En effet, conscientes de l’importance sociétale accordée aux médias, il nous a semblé nécessaire de les faire découvrir aux élèves, sous leurs différentes facettes. Partant de ce que les programmes de l’Éducation nationale proposent, nous voulions aller au-delà des préconisations et pousser les élèves dans une démarche réflexive autour de la notion de « médias ». Nous voulions inscrire notre projet dans un parcours lissé et l’incorporer à toutes les disciplines. Les élèves auraient alors à travailler, tout au long de l’année, autour de la thématique des médias. Il s’agirait pour eux de comprendre leur diversité, leurs rôles et l’importance qu’ils ont dans la société actuelle.
Mise en œuvre du projet
Une des premières étapes a été de faire un état des lieux du matériel nécessaire pour mener à bien notre projet. L’atelier WebTV avait déjà acquis une base qui pouvait nous permettre de travailler sur une plus grande échelle. En effet, nous disposions d’un fond vert, d’un appareil photo permettant de filmer, d’un micro et d’une perche, d’un ordinateur portable, et d’un enregistreur MP3.
La seconde étape consistait à repenser l’espace du Centre de Connaissances et de Culture (3C) pour pouvoir « dégager » un espace Média qui permettrait la mise en place d’un studio télé. Le 3C est doté de 3 petites pièces attenantes, anciennement deux réserves et un local plus technique. Depuis plusieurs années à présent, ces trois pièces ne sont plus utilisées dans leur but premier, puisque nous étions engagés dans une réflexion sur la gestion des espaces en créant des tiers lieux, des espaces de travail partagé, favorisant l’échange et la sociabilité. Ainsi, une réserve avait déjà été « transformée » en petite salle permettant de travailler les disciplines scientifiques de manière plus personnalisée, une autre en bureau pour l’assistant TICE et la professeure documentaliste. Le petit local technique a, lui, été repensé en studio télé et en salle de montage. Il sera totalement équipé à la rentrée de septembre 20201.
Enfin, la dernière étape de notre projet consistait à convaincre. Lors d’un conseil pédagogique, nous avons exposé notre projet à nos collègues et à la direction. Tous étaient convaincus que dans le monde actuel, face à des élèves en difficultés scolaires et/ou sociales, un tel projet avait du sens. Nous avons donc réussi à constituer une équipe pédagogique pour une classe. Le niveau 4e nous a semblé le plus pertinent, compte tenu de l’âge des élèves, mais aussi des programmes disciplinaires. Pour constituer cette classe, nous nous sommes rendues dans chaque classe de 5e en fin d’année scolaire pour expliquer notre projet. Les élèves intéressés devaient nous faire parvenir une petite lettre de motivation. C’est ainsi que la classe est née.
Dès la rentrée de septembre, l’ensemble de l’équipe de la 4e 3 avait intégré dans sa progression disciplinaire une dimension « média ». Ainsi, en français, les élèves ont été invités à produire un journal papier sur leur ville avec la notion de vraies ou fausses informations. En anglais, les élèves ont travaillé sur la création de tutos YouTube sur l’alimentation. Ce fut leur première expérience devant la caméra avec insertion d’images à l’aide du fond vert. En anglais encore, ils ont réalisé de petits reportages vidéo sur l’importance de la maîtrise orale de la langue dans le monde aujourd’hui. En histoire-géographie, ils ont travaillé sur l’évolution de la presse écrite et des médias. En technologie, ils ont découvert le montage vidéo et sont allés à la rencontre de professionnels afin de participer au concours Je filme le métier qui me plaît. En éducation musicale, ils ont créé leur jingle pour le futur journal télévisé. En arts plastiques, ils ont développé leur logo. Enfin, en vie de classe, la professeure de français et la professeure documentaliste ont travaillé tout au long de l’année sur les médias en général, et les étapes de la création de reportages vidéo…
