (Anonyme, 1883).
Ainsi, dans un texte publié il y a près de 120 ans, au début de la massification des dispositifs médiatiques personnels de communication, se posaient les questions du comportement d’un usager et d’une régulation imposée par la compagnie prestataire du service téléphonie, avec des éléments que l’on retrouve aujourd’hui dans les Conditions Générales d’Utilisation des réseaux sociaux.
Si faire appréhender ces « CGU » par les élèves est important dans le cadre de l’Éducation aux médias et à l’information, il n’est pas moins indispensable d’aborder le droit d’expression qui « s’exerce dans le respect de l’éthique et des règles juridiques » (Conseil Supérieur des Programmes, 2018, p. 4). La formation à l’éthique peut aussi passer par l’apprentissage de l’auto-régulation des usagers, afin de faire de chaque élève « un citoyen libre, éclairé et responsable, capable de s’informer, de se cultiver, d’exercer sa sensibilité et son esprit critique, et d’agir de manière autonome dans la “société contemporaine de l’information et de la communication” » (CSP, 2018, p. 23). Nous proposons en encadré quelques pistes à explorer dans différents programmes du second degré permettant d’accompagner les pratiques des élèves et de leur faire découvrir des technologies aujourd’hui anciennes, mais qui furent lors de leur invention des innovations posant les mêmes questions d’usage et de régulation.

Cornélius Roosevelt, Instructions pour l’usage domestique du téléphone-Bell, 1878 / BnF

 

Dans les programmes

Ce type de texte relevant de l’archéologie des médias (Le Deuff, 2016) et de l’histoire des discours sociaux sur les dispositifs techno-médiatiques peut être proposé aux élèves au sein de différents programmes disciplinaires, en EMI et en EMC, notamment, dont on retiendra quelques exemples. Les professeur-e-s documentalistes peuvent rappeler que toutes les nouvelles technologies de l’information et de la communication (de l’imprimerie à Internet) ont été confrontées aux problématiques de la modération et de la régulation.

– Au cycle 4, l’EMI apprend aux élèves à « utiliser les médias de manière responsable » et leur permet de « Pouvoir se référer aux règles de base du droit d’expression et de publication en particulier sur les réseaux ».

– L’enseignement de sciences numériques et technologie (SNT) de seconde générale et technologique « aide à mieux comprendre les enjeux scientifiques et sociétaux de la science informatique et de ses applications, à adopter un usage réfléchi et raisonné des technologies numériques dans la vie quotidienne » et développe des compétences transversales dont « faire un usage responsable et critique des sciences et technologies numériques ». Par ailleurs, le programme introduit aussi un certain nombre de repères historiques liés à l’informatique, à Internet et au Web. Il peut être intéressant de rappeler que des dispositifs médiatiques plus anciens comme le téléphone ont aussi fait l’objet de questionnements sur les usages.

– Le programme de français de seconde générale et technologique précise que « les parcours construits par le professeur ménagent une place à la découverte de l’histoire des idées, telle qu’elle se dessine dans les grands débats sur les questions éthiques ou esthétiques. Ils prennent en compte l’influence des moyens techniques modernes de communication de masse, du XIXe siècle à nos jours ».

– Le programme d’EMC en classe de seconde indique dans l’axe 2 : « L’évolution de l’encadrement juridique de la liberté d’expression dans un environnement numérique et médiatique » et parmi les objets d’enseignements possibles : « la question de la liberté d’expression dans un environnement numérique et médiatique ». Au lycée professionnel, le thème « La liberté, nos libertés, ma liberté » en CAP et en seconde professionnelle invite à réfléchir à la question « Peut-on tout dire et tout écrire ? ».

– Le programme de français en lycée professionnel en seconde professionnelle (objet d’étude « S’informer, informer : les circuits de l’information ») indique quant à lui qu’« il importe que les élèves prennent la mesure de leurs nouvelles responsabilités (authenticité, rigueur et pertinence des énoncés, respect d’autrui et protection de leur vie privée). L’objet d’étude conduit à s’intéresser à la forme, aux supports, à la correction de la langue, en tenant compte de toutes les composantes d’une situation d’énonciation ».

– Le thème 4 du programme de spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de première générale s’intitule « S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication ». Il s’inscrit dans la même perspective : « Le recours à la longue durée, la mise en perspective d’événements et de contextes appartenant à différentes périodes rendent attentif aux continuités et aux ruptures, aux écarts et aux similitudes ». L’Axe 1 s’intéresse aux « Grandes révolutions techniques de l’information ».