Notre volonté, au-delà de faire découvrir les médias, a été de travailler l’oral sous différentes formes (oral spontané, écrit oralisé, interview, témoignage, expression créative…), et, à chaque fois, de manière collaborative. Si cette dimension est pleinement intégrée dans la progression de chaque discipline, l’alignement d’une heure de français et d’une heure de vie de classe a permis de disposer de deux heures consécutives, ce qui a facilité le travail de montage, mais aussi les sorties à l’extérieur du collège. Les élèves qui le souhaitaient (et ils étaient assez nombreux) pouvaient venir en plus en autonomie au 3C pour avancer sur leurs projets, en fonction de leur emploi du temps. Nous avons eu également la chance d’avoir un journaliste comme « parrain » de la classe. En effet, Noham Huclin, journaliste sur la chaîne régionale des Hauts-de-France Wéo2 a rencontré régulièrement les élèves (environ une fois par mois), afin de leur faire découvrir le métier de journaliste et leur a permis, à cet effet, de se rendre sur un plateau de télévision. Une journaliste de La Voix du Nord est aussi intervenue auprès de la Classe Médias. Les élèves ont ainsi eu la possibilité de découvrir différentes facettes du métier de journaliste (TV et presse écrite). Nous voulions que les élèves puissent découvrir également les coulisses des médias et ne pas rester uniquement sur la pratique du reportage vidéo.

Autonomie, responsabilisation et confiance en soi de l’élève
Les élèves ont ainsi travaillé durant cette année sur différents supports, devenant acteurs de leur propre progression. Les professeurs des différentes disciplines et la professeure documentaliste ont pu les accompagner dans les différentes étapes de leur travail. Ils les ont accompagnés dans leurs recherches, les ont poussés à travailler leur jugement par rapport au monde qui les entoure.
Les élèves ont eu à réfléchir sur la véracité de ce que l’on voit, de ce que l’on lit et ainsi ils ont pu apprendre à déceler, à discerner et à se créer un jugement qui leur est propre.
Ce projet s’est avéré bénéfique pour bon nombre d’élèves. Des élèves qui ont coutume d’être en retrait, plus timides lors de la prise de parole en classe, ont pu s’engager dans un travail collectif et ainsi trouver leur place au sein du groupe. Les élèves ont également appris à se responsabiliser. Ainsi, du fait de la mise en œuvre d’un travail « factuel » (création du journal avec un certain nombre d’articles, répartition en groupe, mais aussi création d’un montage vidéo), l’élève qui ne s’est pas investi totalement, n’a pas eu de « rendu » à présenter et a donc dû assumer son manque d’investissement. Ce n’est pas le cas lors d’évaluations sommatives où il est toujours possible de « broder » et de rendre un travail superficiel. Dans le cas des projets médias, cela n’est pas possible. A contrario, les élèves d’un niveau faible mais investis, qui, malgré leur sérieux, n’arrivent pas à obtenir de résultats probants lors d’évaluations sommatives, ont pu, dans le cadre de ces projets, grâce à leur investissement et à la cohésion d’un groupe, obtenir des résultats très satisfaisants et fournir un travail de qualité.
Le projet média, c’est avant tout un projet humain, un projet de classe, une multitude d’échanges entre adultes enseignants et élèves. En effet, certains élèves connaissent parfois davantage les réseaux que le corps enseignant ; ils ont pu, à l’inverse des cours traditionnels, transmettre leur savoir de manière plus prononcée. Cet échange est aussi un échange d’élèves à élèves où chacun a pu mettre à profit son expérience personnelle dans cette cohésion de groupe que requiert la Classe Médias. Il y a eu synergie et le travail fourni s’est avéré productif sur le plan pédagogique et humain.
C’est un projet porteur où l’individualité propre à chacun crée une émulation autour d’un projet collectif. Les élèves prennent davantage confiance en eux et voient un réel intérêt à leur investissement personnel dans le travail demandé, car le rendu leur semble plus factuel, ils se considèrent comme un maillon concret de la chaîne « classe ».
Sur une année, la découverte des champs possibles des médias n’a pu être exhaustive ; cependant, les élèves ont été sensibilisés, acteurs de leurs propres travaux, investis dans une démarche collaborative. Ils ont pu découvrir l’enseignement d’une manière différente et s’inscrire dans un processus de cheminement de la pensée, se forger un esprit critique et rationnel.
Cette volonté de mettre à profit ce projet dans une perspective de groupe, de collaboration entre tiers a été un pari dont nous sommes fières, car au fil des mois, on a pu s’apercevoir que la classe devenait une unité de plus en plus établie. Bien que certains aient été plus motivés ou plus investis que d’autres, personne n’a été mis de côté ou moqué. Chacun a trouvé sa place. Cette unité est le fondement de la réussite d’un tel projet. C’est la raison pour laquelle nous sommes désireuses de poursuivre l’aventure une seconde année, afin que cette unité, installée, puisse permettre aux élèves de se dépasser. L’individualité de chacun, l’autonomie des élèves sont bien évidemment maintenues et constituent en elles-mêmes le vecteur de la cohésion de groupe, un gage de réussite et d’épanouissement.

Classe Médias, levier d’oralité
Le programme dans les différentes disciplines repose dans la Classe Médias, tout comme dans toutes les autres classes, sur le socle commun des connaissances.
Nous nous sommes essentiellement appuyées sur trois domaines de compétences :
– Domaine 1 : Des langages pour penser et communiquer :
Compétence 1.1 Être auteur ; Compétence 1.2 Argumenter ;
– Domaine 2 : Des méthodes et outils pour apprendre : comprendre et s’approprier les espaces informationnels et les outils de recherche ;
– Domaine 3 : La formation de la personne et du citoyen : apprendre à partager les informations de façon responsable.
Cependant, le parcours pédagogique travaillé par les professeurs met l’accent sur les compétences numériques et l’aptitude à retranscrire des élèves. Ainsi, l’accent mis sur l’oralité et l’écrit est-il intrinsèque à la réussite de l’élève de Classe Médias. Pourquoi ? Parce que les projets mis en place dans les différentes disciplines amènent l’élève à interpréter, reformuler les informations recherchées pour aboutir au travail final. L’élève, en tant qu’apprenti journaliste, devient maître d’œuvre de son travail et de sa capacité à le partager. Ce partage peut se faire via l’écrit, comme lors de la création d’un journal (presse écrite), ou lors des interviews métiers, ou encore par l’intermédiaire du tuto YouTube en anglais. L’élève doit alors prendre en compte le format média sur lequel repose son travail et apprendre à s’adapter aux destinataires (par exemple, apprendre à interagir avec l’interviewé, être à son écoute, être attentif à ses silences et à sa parole ; ou parler à la caméra, et en même temps manipuler des accessoires et rester attentif à la parole du co-intervenant3).
Oser s’exprimer… en partant d’un outil que les élèves affectionnent, telle la vidéo, a permis de lever certaines barrières quant à la prise de parole.
Nous avons en tête une élève, particulièrement timide mais avec une maturité et un esprit très vif. La Classe Médias a été pour elle un déclencheur. Elle, qui n’osait jamais prendre la parole, elle qui baissait les yeux à chaque fois qu’on lui demandait de donner son avis, comme si elle s’excusait d’être là, est aujourd’hui, à la fin de son année de 4e, une élève moteur, qui a été élue rédactrice en cheffe lors de l’écriture de notre journal papier.
Pour les élèves « fragiles », la Classe Médias représente une ouverture sur le monde extérieur, une culture méconnue, un levier pour leur ambition.