– Les enseignements en STI2D ou en Bac Pro SN (systèmes numériques) abordent les réseaux (informatiques, numériques mais aussi téléphoniques), leur architecture et leur fonctionnement. Le « Programme d’innovation technologique et d’ingénierie et développement durable de première et d’ingénierie, innovation et développement durable de terminale STI2D » indique notamment que « L’éducation technologique doit permettre de doter chaque élève d’une culture faisant de lui un acteur éclairé et responsable de l’usage des technologies et des enjeux associés ».

 

Programmes cités

MEN. Enseignement Moral et Civique, Thème 1 : La liberté, nos libertés, ma liberté. In : Éduscol [en ligne], février 2020. https://cache.media.eduscol.education.fr/file/EMC/31/9/RA20_Lycee_P_CAP2_EMC_THEME_1_Liberte_nos_libertes_ma_liberte_1256319.pdf

MEN. Programme d’enseignement moral et civique de seconde générale et technologique. In : Bulletin officiel de l’Éducation nationale spécial [en ligne] n° 1 du 22 janvier 2019. https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/90/0/spe572_annexe1_1062900.pdf

MEN. Programme d’innovation technologique et d’ingénierie et développement durable de première et d’ingénierie, innovation et développement durable de terminale STI2D. Bulletin officiel de l’Éducation nationale spécial [en ligne] n° 1 du 22 janvier 2019. https://cache.media.eduscol.education.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/
61/0/spe591_annexe1_1063610.pdf

MEN. Programme de français, classe de seconde professionnelle. Bulletin officiel de l’Éducation nationale spécial [en ligne] n° 5 du 11 avril 2019. https://cache.media.eduscol.education.fr/file/SP5-MEN-11-4-2019/03/8/spe622_annexe_1105038.pdf

MEN. Programme de l’enseignement de français de la classe de seconde générale et technologique et de la classe de première des voies générale et technologique. Bulletin officiel de l’Éducation nationale spécial [en ligne] n° 1 du 22 janvier 2019. https://www.education.gouv.fr/bo/19/Special1/MENE1901575A.htm

MEN. Programme de sciences numériques et technologie de seconde générale et technologique. Bulletin officiel de l’Éducation nationale spécial [en ligne] n° 1 du 22 janvier 2019. https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/08/5/spe641_annexe_1063085.pdf

MEN. Programmes d’enseignement du cycle des apprentissages fondamentaux (cycle 2), du cycle de consolidation (cycle 3) et du cycle des approfondissements (cycle 4). Annexe 3, cycle des approfondissements. Bulletin officiel de l’Éducation nationale [en ligne], n° 31 du 30 juillet 2020 (Version consolidée). https://eduscol.education.fr/90/j-enseigne-au-cycle-4

MEN. Référentiel du Baccalauréat professionnel Systèmes numériques. Bulletin officiel [en ligne] n°13 du 31 mars 2016.
https://eduscol.education.fr/sti/sites/eduscol.education.fr.sti/files/Referentiel_Bac_pro_SN_18_mars_2016.compressed.pdf

MEN. Spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de première générale. Bulletin officiel de l’Éducation nationale spécial [en ligne] n° 1 du 22 janvier 2019. https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/92/5/spe576_annexe_1062925.pdf

Cornélius Roosevelt, Instructions pour l’usage domestique du téléphone-Bell, 1878 / BnF

Psychanalyse documentaire

À moins d’en venir au temps de précogs de Minority Reports de Philippe K. Dick, il nous reste encore quelques coups d’avance en tant qu’être humain et professionnel de l’information, à condition de passer à une tout autre étape désormais : la psychanalyse documentaire.
S’agit-il pour autant de devenir disciple de Freud et de laisser de côté les travaux en sciences de l’information et de la communication ? Écartons dans un premier temps le fait qu’il pourrait s’agir d’un travail d’introspection qui consisterait à consigner ses rêves et ses pensées pour mieux les extérioriser et les rendre propices à l’analyse. Ce n’est pas à ce genre de documents auxquels nous faisons allusion ici.
Disons ici que le terme de psychanalyse renvoie plutôt à l’idée d’une analyse qui prend en compte les aspects psychosociaux de ceux qui émettent des messages et des formes communicationnelles. Il convient de devenir désormais circonspect quant à la psychologie des auteurs de documents. Il faut prendre ici le document dans ses formes les plus succinctes parmi lesquelles les micro-messages des réseaux sociaux.
L’analyse ne repose pas uniquement sur les sources, mais sur leurs auteurs… et de plus en plus sur les circonstances de production des écrits. Parfois la spontanéité apparente révèle en fait une préparation dûment orchestrée, tandis que le message d’un acteur qui semble instruit peut finalement être la résultante d’une trop grande précipitation, ou d’une réaction qui ressemble plus à un geste d’humeur qu’à une décision réfléchie.
Le pedigree de l’auteur d’un message n’est donc pas suffisant pour en mesurer la qualité. C’est au sein de cette complexité informationnelle qu’il convient d’opérer cette psychanalyse documentaire. On ne peut que constater l’expansion de nouvelles « créatures médiatiques » qui marquent bien souvent le triomphe du nouvel idiot du village planétaire qu’Umberto Eco avait décrit avec l’évolution des programmes télévisés :
« L’idiot du village des programmes télé actuels n’est pas un sous-développé. Ce peut être un esprit bizarre (par exemple l’inventeur d’un nouveau système du mouvement perpétuel, ou le découvreur de l’Arche perdue, le genre de type qui pendant des années a frappé en vain aux portes de tous les journaux ou de tous les bureaux de brevets d’invention, et a enfin trouvé quelqu’un pour le prendre au sérieux) ; ce peut être aussi un intellectuel qui a compris que, au lieu de se fatiguer à écrire un chef-d’œuvre, il était possible d’avoir du succès en baissant son pantalon à la télé et en montrant son postérieur, en lançant des insanités lors d’un débat culturel, ou carrément en agressant à coups de gifles son interlocuteur». (Eco, 1995).
Cet idiot n’est pas nécessairement stupide. Umberto Eco nous a bien mis en garde sur ce point. C’est parfois le positionnement de celui qui cherche à gagner l’attention des autres. L’idiot du village des univers digitaux peut connaître une certaine forme de succès et il va en tout cas chercher à conserver ce minimum d’attention en répétant à l’envi son modus operandi pour parvenir sans cesse à mobiliser autour de lui. Les derniers mois d’observations des réseaux sociaux ainsi que les dernières années médiatiques montrent bien le succès de ce genre de personnages. Certains méritent une psychanalyse documentaire poussée. Certaines revendications ou stratégies communicationnelles dissimulent des problématiques psychologiques voire psychiatriques plus profondes.
C’est ici qu’il me semble que le rôle de l’enseignant est de démontrer qu’un succès médiatique momentané peut être la résultante de troubles psychologiques, et que la quête des retweets, des likes et toute autre forme de récompense réputationnelle n’est pas la garantie d’une vie sereine. Le corpus d’études peut également s’observer sur Instagram ou autre plateforme du même acabit. La popularité n’est pas synonyme d’autorité dans un domaine, et encore moins de réalité de l’existence tant la déformation fait partie des stratégies communicationnelles des réseaux où il faut s’exposer. Certes, les réseaux ont permis aussi la diffusion de forme de dérision et d’autodérision… mais là également, le succès des parodies est tel parfois que celui ou celle qui les réalise devient lui-même entraîné par la stratégie de la quête de popularité. Difficile de résister à ces mécanismes réputationnels. Il est déplorable que certains enseignants et chercheurs procèdent désormais de même. Umberto Eco l’avait déjà démontré en ce qui concerne la télévision. La quête de l’indignation permanente fait désormais partie des ressorts de la recherche tous azimuts de l’attention4.
Face aux logiques de l’instant, il faut revenir à la longue durée et à la construction des écritures de soi dont l’objectif n’est pas la mise en garde contre les dangers des réseaux sociaux, mais bel et bien la construction lente et choisie de dispositifs d’écriture et d’expression.
Le fait de vouloir introduire la question psychologique au sein des écrits n’est pas nouveau. Plusieurs travaux ont mêlé différentes approches communicationnelles et psychologiques. Mais c’est à un travail méconnu désormais que nous voulons faire référence.