À cet effet, l’oralité, au-delà même des projets finaux à réaliser, est inhérente au parcours de l’élève. L’élève, acteur de ses recherches, doit réussir à exposer aux professeurs et aux membres de son groupe l’importance de l’information retenue. Il doit pouvoir mettre en lumière par la langue, les enjeux qu’il perçoit dans l’information lue ou entendue. Il devient ainsi le maillon décisionnaire des choix opérés grâce à sa capacité à retranscrire. Sa capacité à communiquer, à se justifier atteint son paroxysme en Classe Médias car la parole permet à l’élève de se réaliser.
Oser s’exprimer aussi, lorsque l’élève est un élève à besoin spécifique. Dans cette classe de 4e, deux élèves ULIS sont intégrés dans différentes disciplines. Il nous a semblé important que ces deux élèves soient inclus dans le projet Médias. Pour eux aussi, cette expérience a été d’une grande richesse, ils ont osé questionner les journalistes rencontrés, osé prendre place dans des projets communs, trouvant ainsi une place importante dans le groupe classe. Ils n’ont certes pas pu participer à toutes les actions, mais ils ont pu être présents sur les temps forts du projet.
Ainsi, cette expérience de Classe Médias se révèle positive à tous les égards. Les enseignants, les élèves, le journaliste parrain, tous souhaitent renouveler l’expérience l’an prochain. Il s’agira de créer de façon pérenne une Classe Médias en 4e qui poursuivra son travail en 3e avec, dans la mesure du possible, la même équipe enseignante. Bien sûr, tout est perfectible et nous avons manqué de temps pour emmener les élèves vers un projet original. Ce qui va nous laisser la possibilité de créer notre journal télévisé sur les 2 niveaux Médias.
Bien que conscientes de la perfectibilité de notre projet, comme indiqué ci-dessus, bon nombre de bénéfices ont été constatés. Notre mission de professeures s’est avérée fortement enrichie, notre sentiment d’utilité encore davantage. En effet, intégrer l’apprentissage des médias au sein de l’enseignement au collège permet d’établir un lien entre le dehors et le dedans. L’élève a souvent des connaissances numériques en dehors du lieu scolaire (télévision, réseaux sociaux, YouTube), il accumule des savoirs sans même le vouloir. Lui permettre d’explorer ces champs numériques en classe l’invite à poursuivre sa démarche d’« apprenant numérique » dans la classe et en dehors de celle-ci. L’élève devient plus curieux, plus soucieux de vérifier les informations, certainement moins naïf également. Et le rôle du parrain professionnel vient appuyer cela. L’élève réfléchit davantage par lui-même, et au-delà des programmes disciplinaires, le rôle de l’enseignant est aussi celui-là : permettre à l’élève, futur adulte, d’apprendre à penser par lui-même, d’apprendre à ne pas toujours cloisonner sa pensée en fonction des différentes instances sociales qui l’entourent (amis, famille). Lui apprendre à être maître de sa pensée est aussi -et surtout- l’aboutissement de l’enseignement. Nous formons des élèves et des attendus de savoir en fin de chaque cycle sont requis. Cependant, notre mission est aussi d’élever nos élèves au-delà, de leur apprendre à être libres dans une société où le conformisme est souvent de rigueur. Leur apprendre à rechercher, à discriminer les informations qu’ils reçoivent, à réfléchir par eux-mêmes, c’est tout simplement former les citoyens de demain : des citoyens conscients de leurs choix, de leurs actes, et faisant preuve de discernement.
Enfin, le projet Média vient accroître selon nous, cette faculté qu’ils auront de savoir se justifier, de pouvoir rendre compte de leur pensée et surtout de savoir argumenter. L’oralité, la capacité que peut avoir une personne à s’exprimer est un tremplin fondamental dans la société actuelle. C’est un atout indispensable pour leur futur professionnel, un atout qui peut faire la différence quand ils auront trouvé leur voie. En effet, quoi de plus exaltant que d’avoir, face à nous, une personne capable, avec toutes les subtilités langagières et oratoires, de faire entendre sa voix.