Le précédent historique : la bibliologie psychologique

Impossible de ne pas présenter un bon ami de Paul Otlet : Nicolas A. Roubakine (1862-1946), qui a développé de nombreux travaux autour de la bibliologie psychologique ou bibliopsychologie. Exilé en Russie, il est parvenu à obtenir une reconnaissance hors de sa patrie avec le soutien de plusieurs personnes, dont Paul Otlet et Édouard Claparède. Incité par ces derniers à poursuivre ses travaux, il leur dédie son ouvrage écrit en français sur la bibliopsychologie (Roubakine, 1922).
L’ouvrage est fort riche, son contenu tient d’ailleurs en deux tomes. Roubakine s’y montre souvent pionnier sur un grand nombre de questions informationnelles et communicationnelles5 .
Pour le chercheur russe, il s’agit de ne pas séparer trop strictement les études sur la création éditoriale (la fabrication du livre) et celles sur la réception :
« Mais la psychologie bibliologique étudie le livre et son influence à un point de vue spécial qui est celui-ci : pour cette science le livre, aussi bien que le lecteur et l’auteur, ainsi que le processus même de la lecture, de l’assimilation et de l’influence du livre ne sont pas uniquement des phénomènes culturels, mais avant tout, des phénomènes naturels. Je veux dire par là que la psychologie bibliologique aborde l’étude du livre non pas du côté de l’importance culturelle de l’œuvre et de sa valeur dans le sens le plus étendu de ce mot, mais en l’envisageant uniquement comme une sorte d’appareil, d’engin, d’instrument psychologique servant à provoquer dans l’être psychique du lecteur des expériences déterminées et complexes » (Roubakine, 1922, p. 5).
Si le projet de Nicolas Roubakine est de parvenir à collecter des données quantitatives et pas seulement qualitatives, il s’agit clairement d’en faire une discipline scientifique qui mesure les interactions entre les cerveaux humains par l’entremise de la lecture.
Nicolas Roubakine précise que cette discipline scientifique se doit d’être assortie de limites éthiques, car sa connaissance permet de mieux gérer les aspects communicationnels et les stratégies d’influence. Par conséquent, la bibliopsychologie peut être détournée à des fins de propagande.
Mais l’enjeu n’est pas ici d’évoquer les stratégies de communication de masse, mais plutôt d’entrer dans le quotidien des réactions en chaîne des réseaux sociaux qui relève parfois de la stupidité collective plutôt que de l’intelligence collective.
Les concours d’indignation devenant le principal enjeu de ces dispositifs, il convient désormais d’étudier les comportements des lecteurs du web social qui sont tout autant des lecteurs que des producteurs, pour ne pas dire des « réacteurs ».

Nikolai Roubakine

Examen de la pathologie informationnelle et communicationnelle

Le réseau social Twitter se révèle un bon lieu pour examiner les enjeux d’une psychanalyse documentaire. Il est vrai que les listes de diffusion sont également de bons exemples. Je laisse le soin aux lecteurs d’appliquer les conseils ici à la lecture de cdi-doc et d’e-doc.
Il s’agit donc désormais d’examiner et d’évaluer non seulement le message, mais l’ensemble des métadonnées qui figurent autour. Plus encore, on peut désormais mesurer l’ensemble des réactions au message publié, ce qui aurait constitué une aubaine pour Nicolas Roubakine. Il reste que l’étude de la psychologie des foules connectées se révèle à la fois riche en enseignements, mais aussi en déceptions. L’évolution de Twitter a montré un accroissement progressif de l’agressivité et une chute de l’autodérision.
L’étude des tweets, des réactions, des commentaires est devenue un marché aux données qu’il s’agit à la fois de capter ou de récupérer, mais aussi d’analyser. Entre détection d’influences, d’acteurs références et de quantification des tweets, il s’agit pour les marques de mieux organiser leur stratégie communicationnelle.
Mais ce qui nous intéresse ici est un travail davantage qualitatif qui peut venir accompagner une étude quantitative de plus grande ampleur.
Il s’agit d’identifier les personnes qui publient ou réagissent à la fois en parvenant à comprendre quels sont leurs pedigrees, mais aussi, et ça, c’est le point le plus nouveau, quel est leur état mental au moment de l’expression du message. Cela revient à essayer de comprendre en quoi une publication est rationnelle, partisane, hypocrite, de mauvaise foi, stratégique, ironique, etc.
Il existe désormais des outils qui tentent automatiquement de percevoir le négatif ou le positif et quelques éléments plus complexes. Les résultats s’avèrent assez décevants. Il faut donc en passer par un travail d’analyse personnelle.

Une pratique qui commence par une auto-analyse

La première difficulté est justement le cadre de l’analyse qui ne peut s’effectuer dans une neutralité totale… elle s’avère clairement impossible à ce stade. Il faut donc commencer par soi-même et avec ce qui nous semble pertinent au premier chef. Il faut donc se montrer en fait critique… avec les personnes qui présentent des positions politiques et idéologiques proches des nôtres…
C’est justement dans les moments où les autres pensent comme nous qu’il faut se montrer prudent, car c’est dans ces circonstances que s’exercent les manipulations aisées et le succès de la communication virale. Ce n’est pas parce que le message conforte notre opinion qu’il est véridique. Le vraisemblable est souvent l’ennemi de la véracité des faits.
Il me semble que c’est dans ce cadre que s’exerce le véritable esprit critique, en opérant une mise à distance vis-à-vis des pensées qui nous sont communes. C’est le seul moyen de pouvoir exercer une propre critique sur soi-même. C’est généralement le meilleur moyen d’affiner ses propres convictions, d’en percevoir les fondements, les influences et les limites.
La première leçon de la psychanalyse documentaire n’est finalement guère différente de la psychanalyse traditionnelle : pour pratiquer, il faut commencer par sa propre analyse. Elle commence donc par soi-même, par ce qui nous est proche, par l’étude critique de nos modes de pensée. Cela ne signifie pas qu’il faille sombrer dans un relativisme total, ou dans une analyse proche d’un freudisme de comptoir. Il s’agit de comprendre pourquoi on pense ainsi et pourquoi le message avec lequel nous sommes en accord paraît reposer sur des cadres similaires. Il faut comprendre ici que ce processus de psychanalyse documentaire s’avère également proche d’une forme de psychologie sociale… discipline qui a toujours pris en compte les questions documentaires notamment parce qu’un des acteurs français importants du domaine apparaît aussi comme un auteur clef pour les théories du document, avec notamment des textes sur la documentologie : Robert Pagès (Pagès, 1948)6.
Au niveau de la documentologie, les travaux de Suzanne Briet et de Robert Pagès ont permis de penser le document de manière étendue en prenant notamment en compte les êtres vivants. Ici, il s’agit certes de considérer les formes documentaires actuelles issues des dispositifs connectés comme des moyens d’étude des individus eux-mêmes, mais également de chercher à comprendre que derrière les messages des réseaux sociaux pris ici en tant que documents se trouvent vraisemblablement des dispositifs, des infrastructures qui opèrent et qui façonnent à la fois les formes documentaires et les modèles d’expression.
La deuxième leçon, c’est que les cadres d’analyse que nous allons porter sur les autres reposent sur notre propre infrastructure mentale. Si cette dernière est trop marquée idéologiquement, elle risque de voir les documents comme la manifestation d’idéologie contraire ou jugée néfaste. L’analyse cède la place à la détection de ce qui semble répréhensible. Tout devient l’expression alors d’une pensée néolibérale, paternaliste, masculiniste, marxiste, ce qui ne peut aboutir qu’à une volonté de rentrer en lutte, voire à dénoncer tout ce qui nous semble marqué trop nettement. L’analyse est alors remplacée par des formes inquisitoriales.
Ce n’est pas exclure le fait qu’il existe des idéologies dans le message des autres, bien au contraire, c’est admettre qu’il en existe chez nous également… et que ces cadres de pensée peuvent être parfois des lentilles déformantes. Ce n’est pas un rejet de l’idéologie, mais plutôt son acceptation tant chez soi que chez les autres. Mais le but est de faire redescendre parfois l’idéologie et ses cadres stricts au niveau des seules idées, ce qui suppose non seulement le débat (et son idéal quasi impossible), mais l’acceptation de partager des avis, des idées, des analyses avec des personnes qui initialement ne pensent pas du tout comme nous.
La troisième leçon requiert le droit à l’erreur. Un message trop rapide, absurde, une réaction épidermique doit être pardonnable. C’est même souhaitable. Rien de pire que de ne jamais rien dire. Ce droit suppose donc la capacité à pouvoir reconnaître que l’on s’est trompé, ou qu’on a exagéré certains aspects.
Une fois qu’on a procédé à sa propre introspection informationnelle et communicationnelle, il est plus aisé de comprendre les attitudes des autres et donc de les examiner avec plus ou moins de soin.
Nous n’allons pas ici rentrer dans l’idée qu’il faut absolument répondre à tous les messages qui circulent, mais plutôt considérer qu’il s’agit de procéder à une simple analyse des propos tenus. Libre à vous par la suite de réagir comme bon vous semble.
À ce titre, il faut prendre en compte que très souvent l’étude des messages repose surtout sur des logiques argumentatives qui sont celles de la monstration du Moi plutôt que sur une démarche rhétorique visant à démontrer la qualité du raisonnement. On sort néanmoins d’une approche dans la lignée de Marshall McLuhan et de sa célèbre phrase medium is message pour reconsidérer probablement que message is medium fonctionne également à condition de comprendre le mot medium dans un sens large, qui renvoie à l’ensemble des médiations potentielles. Plus encore il s’agit de considérer que les dispositifs communicationnels actuels sont des milieux de savoir qui peuvent être aisément détournés en milieux pour « se donner à voir ».
La querelle des ego apparaît dès lors comme une conséquence logique d’une période plus orientée vers l’indexation des existences que l’indexation des connaissances.
La logique de la psychanalyse documentaire oblige clairement à un certain détachement, à une différence difficile, voire impossible, entre l’exercice de l’analyse et le fait de cadre de pensée pour parvenir à la réaliser. Une impossible différance7 pour reprendre les mots de Jacques Derrida.
Pour conclure cette réflexion quelque peu aporétique, mais qui oblige à penser les limites de notre raison, finissons par cette réflexion du philosophe et théoricien des médias, Wilém Flusser :
« Si nous continuons à penser finalistiquement, si nous cherchons des ‘motifs’ derrière les programmes qui nous manipulent, nous serons fatalement les victimes d’une telle programmation. Chercher des motifs derrière les programmes, c’est vouloir les démythifier. Or, tout effort de démythification est précisément déjà programmé » (Flusser, 2019, p. 53).
Flusser revendique la nécessité d’accepter quelque part l’absurde et de faire confiance au hasard. Il ne vous reste plus qu’à appliquer les conseils de cet article sur… cet article lui-même.

 

les réseaux sociaux sur un plateau !

À la suite d’une journée de formation sur l’esprit critique en novembre 2017, abondée par l’analyse continue de nos pratiques professionnelles, l’idée de concevoir un jeu pédagogique sur cette question a émergé. Nous avons choisi d’explorer l’influence des réseaux sociaux sur l’estime de soi et la façon dont le développement de l’esprit critique permet d’agir sur les pratiques des adolescents. C’est à ce moment-là que nous avons élaboré les objectifs, les principes et les grandes lignes du jeu S’prit critique et S’team de soi.

Toutes les trois professeures documentalistes de l’académie de Guyane, nous observons et accompagnons nos élèves tous les jours dans leurs usages des réseaux sociaux. Ces derniers sont utilisés massivement par nos élèves, et la plupart du temps de façon anodine ou positive, avec plus ou moins de recul. Nous faisons cependant aussi le constat d’une multiplication des signalements et des incidents à l’extérieur et à l’intérieur des établissements scolaires, liés à une utilisation inadaptée des réseaux sociaux et à une « viralisation » extrêmement rapide de l’information, susceptibles d’avoir des conséquences graves (harcèlement, conduite à risques, mise en danger de la vie d’autrui, perte de confiance et d’estime de soi pouvant entraîner le décrochage scolaire…). Certaines situations posent même la question du lien, poussé à l’extrême, entre les réseaux sociaux, la notion de popularité et les dérives engendrées. Nous sommes néanmoins convaincues que le discours anxiogène habituel sur les dangers d’Internet est contre-productif, et c’est de cette conviction qu’est née l’envie d’aborder ces questions autrement.

Pourquoi créer un jeu ?

Dans le cadre des travaux académiques mutualisés (TraAM) en Documentation1 qui portent en 2018-2019 sur la thématique suivante : « le professeur documentaliste créateur de ressources, de parcours et d’espaces d’apprentissage info-doc au sein du CDI virtuel », nous avons spécifiquement travaillé autour de la ludification des apprentissages. Au-delà d’un simple engouement2 et d’une pratique qui a pu sembler inappropriée à l’école, l’enjeu porte aujourd’hui sur apprendre autrement, favoriser la motivation et rendre l’élève acteur de ses apprentissages. Interroger ses pratiques, expérimenter de nouveaux supports, avoir une analyse réflexive constituent autant de compétences que les TraAM permettent dans un cadre contraint. Nous avons donc formalisé notre démarche3 et produit notre jeu, afin de mettre en lumière des compétences d’EMI sous un angle ludique. Nous avons aussi voulu démontrer que le professeur documentaliste peut être lui-même producteur de ressources adaptées.
La question des réseaux sociaux peut s’avérer complexe à aborder avec les élèves, entre tentation diabolisatrice, écarts générationnels, multiplicité des questions éthiques, sociologiques, législatives et commerciales. L’avantage que nous avons vu à la création d’un jeu type « jeu de rôles » est de pouvoir partir des pratiques des élèves en simulant des mises en situation et en ouvrant le débat à partir des exemples concrets qu’elles génèrent.
Ce jeu permet d’aborder deux grands axes avec les élèves :
• L’analyse critique d’exemples de publications sur les réseaux sociaux pose des questions de fiabilité de l’information, d’éthique, de légalité et de citoyenneté.
• La réflexion sur l’estime de soi et les aspects émotionnels des réseaux sociaux permet d’aborder les notions de popularité et de conformisme au groupe. Elle permet aussi de présenter de façon concrète l’aspect addictif des réseaux sociaux créé par les « sucres numériques » que sont les like et les commentaires, ou ce que Sean Parker, ancien président de Facebook, appelle la boucle de rétroaction de validation sociale4.

Si le jeu parle de numérique, il ne l’utilise pas afin de s’affranchir des contraintes (notamment techniques et matérielles) qu’il peut générer. Le débat se lance et s’anime mieux autour d’une table qu’autour d’un écran !
Il existe d’autres jeux autour de la question des réseaux sociaux, mais ils ne nous semblaient pas répondre aux mêmes objectifs que ceux que nous visons. Médiasphères5, édité par le réseau Canopé, aborde plus en profondeur les questions légales, mais permet plus difficilement de partir des pratiques des élèves. @h…Social !2.06, édité par le BIJ de l’Orne, que nous avons découvert en cours de processus, se rapproche plus de ce que nous avions en tête, mais n’est plus édité. E-xperTIC7 (BIJ de l’Orne) reprend quant à lui les codes de fonctionnement d’Internet sous la forme de questions-réponses.
Il était important pour nous dès le départ de créer un jeu qui corresponde à nos pratiques professionnelles, mais qui soit également disponible en licence libre et réutilisable par nos collègues.

Comment jouer ?

S’prit critique & S’team de soi est un jeu de rôles simulant un réseau social fictif sur lequel des adolescents publient et interagissent. C’est également un jeu tactique, puisque les joueurs doivent utiliser au mieux les cartes dont ils disposent aléatoirement pour obtenir le maximum de points comptabilisés sur deux baromètres. C’est ce qui constitue l’objectif final pour les joueurs8.
Le premier baromètre, le baromètre d’esprit critique, évolue selon l’analyse par chacun des cartes publiées : infox ou information fiable, contenu respectueux ou non de la vie privée, contenu violent, harcelant ou contenu anodin, intention politique, publicité cachée etc. Le second baromètre, le baromètre d’estime de soi, évolue selon les interactions qu’ont chacun des joueurs entre eux. Ces interactions font gagner ou perdre plus ou moins de points, selon la nature de la carte « Émotion » piochée au hasard par chaque joueur en début de tour. Si un joueur détient la carte « Tristesse », les réactions négatives des autres joueurs lui feront perdre beaucoup plus de points d’estime de soi que s’il a pioché la carte « Joie ».
Au cours du jeu, chaque joueur doit, à tour de rôle, remplir son fil d’actualité en choisissant avec soin parmi ses cartes « Posts » celle qui lui permettra de gagner le plus de jetons « J’aime » de la part des autres joueurs. Il doit cependant bien analyser le contenu de ses cartes pour ne pas faire chuter son baromètre d’esprit critique ! Les autres joueurs doivent alors interagir avec sa publication grâce à leurs jetons « J’aime », « Je n’aime pas », « Je partage » ou « Je signale ». Comme dans la réalité, ces interactions vont jouer sur le moral du joueur visé à travers son baromètre d’estime de soi. Un joueur pourra aimer une vidéo de bagarre entre collégiens publiée par son copain pour l’aider à gagner des points d’estime de soi, mais il va alors en perdre lui-même sur son baromètre d’esprit critique.
Le jeu se déroule sur quatre tours, le temps entre chaque tour permettant de comptabiliser les points et de revenir avec les joueurs sur chacune des situations rencontrées à partir des cartes publiées. Il est important que le maître du jeu reprenne à la fin de la partie toutes les notions abordées pour les expliciter plus en détail. Un livret du maître du jeu apporte un éclairage sur le contexte de chacune des cartes « Posts » ainsi que sur les notions qui s’y rattachent.  
L’aspect jeu de rôles permet aux joueurs de se décentrer, de prendre du recul en pensant et en explicitant leurs actions. La verbalisation en cours de partie et entre les tours, le débat à la fin du jeu sont donc essentiels, tout comme le rôle du maître du jeu.
L’aspect tactique permet de complexifier le jeu en opposant des résistances aux actions des joueurs :
• le hasard (les cartes « Posts » et « Émotion » sont distribuées aléatoirement) ;
• la compétition (pour gagner, il faut obtenir le maximum de points sur ses deux baromètres) ;
• la gestion des ressources (il faut savoir gérer ses jetons d’interaction qui sont distribués en nombre limité).
Cet aspect tactique est associé à un univers de jeu réaliste et familier pour les élèves. Ils retrouvent les codes graphiques des réseaux sociaux qu’ils affectionnent et les situations des cartes « Post » sont toutes inspirées de publications réelles sur les réseaux. L’association de toutes ces dimensions crée une dynamique de jeu plébiscitée par les élèves.
Si nous avons essayé de concevoir un jeu qui soit le plus ludique possible, il a été élaboré pour être utilisé dans un cadre scolaire défini : il ne peut pas se passer d’un maître du jeu, une analyse guidée de ce qui a été joué pendant un tour est indispensable et le nombre de cartes « Post » n’est pas suffisant pour qu’un même élève fasse plus de trois parties sans retomber sur les mêmes cartes. Le jeu a été conçu pour être joué à quatre joueurs ou à quatre binômes de joueurs, guidés par un maître du jeu, sur une durée d’une heure, suivie du débat. Il s’adresse à des élèves de cycle 4 ou au lycée. Il peut être utilisé dans le cadre de l’EMI, de l’EMC ou du parcours Citoyen.

 

Concevoir un jeu… Facile ?

Nous partions confiantes avec des idées précises en tête. Nous nous sommes réunies régulièrement afin de réfléchir à la mécanique du jeu, d’élaborer les règles et le prototype. À chaque étape, nous avons été confrontées à de nouvelles difficultés, mais toutes les bonnes idées viennent d’un problème à résoudre !
Nous nous sommes rendu compte de la difficulté de construire une mécanique de jeu équilibrée et efficace, ainsi que d’élaborer des règles du jeu claires et compréhensibles, notre propre maîtrise du jeu étant venue aussi au fur et à mesure de nos réunions de travail. Nos collègues nous ont fait souvent remonter la crainte de la difficulté d’explicitation (pour le maître du jeu) et de l’incompréhension (pour le joueur). Nous veillons donc à séquencer les phases de jeu : nous avons ainsi créé une infographie qui complète les règles officielles et nous pensons aussi proposer en document d’accompagnement une vidéo sous forme de tutoriel.  
Ensuite, il a fallu créer toutes les situations (cartes « Post ») qui sont l’assise du contenu du jeu. Nous nous sommes heurtées au contexte des situations, à l’obsolescence de l’actualité, au prérequis des joueurs, à la compréhension des situations, à la catégorisation, à la cohérence dans l’attribution des points, aux droits… Les cartes ont été remodelées et adaptées de nombreuses fois.
Enfin, l’articulation des deux baromètres (le fondement même de notre idée initiale) s’est avérée parfois illogique et incohérente : il a donc fallu trouver des astuces pour y remédier. Avec de la patience et de la persévérance, les règles ont été clarifiées et simplifiées. Après des tâtonnements et des observations, le prototype a pris forme. Nous avons veillé à équilibrer la part de hasard, de tactique et de réflexion.
Nous avons effectué de multiples tests grandeur nature avec nos élèves, nos proches et nos collègues. Chacun nous a permis d’ajuster, d’améliorer et de perfectionner le jeu.
Nous avons eu des phases de découragement (quand nous découvrions des supports similaires), d’exaltation (quand nos élèves ou nos collègues prenaient plaisir et nous encourageaient à poursuivre), des phases obscures (quand nous-mêmes ne savions plus quelle était la dernière modification actée !) et des phases lumineuses (quand une partie se déroulait sans accroc !). Aujourd’hui, nous sommes fières de pouvoir rentrer dans la phase de valorisation et de communication de ce projet. Nous espérons qu’il recevra un accueil positif.

 

Où trouver le jeu ?

Un dossier auprès de la CARDIE académique a été déposé en avril 2019 et nous avons eu la joie d’apprendre fin juin leur soutien pour la production de 3 boîtes de jeu finalisées d’ici janvier 2020. La conception graphique, l’impression et la production seront assurées par l’entreprise Signarama en octobre 2019.
Il sera possible de télécharger le jeu (cartes, pions, règles, guide du maître du jeu …) afin de l’utiliser librement et gratuitement dès janvier 2020. Le jeu est placé sous la licence Creative Commons BY NC SA qui permet sa libre réutilisation, à la condition que les auteurs soient cités et qu’aucune utilisation commerciale n’en soit faite.